Joyeux Noël, nous sommes libres

Ma Meilleure Ennemie - Stromae et Pomme

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Amory

On s'est vus le lendemain. On devait se concentrer sur notre "problème" commun, mais on a dévié. Beaucoup trop. Esme est unique. Elle a une personnalité tellement solaire, au fond. Malgré son sarcasme mordant, c'est une personne fascinante à découvrir.

On s'est retrouvés au lieu convenu avant de chercher un endroit plus tranquille. Un toit. Curieusement, je l'ai suivie sans hésiter, sans même la connaître réellement. Enfin... je ne peux pas vraiment dire ça, cela fait quatre mois que j'ai accès à ses pensées les plus secrètes. C'était son toit, celui de son loft. Une terrasse improvisée, bordée de plantes en pot qui semblaient oubliées mais tenaient bon, défiant le temps. Le béton froid sous nos pieds, un vieux fauteuil en osier dans un coin. On s'y est posés, laissant le crépuscule doucement nous envelopper jusqu'à ce que la nuit tombe.

Je ne sais pas pourquoi, mais une question me hantait : comment peut-elle vivre sans sa famille ? C'est peut-être ça qui m'a poussé à la suivre. En savoir plus sur elle. Sur sa vie. Sur sa façon de penser.

-Ma famille ? Mon père est un escroc.

Elle a marqué un temps, ses yeux fuyant les miens avant de continuer :

-Enfin... pas vraiment. Il crée des logiciels, pas toujours honnêtes. Il vole les données des gens, juste pour l'argent. Il se persuade que ça fait partie du boulot, que c'est normal. Après tout, c'est comme ça qu'on est devenus riches. Mais c'est un escroc.

Sa voix s'était teinte de tristesse. Pas besoin de lire ses pensées pour le comprendre. Ce jour-là, on avait décidé de tout se dire. Plus de secrets, plus de surprises quand nos esprits s'interchangeraient à nouveau.

-J'ai décidé de partir à la rentrée universitaire, en septembre. Il fallait que je m'éloigne de ses mensonges. Ma mère ? Elle n'y peut rien. Elle suit aveuglément mon père. Mon grand frère... il va reprendre l'affaire familiale, apparemment. Mais moi, leur combine ne m'intéresse pas. J'avais besoin de distance pour réaliser mon rêve : devenir artiste.

Quand elle a parlé de son rêve, ses yeux se sont illuminés. Une flamme que je n'avais jamais vue chez moi. C'était ce rêve, et ses convictions, qui guidaient ses choix.

Tu as de la chance d'avoir un rêve.

Elle a tourné la tête vers moi, interloquée. Elle avait entendu ma pensée. Je me souviens avoir rougi. Lui parler de ma vie, de mes sentiments ? Ça me mettait mal à l'aise. Mais au fond, elle y avait déjà accès... Alors, je me suis lancé.

-Je veux dire... tu as un but, toi. Tu sais où tu vas. Moi, j'ai l'impression de vivre sans direction. Plus rien n'a de sens. J'espérais que l'école d'informatique m'apporterait quelque chose, un déclic. Mais non. Tout sonne faux.

En pensant à ma famille - à Elias, mes parents -, j'ai ressenti une chaleur douce, réconfortante. C'était eux, mon espoir. Mais je ne pouvais pas le dire à Esme. Pas à quelqu'un qui avait tout quitté.

Quand je l'ai regardée, son expression avait changé. Une douceur que je n'avais pas vue avant. Elle savait. Elle avait compris que je pensais à ma famille. Elle est vraiment unique.

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Esme

J'ai ressenti cette chaleur inexplicable. Je savais qu'il pensait à sa famille. Curieusement, ça m'a réconfortée. Pourtant, je ne comprends pas comment il peut vivre avec autant d'idées négatives. Amory a besoin de vivre. Vraiment vivre. Explorer, ressentir, se découvrir. Ce que j'ai eu la chance de faire dès que j'ai quitté ma famille.

Mais lui ? Il ne peut pas partir. Ils ne lui ont rien fait. Personne ne comprendrait qu'il disparaisse du jour au lendemain. Quel personnage intrigant, cet Amory. J'ai adoré le découvrir. Il a du mal à se livrer, mais je ressens facilement ce qu'il pense et ce qu'il ressent. Peut-être grâce à ce lien étrange qui nous unit. Mais pourquoi ? Pourquoi sommes-nous liés ainsi ?

Ce soir-là, sur ma terrasse, on a parlé de tout. Mais il a dû rentrer. Sa famille l'attendait. Depuis, on s'échange des messages presque tous les jours. On apprend à se connaître davantage, à mieux se comprendre. Mais on ne perd pas notre objectif de vue : comprendre ce qui nous arrive et trouver un moyen d'arrêter ça.

C'est frustrant, parfois. Entendre en permanence les pensées d'un autre devient pesant. Mais étrangement, connaître ses pensées me rassure sur son état. Amory est fragile. Il a perdu goût à la vie, ou du moins, il en donne l'impression.

Au fil des jours, on a commencé à assembler les pièces du puzzle. Tout a commencé à la rentrée : quand j'ai quitté ma famille, et quand il a décidé d'étudier l'informatique en espérant y trouver un sens. Ces changements ont bouleversé nos vies, sans qu'on en mesure l'impact. Peut-être est-ce là l'origine de ce lien étrange ? Une collision de nos trajectoires au moment où tout a basculé.

Maintenant, il faut trouver la solution.

Aujourd'hui, Noël approche à grands pas. Il reste une semaine. Les rues s'illuminent, les vitrines scintillent, mais notre recherche de solution n'avance pas. En revanche, nous, si. Chaque conversation nous rapproche un peu plus. Ces échanges, cette compréhension mutuelle, m'aident à m'apaiser, à mieux me connaître. Peut-être qu'au fond, ce lien étrange n'est pas là pour nous détruire, mais pour nous aider à grandir. Amory, lui aussi, semble changer. Sa tristesse me semble moins lourde, son sourire un peu plus sincère. Curieux comme ce qui aurait pu être un fardeau devient parfois une lumière inattendue.

Amory a cet air particulier aujourd'hui. Pas l'air totalement perdu dans ses pensées sombres comme il en a souvent l'habitude, mais quelque chose de différent. Une sorte de calme mélancolique, si c'est possible.

On s'est retrouvés au café du coin, un de ces petits endroits qui sent la cannelle et les conversations murmurées. Quand il est arrivé, il avait toujours son manteau gris trop grand pour lui, mais cette fois, il portait aussi une écharpe que je lui avais presque forcée à acheter la semaine dernière.

- Bien, t'as décidé de ne pas mourir de froid aujourd'hui. Progrès, je lui lance, un sourire en coin.

Il souffle un rire, ce genre de rire qui fait écho dans mes pensées maintenant que je le connais par cœur.

- Toujours aussi subtile, Esme.

Je l'observe pendant qu'il commande son thé habituel. Amory, avec ses airs de grand intellectuel, a une manière de se tenir, comme s'il porte le poids du monde sur ses épaules. Pourtant, ces derniers jours, quelque chose avait changé. Pas grand-chose, hein. Juste... une étincelle.

On s'est installés à une table près de la fenêtre. Il a siroté son thé, moi mon chocolat viennois.

- Tu penses que c'est possible ? a-t-il demandé soudainement, ses yeux plongés dans les miens.

- Possible quoi ? Que tu finisses par apprécier un jour ce monde absurde et déprimant ? Oh, sûrement pas. Mais continue d'essayer, c'est mignon.

Il a souri, un vrai sourire cette fois, et j'ai senti cette chaleur inexplicable.

- Non, Esme. Possible qu'on trouve une solution. À tout ça.

J'ai haussé les épaules.

- Peut-être qu'il n'y a pas d'explication. Peut-être qu'on est juste des aimants cassés qui se sont retrouvés.

Il m'a regardée, et pendant un instant, j'ai vu quelque chose dans ses yeux. Pas de l'espoir, pas tout à fait. Mais une forme de curiosité.

- Tu sais quoi ? T'es peut-être un aimant cassé, mais t'es sacrément bonne pour te recoller toute seule, a-t-il lancé, et c'était à mon tour de rire.

On a passé l'après-midi à discuter, à déchiffrer nos propres vies à travers des blagues et des réflexions philosophiques. C'est sa manière de fonctionner : il décortique le monde, analyse tout comme un problème de maths complexe. Et moi ? Je suis le chaos dans ses équations, la fille sarcastique qui lui rappelle que parfois, il faut juste vivre sans chercher de réponse.

Quand on a quitté le café, la neige tombait doucement, et on s'est retrouvés à errer dans les rues illuminées. C'est là qu'il a changé de sujet.

- Tu sais, je pense souvent à ma famille.

J'ai levé un sourcil.

- Et ?

- Et... je crois que j'ai toujours eu peur qu'ils me voient comme un échec. Comme si je n'étais jamais assez... bien.

Au même moment, j'ai  pensé à mon frère. Mon frère aîné, ce fantôme que je traîne toujours avec moi, comme une ombre silencieuse. Celui à qui j'avais toujours voulu ressembler.

- Amory, ai-je dit doucement, tu te rends compte que t'es peut-être trop brillant pour ton propre bien ?

Il m'a jeté un regard perplexe.

- Ce que je veux dire, c'est que t'as tellement de potentiel, tellement de... tout, que t'as décidé de te saboter. Parce que si t'échoues, c'est plus facile de dire que tu ne voulais pas vraiment réussir.

Il est resté silencieux un moment, puis il a ri. Pas un rire amer, cette fois. Un vrai, léger et presque libérateur.

- Tu sais quoi, Esme ? Je crois que t'as raison.

Je l'ai frappé doucement sur l'épaule.

- Bien sûr que j'ai raison. J'ai toujours raison.

On a continué à marcher, et je me suis surprise à penser à ma propre famille. Encore. Cela arrive souvent depuis qu'il est rentré dans ma vie. J'ai pensé à la manière dont j'avais coupé les ponts pour échapper à leurs attentes. Peut-être qu'Amory a raison, lui aussi, sans même le savoir. Peut-être que, malgré tout, il y a une part de moi qui n'avait pas totalement renoncé à eux.

Avant de rentrer, il s'est arrêté devant ma porte, hésitant.

- Quoi ? ai-je demandé, le ton léger, pour cacher mon trouble.

- Je voulais juste te dire... merci. Pour tout.

Et avant que je ne puisse répondre avec une remarque, il s'est penché et a déposé un baiser doux sur mes lèvres.

Dans ce baiser, il y a tout. Sa gratitude, sa douleur, son envie de vivre à nouveau. Et peut-être, juste peut-être, quelque chose de plus.

Quand il s'est éloigné, il avait ce regard, ce mélange d'incertitude et de promesse.

- Bonne nuit, Esme, a-t-il murmuré, avant de disparaître dans la nuit.

Je suis restée là un moment, à regarder la neige tomber. Pour la première fois, je ne suis pas sûre d'avoir envie de fuir. Pas lui. Pas ce lien. Peut-être qu'Amory m'apprend, sans le vouloir, que parfois, il faut arrêter de courir. Et qu'on peut, ensemble, trouver un sens à tout ce chaos.

Quel heureux... Ou malheureux hasard. J'en sais rien, mais à peine après avoir posé un pied dans mon loft, je vois la lumière déjà allumée. Je scrute l'endroit et il ne faut pas beaucoup de temps avant de me rendre compte qu'un homme est devant ma baie vitrée.

Je m'avance avec toute la discrétion du monde pour traverser le salon et m'emparer de l'objet le plus contendant que je puisse trouver au passage : une toile inachevée. Mh... Je fais ce que je peux. J'arrive tout près de l'homme et lève l'objet au-dessus de ma tête pour frapper l'intrus. Quand...

-Tu en as mis du temps petite sœur.

Je me sens figée par la voix de Adrian. Je deviens presque statue, c'est d'ailleurs à ce moment que je me rend compte qu'on voit parfaitement mon reflet depuis toute à l'heure sur la baie vitrée. J'aurai pu mourir 100 fois si ce n'était pas mon grand frère qui était là...

Le temps que je pense tout ça, il me fait déjà face avec son sourire... Bienfaiteur, il faut l'avouer. Je pose mon tableau contre la baie.

-Qu'est ce que tu fiches ici ? Je t'ai pas déjà dis que je voulais plus avoir affaire à vous ?

C'est vrai que le retour d'Adrian coïncide bien avec la discussion que j'ai eu avec Amory aujourd'hui... Le destin peut-être. Mais ça ne veut pas dire que je suis prête à faire face à tout ça aujourd'hui. Et encore moins à l'approche des fêtes.

-Papa a été jugé, Esme.

Je sens mon corps se crisper à cette nouvelle. Je ne sais pas si c'est de la joie car justice a été rendue ou si c'est la peur car je ne reverrai jamais mon père... Wow... Comment cette pensée peut m'effleurer l'esprit ? C'est plus sensé me concerner tout ça. Et pourtant... Mon père me manquerait énormément en réalité. Cette situation détruira notre famille plus que ça n'est déjà le cas. Mais...

-Mais tu le connais. Il a des connaissances. Il a encore bidouillé le système. Il est juste placer sous surveillance à la maison.

J'ai mis trop de temps à penser. Adrian a dû se rendre compte que ça me faisait quand même quelque chose. Il s'approche de moi et pose délicatement sa main sur mon épaule, ses yeux pleins lumineux et pleins d'espoir. Comme toujours. Comment j'ai pu penser pouvoir être à la hauteur de mon frère ? Il est si bon, si parfait. Et il m'aime. Alors que je l'ai laissé tomber.

-Rejoins nous pour les fêtes, Esme. Juste le temps des fêtes. Si tu ne veux pas rester plus longtemps, tu pourras retourner ici dès janvier. Tu nous manques beaucoup.

Ces mots sont sincères. Adrian a toujours dit la vérité. Il a toujours privilégié mes envies avant autre chose, il a toujours fait attention à moi. Et encore aujourd'hui... Il me fait penser à... Amory. Comment a-t-il pu avoir autant d'influence sur moi ? Je suis sur le point d'accepter car ma famille me manque. Je ne pensais pas que ça arriverait un jour.

-Je vais y réfléchir Adrian. Tu peux y aller, je suis épuisée.

Je pose ma main sur celle d'Adrian. Celle qui est posé sur mon épaule.

Quel réconfort d'avoir sa famille auprès de soi...

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Amory

Je rentre chez moi, en pensant à tout ce qui s'est dit, à tout ce qui s'est joué aujourd'hui. Noël approche, et mes pensées se tournent un peu malgré moi vers ce qu'il faudrait faire. Ce lien étrange avec Esme m'obsède de plus en plus. Sa dernière pensée aussi. Pourquoi elle parle de famille soudainement ? J'ai réussi à la convaincre ? Si facilement que ça ?

J'ouvre la porte, Elias est là. Assis sur le canapé, son cartable à côté de lui, un cahier ouvert sur ses genoux. Il doit probablement être en train de faire ses devoirs.

- Salut, Elias. Comment ça va ? lui dis-je en fermant la porte derrière moi.

Il lève les yeux, un sourire éclaire son visage, et ses yeux brillent d'excitation, comme toujours. Il a cette manière de faire oublier les soucis avec juste un sourire.

- Ça va ! J'ai fini tout ce que je devais faire. Et toi, ça va ? T'as vu Esme ?

Je me fige un instant. Bien sûr, Elias a remarqué que je pensais à elle. Même sans pouvoir lire mes pensées, il capte toujours mes états d'âme. Mais la question qui me traverse l'esprit, c'est : comment il sait qu'Esme m'intéresse ? Ça doit se voir, à force. Mais il ne peut pas savoir l'ampleur de ce que je ressens, n'est-ce pas ?

Je pose mon sac sur la table et m'assieds à côté de lui.

- Oui, on s'est vus. On a parlé un peu... Tu sais, du monde, de ce qu'on veut faire, de nos vies.

Il me fixe intensément, toujours ce petit air malicieux qui fait fondre mes résistances.

- Tu sais, Noël arrive. Vous devriez être ensemble, non ?

Un frisson parcourt ma peau. Elias, avec sa simplicité enfantine, me renvoie à la réalité. Esme, bien sûr, elle a son propre monde. Mais est-ce que je suis prêt à sacrifier ce Noël avec ma famille ? Mon esprit s'emballe, mais je garde une expression calme pour ne pas inquiéter Elias.

Je lève les yeux vers lui et souris.

- Peut-être. Mais tu sais, j'ai aussi une famille à qui je tiens. On passera Noël ensemble, comme toujours.

Je vois le léger froncement de ses sourcils, et je comprends ce qu'il veut dire sans qu'il ait à le dire. Il pense qu'Esme pourrait être plus importante, et peut-être qu'il a raison. Mais il faut bien que je sois là pour ma famille, non ?

Je prends une profonde inspiration avant de répondre.

- Et Esme ? Elle a sa famille aussi. Elle va passer Noël avec eux, c'est une évidence. Comme toi et moi. On doit être avec les nôtres. C'est ce qu'il faut faire.

Elias m'observe un instant, puis hoche la tête, comme s'il venait de comprendre quelque chose de plus grand que ce qu'il pensait.

Il m'adresse un grand sourire et se remet à ses devoirs, comme si de rien n'était. Moi, je reste là un moment, pensif. Je sais qu'il a raison. Je ne devrais pas me laisser submerger par tout ça. Esme, sa famille, la mienne... peut-être que tout cela a une place, et peut-être qu'il est grand temps que je l'accepte.

Un message. Je pourrais lui envoyer un simple texte. Je prends mon téléphone, hésite, et envoie finalement un SMS à Esme, espérant qu'elle comprenne que, malgré tout, je serai là pour elle, d'une manière ou d'une autre.

"Je vais passer Noël avec ma famille. Je pense à toi."

Je regarde le message quelques secondes avant de poser mon téléphone sur la table. Loin de moi l'idée de lui dire que je pourrais avoir des doutes, que cette décision n'est pas aussi simple que ce que je lui ai écrit. Mais peut-être que c'est mieux ainsi. Pas besoin de tout compliquer.

Quand mon téléphone sonne enfin, c'est un message d'Esme.

"Je comprends. Je ferai pareil. Passe de bonnes fêtes, Amory."

Un sourire naît sur mes lèvres. C'est simple, mais ça me réchauffe. Elle comprend. Peut-être que, malgré tout, on est un peu plus proches que ce qu'on pensait.

Mais une part de moi se demande si elle aussi ressent cette étrange connexion, cette tension entre nous qui ne disparaît jamais vraiment.

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Esme

Les jours ont passé, doucement, sans que je m'en rende vraiment compte. Les messages que je n'avais pas envoyés, les appels non passés, les silences qui s'étaient installés entre Amory et moi, tout ça semblait s'effacer peu à peu. À la place, il y avait le rythme quotidien, les petites choses qui me faisaient avancer. Noël approchait, et avec lui, cette étrange sensation de fin d'année, où tout semblait se poser avant d'être balayé par un nouveau départ.

Le 24 décembre, j'étais chez mes parents. La maison était remplie de l'odeur réconfortante des plats traditionnels, des guirlandes de Noël qui pendaient aux fenêtres, et de la chaleur humaine qui se dégageait de chaque recoin. J'étais assise à la grande table, entourée de ma famille, de mon frère, et de mes parents. Tout semblait bien. Tout semblait... à sa place.

La soirée se passait dans une ambiance chaleureuse, presque paisible. Mes parents étaient heureux, leurs rires résonnaient dans la pièce, et je me laissais emporter par la convivialité du moment. Mais, au fond, une partie de moi restait silencieuse, une partie de moi qui avait besoin de cette pause, de cette coupure. Parce qu'à cet instant précis, je me rendais compte que je n'avais plus ces pensées incessantes qui m'obsédaient avant. Ces pensées parasites de Amory, qui s'entremêlaient dans ma tête à chaque instant, ces doutes et ces questions sans fin.

Je n'y pensais plus. J'avais fait le bon choix. C'est une libération pour moi-même, une libération des incertitudes et des émotions contradictoires qui m'avaient envahie pendant trop longtemps.

Je me surprenais même à sourire sans raison, simplement parce que tout semblait plus clair maintenant. Ce vide qui m'avait hantée n'était plus là.

Les conversations autour de la table m'étaient douces à écouter. On discutait de tout et de rien, des projets à venir, des cadeaux qu'on avait achetés, des moments passés. Tout paraissait simple, tout paraissait... juste. Je n'étais plus la personne perdue que j'étais quelques semaines plus tôt. Et en me posant cette question, je savais au fond de moi que c'était exactement ce dont j'avais besoin : m'éloigner pour mieux me retrouver.

Je n'avais plus l'impression de courir après un fantasme. Non. J'étais moi-même, pleinement. Et cette version de moi, ici, avec ma famille, entourée des gens que j'aimais, je savais qu'elle était plus vraie que tout ce que j'avais vécu avant.

Le père Noël est venu, les cadeaux ont été ouverts, et dans tout ce brouhaha de joie, je n'ai ressenti aucune absence. Pas celle d'Amory, ni d'aucune autre. Parce qu'aujourd'hui, à cet instant, je me sentais plus forte, plus sereine, et plus proche de la personne que je voulais être.

Et peut-être que Noël, c'était ça : un moment où tout s'arrête, un instant où on peut enfin se regarder, sans les illusions ni les pensées parasites. Juste soi-même, et ceux qu'on aime. Et c'était tout ce dont j'avais besoin.

Là, je me suis sentie en paix avec moi-même.

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Amory

Ce Noël, il n'y avait rien de spécial. Rien de ce que j'avais imaginé. Les guirlandes scintillantes, les rires, les repas, tout semblait si... déconnecté de ce que je ressentais. J'étais là, avec ma famille, dans cette ambiance chaleureuse, mais tout ce que je pouvais penser, c'était un vide profond. Je me sentais de plus en plus détaché, comme un spectateur dans un film que je n'avais jamais voulu regarder.

Les conversations autour de la table étaient pleines de petites histoires, de souvenirs.Mais tout ça, c'était tellement distant. Une sensation de bruit blanc. Rien de plus. J'avais l'impression que chaque mot prononcé me traversait sans me toucher.

Je me forçais à sourire, à participer. Mais au fond, je savais que rien ne changerait. Que j'étais coincé dans cette vie qui ne me ressemblait plus. Ma famille m'aimait, j'en étais sûr. Mais cela ne suffisait plus. Pas après ce que j'avais découvert en moi. Après tout ce que j'avais vu dans les pensées d'Esme.

Mais elle... Elle avait disparu de mon esprit. Elle n'était plus là, et ce vide me pesait de plus en plus. Je ne savais pas ce qui s'était passé. Elle avait cessé de me parler, de me guider. Le vide qu'elle laissait derrière elle était bien plus lourd que tout ce que j'avais pu ressentir auparavant. C'était comme si une partie de moi, la seule qui m'avait fait sentir vivant, était partie.

Le lendemain matin, la fête était finie. Je me suis levé tôt, dans cette maison calme. Les premières heures de la journée étaient glacées, solitaires. J'ai traîné un peu, mes pensées me rongeant. Le matin était toujours le pire moment. Les pensées sombres, ces idées qui tournaient en boucle, ces souvenirs... Tout était plus fort au réveil. Plus oppressant.

Mais tout devenait de plus en plus flou. Et dans cet état d'esprit, je savais qu'il était plus facile de plonger dans l'obscurité que d'essayer de trouver cette lueur. C'était peut-être ça, la vraie réponse : il n'y avait plus rien à faire. Alors je me suis préparé à franchir ce seuil, celui que j'avais longtemps hésité à franchir.

Le silence s'est installé autour de moi, mais c'était un silence lourd, celui qui précède un acte décisif. J'ai pris une inspiration profonde, mon regard fixé sur la fenêtre, observant la neige qui tombait. J'avais l'impression que chaque flocon m'éloignait un peu plus de tout ce que je connaissais, de ce que j'avais vécu.

Il n'y avait plus personne pour m'arrêter. Personne pour comprendre ce que je traversais. Même plus Esme.

Je me suis levé du canapé, la maison plongée dans l'obscurité tranquille, mon cœur battant dans un rythme irrégulier. C'était ça, la vraie solitude. Cette sensation d'être seul, même entouré. Mais je savais que ce n'était pas la fin. Pas encore. Pas tout à fait.

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FIN

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