Chapitre 5 : Erreur fatale

Le temps s'écoulait d'une façon étrange, en haut. Fred avait pu en faire les frais, alors qu'il était parti faire ce qui lui semblait être une sieste de 20 minutes, et que deux semaines s'étaient passées pour George, en bas. Parfois, alors qu'il surveillait son jumeau, le temps ralentissait, ou bien accélérait, et il n'en comprenait toujours pas la logique. La seule constante était le chagrin qu'il partageait avec son âme sœur. Il ne se passait pas une seconde sans qu'il sente cet étau qui n'était pas le sien, et le vide de l'absence. Il n'était pas seul, mais il n'avait jamais senti une si grande solitude. Les sourires de James et Lily quand ils le croisaient lui rappelaient douloureusement Harry, qui veillait sur George en bas. Et voir ceux qu'il avait connus avant le ramenait sans cesse dans un flot de souvenirs qu'il tentait tant bien que mal de refouler. Marcher tout droit sans regarder en arrière était bien plus difficile que ce qu'il n'avait pensé.

- Fred ? l'appela Sirius dans son dos.

Le sorcier vint s'asseoir à ses côtés sur l'herbe aux reflets laiteux, un sourire compatissant sur son visage. Il avait l'air bien plus en forme et bien plus jeune que lorsque le roux l'avait connu, comme Remus. Il n'avait plus beaucoup vu Remus et Tonks depuis son arrivée, mais le retrouver avait sûrement été l'épreuve la plus dure. Ils laissaient un orphelin derrière eux, comme Harry. Tout ce qu'ils pouvaient espérer pour leur fils, ils devaient s'en remettre à Harry, Drago et Andromeda pour l'accomplir, et c'était difficile pour tout le monde de devoir n'être qu'un spectateur impuissant. Ils restaient donc la plupart du temps ensemble à veiller sur leur petit Teddy, faussant compagnie au reste.

Sirius et James étaient désespérés de voir un jour leur ami s'en remettre et passaient beaucoup de temps à deux également. Fred admirait leur amitié. Elle lui faisait penser à sa relation avec George, un mélange de fraternité, de complicité mais surtout d'une confiance absolue. Maugrey et Dumbledore leur rendaient régulièrement visite dans la maison où ils avaient décidé de s'installer, parfois accompagnés de sorciers et sorcières que le jeune Weasley n'avait jamais vus de son vivant.

- C'est douloureux, de rester là sans rien faire, hein ?

Fred sursauta légèrement. Complètement plongé dans ses pensées, il en avait oublié la présence de l'aîné des Blacks, et il n'était pas encore habitué à ce genre de discussions. Il recherchait souvent le silence et le calme, car à ces moments seulement, il pouvait se concentrer sur George. C'était tout ce qui comptait pour lui.

- Je pensais être heureux de retrouver James et Lily, et tous ceux qui nous avaient déjà quittés, reprit Sirius, ne réagissant pas au silence de son interlocuteur. Mais très vite, la Terre a recommencé à m'attirer comme un aimant, et je regardais toujours Harry, Remus, tous les membres de l'ordre ... Tout le monde est comme ça, ici. Comment va George ?

- Mal. Répondit le roux après un moment d'hésitation.

- Tu ne peux rien faire pour son état, Fred. Cesse de te torturer ainsi, et passe-leur la main. Ils en sont capables.

Il hocha la tête la gorge nouée. Il savait qu'il ne pouvait rien pour lui, mais il aurait tant aimé faire quelque chose ! Lui envoyer un signe pour lui montrer qu'il veillait sur lui, le rassurer, l'apaiser ... Leur lien était à la fois si fort mais si faible, car il ne pouvait pas l'utiliser. Il pouvait juste ressentir sa douleur dans chaque fibre de son être, et il ne pouvait rien faire. Il devait accepter l'impuissance, se plier devant l'impossible, mais il ne voulait pas. Après tout, rien n'était impossible pour eux, de ça il en était convaincu.

- Je trouverais un moyen, Sirius. Autant pour George que pour Teddy.

Il se tourna et vit la vague de tristesse qui avait rempli les yeux bruns du sorcier. Il avait toujours eu une relation particulière avec Remus, et le malheur de son ami l'impactait tout autant.

- Puisses-tu dire vrai ...

Un autre silence vint envelopper les deux hommes, que James s'empressa de briser en se laissant tomber de l'autre côté du roux.

- Tonks et Remus se sont disputés.

- Encore ... soupira Sirius, l'air songeur.

Le jeune couple se disputait souvent depuis leur arrivée. Remus reprochait à la jeune auror d'avoir laissé leur fils derrière pour « jouer à l'héroïne », et elle lui en voulait de les avoir abandonnés pour les mêmes raisons. Et au milieu de ces disputes revenait toujours le même chagrin, le même désespoir d'un parent qui doit laisser seul son enfant. Fred avait eu du mal à s'habituer à l'étrange ambiance de ce monde. Ce n'était ni un paradis ni l'enfer, et l'éternité dans ces conditions n'avait rien d'attirant. Il n'y avait plus de question d'argent donc ni richesse ni pauvreté, mais finalement, ce qui ressortait, c'était l'injustice de la vie. Une profonde rancœur rongeait ceux partis trop tôt, de la colère se mêlait à la tristesse pour les nouveaux venus, et la joie des retrouvailles était souvent assombrie par la tristesse du deuil. Plus de mensonges, plus de cachettes, tous voyaient tout, tous entendaient tout, et tous pouvaient tout savoir. Chacun veillait sur ses proches sur Terre, seul, dans une forme de jalousie et de possessivité agressive. Jamais personne n'invitait ses amis à voir le bonheur de ceux qu'ils avaient laissé derrière. C'était chacun pour soi, alors qu'aucune barrière ne pouvait être érigée. Rien n'empêchait ceux qui le voulaient de partager le bonheur des vivants des autres, mais personne ne le faisait. Parce que c'était chacun ses morts, chacun ses vivants. Et Fred détestait ça. Il avait toujours tout partagé avec George, et il était forcé de tout garder pour lui. Sinon on le dévisageait, on refusait de lui parler.

Et dans tous ça, James et Lily avaient accueilli Sirius, puis Fred. Remus et Tonks vivaient juste à côté. Ils avaient formé leur petite communauté, ils s'étaient regroupés pour partager ce qu'ils voulaient bien offrir aux autres. On parlait de Harry, d'Hermione, des Weasleys. On parlait de Teddy, de Mac Gonagall, même de Drago. Mais il était difficile pour le jeune sorcier de se sentir à sa place. Tout ça avait un goût aigre-doux, une belle chose en apparence, mais son côté artificiel ne mettait pas à l'aise. Etrangement, la seule personne avec qui il se sentait bien était James. Il ne l'avait jamais connu, mais avait tout de suite aimé son côté provocateur, et l'énergie que ses sourires laissaient passer. Les parents d'Harry semblaient s'être plus ou moins habitués à ce monde, et étaient ceux qui se concentraient le moins sur les vivants. Le seul qui l'intéressaient était Harry, et ils avaient appris à ne pas le regarder continuellement. Ils avaient accepté Fred, et l'avaient rassuré. Lily s'était montrée très patiente, lui expliquant ce qu'ils avaient compris pendant ces dix-neuf années.

- Quoi de neuf square Grimmaud ? demanda James d'une voix forte et pleine d'enthousiasme.

- Drago et Harry travaillent. George aussi. Andromeda leur laisse la garde de Teddy pour le week-end.

- Sirius, dit le brun aux lunettes d'un air sérieux. Prépare-toi à contempler les cendres de ta maison d'enfance dans très peu de temps.

- Harry n'est pas si maladroit que ça ! protesta son parrain en prenant un air outré. Je te signale que c'est grâce à moi qu'il se débrouille si bien.

- Il n'a pas pu bénéficier de ta perspicacité alors, se moqua gentiment son meilleur ami. Je parlais de Drago et de Teddy.

Fred éclata de rire avec le sorcier, face à un Sirius vexé. James se leva finalement en tapotant gentiment l'épaule du roux, et annonça en tournant les talons :

- Il paraît qu'il faut aider les femmes à faire la cuisine, donc je dois y aller. Si je meurs, Sirius, je te lègue mon poster de Metallica.

- Tu es déjà mort ... grogna le concerné non sans un sourire.

- Tant pis pour toi, alors !

Et il était déjà parti. Sirius soupira doucement en s'allongeant sur le dos, laissant ses longs cheveux bruns s'étaler dans l'herbe.

- On ne s'ennuie jamais, avec James. Même en cours avec Binns.

- J'aurais aimé voir ça, répondit Fred en riant doucement.

- Finalement, il n'y avait pas grand-chose à voir, puisqu'il ne faisait que parler. Quoique ... L'expression de Lily valait bien le détour.

- Elle le détestait vraiment ?

- Plus que tu n'as jamais détesté quelqu'un, je pense. On peut peut-être les comparer à Harry et Drago, finalement ...

Fred secoua la tête, amusé. Il n'était pas tout à fait d'accord. Entre les deux, il y avait toujours eu autre chose que de la haine. Une tension, une demande d'attention constante ... Ce n'était pas de la haine, c'était bien plus compliqué que ça, et même si Fred n'avait pas encore compris, ils semblaient avoir réussi à le faire, ce qui le rassurait.

- Et James n'est pas réputé pour sa délicatesse, on peut dire. Il y a certains trucs qu'elle n'a vraiment pas aimés, mais il faut croire que tout va bien, maintenant !

- Oui, tout va bien ... murmura Fred.

Sirius se leva et salua le sorcier avant de partir d'un pas confiant vers les petites maisons qu'ils occupaient. Il le regarda partir dans la prairie sans trop y prêter attention. Le paysage était neutre, composé de prairies, de forêts et de petites collines, mais rien ne le rendait particulièrement beau. Les verts étaient presque fades, comme atténués par la lumière blanche qui inondait les lieux, et les animaux n'étaient que de pâles figures lointaines. Rien n'avait su éveiller l'intérêt de Fred pour ce qui l'entourait, et il avait fini par ignorer totalement son environnement. La météo elle aussi était neutre, et l'absence de pluie et d'orages ne lui permettait plus d'apprécier réellement ce temps doux et sec.

- Fred ! L'appela une voix féminine depuis les petites maisons au loin. Viens-vite !

Inquiet, le sorcier se leva précipitamment et se mit à courir à travers la plaine pour rejoindre Lily qui venait de l'appeler. Il pénétra dans la cuisine en silence, mais ne put retenir un petit cri de surprise en voyant Tonks en pleurs sur une chaise en bois. Derrière elle se tenait Ted Tonks, son père, que Fred n'avait qu'aperçu à certaines réunions de l'ordre. Elle sanglotait et son père lui caressait tendrement ses cheveux ayant viré au gris, murmurant des paroles de réconfort.

- Remus a ... lui chuchota James à l'oreille, tentant de lui expliquer la situation.

- Il est parti. Le coupa la jeune femme, dans un cri de douleur. Il a disparu, et je ne veux pas le perdre encore une fois. Je dois le retrouver, mais il ne veut plus de moi !

- Allons, Dora ... tenta de la consoler Ted. Il a sûrement besoin d'un peu d'air, il reviendra dans quelques temps ...

- Non ! s'écria Tonks en tapant du poing sur la table. Il me l'a dit, il ne reviendra pas ! Il ...

- Qu'est-ce qu'il a dit exactement, ma belle ?

La voix de Ted était douce, mais son expression montrait qu'il était prêt à remettre Remus à sa place pour avoir osé faire pleurer sa fille. Au milieu de tout ça, Fred se sentait encore de trop, comme un spectateur s'étant retrouvé par mégarde sur le devant de la scène. Tout le monde dans la cuisine retenait son souffle, attendant de connaître les mots exacts du loup-garou. Sirius faisait les cent pas, l'air plus agité que jamais. Lily s'efforçait de calmer la jeune auror avec qui elle s'était facilement liée d'amitié, mais sans succès. James et Fred ne savaient pas où se mettre dans cette pièce où leur humour ne serait d'aucun secours, et ils se contentèrent de regarder la scène en retrait d'un air grave. La voix emplie de chagrin, la sorcière finit par prendre la parole après avoir pris une grande inspiration. Ses mots résonnèrent longtemps entre les murs de la cuisine, lourds de sens.

- « Tu étais une erreur. »

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top