Tu ne te rends pas compte de ce que tu dégages...

Parfois je me dis que je suis plus coupable que victime, je suis censée être intelligente et perspicace, pourtant j'ai plongé la tête première dans une histoire qui sentait les ennuis à des kilomètres. Alors je me sens coupable, comme aujourd'hui, j'écris mon histoire, honteusement, avec appréhension, en me disant que n'importe qui verra à quel point j'ai été stupide, mais le sentiment qui domine tout, c'est la honte.

Je suis incapable de croiser mon regard parce que je ne me supporte pas, et la fille que j'étais est encore trop présente en moi. Il m'arrive même de me dire qu'au fond, c'était pas si mal d'être avec Adrian, au moins je ne voyais rien d'autre, je ne voyais pas ce qui aujourd'hui, me donne envie de vomir.

C'est fou parce que je m'assure toujours de dégager une telle assurance devant les inconnus, toujours la tête haute, j'arbore un regard presque méprisant si bien que beaucoup pensent que je suis hautaine. Même si ce n'est pas le cas, je préfère de loin que les gens pensent ça, plutôt qu'ils aperçoivent ne serait-ce qu'une infime partie de ma faiblesse.

Le jugement de mes proches, bien que difficile, est entendable, ils me connaissent, m'ont connu avant, mais des inconnus? Non. Du moins pas ceux dont je peux croiser le regard, un regard où je peux déceler de la pitié.

Les paroles de la chanson Bohemian Rapsody de Queen me collent à la peau depuis plusieurs mois et plus je l'écoute plus je les ressens.

Mama oooh (any way the wind blows)
Maman, oooh (dans tous les cas le vent souffle)
I don't want to die, I sometimes wish I'd never been born at all
Je ne veux pas mourir, je rêve parfois n'être jamais venu au monde.

Et c'est exactement ce que je ressens, encore et encore... Même si je sais que j'ai toute la vie devant moi, aujourd'hui je n'en veux pas, et c'est comme si tout le combat que j'ai mené depuis, partait en fumée. Mais je n'ai pas le choix, je suis obligée d'écrire, soit j'écris, soit je meurs, alors j'écris...

      *****************

Je ne savais pas combien de temps nous étions restés là, devant le magasin, lui pleurant silencieusement dans mes bras et moi retenant difficilement mes larmes, mais il finit par se dégager brusquement.

- Excuse moi..., commença t-il.

Il semblait lutter contre quelque chose, mais je ne savais pas quoi.

- Je n'aurais pas dû venir, c'était une erreur.

- Adrian...

- Non, tu ne comprends pas... Je ne vais pas t'imposer mon chagrin, tu vas bientôt reprendre le cours de ta vie.

Je le regardai surprise et surtout je ne comprenais pas pourquoi il disait ça.

- Ça ne change rien, si tu as besoin de quelqu'un, je suis là.

Je me demandais si c'était le fait que je le vois si vulnérable qui lui posait problème. Mais ça me touchait encore plus, il allait mal et il fallait que je le soutienne. Je détestais voir les gens souffrir, maman en avait fait les frais et j'avais été impuissante.

- Je ne peux pas, je suis désolé d'être venu Ambre. Je vais y aller...

- Attends! Allons marcher un peu, on a pas besoin de parler si tu veux, proposai-je.

Il semblait hésiter, alors je lui pris la main et avançai en direction du pont de l'Alma. Ses pas étaient lourds, comme s'il portait le poids du monde sur ses épaules. Je ne savais pas quoi dire alors je pressai sa main et resserrai ma prise. Il se laissait guider, le regard vague, il paraissait si vulnérable. Nous marchions en silence, pendant presque une heure lorsqu'il s'arrêta.

- On est vendredi soir, lâcha t-il. Tu avais surement prévu autre chose et je...

- Non, coupai-je. J'allais juste rentrer chez moi et regarder un film.

- Quel genre de film tu regardes?

- Des thrillers essentiellement, mais je me laisse tenter par de belles histoires d'amour aussi.

Il sourit brièvement.

- Et toi? Qu'est-ce que tu aimes? questionnai-je à mon tour.

- Je n'ai pas vraiment le temps de regarder des films, je préfère écouter de la musique. Mes goûts sont assez éclectiques, mais j'aime assez le rap, le bon rock Led Zep, Beattles, ACDC, Guns N Roses enfin tu vois le genre, et j'apprends à apprécier le classique.

- Moi je suis plus musique latine, j'écoute aussi un peu de rap et un peu de tout en fait.

- Tu danses?

- Un peu oui.

- Ma soeur adore la danse aussi, c'est mama qui lui en a donné goût. Elle a été ballerine pendant des années, mais elle adorait le tango, c'était la seule capable de faire sourire mon père, il a perdu son âme lorsqu'elle a perdu la vie...

Nous reprîmes notre marche, et il s'assit sur un banc près du petit palais.

- Je ne sais même pas ce que je fais ici, soupira t-il. J'avais juste besoin de souffler quelques minutes et j'ai pensé à toi... Tu dois me prendre pour un fou, ajouta t-il en me regardant furtivement.

- Si je peux t'offrir quelques minutes de répit Adrian, c'est une bonne chose, et non je ne te prends pas pour un fou.

- Est-ce que j'ai le droit de te demander de rester un peu plus longtemps? J'habite à deux pas d'ici. On pourrait regarder un film, je voudrais juste... Juste me sentir bien encore quelques heures de plus.

J'aurais voulu avoir quelqu'un qui me fasse me sentir bien ne serait-ce qu'une seule minute lorsque maman passait ses soirées à pleurer, à boire et à me dire qu'elle ne pouvait pas me voir parce que je ressemblais beaucoup trop à mon père. J'aurais voulu avoir quelques instants de répit, ou même avoir un moment où je pouvais simplement lâcher prise, complètement, dire à quel point c'était injuste de la part de mes parents de m'obliger à prendre parti pour l'un ou pour l'autre. Je ne rêvais pas vraiment d'une famille unie, les divorces arrivent mais celui de mes parents à tout ravagé. Mes frères ne le montraient pas, mais je savais qu'ils en souffraient toujours et la preuve, notre lien autrefois si fort s'était brisé. Je voulais juste une famille rien d'autre.

- D'accord, répondis-je.

- Tu es sure? insista t-il. Tu n'es pas obligée tu sais, je ne veux pas...

- Adrian? coupai-je. Je suis sure, si un film peut te donner un moment de répit, alors allons-y, on peut même en regarder plusieurs si tu veux.

- Ça ne posera pas de problème chez toi?

- Ma mère ne remarquera même pas mon absence.

Il me regarda et posa sa main sur ma joue.

- Comment peut-on ne pas remarquer ton absence? Tu es si lumineuse.

Je fermai les yeux quelques instants, il avait tort, j'étais loin d'être lumineuse, ma propre mère ne me voyait même pas. C'était pathétique, j'avais dix-huit ans et je souffrais toujours de l'absence de ma mère alors qu'elle était toujours en vie.

- Non, je suis invisible Adrian...

- Moi je te vois.

Je ne dis rien, me contentant de m'accrocher à ce regard si bleu qui semblait cacher tant de choses. Il se leva et me tendit la main, après une dizaine de minutes de marche, je découvris son appartement rue François 1er.

- C'était l'appartement de ma mère, ça faisait longtemps que je n'étais pas venu, j'ai changé la déco mais j'ai gardé pas mal de choses. J'ai l'impression qu'elle est toujours là parfois...

L'appartement était immense et typiquement parisien, parquet, moulure, cheminée, haut plafond, une décoration épurée et luxueuse, maman aurait adoré.

- Tu aimes? demanda t-il alors que j'observai les photos sur la cheminée.

- Oui, c'est très épuré, est-ce que c'est ta mère?

Il regarda la photo que j'avais entre les mains et il sourit.

- Oui c'est elle...

- Elle est magnifique, tu as ses yeux.

- J'ai pris beaucoup de choses d'elle, mais je n'ai pas eu assez de temps avec elle...

Il se dirigea vers la cuisine ouverte et sortit plusieurs choses.

- Tu dois avoir faim, je vais préparer quelque chose rapidement.

- Tu cuisines?

- Je sais faire certaines choses oui, va choisir le film si tu veux.

Je ne voulais pas choisir le film, je voulais le regarder cuisiner, mais je retournai dans le salon, cherchai rapidement dans la boutique de vidéos à la demande et choisis Shutter Island avant de retourner m'asseoir au bar. Il semblait dans son élément, ses gestes étaient surs et précis, et je me surpris à trouver ça attirant.

Aujourd'hui je me rends compte à quel point c'est stupide, je me vois comme une gamine écervelée en adoration face à un homme qui lui montre juste un peu d'intérêt. Un homme beau, qui n'a pas peur de montrer ses sentiments, qui cuisine pour elle en lui faisant croire que sa présence lui permet de penser à autre chose. Pff, c'est pathétique, je le sais aujourd'hui, je ne me suis même pas posée de question, je l'ai suivi, chez lui, sur sa simple demande et c'est peut être à ce moment là qu'il a dû se dire que j'étais stupide et manipulable à souhait. Ou alors lorsque je lui ai dis que j'étais invisible, je ne sais pas mais je lui ai clairement facilité la tâche...

- Qu'est-ce que tu as choisis comme film?

- Shutter Island, je suis fan de Di Caprio et je me pose toujours des questions sur la fin de ce film.

- Va pour Shutter Island alors, dit-il en posant les assiettes fumantes sur le bar. Tagliatelles aux cèpes, j'espère que tu aimes les champignons? Sinon je peux te faire autre chose...

- Non ça ira, merci, ça a l'air délicieux.

Et ça l'était, il nous avait servi du vin et même si je n'étais pas très fan, j'avais apprécié. Nous nous étions installés sur le canapé et il avait lancé le film, concentré. Il avait l'air bien, apaisé, on aurait même dit qu'il ne s'était pas effondré tout à l'heure. Il avait une marque sur la nuque, mais je ne savais pas si c'était une tâche de naissance.

- Tu apprécies la vue? dit-il en continuant de regarder le film avec un sourire en coin.

- Je suis désolée, dis-je mal à l'aise.

Il m'observa rapidement et regarda de nouveau l'écran.

- Tu ne devrais pas t'excuser Ambre, tu es si jeune, tu manques d'assurance et tu ne te rends pas compte de ce que tu dégages...

-Tu te trompes sur moi Adrian.

- Alors dis-moi, comment est-ce que tu te vois?

- Je ne sais pas trop, je suis juste un fille de dix huit ans qui vient d'avoir son bac et qui poursuit le rêve de son père.

Il coupa le volume du film et se retourna complètement vers moi.

- C'est tout ce que tu vois?

- J'ai des amis, je sors de temps en temps, mais c'est tout, j'ai rien d'exceptionnel, je suis une fille banale, il y a beaucoup plus intéressante que moi.

Les mots de Noah revinrent me frapper, il m'avait dit que je ne lui apportais rien, que ça n'avait jamais été le cas, qu'il voulait de la vie, de la surprise, et que c'était ce que l'autre fille lui donnait.

- Viens, dit-il en me tirant doucement.

Il me plaça face à un miroir et dégagea mes cheveux.

- Qu'est-ce que tu vois? répéta t-il.

Je croisai son regard, perplexe.

- Tu ne vois rien? Vraiment?

J'étais mal à l'aise, il me fixait si intensément que je baissai le regard.

- Ne baisse pas les yeux Ambre, je vais te dire ce que je vois et ce que j'ai vu la première fois dans cette boutique. La première chose c'est ce regard, cette couleur magnifique, intriguante et timide à la fois. Ensuite j'ai remarqué ces petites tâches de rousseur, continua t-il en touchant mon visage, ce port de tête, ces belles boucles. Tout est parfait, et tu devrais l'accepter. Regarde moi Ambre...

Mon coeur battait à tout allure, et j'étais incapable de lever les yeux.

- Ensuite j'ai vu ce regard que tu as eu lorsque tu nous as servi du champagne, un regard qui disait clairement que toute cette superficialité te dépassait et ne t'intéressait pas du tout. Alors j'ai vu une fille sincère, un peu perdue mais qui dégageait tellement de pureté, une fille avec de la présence. Voila ce que j'ai vu la première fois, et là, tout de suite, je vois de la générosité, de la douceur et une beauté délicate, voilà ce que je vois Ambre.

Comment pouvait-il dire toutes ces choses?

- Regarde moi s'il te plait, insista t-il.

Je levai les yeux et je vis une lueur dans les siens, intense, il me regardait avec une certaine urgence que je n'avais pas comprise. Ce que j'avais vu comme de l'intérêt était en réalité de l'avidité, mais mes dix huit ans et ma fascination n'avaient rien vu, rien du tout...

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