2. Un an après

« Akémi, lève-toi et prépare tes affaires. Tu pars tout à l'heure chez ton grand-oncle pour les vacances. »

« Oui, okaasan... Euh, maman j'voulais dire. »

S'étirant difficilement en baillant, Akémi jeta un coup d'œil discret sur son réveil. Neuf heures quinze. Il était encore crevé. C'était parce qu'il avait fait le choix stupide et habituel de rester connecté sur Facebook jusqu'à pas d'heure. Les vacances d'été l'ennuyaient. Elles étaient trop longues pour lui. Pour compenser, il passait son temps sur son ordinateur. Cela lui permettait de parler aux personnes qui lui étaient chères, donc certaines habitaient dans d'autres pays.

Cela faisait déjà plus d'un an. Un an qu'il y pensait presque tous les jours. Se remettre du départ d'Aaron avait été compliqué. Bien sûr, ils avaient continué à discuter. Les cernes que le petit Franco-japonais avait ce matin-là en étaient un parfait témoignage. Mais leurs échanges avaient souvent été trop courts et espacés à ses yeux.

Pour fêter l'anniversaire de son départ, Aaron n'avait rien trouvé de mieux que de lui envoyer une vidéo de lui au piano en train d'interpréter la chanson Dan Dan, qu'il avait mis une année complète à travailler avant de parfaitement la maitriser. La mélodie qu'Akémi préférait. L'adolescent nippon en avait chialé, autant d'émotion que de tristesse. Son camarade ne l'avait pas oublié, mais rien ne pouvait effacer la nostalgie qu'il ressentait en écoutant sa version. Même si elle le faisait souffrir, il s'en était fait un MP3 et la passait en boucle sur son téléphone, s'endormant et se réveillant avec, et essuyant ses yeux humides à presque chaque écoute.

« Aké, arrête d'écouter ta musique et dépêche-toi de préparer tes affaires ! Tu vas rater le Shinkansen. »

Soupirant, le jeune garçon roula son futon puis se traina jusqu'à la salle de bain pour une toilette matinale rapide. Même si cela avait été long et douloureux, il jugeait s'être presque remis du départ d'Aaron. Il lui avait fallu un peu de temps, tout simplement. Tout en se brossant les dents, il y repensa encore. Sa quatrième avait été particulièrement agitée. Il s'était rapproché de personnes qu'il pensait ne jamais fréquenter, comme si l'éloignement du brunet l'avait poussé à se chercher de nouveaux amis, pour ne pas sombrer dans la déprime. Aussi, il avait fait un choix douloureux, celui de changer, d'évoluer et de laisser derrière lui certains sentiments, sans vraiment y arriver. Oui, lui le collégien amoureux des garçons, il était sorti avec une fille.

Cela n'avait pas duré longtemps, tout juste le temps nécessaire à ce qu'il réalise son erreur. Elle s'appelait Elsa et était la fille d'un expatrié, comme il y en avait tant dans son collège. Elle adorait le Japon et se passionnait pour les mangas, tentant tant bien que mal de reproduire dans la vie de tous les jours ce qu'elle y découvrait. Ce fut ainsi que l'adolescent se retrouva avec une boite de chocolats dans son casier un certain quatorze février. L'attention l'avait fait rougir. C'était la première fois qu'on lui en offrait, et ce n'était même pas du Giri choco. Ce cadeau ne résultait d'aucune obligation, mais simplement de l'expression de sentiments sincères, comme le prouvait le petit mot qui l'accompagnait.

« Rejoins-moi derrière le collège après les cours, s'il te plait Aké-chan. »

Tous ses camarades s'étaient plus ou moins moqués de lui, mais avec une certaine tendresse. Depuis le départ d'Aaron, plus personne n'avait songé à l'embêter, comme si l'ombre du brun planait toujours sur leur classe. La vérité était légèrement différente. Akémi le savait, c'était à quelqu'un d'autre qu'il devait sa quiétude. Mais il préférait ne pas montrer qu'il avait compris. Cela aurait été malvenu et aurait pu sincèrement peiner Akito, qui faisait tout pour que cela ne se voit pas trop, en le taquinant toujours gentiment dès qu'il en avait l'occasion, comme cette fois-ci :

« Sérieux ! Aké a un ticket avec une fille, on lui a offert des chocos ! Putains, j'suis jaloux moi ! J'suis le lanceur du club de base-ball et même pas on m'en propose ! Si en plus d'attirer les pédés, Aké fait aussi craquer les gonzesses, ça va pas le faire... »

Les joues roses comme les pétales d'une fleur de cerisier, l'adolescent avait baissé la tête et marmonné qu'il ne faisait pas exprès, avant de se pointer tout de même par curiosité au rendez-vous qu'on lui avait fixé. Elle n'embrassait pas mal, mais cela le dérangeait pourtant. En tout et pour tout, il avait tenu un mois. En guise de White Day, il lui offrit un petit collier fantaisie et une lettre de rupture. Se confondant en excuse, il lui expliqua qu'il ne se sentait pas encore assez mature pour sortir avec quelqu'un et qu'il en était profondément désolé. « Gomen, gomen, gomen. » Il n'avait même pas pleuré.

Il avait mieux à faire. Du sport par exemple. S'il adorait toujours autant le Kendo qu'il pratiquait en dehors des cours, il souhaitait se socialiser un peu plus. Une activité l'attirait particulièrement : le base-ball.

Ce n'était pas tant le goût de l'effort, l'envie de briller en compétition ou l'esprit d'équipe qui lui plaisaient. Tout cela, il s'en fichait en réalité plutôt pas mal. Ce qu'il appréciait réellement dans ce passe-temps, c'était qu'il se pratiquait en tout temps, en toutes saisons, et qu'on se salissait beaucoup. Et qui disait crasse, disait aussi douches. De tous ses partenaires d'entrainement, c'était peut-être bien Akito le plus beau. Quand l'eau coulait de la nuque jusqu'aux fesses de son camarade, Akémi frétillait dans son coin. Akito était bronzé – plus que les autres du fait de son sang vietnamien –, élancé et attirant, suffisamment en tout cas pour justifier les nombreuses heures de pratique passées par Akémi à attraper des balles. Ses franches capacités d'analyse et son bon tempérament avaient tapé dans l'œil du coach, qui l'avait propulsé au poste de receveur, un rôle clé dans l'équipe. S'il ne courait pas beaucoup, ce dernier aurait pour tâche de réfléchir à chaque instant à la bonne stratégie, en indiquant par signe à ses partenaires quel type de balles il fallait envoyer. Pendant des heures et des heures, Akémi s'était ainsi retrouvé à s'entraîner avec Akito. Après tout, ce dernier était bien un des deux lanceurs principaux du groupe. Entre eux, les regards furent échangés en plus grand nombre que les mots. Ils étaient arrivés à une sorte d'accord tacite. Tant qu'Akémi lui proposait d'envoyer ses balles préférées, Akito se laissait mater et obéissait aux consignes. Leur bonne entente fit rapidement des jaloux. Un, Jean, fils d'un diplomate français, se montra même plutôt méchant. Deuxième lanceur de l'équipe, le blanc-bec supportait aussi mal son rival Akito qu'Akémi, à ses yeux un piètre receveur. Un peu bourru et massif, Jean avait tendance à envoyer des balles puissantes sans vraiment réussir à en contrôler la trajectoire. Quand son partenaire échouait à réceptionner ses boulets, forcément, il en prenait toujours pour son grade :

« Franchement Akémi, t'es trop chochotte pour faire ce sport. J'te dis ça gentiment hein, mais tu ferais mieux de demander à être manager, ça t'irait mieux. J'ai pas envie que l'équipe perde des matchs à cause de toi parce que t'es pas foutu de rattraper mes balles ! »

La critique était cruelle. Akémi n'y pouvait rien si son camarade n'était pas fichu de viser et envoyait toujours des droites à la place des frondes ou des courbes à la place des flottantes. Pourtant, c'était bien lui qui s'en prenait toujours plein la figure. Si à plusieurs reprises, il avait songé à cause de cela à quitter le club, une main l'avait toujours retenu :

« Arrête d'écouter les conneries de ce mec ! T'es un super receveur ! Moi j'l'ai dit au coach, j'en veux pas d'autres ! Si tu te casses de l'équipe, moi-aussi... Enfin, j'dis ça uniquement parce que j'ai envie de gagner... »

À chaque fois touché, Akémi acceptait de rester. Définitivement, il trouvait que son camarade avait changé. De tortionnaire en sixième et en début de cinquième, Akito était presque devenu agréable, même s'il affichait toujours un certain détachement que d'autres appelaient arrogance. Avec Jean, avec qui il était en lutte pour le titre de capitaine, il en était presque venu aux mains. Sa fougue et son caractère bien trempé ne le rendaient que plus attirant. Akémi avait même profité d'un midi ensoleillé et d'un bento partagé sur le toit du collège pour le lui faire remarquer :

« Pourquoi t'es hétéro ? J'veux dire, t'es presque aussi beau qu'Aaron, c'est du gâchis ! Oh, attends, t'as du riz sur la joue... Voilà... »

Autant gêné par cette naïve déclaration accompagnée d'un geste du doigt au bord de ses lèvres qu'énervé par la comparaison avec un garçon qu'il détestait, Akito détourna brusquement son visage écarlate et contracta la bouche. Ses poings touchaient le sol. Akémi était insupportable quand il se comportait de manière aussi mignonne !

« Me compare pas avec ce con ! C'est un naze prétentieux, j'arrive pas à comprendre c'que tu lui trouvais... En plus, il s'est cassé, et j'dirais, bon débarra ! J'veux plus jamais le revoir. S'il revient, j'lui en colle une. »

« Il est gentil, quand on le connait... », se justifia le jeune Franco-japonais, peiné par cette réflexion. « Et il me défendait quand tu me faisais chier, lui ! »

« Ça va ! », s'énerva aussitôt son camarade. « Ça fait combien de temps que je ne t'ai pas emmerdé ? Tu veux que je recommence, c'est ça ? Et puis, au lieu de vouloir à tous prix que les autres soient gays, tu ferais mieux de te comporter de manière un peu plus hétéro ! C'est pas cool ce que t'as fait à Elsa... D'ailleurs, j'vais lui demander de sortir avec moi ! »

Un léger pincement au cœur, Akémi avait simplement levez les yeux au ciel, puis s'était replongé dans ses onigiris. À chaque fois, cela se passait plus ou moins de la même manière. Dès qu'il était question d'Aaron, Akito s'emportait et le critiquait, et à chaque fois Akémi soupirait. Si son camarade avait changé sur certains points, sur celui-là, il restait toujours le même crétin arcbouté dans ses certitudes. L'adolescent ne comprenait même pas pourquoi son partenaire d'entrainement détestait à ce point le jeune Français, ni même pourquoi il lui conseillait aussi fermement de l'oublier.

Enfin, Akémi aurait bien voulu. Mais il avait beau avoir essayé pendant toute l'année de quatrième, il n'y était jamais vraiment parvenu. À chaque fois qu'il pensait avoir franchi un cap, un petit quelque chose le ramenait à Aaron. Un soupir, une réflexion, un petit bruit lui rappelait un souvenir. Pourtant, il avait bien pris soin de cacher dans un carton tous les objets qui pouvaient lui faire penser à ce garçon dont il était tombé amoureux et qui vivait à présent de l'autre côté de la planète. Mais même à présent, en se brossant les dents en ce début du mois d'aout, il n'avait que les cheveux noirs de son camarade en tête.

« Aké-chan, dépêche-toi ! Ta sœur t'attend... Tiens, ton sac à dos. Je t'ai mis ton Bento dedans pour ce midi. Ton grand-oncle vous attendra à l'arrivée du bateau. »

Attrapant sa besace, Akémi se jeta dans les escaliers. Il n'avait pas eu le temps de se coiffer mais ce n'était pas grave. Ces quelques jours qu'il passerait à Miyajima lui feraient le plus grand bien. Tout le monde n'avait pas la même chance que lui, d'avoir un propriétaire de Ryokan dans la famille. L'adolescent adorait autant son grand-oncle que son auberge. Ce qu'il préférait, c'étaient les grands bains, dans lesquels, plus jeune, il avait passé des heures et des heures à se tremper les fesses à l'air. Et puis, l'île était des plus agréables en été. On pouvait se promener le soir au milieu des daims dans un yukata en coton pour admirer le coucher de soleil près du torii flottant. Ce petit séjour lui permettrait à coup sûr de se ressourcer avant la reprise des cours. Avec ce foutu modèle scolaire français, sa rentrée était toujours décalée par rapport à celle des autres enfants de son âge. Ce n'était pas bien grave. Le système universitaire nippon lui semblait trop oppressant et il n'excluait pas de poursuivre ses études supérieures en France.

Dans le train, il en parla à sa sœur. Malgré leur année d'écart, ils s'entendaient plutôt bien. Cécile était assez protectrice envers son petit frère, même si au collège, elle avait toujours cherché à le cacher. Là, elle allait entrer en seconde et changer d'air. Elle en était ravie. À plusieurs reprises, elle demanda à Akémi s'il pensait que tout irait bien en troisième. À chaque fois, il répondit par la positive. Il n'avait strictement plus aucune raison de se faire du souci à ce propos. Ses professeurs l'aimaient bien et ses camarades aussi. Il était confiant en l'avenir. La seule chose qui lui manquait, c'était un but, en fait.

Profitant que Cécile se plonge dans un livre, l'adolescent fouilla dans ses affaires à la recherche de son déjeuner. Sa mère avait récupéré un sac qui trainait dans sa penderie depuis plus d'un an. Le reconnaissant, il grimaça. C'était celui qu'il portait sur le dos ce jour-là. Encore un foutu souvenir qui, accompagnant la musique qu'il avait dans les oreilles, lui donnait envie de pleurer. Ce fut cependant un morceau de papier froissé trouvé au fond de l'objet qui provoqua l'apparition d'une légère goutte sous ses paupières, qu'il s'empressa d'essuyez du bout du pouce. Trop tard, sa sœur l'avait remarquée.

« Ça va, Aké ? T'as pas l'air bien. »

« Non, c'est rien, nee-san. C'est juste une bêtise, rien qu'une bêtise. »

Il avait beau le prétendre, il avait bien du mal à y croire. Dieu qu'il adorait cette écriture précise et propre. La nostalgie s'empara de lui. Comment avait-il pu oublier le dernier cadeau d'Aaron au fond d'un sac ? Il s'en voulut presque. Un an avait passé depuis qu'il avait lu pour la dernière fois cette succession de mots sans le moindre sens. Le brunet avait maladroitement essayé de respecter la forme poétique des Mokis, en augmentant légèrement le nombre de syllabes à chaque vers. Le résultat final semblait ne rien vouloir dire. Pourtant, le petit Nippon ne put s'empêcher pendant tout le trajet de lire ce court texte en boucle, détachant dans sa tête chacun des mots pour essayer d'en découvrir la signification.

                                                                   Mokis pour Akémi

Sur l'île des châteaux de pierre
Soumise et rattachée à Edo
J'ai trouvé un beau trésor

Un simple râle te guidera
Suis le vol des fleurs de cerisier
Et reviens-y en été

Les fines particules blanches (白)
Sur l'Iceberg foulé par les Marines
Observe bien le mon (紋) doré

Derrière les feuilles vertes,
Entre l'émeraude et le saphir
Ryujin (龍神) l'engloutira

De là naitrons mille rubis
Te les offrir, tel est mon cadeau
Akémi, petit joyau.

Si Aaron avait un peu de mal avec le principe de rupture qui faisait d'ordinaire tout le sel de ce genre de poésie, l'intention restait particulièrement touchante. Surtout la fin. « Petit joyau ». Il n'en fallait pas plus à Akémi pour trembler de joie. Pour le reste, un an après l'avoir découverte puis rangée dans un coin pour ne pas trop penser à son auteur, l'énigme restait totale. Ainsi, il fallait trouver un trésor sur une île couverte de châteaux. La bonne affaire ! Le Japon en était rempli. Et Edo, c'était le nom de la capitale des Tokugawa, l'actuelle Tokyo. Autant dire que tout le pays lui était soumis. Le reste était encore moins compréhensible. Akémi ne râlait pas souvent, cela ne lui ressemblait pas, et voyait mal en quoi cela pouvait l'aider. Le vol des fleurs de cerisier ne l'orientait pas plus. Il n'était admirable qu'au printemps, et Aaron indiquait très clairement que le trésor n'apparaissait qu'en été. Le passage suivant était encore moins clair. Un iceberg, au Japon ? Et ces particules blanches, c'était de la neige ? Le brunet voulait-il absolument décrire les quatre saisons ? La seule chose qui semblait clair au Franco-japonais était la partie sur Ryujin. Son camarade faisait explicitement référence à un kami des océans très célèbre ressemblant à un dragon. Le « mon » devait être un emblème. Le Kanji qu'Aaron avait inscrit dans la marge, « 紋 », allait parfaitement dans ce sens. Le reste ne voulait strictement rien dire. Akémi ne comprenait rien.

« He, Aké, réveille-toi là, on est arrivé ! »

La voix de Cécile fit sursauter l'adolescent. Le train entrait en gare. Le trajet lui avait semblé plus rapide que prévu. Il ne restait plus qu'une courte traversée en bateau et, enfin, il serait chez son grand-oncle, Ohjiro. Il n'avait qu'une seule hâte : déguster une bonne glace au thé vert matcha avant de fondre se tremper dans l'onsen. Machinalement, il rangea la carte au trésor d'Aaron dans son sac, en faisant bien attention de ne pas trop l'abimer. De toutes manières, il ne voyait pas du tout comment résoudre cette énigme, comme s'il n'était pas digne du dernier cadeau que lui avait offert le premier garçon qu'il avait vraiment aimé. C'était énervant, comme s'il touchait du bout des doigts un trésor destiné à toujours lui échapper.

Après plusieurs minutes de croisière, il aperçut au loin le fameux torii de l'île de Miyajima. Les bras posés sur le rebord du bateau, il laissa le vent s'engouffrer et le décoiffer. Il se sentit un peu las, presque fatigué. Il soupira. Comme prévu, son grand-oncle était bien là. Poliment, il le salua à la japonaise, avant de lui faire la bise à la française. Puis, épuisé, il s'écroula sur son futon avant de planifier sa journée du lendemain.

Le soir, après son repas et un tour dans les bains, il se glissa dans son yukata et se lança dans une petite promenade digestive. Marchant en direction du torii, il croisa plusieurs touristes en prise avec des daims. L'un d'entre eux, un jeune garçon de son âge aux cheveux châtains se faisait mordiller les bras et les jambes. L'idiot, il devait avoir une sucrerie sur lui, et avait sous-estimé l'odorat de ces animaux. L'entendre brailler en français réjouit Akémi. Il l'interpela dans la langue de Voltaire en affichant un de ses plus beaux et tendres sourires :

« Si tu as de la bouffe sur toi, jette-là par terre, puis fuis calmement sans courir, sinon, ils vont te pourchasser en pensant que tu en as encore. »

Obéissant à ces bons conseils, le jeune adolescent obéit sans discuter, puis traça sa route en compagnie de son nouvel ami. Tendant sa main aux doigts légèrement arrondi, il se présenta :

« Merci pour le coup de pouce ! Moi, c'est Gabriel ! Je suis en vacances ici avec mon oncle, j'adore ! Je voulais peindre le coucher de soleil, mais là, c'est un peu foiré ! Sympa ces animaux, mais un peu collants. T'es japonais ? C'est étonnant d'en trouver qui parlent ma langue ! D'habitude, ils n'arrivent même pas à aligner trois mots en anglais, alors en français... »

Pas loin de l'hilarité, Akémi se présenta à son tour et avoua son secret : il était métisse et possédait les deux cultures. Enfin, même s'il parlait beaucoup français au collège, il se sentait bien plus Nippon que Gaulois et était parfaitement bilingue, même si quelques kanjis compliqués lui résistaient encore. En tout cas, il était ravi de faire sa connaissance. À tel point qu'il lui donna rendez-vous le lendemain matin au même endroit pour lui faire visiter l'île. Il fallait absolument qu'il monte au sommet du mont Misen, culminant à cinq-cent-trente mètres au-dessus de la mer, pour profiter du panorama.

Une fois arrivés en haut, les deux jeunes garçons partagèrent même un coca en rigolant. Le châtain se présentait volontiers comme un artiste en vadrouille, et se fit même un plaisir de le prouver à son nouveau camarade en réalisant son portrait au fusain en échange de son amitié sur Facebook. Toute la journée, les adolescents discutèrent tranquillement de leur vie, de leurs connaissances et des personnes qui leur étaient chers. Le soir, ils découvrirent avec plaisir que Gabriel logeait dans l'auberge du grand-oncle d'Akémi. Cette nouvelle, provoquée sans doute par le destin, leur donna l'occasion de chahuter dans les bains ensemble après avoir dévoré une glace sur la plage. En guise d'au-revoir, ils retournèrent à l'endroit où ils s'étaient rencontrés la veille, observer le coucher de soleil. Là, pris de sentiments qui lui brulaient la poitrine, Akémi parla beaucoup d'Aaron et déclama même le poème que ce dernier lui avait écrit et qu'il connaissait à présent par cœur. L'avoir retenu, malheureusement, ne l'aidait pas plus à le comprendre.

Observant le soleil couchant, la lune naissante et les premières étoiles, Gabriel soupira. Une fois une explication de texte reçue sur le terme « mon » et un cours de mythologie sur Ryujin, certaines choses lui semblèrent plutôt évidentes. Sa réaction causa l'étonnement du Nippon.

« Attends, ne me dis pas que tu as compris, quand même ? »

Secouant légèrement la tête, le châtain s'empara d'une fine branche et traça quelque chose dans le sol. Il souriait d'une légère excitation.

« Le lieu, c'est pas clair du tout. Mais le trésor, ce n'est pas dur... Il est malin, le mec qui t'a écrit ça. Ce type de trésor, on ne l'apprécie que lorsqu'on le trouve. Mais ça serait naze que je t'explique ce que c'est, ça casserait son plan et la magie du truc ! »

Frustré, Akémi le traita de menteur ! En réalité, il ne savait rien du tout, mais prétendait le contraire pour se rendre intéressant. Si cela n'avait pas été aussi important pour lui, il en aurait presque rigolé. Mais là, ça lui donnait plutôt envie de pleurer. Constatant l'apparition de la rosée sur les joues de son camarade, Gabriel le serra contre lui et l'enveloppa d'une étrange chaleur.

« Moi, un menteur ? Tu ne pourras le savoir que si tu trouves le trésor ! Comme je suis sympa, j't'ai laissé un indice sur le sol, la forme de l'emblème du poème ! Pour le reste, j'espère que tu me tiendras au courant sur Facebook de l'avancé de tes recherches ! Allez, salut Akémi, ravi de t'avoir rencontré, mais faut que je me bouge, mon oncle va finir par se faire du souci. Merci pour cette journée, c'était super sympa. »

Assis en tailleur à même le sol, Akémi serra les poings. Il était énervé et même un peu triste. Il voulait trouver ce trésor, il le voulait plus que tout. Si Aaron lui avait offert cette énigme, c'était pour qu'il le trouve, lui et personne d'autre, et certainement pas un simple petit touriste avant lui ! Jamais ! Essuyant du plat de la main les larmes qui coulaient abondement sur son visage, il jeta un coup d'œil à l'indice que le châtain lui avait laissé. Il prenait la forme d'un cercle.

Un simple cercle qui ne l'aidait en rien.


Chocolat d'obligation, offert par politesse

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