Chapitre 19 : Un petit quelque chose en plus

Dire que George ne pouvait pas supporter Aberforth était un euphémisme. Le vieil homme avait un don pour dire ce qu'il ne fallait pas dire et appuyer là où ça faisait mal. Même son regard, si déstabilisant de par sa ressemblance avec celui de l'ancien directeur de Poudlard, savait en rajouter une couche là où ce n'était plus nécessaire. Et tout ça donnait la cruelle impression au jeune sorcier qu'il était tout simplement de trop. Que penser d'autre de ces grognements et soupirs, sinon qu'il n'était qu'un fardeau ?

- Weasley ! Tonna le patron du pub depuis l'arrière-boutique. Apporte-moi ces bouteilles dans la salle, ceux-tu ?

Tenant difficilement sur ses jambes après cette longue journée, George s'exécuta sans se plaindre. Il ne voulait pas ajouter au sorcier une nouvelle raison de le détester et de le persécuter. En voulant poser la caisse qu'il portait dans ses bras sur le plan de travail, une bouteille s'en échappa et vint s'écraser au sol. Des morceaux de verres volèrent partout dans la salle poussiéreuse, et l'un d'eux se ficha en plein dans la cheville de George.

- Si tu casses tout, on n'aura bientôt plus de quoi servir les clients, fais attention !

Aberforth ne s'était même pas donné la peine de se déplacer pour estimer l'ampleur des dégâts, laissant son employé gérer tout seul. Il s'était contenté de grommeler quelque-chose à travers la porte en bois, avant de revenir à ses affaires.

- Kann ich helfen ? Demanda un homme en arrivant à la hauteur de George.

Si le Gryffondor avait reconnu de l'allemand, il était incapable de comprendre ce que lui avait demandé l'étranger.

- Excusez-moi. Reprit le client dans un anglais parfait. C'était un vieux réflexe. Voulez-vous de l'aide ?

Toujours sous la surprise de cette rencontre inopinée, il hocha doucement la tête sans dire un mot. Il n'arrivait pas à détacher ses yeux de ce sorcier étrange. Ayant retiré la capuche de sa cape de voyage pour aider à nettoyer d'un mouvement de baguette, il balançait sa main négligemment pour lancer de nombreux petits sorts. Ses cheveux bruns lui tombaient au-dessus des épaules dans une cascade de boucle, entourant une barbe naissante. Ses yeux brillaient d'un éclat presque surnaturel, largement amplifié par la balafre qu'il portait à la joue droite. Il finit de nettoyer le sol sans que George ne fasse un geste et retourna à sa place comme si tout était normal.

- Eh bien mon garçon ? S'exclama Aberforth en faisant irruption dans son dos. Qu'as-tu cassé ?

- Une ... une bouteille de Bièraubeurre ... Bredouilla le sorcier pour toute réponse, encore absorbé par l'étranger.

Le sorcier qui l'avait aidé avait maintenant rabattu sa capuche sur ses cheveux, ne laissant plus voir ses yeux. Quelque chose en lui intriguait George, quelque chose qu'il n'avait vu nulle part ailleurs. Et ce n'était pas cette phrase en allemand, non, c'était quelque chose de bien plus profond. Il fut interrompu dans ses pensées par le vieil homme qui le tirait maintenant sans ménagement par le bras.

- Tu t'es blessé, il ne manquait plus que ça ... Râla-t-il en faisant asseoir George sur une chaise.

Il l'avait amené dans une pièce que le Gryffondor reconnaissait douloureusement. Assis de force sur la seule chaise en bois, il ne pouvait que contempler le tableau d'Ariana Dumbledore, qui l'avait mené autrefois dans les couloirs de Poudlard. Maintenant que la salle sur demande s'était fermée, ce portrait était redevenu un simple portrait fixé au mur, figé à jamais sur sa toile. Et Aberforth le regardait aussi, avec une expression qu'il n'avait réservée qu'à ce portrait. En un mélange de douleur intense et de douceur, il pouvait montrer au monde entier l'amour qu'il portait à sa petite sœur. Quelque part, cela le rendait plus humain et bien moins bourru, ce qui n'était pas pour déplaire à son employé. Alors que le vieil homme lui attrapait la cheville et murmurait des incantations pour le soigner, il y avait dans ses gestes une bienveillance nouvelle.

- Tu aurais dû faire plus attention. Grommela-t-il en reposant le pied de George doucement sur le sol. Tu aurais pu te blesser suffisamment pour te retrouver à Sainte Mangouste ! Maintenant, retourne dans la salle, je parie qu'on a besoin de toi.

Il ne se fit pas prier deux fois et reprit sa place habituelle derrière le comptoir poussiéreux. Les verres sales et les murs gris eurent vite fait de le ramener sur terre, et il continua son travail dans l'humeur morose que lui inspirait ce lieu. Tout ici manquait cruellement de couleur. Et s'il était là pour aller mieux, il lui fallait au moins cette couleur, cette petite touche qui pouvait illuminer un quotidien. Il se promit d'en parler à Aberforth dès que possible.

Il ne vit pas le vieil homme de toute la soirée, et dû fermer le pub tout seul. Terminant de passer un coup de chiffon sur les tables, il manqua de tomber à la renverse quand l'étranger apparut dans son champ de vision.

- Il y a de la magie pour ça. Fit-il remarquer en arborant un sourire moqueur.

- Mais qui voudrait lancer un sort alors qu'il ne nous permet pas de profiter de cette magnifique sensation du torchon sur la saleté ? Répliqua George sur le même ton.

Le sorcier aux cheveux longs rit d'un rire clair et franc et tira une chaise en bois pour s'installer dessus.

- Je t'aime bien, toi. Tu as plus de répondant que ce vieil Aberforth, ça c'est sûr !

- Ce n'est pas si compliqué, un peu plus et je le dirais muet ...

Pourquoi il discutait ainsi avec cet étranger comme s'ils se connaissait depuis toujours ? Il n'en avait aucune idée, mais cela lui faisait un bien fou. Pour une fois, il avait cessé d'être George Weasley, en éternel deuil de Fred, et il était simplement devenu ce Barman aux cheveux roux. Et il comptait bien profiter de la situation.

- Et puis, reprit l'étranger avec un sourire éclatant, j'avais bien dit au patron que son pub manquait de couleur, je ne m'attendais pas à ce qu'il emploie quelqu'un pour ses cheveux !

- Oh, mais je n'ai pas que mes cheveux de colorés chez moi ...

Un autre éclat de rire de la part des deux hommes. George se leva et apporta deux verres et une bouteille de Whisky pur feu.

- C'est la maison qui offre, pour reconnaître les innombrables qualités de son employé.

Ils trinquèrent et burent, mais le sorcier n'avait toujours pas dit un mot. Il semblait songeur, et l'étincelle de rire avait disparu de son regard. Respectant son silence soudain, George finit son verre à petites gorgées, les yeux dans le vague.

- Tu dois être quelqu'un de spécial, j'espère que tu en es conscient ... Déclara finalement l'inconnu sans quitter le liquide ambré des yeux. Je viens ici souvent, et je n'avais jamais vu Aberforth laisser quelqu'un s'approcher aussi près. Je ne connais pas ton histoire, ni la sienne, mais ne lui en veut pas pour ce qu'il peut dire. Voilà bien longtemps qu'il n'a pas eu à côtoyer ainsi une personne.

- C'est une faveur qu'Harry lui a demandé pour moi, je n'ai rien à faire dans cette histoire ...

Un nouveau silence accueillit cette déclaration. La pluie commença à résonner dehors, le bruit des gouttes s'écrasant sur le pavé résonnant dans la grande salle vide.

- Harry Potter, tu veux dire ?

George hocha la tête sans un mot. Son ami était réellement connu par le monde entier, et cela avait quelque chose d'assez déstabilisant de penser à leur proximité.

- Même pour Harry Potter, Aberforth n'aurait pas accepté de te prendre si tu n'avais pas quelque chose de spécial. Tu peux me croire.

Il se leva et finit son verre en une gorgée.

- Au fait, je m'appelle Anders. Anders Kohl. Dit-il en tendant sa main d'un geste vigoureux.

- George Weasley.

L'étranger le salua d'un bref signe de tête.

- C'était un plaisir de discuter avec toi, George. N'oublie pas, tu n'es pas ici par hasard, ce n'est pas un mot que ton patron connaît.

Sur ces mots, il enfonça sa capuche sur sa tête et sortit sous la pluie, disparaissant au coin de la rue. George n'avait pas bougé de sa chaise, encore tout abasourdi de la rencontre qu'il venait de faire. Il ne reverrait sûrement jamais cet Anders, mais il sentait que quelque chose avait changé au fond de lui. Il ne pouvait s'empêcher de passer en revue tous ces moments où Aberforth s'était montré plus bienveillant que d'habitude, maladroit, certes, mais il parlait avec son cœur. Et cela avait enfin touché le cœur du Gryffondor.

Déterminé à remettre les choses à plat entre eux, il se leva précipitamment, rangea la bouteille et les deux verres utilisés et retourna dans la pièce au portrait, où il trouva, sans surprise, son aîné.

- George. Le salua simplement Aberforth sans même tourner les yeux.

- Pourquoi m'avez-vous accepté avec vous ?

Sa question était directe, sans détour, et prit totalement le dernier Dumbledore au dépourvu. Il tourna ses yeux bleus remplis de surprise vers le Weasley, mais ne répondit pas immédiatement.

- Vous ne l'auriez pas fait avec tout le monde. Même si Harry vous le demandait. Alors pourquoi m'avoir accepté moi ?

- Anders, hein ? Demanda-t-il d'un ton bourru, évitant la question de George.

Ce dernier affirma d'un petit mouvement de tête. Il ne tentait même pas de le cacher, sans cet étranger il n'aurait jamais posé cette question. Des larmes coulèrent du coin des yeux d'Aberforth, qui reporta son regard vers le portrait d'Ariana. George ne remarqua qu'à cet instant qu'un petit portrait d'Albus avait été ajouté très récemment à côté, un Albus qu'il ne connaissait pas, jeune, souriant, mais surtout avec sa famille.

- J'avais ce portrait quelque part dans une boîte ... Expliqua l'ancien d'une voix pleine d'émotion. J'ai pensé que ... Qu'elle se sentirait moins seule, à côté de sa famille.

George n'eut pas le courage de lui rappeler qu'un portrait ne pouvait pas ressentir ce genre de sentiment, et se contenta de contempler le petit tableau sans rien dire.

- Perdre Ariana a sans aucun doute été l'épreuve la plus insupportable de ma vie. Vois ce que je suis devenu, sans elle. Un vieux grincheux incapable de parler à qui que ce soit. J'ai arrêté de me battre, on m'avait enlevé le bien le plus précieux que j'avais et ... Et Potter et ses amis ont débarqué. Même si Albus était mort, ils continuaient de le suivre, de se battre comme il l'avait voulu. J'ai dû faire passer des centaines de sorcier par ce portrait, tout ça en son nom. Même mort, j'étais dans son ombre, et dans celle d'Ariana. Je n'ai été que l'ombre d'une famille détruite, George. Je n'ai pas su avancer seul, et je ne te le souhaite pas. Tu mérites de vivre pleinement ta vie, d'avoir une chance de continuer sans ton frère ...

C'était encore une fois George qui avait perdu son frère qu'il était devenu, mais pour la première fois, ça ne le gênait plus. Parce qu'il pouvait comprendre ce que ressentait Aberforth, il pouvait comprendre pourquoi le sorcier était comme ça. Si c'était ça, ce qu'il avait de spécial, eh bien il l'acceptait. Parce que, peut-être, il pourrait aider le dernier des Dumbledore en retour. Ils restèrent ainsi plusieurs minutes, à contempler ces peintures sans rien ajouter.

- Tu as fermé le pub ? Demanda finalement Aberforth, retrouvant le ton dur qu'il employait souvent, faisant sourire George.

- Et nettoyé les tables. Dites, je pensais ... Pourquoi ne pas ajouter un peu de couleur dans cette salle ?

- Autrement dit, payer pour la rendre plus moche qu'avant ? Non merci.

Désormais bien plus confiant quant à la place qu'il avait dans cette maison, George ne se laissa pas démonter.

- Il nous faudra des couleurs dans notre vie, patron. Renchérit-il en souriant. Et mes magnifiques cheveux risquent de ne pas être suffisants pour nous deux, je le crains.

- Vas donc dormir au lieu de raconter des bêtises, tu travailles, demain.

Ce soir, pour la première fois depuis la bataille de Poudlard, c'est le sourire au lèvre que George partit se coucher. Il avait enfin compris ce que cachait le vieil homme sous son air revêche : un cœur maintenu dans l'obscurité bien trop longtemps. Et si, le lendemain, il ne voulait toujours pas de la couleur, alors il redemanderait encore et encore, le surlendemain, et même toute sa vie s'il le fallait. Il n'abandonnerait pas. Après tout, il n'était pas un Weasley pour rien ! 

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