Amory

Les oiseaux - Pierre de Maere

↻ ◁ || ▷ ↺


Quelle journée...

C'est dans ces moments-là que je me permet de douter de mon choix d'étude. Je suis même pas capable de supporter une journée rude et de contrôler ce qui se passe dans ma tête, et il a fallu que je fasse de l'informatique.

C'était étrange la nuit dernière j'ai rêvé d'une solitude profonde. Je me suis vu seul chez moi. Il n'y avait ni mes parents, ni Elias à la maison. Ils sont toujours là pourtant. Et pourtant... J'étais pas si dérangé par la situation. C'était juste inhabituel. Je jouais à Life is strange dans mon rêve. L'un de mes jeux préférés. J'avais l'impression de faire ce que j'ai toujours voulu, je me sentais libre. De savoir ce que je voulais vraiment. Contrairement à ce qui se passe vraiment. C'était vraiment un rêve agréable, surréaliste.

Mais honnêtement, aujourd'hui j'ai du mal à voir ma vie sans ma famille. Je suis devenu leur pilier, j'ai des responsabilités auprès d'eux. Je dois veiller sur Elias et aider mes parents qui ont toujours été d'un grand soutien pour moi. Mais depuis la rentrée universitaire, cela fait 3 mois que quelque chose a changé. Je ne saurais dire quoi. Je ne suis plus maître de moi-même. J'ai commencé ces études en informatique dans cette école réputée. Mais je suis perdu au fond. Je ne sais même pas ce que je veux réellement.

Je n'ai pas de but à suivre, j'ai juste voulu suivre ma passion pour l'informatique mais je suis pas sûr de vouloir continuer dans cette voie. Même si mes parents m'ont soutenu jusque là je ne suis pas sûr qu'ils seraient prêts à accepter cela. Et puis j'ai pas envie de donner cet exemple à Elias... Mais cette situation... Je me sens si vide. Personne ne comprendrait. Et depuis 3 mois, des pensées. Pleines de solitude. Mais heureuses parfois. Comme si j'aurai apprécié m'éloigner de tous pour me sentir mieux, et vivre la vie que je veux vraiment. Mais je ne sais plus. Personne me comprendrait.

Aujourd'hui c'était le plus étrange. Après le rêve de cette nuit, tout était plus fort. Je me suis réveillé ce matin plus embrouillé que jamais, et je devais me rendre à mes cours.

La journée commençait à m'engloutir comme une vague de pensées incessantes. J'avais pris mon sac et je me suis forcé à quitter la chambre, même si chaque pas me semblait lourd, comme si mon corps ne voulait pas suivre. C'est ce genre de matinée où le soleil brille, mais l'atmosphère reste terne. Je ne sais même pas pourquoi je suis allé à l'école ce matin. Peut-être que c'est une sorte d'automatisme. Une routine. C'est toujours plus facile de continuer à avancer quand on ne s'arrête pas pour réfléchir.

J'avais traversé le campus, mais tout me semblait si lointain, comme si j'étais spectateur de ma propre vie. Les autres étudiants se croisaient, échangeaient des sourires et des mots, mais rien de tout ça ne m'atteint. Je suis là, mais je ne suis pas là.

Je me suis assis dans le premier amphithéâtre de la journée, près du fond, comme si je pouvais me cacher dans l'ombre. J'avais posé mes affaires, sans vraiment y penser, et je me suis laissé absorber par le flot de paroles du professeur. Les mots se mélangeaient dans ma tête, s'entrelaçaient, mais rien n'y fait. Rien ne m'atteint. J'écoute sans écouter. Je vois, mais je ne perçois pas. Mes doigts tapotaient sur la table, un réflexe, un geste mécanique. Un son de fond qui me ramenaient à la réalité, même si tout autour de moi était flou.

Une image m'avait traversé l'esprit : le rêve de la nuit dernière. Encore. Je vois encore la scène : moi, seul chez moi, plongé dans Life is Strange, un jeu qui, d'une certaine manière, reflète tout ce que je ressens. Cette sensation d'être à la fois maître et spectateur de ma propre existence, de pouvoir revenir en arrière, de modifier les choix, d'influencer l'avenir. Si seulement la vie était aussi simple.

J'ai secoué la tête, comme pour chasser cette pensée. Une partie de moi se dit que ce rêve, ce besoin d'évasion, c'est juste une fuite. La vraie vie est ici. Elle est dans ces cours, dans les responsabilités, dans ce que je dois faire pour ceux que j'aime. Mais au fond de moi, une autre voix me dit que je m'égare. Que peut-être ce n'est pas la vie que je veux. Mais est-ce que je suis prêt à le reconnaître ? Est-ce que je suis prêt à faire face à ce que cela impliquerait ?

Le professeur avait parler de la nouvelle version du langage de programmation qu'on étudie, expliquant des concepts que j'ai déjà intégrés depuis longtemps. Les mots glissaient sur moi, vides de sens. Je pourrais répondre à ses questions avant même qu'il ne les pose, mais je n'ai aucune envie de le faire. À un moment, il m'a interpellé, comme si la classe attendait mon intervention, ce qui me fait légèrement sourire. Que veulent-ils, au juste ? Une brillante démonstration de ma part ? Je pourrais, sans problème, les éblouir avec des solutions optimisées, mais ça ne changerait rien. Ça ne ferait que renforcer l'idée qu'ils ont de moi : l'étudiant modèle, celui qui comprend tout trop vite, sans effort. Et si c'était ça le problème ? Peut-être que j'ai toujours été trop bon, trop rapide. C'est une malédiction, en fait. Je suis arrivé au point où rien ne m'excite plus, même la réussite.

-Amory, pouvez-vous nous expliquer ce qu'il se passe avec cette fonction ?

La voix du professeur m'a sorti de ma torpeur. J'ai levé les yeux et fixé sur le tableau, observant les codes et les algorithmes, me demandant à quel moment ce qui semblait fascinant est devenu aussi... banal.

J'étais déjà sur le point de répondre, mais quelque chose m'a arrêté. Pourquoi le faire ? Pour donner à ce cours l'importance qu'il n'a pas ? La réponse est évidente, et tout le monde dans la salle le sait, mais je ne veux pas faire partie de ce petit jeu. J'ai l'impression de jouer un rôle que tout le monde attend de moi, mais je n'ai plus envie de suivre le script.

-Je suppose que cette fonction est un moyen de simplifier les calculs, pour rendre l'exécution plus rapide dans un environnement...

Je marque une pause. C'est facile, trop facile.

-Enfin, vous comprenez.

Le professeur m'a regardé un instant, hésitant, puis a semblé satisfait de ma réponse. Ce n'est pas la première fois qu'on me félicite pour ma rapidité ou mon intelligence, mais aujourd'hui, même ces compliments sonnent creux.

La cloche a enfin sonné, et j'ai pris une profonde inspiration. J'ai passé une heure à faire semblant d'écouter, à faire semblant de m'intéresser. J'en ai assez. L'esprit de compétition, cette pression constante de devoir toujours être le meilleur, m'étouffe. Pourquoi devrais-je encore m'investir dans un système où je suis censé être le roi sans même en avoir envie ?

Je me suis levé rapidement, j'ai attrapé mes affaires et me suis dirigé vers la sortie. Dans le hall, les autres étudiants discutaient de leurs projets, échangeaient des sourires, riaient de leurs petites réussites. Tout cela me paraît si étranger, comme un monde parallèle où je n'ai plus ma place. Je pourrais les rejoindre, leur parler, faire semblant d'être intéressé, mais je n'en ai aucune envie. Ils se battent pour des choses qui, à mes yeux, n'ont plus de valeur. C'est peut-être ça, la véritable aliénation : être entouré de gens qui n'ont aucune idée de ce que c'est que de ne plus rien vouloir. De voir la vie comme une course qui ne mène nulle part, sauf à la prochaine récompense vide.

L'école, ce n'était pas censé être ça. Ce n'était pas censé être une épreuve constante, une pression sur mes épaules, des questions sans réponses. Je voulais juste apprendre, découvrir, avancer. Mais là, je me sens coincé dans un labyrinthe sans issue, et je n'ai aucune idée de comment en sortir.

Le reste de la journée n'était qu'une succession de cours, de révision et de pensées incessantes. Ah oui... J'ai encore eu ces pensées parasites.

A la sortie des cours je devais chercher Elias de l'école primaire. J'avais complètement oublié, j'avais prévu de me rendre au cybercafé. Le seul endroit où je pouvais être centré sur moi-même. Faire ce que j'aimais faire. Jouer. Dans mon monde. Sans responsabilités. Mais maman, m'avait envoyé ce message pour me rappeler de chercher le petit. Je ne comprend pas pourquoi mon cerveau a littéralement disjoncté en voyant le message.

Elias ? Maman ? C'est quoi cette histoire encore ? Je ne connais aucun Elias, et ma mère... Elle ne me demande plus rien depuis 3 mois. Je m'assure qu'elle ne puisse pas le faire.

Je m'étais arrêté en plein milieu de la rue pour faire face à ces pensées. Comment ça je ne connais pas mon propre petit frère ? Je suis devenu fou c'est ça ? J'ai secoué frénétiquement ma tête pour me sortir cette idée de ma tête. Mais j'avoue que j'aurai voulu au moins faire une game avant de-...

Travailler ailleurs ? Oublie. Avec ce bazar dans ma tête, autant essayer de dessiner en plein milieu d'un concert de métal.

-Mais qu'est ce qui se passe ?!

Je l'avais presque hurlé dans la rue. Vu comment les passants me regardaient à ce moment, c'est le cas. J'ai vraiment hurlé. Mais je comprenais pas pourquoi et comment de telles pensées pouvaient ne serait-ce qu'effleurer mes pensées. Je ne dessine même pas. Je déteste ça. Mon ex dessinait. Elle était artiste, elle avait bien réussi d'ailleurs. Mais elle est partie. Loin. Je m'éloigne de tout ce qui peut me faire penser à elle depuis. Pourquoi je dessinerais ?

J'ai de nouveau secoué frénétiquement ma tête en recommençant à marcher pour chercher le petit. J'avais mis mes écouteurs pour le reste du trajet, afin d'éteindre les voix dans ma tête.

La journée m'a semblé durer une éternité. Je me suis traîné jusqu'à l'école primaire, en essayant de ne pas sombrer dans cette spirale de pensées qui m'engloutissait à chaque coin de rue. Chaque pas semblait plus lourd que le précédent, comme si le monde entier s'était figé autour de moi, me forçant à avancer dans un état de semi-conscience. En arrivant à l'école, je n'avais même pas l'énergie de faire semblant d'être heureux de voir Elias.

Il était là, entouré de ses camarades, l'air joyeux, insouciant. Mais moi, j'avais l'impression d'être un étranger dans ma propre vie. Ses petits yeux pétillants me fixaient avec l'attente d'un grand frère qui doit l'accompagner chez lui, mais au fond, je ne savais même pas pourquoi j'étais là, ce que j'étais censé ressentir.

Je lui ai souri mécaniquement et je l'ai pris par la main. J'ai pris son sac de l'autre main. Son regard était une bouffée d'air frais, mais tout me semblait flou. Le trajet jusqu'à la maison se fit dans un silence presque pesant, ponctué seulement par les questions innocentes de mon petit frère, auxquelles je répondais distraitement. Une partie de moi aurait voulu m'arrêter, tout arrêter, et partir loin, là où personne ne me connaissait. Où je pourrais tout effacer. Mais l'autre partie, la plus raisonnable, me disait que je n'avais pas le droit. Que je devais m'en sortir. Pour eux. Toutes ces pensées, la musique dans mes oreilles, les questions de Elias... Tout ça a fait naître une migraine insoutenable tout le long du trajet.

Quand nous sommes rentrés à la maison, tout semblait normal, comme si rien ne clochait. Mais moi, je savais. Je savais que je n'étais plus le même. Que je n'étais plus celui qu'ils pensaient. Et ça, c'était plus effrayant que tout.

Et maintenant, même après m'être posé sur le canapé, pensant que tout est fini j'ai de nouveau eu cette pensée.

Peut-être que je devrais m'y préparer. Ça sera la première fois que je les fêterai seule.

De quoi devenir bien fou avec ces conneries. Qu'est ce que je vais fêter seul ? J'ai une famille, moi. Je devrais passer à autre chose.

Elias revient auprès de moi pendant mon moment de flou. Je le regarde en silence, absorbé par ses gestes. Il fouille dans son sac, en sort une feuille froissée et vient me la tendre avec un grand sourire.

- Amory, regarde ! J'ai eu un dessin à faire aujourd'hui. Tu crois que je pourrais le mettre sur le frigo ?

Je prends la feuille entre mes doigts. Un bonhomme bâton, avec des cheveux en bataille, tient la main d'un autre.

- C'est toi, là, et moi, explique-t-il fièrement.

Je fixe le dessin un instant, l'estomac serré, avant de sourire doucement.

- Bien sûr. Mais seulement si tu m'aides à ranger ta chambre.

- Marché conclu !

Il court déjà à l'étage, ses rires résonnant dans la maison. Je reste planté là, le dessin toujours en main. Une vague de chaleur m'envahit, mêlée à cette culpabilité qui me colle à la peau. Comment pourrais-je l'abandonner, lui, avec son monde si simple, si pur ?

Après un moment d'inaction, j'accroche son dessin sur le frigo comme il le voulait et je pars l'aider ranger sa chambre, profitant de ce doux moment avec lui. Mais ce moment est de courte durée...

Je me suis enfermé dans ma chambre après le dîner, comme je le fais souvent ces derniers temps, laissant les heures filer sans vraiment en avoir conscience. Je n'ai pas d'envie, pas d'énergie. Les jeux vidéo, mes anciens amis, n'ont plus ce pouvoir de me distraire. Je les laisse tourner en arrière-plan, sans vraiment y prêter attention, mon esprit perdu dans un tourbillon de pensées qui s'entrechoquent.

Je n'étais pas comme ça avant. Je privilégiait le temps passé avec ma famille, je le devais. Mais depuis 3 mois, ce n'est plus le cas. Surtout ce soir. Je suis désolé Elias... Quel grand frère je suis...

Il est tard. Je décide de me coucher. J'ai encore ces pensées persistantes qui me tiennent éveillé. Je n'ai aucune idée de ce que je veux faire de ma vie. Et c'est dans ce moment de flottement que je me suis endormi, sans même savoir si je suis plus près de la réponse ou plus perdu qu'avant.

⫘⫘⫘⫘⫘⫘⫘⫘⫘⫘⫘⫘⫘⫘⫘⫘⫘⫘⫘⫘⫘⫘⫘⫘⫘⫘⫘

Nous sommes déjà 2 semaines avant Noël, la neige commence à recouvrir les rues de la ville, apportant avec elle cette atmosphère étrange, à la fois calme et glaciale. L'odeur du froid envahit l'air, et les décorations de Noël commencent à prendre place, créant une ambiance de fêtes qui contraste avec l'état d'esprit des gens. Dans le métro, tout semble figé, les regards échappent aux autres, perdus dans les pensées de chacun.

Amory, de retour dans la même routine, n'a toujours pas trouvé la réponse à ses tourments. Sa vie semble être une succession de journées identiques, comme une mélodie sans fin qui se joue en boucle dans sa tête, le noyant peu à peu.

Il marche dans les rues enneigées, le vent fouettant son visage, ses pensées plus noires que jamais. Il n'est pas encore dix heures du matin, mais la fatigue pèse déjà sur lui. Entre les délais à respecter, les imprévus qui s'accumulent, les pensées intrusives et un temps libre réduit à peau de chagrin, il se demande s'il aurait l'occasion de réellement profiter de Noël cette année.

De l'autre côté de la ville, une jeune femme descend les marches d'un métro bondé, son regard fixé sur l'écran de son téléphone. Sa liste de choses à faire s'allonge chaque jour, et elle se surprend à soupirer à l'idée de devoir encore courir après le temps. Noël n'est pas censé ressembler à une course contre la montre, se dit-elle avec une pointe d'ironie.

Chacun dans son monde, plongé dans ses préoccupations. Rien ne laisse présager que leurs chemins, si différents, sont sur le point de se croiser. Mais pour l'heure, la ville, animée par les préparatifs, ignore tout des histoires à venir.

⫘⫘⫘⫘⫘⫘⫘⫘⫘⫘⫘⫘⫘⫘⫘⫘⫘⫘⫘⫘⫘⫘⫘⫘⫘⫘⫘⫘

A SUIVRE...

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top