Esme
Bad Guy - Billie Eilish
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Le dernier soir, j'ai fait un rêve. Un rêve étrange. J'ai vu ma famille : je jouais à un jeu de société avec mon père et mon grand frère de 3 ans mon ainé. Nous étions dans le salon réchauffé par la cheminée et l'odeur des lasagnes de ma mère se faisait sentir partout dans la maison. Ils étaient là, ils semblaient heureux. Et moi aussi. Ce rêve était agréable, surréaliste.
Je me souviens qu'en me réveillant j'étais encore bercée par les rires aux éclats de mon frère et les mots doux de mes parents. Dur réveil. Quand je me suis rendue compte que j'étais seule dans mon loft, la situation m'a instantanément refroidi. Depuis quand je rêve de ma famille... Ca devait être qu'une passade.
A partir du moment où j'ai décidé de vivre seule, j'ai coupé tout contact avec ma famille. Pas un seul coup de fil, ni même une visite. Ca leur apprendra à me causer du soucis. Et puis il faut bien avouer que la solitude me va bien, je suis beaucoup mieux depuis 3 mois. Je vis dans la ville de mes rêves, je fais les études de mon choix et je me perd dans ma passion à chaque temps libre. Quoi de mieux que cette vie. La seule chose que j'ai gardé de mon ancienne vie, c'est l'argent actuel qui m'a permis de payer ce loft.
-Esme, concentre toi un peu. Si la prof passe te voir, t'es fini avec ce brouillon.
La voix de Selene retentit dans mon esprit, ce qui me sort instantanément de mes rêveries. C'est vrai que je suis en classe, je peux pas me permettre de me laisser rattraper par mes pensées alors qu'on est en plein projet. Je jette alors un œil en direction de ma toile.
Un désastre. Enfin, pas totalement : quelques coups de pinceau ici et là montrent une esquisse d'idée, mais rien qui crie « chef-d'œuvre ». J'attrape mon pinceau en soupirant et me mets à gribouiller frénétiquement.
- Bon sang, Esme, murmure Selene en secouant doucement la tête. T'as même pas d'idée, hein ?
- Si, bien sûr que si ! C'est une œuvre abstraite, tu vois pas le concept ?
Elle me répond par un sourire discret mais sceptique, son attention déjà retournée à sa propre toile.
La prof, quant à elle, fait le tour de la classe. Quand je l'aperçois se diriger vers nous, une alarme retentit dans ma tête. Pas question qu'elle voie ça.
Avec un regain d'énergie désespérée, je me penche en avant et commence à peindre, vite, trop vite, en mélangeant les couleurs à la va-vite. Un coup de jaune ici, un peu de bleu là, et pourquoi pas un nuage blanc pour faire joli ? Le résultat ? Contre toute attente, plutôt présentable.
La prof arrive devant mon chevalet, bras croisés, son regard balayant la toile.
- Hmm, commence-t-elle, un sourcil arqué. Pas mal.
Je lève les yeux, à la fois soulagée et surprise.
- Merci, dis-je, un sourire triomphant se dessinant sur mes lèvres.
Elle plisse les yeux, clairement pas dupe.
- Pas mal pour quelqu'un qui a improvisé dans les cinq dernières minutes.
Mon sourire disparaît aussi vite qu'il est apparu. Selene pouffe de rire à côté, mais je lui lance un regard noir pour qu'elle se taise.
- Essayez de faire mieux la prochaine fois, Esme, vous pouvez le faire si vous arrêtez de penser à autre chose, ajoute la prof en passant à l'élève suivant.
Je pousse un soupir exagéré et me laisse retomber sur ma chaise.
- Elle est insupportable, marmonné-je à Selene.
- Elle a pas tort, remarque-t-elle en étouffant un autre rire.
Je jette un regard à ma toile. Ce n'est peut-être pas un chef-d'œuvre, mais ça tient la route. Peut-être que je devrais me féliciter d'avoir réussi à sauver les meubles au dernier moment.
Ou alors... je pourrais vraiment essayer, pour une fois. Mais il est clair que depuis 3 mois, mes pensées ne font que se bousculer plus que d'habitude. Des pensées hors de contrôle, qui ne me ressemble même pas...
Il n'a pas fallu plus de temps avant que la fin de l'heure arrive. Je range rapidement mes affaires et m'enfuit de la salle avant que la prof, ni qui que ce soit dans la salle ne se rende compte de mon départ. Je traverse les couloirs de mon école d'art pour me rendre à l'extérieur.
Ugh maman m'a dit de récupérer Elias à l'école... Moi qui voulait aller au cybercafé ce soir...
Je m'arrête d'un coup sec pendant ma course effrénée. Je secoue la tête, comme si ça pouvait balayer cette pensée étrange. Elias ? Maman ? C'est quoi cette histoire encore ? Je ne connais aucun Elias, et ma mère... Elle ne me demande plus rien depuis 3 mois. Je m'assure qu'elle ne puisse pas le faire.
Je glisse une main dans ma poche, attrape mon téléphone et vérifie rapidement : aucune notification. Bien sûr. Pourquoi est-ce que j'ai l'impression d'attendre quelque chose ?
Je range mon téléphone et reprends ma marche rapide vers le coffee shop du coin. J'avais prévu de m'y poser pour avancer sur mes devoirs comme à mon habitude. Enfin, quand je ne suis pas envahie par des pensées venues de nulle part.
Mais, à peine quelques pas plus tard, je m'arrête de nouveau. Une vague de confusion me submerge. Ces pensées, elles ne sont pas comme les autres. Elles sont... précises, claires, comme si elles appartenaient à quelqu'un d'autre. Et elles ne s'arrêtent pas.
J'aurai au moins voulu faire une game avant de chercher Elias...
Ma respiration s'accélère. Cette voix. Elle n'est pas vraiment mienne. C'est un mélange étrange, une tonalité étrangère.
- C'est ridicule, je murmure à voix basse. Je deviens cinglée.
Je serre les poings et change de direction, me dirigeant droit vers chez moi. Travailler ailleurs ? Oublie. Avec ce bazar dans ma tête, autant essayer de dessiner en plein milieu d'un concert de métal.
En arrivant chez moi, je claque la porte de mon loft et m'effondre sur le canapé. J'attrape mon carnet à croquis dans l'idée de m'y perdre, mais les mots, les images de ces pensées parasites continuent de danser dans mon esprit.
Elias. Maman. Récupérer. Pourquoi est-ce que ça me semble si réel ? C'est ridicule. Je devrais probablement dormir plus, ou manger mieux. Peut-être que c'est ça de vivre seule, après tout.
Avec cette ambiance parisienne, les gens qui grouillent de partout, ce nouvel environnement doit simplement me perturber. C'est normal, avant tout ça je vivais dans la maison familiale certes pas loin de Paris, mais loin des gens. C'est vrai que papa privilégiait le calme pour travailler. C'est bien la seule chose que je tiens de lui aujourd'hui. Contribuer à l'avancée de l'informatique et gagner autant d'argent avec ses logiciels lui a fait totalement perdre la tête.
J'espère ne jamais être comme lui.
Enfin une pensée qui me ressemble ! Ca commençait à me manquer...
Mais maintenant je n'ai plus la motivation de faire mes devoirs. Je soupire lourdement, ça arrive toujours au pire moment. Je réussirai bien à m'en sortir de toute façon.
En tout cas, dans moins d'un mois, ce sera Noël. Mon premier Noël seule. Peut-être que je devrais inviter Selene pour l'occasion.
Je décide finalement d'envoyer un message à celle-ci pour voir si elle serait libre pour les fêtes. Mais alors que je prends mon téléphone, une sensation étrange me traverse, comme un frisson. Mes doigts s'arrêtent au-dessus de l'écran, et pendant un instant, l'air semble presque vibrer autour de moi.
C'est stupide. Je dois être fatiguée.
Je finis par poser mon téléphone et me dirige vers la salle de bain. Une douche chaude suffira sûrement à apaiser ces drôles de impressions. Alors que l'eau glisse sur ma peau, je me répète que tout ça n'est qu'une accumulation de stress. Un déménagement, des études exigeantes, et peut-être un peu de nostalgie refoulée. Rien de grave.
En sortant de la douche, je m'enveloppe dans mon peignoir et jette un coup d'œil par la fenêtre. Les lumières de la ville scintillent toujours, mais l'agitation semble s'être calmée. Je m'allonge sur mon lit, un livre entre les mains, prête à mettre cette journée étrange derrière moi.
Mes paupières se ferment plus vite que prévu, et je sombre dans un sommeil peuplé d'images floues et de voix indistinctes.
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Pendant ce temps, dans un autre quartier de Paris, quelqu'un d'autre vit une soirée tout aussi inhabituelle. Amory referme la porte de son appartement, le bruit sourd résonnant dans le silence. Il retire ses écouteurs, une migraine légère martelant ses tempes, et s'effondre sur le canapé.
Son petit frère Elias dépose son sac sur le canapé, près de Amory. Le garçon est déjà en train de courir vers sa chambre, content d'être enfin à la maison après une journée bien remplie. Amory le suit du regard. Il a passé la journée entre les cours et la course contre le temps pour aller chercher Elias à l'école. Mais même au milieu de la tranquillité de son appartement, il ne peut se débarrasser d'une étrange sensation.
Une pensée, comme une brise légère, traverse son esprit.
Peut-être que je devrais m'y préparer. Ça sera la première fois que je les fêterai seule.
Il fronce les sourcils, comme si cette pensée venait de nulle part, un écho sans visage. Il secoue la tête, sentant le poids de la journée sur ses épaules, et essaie de chasser cette étrange impression. Il n'a pas de temps à perdre avec des idées qui ne sont pas les siennes. Elias a besoin de lui. Il jette un dernier coup d'œil à son frère, qui s'est déjà plongé dans ses jeux, puis il soupire profondément.
Pas ce soir. Ce soir, c'est pour eux. Pour moi aussi.
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A SUIVRE...
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