8. Protège-toi
Le brainstorming s’achève sur une bonne note. C’est sans compter sur le visage déconfit de Sandro qui m’attend dans le couloir.
— Dimitri est dans ton bureau, me glisse-t-il discrètement. Je lui ai dit que t’étais pas dispo, mais tu le connais.
— Il m’avait avertie qu’il viendrait. Il a répondu quelque chose ?
— Seulement qu’il voulait te parler en personne.
Il articule les derniers mots en prenant un accent russe qui, appuyé par ses tonalités brésiliennes, donne un effet des plus comiques. Je n’ai cependant pas envie de rire. Je dois même être livide, car Sandro ajoute :
— Je le fous dehors ?
— Toi ? Avec tes gros bras ? le taquiné-je.
— Deux lettres, ma chérie. Sé-cu.
— T’es bête ! m’esclaffé-je. Ça ira. S’il tient parole, tout sera fini d’ici une heure. Fais une pause et ramène-nous de quoi déjeuner.
— T’es sûre ?
— Je gère.
— Protège-toi, en tout cas. Et je parle pas de capotes !
Sandro sait toujours désamorcer les malaises… quand ce n’est pas lui qui les installe.
Il disparaît dans l’open space, ne laissant pour musique que les battements saccadés de mon cœur.
Je regarde à travers la vitre. Il est là. Assis à mon bureau. Sublime dans son costume trois-pièces bleu marine. Une beauté sculptée dans la glace. J’inspire profondément et entre d’un pas pressé :
— Monsieur Lazarev. Je suis ravie de voir que vous avez respecté votre part du marché.
— Je tiens toujours mes promesses, mademoiselle Perrier.
Ses effluves ambrés perturbent mes sens lorsque je frôle son épaule en rejoignant mon fauteuil, mettant à mal mon semblant d’assurance.
— Tu as rapporté le contrat ?
— Cette séance était incroyable, élude-t-il. N’est-ce pas ?
Je manque de m’étouffer avec ma salive ! Je vérifie par la vitre que personne ne traîne dans les couloirs et baisse d’un ton :
— On n’est pas là pour parler de ça, Dimitri. Les conditions étaient claires. Une nuit, une signature et adieu.
— Dis-moi que tu as aimé, ordonne-t-il.
— Est-ce vraiment utile ? Tu étais présent, il me semble.
— Je n’ai jamais entendu une femme jouir si fort. Pour quelqu’un qui ne veut plus avoir affaire à moi, c’est étonnant.
— Il n’y a rien de surprenant. C’était simplement mécanique. Ça prouve que tu me connais bien, rien de plus.
— Tu n’as jamais su mentir.
J’ai soudain envie d’arracher ses cordes vocales et de l’étrangler avec. Ne plus entendre le son de sa voix, un fantasme qui rêve de prendre corps.
— Est-ce que tu as ce foutu contrat ? articulé-je avant de céder à ma folie meurtrière.
— Oui, mais je ne l’ai pas encore signé. Il reste quelques clauses que je souhaiterais modifier avant.
Je serre les dents en priant pour qu’il s’étouffe avec son arrogance avant que je m’en charge. Il attend de me voir exploser, mais je ne lui ferai pas ce cadeau.
— D’accord. De quoi s’agit-il ?
— J’ai lu l’intégralité du dossier. Ce projet m’intéresse et je souhaite doubler la mise.
— Doubler ? C’est un changement plus que conséquent.
Il s’enfonce dans son siège avec un rictus qui fait froid dans le dos.
— OK, c’est quoi l’arnaque ? me méfié-je.
— De quoi tu parles ?
— Je ne peux pas croire que tu sois prêt à investir deux millions d’euros sans contrepartie.
— Je te l’ai dit, je me suis laissé porter par le projet.
Si seulement je pouvais lacérer son visage et effacer l’air narquois qui ne le quitte pas depuis que je lui fais face. Dimitri est en pleine partie d’échecs et il a une dizaine de coups d’avance sur moi.
— Quel est ton but en venant ici ? Tu ne te contentes pas de réapparaître du jour au lendemain dans ma vie, tu interfères aussi dans mon travail. Pourquoi ?
— Quelle importance ?
— Ça en a pour moi. C’est ma carrière qui est en jeu. Ton objectif est peut-être de foutre en l’air ma réputation pour assouvir une quelconque vengeance.
Il plaque ses mains sur sa poitrine comme s’il avait pris une balle.
— Tu sais que ça me blesse ce que tu me dis ? Ton hypothèse est à l’opposé de mes plans. Et ça me déçoit beaucoup que tu me croies capable d’autant de vice.
— C’est vrai que tu es un enfant de chœur !
— Non. Mais toi, tu brises le mien.
Un lourd silence s’installe pendant lequel on se toise en chien de faïence, essayant de deviner les pensées de l’autre. Mais cet homme est plus impénétrable qu’un coffre-fort de la banque de France. Impossible de percer ses intentions. Le suspense est insoutenable. Je ne tiens plus :
— Pour la dernière fois, Dimitri, que cherches-tu en venant ici ?
— Je suis là pour t’aider.
— Bien sûr ! Tu fais dans le social, maintenant ? Et explique-moi en quoi tu peux m’aider ?
— Les nouvelles vont vite dans le monde des affaires, explique-t-il. J’ai eu vent de la place de vice-président qui se libérait chez Blue-Tech. Et connaissant ton enclin pour gravir les échelons, j’ai pensé te donner un coup de pouce. Rapporter un gros portefeuille à la boîte te fera entrer dans les faveurs du PDG, c’est certain.
Je dois avouer que l’idée est bonne, et l’intention serait honorable si elle ne venait pas de Dimitri, mais tout ceci n’est qu’un prétexte. Il utilise la manipulation pour m’avoir sous sa coupe, une fois de plus. Il est hors de question que je tombe à nouveau sous son joug.
— Je n’ai pas besoin de toi pour avoir une promotion.
— J’en ai jamais douté. C’est simplement l’assurance pour toi de réussir. Et pour moi, de faire un bon investissement, dans tous les sens du terme…
Les choses se précisent ! Son impertinence ne l’a visiblement pas quitté pendant ces deux ans, mais mon entêtement non plus :
— Je ne suis peut-être pas assez claire. Je ne veux pas te devoir mon évolution de carrière ni quoi que ce soit d’autre, d’ailleurs. Et je ne veux plus aucun contact avec toi.
— Tu n’as pas vraiment le choix. Soit tu boucles un gros contrat et tu en récoltes les fruits, soit tu fais perdre un investissement conséquent à ta boîte et tu peux dire adieu à ta promotion, peut-être même ton job.
— T’es vraiment un enfoiré !
— Si j’étais un enfoiré, je te dirais que je ne signe pas tant que tu ne te remets pas avec moi.
Il fait mine de réfléchir avant de reprendre avec cette lueur vicieuse dans le regard :
— T’as raison en fait, je suis bien un enfoiré !
La partie immergée de l’iceberg se dévoile enfin et son bras de glace se resserre autour de moi.
Dimitri récupère sa veste avant de se lever. Il décompose chaque geste en me narguant de ce sourire provocateur qui me donne envie d’enfoncer mon talon aiguille dans sa boîte crânienne.
— Va te faire foutre, craché-je.
— Avec plaisir ! Si tu veux participer, tu sais où me trouver. Je te laisse jusqu’à la fin de la semaine pour réfléchir. À bientôt, mon amour.
L’oxygène réintègre la pièce quand il s’éloigne, mais l’air n’en reste pas moins toxique.
Le fou menace ma reine, mais la partie est loin d’être terminée, c’est certain.
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