7. Briefe-moi
Malgré le climat printanier qui règne à l’extérieur, c’est l’hiver qui m’accueille dans mon bureau ce lundi matin. En effet, si le blizzard Sandro ne souffle plus, il persiste un froid polaire qui me glace le sang.
Ni traditionnelle odeur de café, ni arôme de croissant chaud. Seulement le cliquetis frénétique de ses ongles manucurés qui frappe le clavier et son visage fermé qu’il ne daigne pas tourner vers moi.
Je décide d’affronter la tempête sans attendre qu’elle s’installe et m’avance vers son bureau d’un pas décidé :
— Tu as raison à propos de Dimitri, commencé-je. Je voulais l’éviter à tout prix, parce que je savais que je lui céderai en le voyant. Et ça n’a pas manqué. Crois-moi, j’ai lutté de toutes mes forces. Je m’en veux tellement d’être aussi faible face à lui. Encore plus quand ça t’affecte, toi aussi.
Je m’effondre en larmes appuyée sur son bureau et il se lève pour me serrer dans ses bras.
— Oh, ma chérie !
Il m’étreint si fort que je peine à respirer.
— Je m’en veux de t’avoir dit tout ça. J’ai réagi un peu fort, hier. Tu me connais. Je t’ai vu malheureuse tellement de fois à cause de cet homme que je voulais juste te protéger. J’ai cogité toute la nuit, et je ne suis personne pour te juger.
— Mon cœur, tu n’es pas personne, assuré-je en reniflant. Ton avis compte beaucoup pour moi. C’est pour ça que ça me touche autant.
— Je sais, bébé. C’est pour cette raison que quoi que tu fasses, tu auras toujours mon soutien.
Il m’enlace à nouveau et un soupir de soulagement emplit ma poitrine.
— Bon, après cette séquence émotion, va falloir retaper ton make up car on a du travail. J’ai sorti le dossier BlueEarings pour le brainstorming de neuf heures, me briefe-t-il en se détachant de moi. Par contre, on n’a toujours pas reçu la maquette de la nouvelle campagne publicitaire.
— Dupontois. Je vais me le faire !
— T’as bien du courage. Même bourré j’en voudrais pas !
Je feinte un haut le cœur :
— Quelle horreur ! Tu m’avais promis de ne pas avoir l’esprit mal placé au boulot. C’est comme si j’insinuais des trucs entre toi et Delmas.
— Oh my god ! s’esclaffe-t-il. Je vais vomir.
— On est bien d’accord.
— Par contre, s’il se passait des choses avec Raphaël, je dirais pas non. Je trouve son côté geek très sexy.
— T’es vraiment un obsédé !
— Parle pour toi, nympho !
Nous éclatons de rire et je me revigore de cette amitié qui balaye mes doutes, car peu importe quels seront mes choix, mes erreurs, mes peines, j’aurais toujours une personne sur qui compter.
— Allez bitch ! C’est l’heure de te sacrifier sur l’autel des directeurs de projet, m’annonce Sandro en claquant ma cuisse. Tu vas tous les bouffer.
Il a raison. J’ai beau être entourée de tous ces hommes dominés par leur instinct patriarcal, ils ne m’impressionnent pas pour autant.
Je range toutes mes émotions dans le tiroir et rejoins la salle de réunion dans ce rôle de directrice qui me colle à la peau.
Les BlueEarings, sont la dernière invention de Blue-Tech. Ces boucles d’oreilles Bluetooth mesurent le rythme cardiaque, les calories perdues, le temps de sommeil… et envoient toutes les informations au téléphone. Sauf qu’elles sont bien plus chics et discrètes.
Leur sortie mondiale est pour bientôt et il y a encore beaucoup à faire. Bien sûr, c’est maintenant que monsieur le vice-président décide de quitter le navire pour me laisser mener la barque.
D’ordinaire, ce genre de challenge me plaît, mais j’ignore pourquoi, aujourd’hui, c’est différent. Je suis épuisée de cet acharnement pour si peu de reconnaissance. À chaque réunion du comité, tous ces mâles en costumes guindés me regardent de haut sans jamais me prendre au sérieux. Idem pendant les déjeuners d’affaires, où j’ai toujours droit à des commentaires salaces ou des œillades désobligeantes. Pour ces hommes, je ne suis qu’une plastique vide dans un tailleur Louis Vuitton. M’écouter, c’est déjà me donner trop d’importance. Et l’arrivée de Dimitri est la cerise sur le gâteau.
Pourtant, j’ai mérité ma place. J’ai travaillé plus dur que la plupart d’entre eux pour être ici et personne ne me montre le respect qui m’est dû.
— Bonjour à tous. Si tout le monde est là, nous pouvons commencer.
Les visages dans l’assemblée sont fermés et indifférents, fidèles à leur habitude. Je continue, imperturbable :
— Comme vous le savez, la sortie des BlueEarings est prévue dans deux mois. J’ai reçu les dernières statistiques et elles sont plutôt concluantes. Raphaël, est-ce que les bugs ont été résolus ?
L’informaticien hoche son stylet pour acquiescer et répond sans même lever son nez aquilin de sa tablette :
— Tout est nickel. On envoie la mise à jour demain matin pour le panel de test.
Même s’il ne montre aucun entrain à participer à ce genre de réunion, au moins, lui ne me méprise pas complètement. Raphaël a peut-être tout du geek asocial, mais il m’a toujours montré du respect. Quant à moi, je suis très admirative de son travail. Une certaine confiance professionnelle s’est établie entre nous pendant ces quelques années de collaboration. Je ne m’attarde donc pas sur son cas.
— OK. Romuald, tous les magasins ont été démarchés ?
— On a juste quelques soucis de négociation dans le Sud, explique-t-il.
— Quel client ?
— Delcroix.
— Transférez-moi le dossier. Je m’en charge.
— Bien sûr.
Le directeur commercial accuse le coup. Son ton dédaigneux me hérisse le poil. Je devrais peut-être lui rappeler son échec cuisant sur la sortie de l'année dernière qui lui a valu d’être sur la sellette, jusqu’à ce que JE rattrape sa bourde. Il comprend de suite ma pensée à ma façon de pincer mes lèvres et baisse la tête sans rien ajouter.
— Passons au sujet principal, continué-je à l’intention du directeur marketing. Olivier, qu’en est-il de la nouvelle publicité ? Je n’ai toujours pas reçu la maquette.
Ses petits yeux de fouine me reluquent avec condescendance, peu impressionnés par mon ton autoritaire. Ce vautour ne rêve que d’une chose, me ravir le poste de Delmas. Devenir calife à la place du calife. Il est prêt à tout pour accéder au trône, en particulier lécher les bottes du patron.
— On vient de la terminer. Les dernières directives ont été intégrées, on a élargi le public cible, tout semble parfait. Je vous la transmet ce midi pour validation avant le montage final.
Son allure de premier de la classe parvient peut-être à tromper son monde, mais je ne suis pas dupe. Olivier Dupontois n’est qu’un arriviste sans talent arrivé par piston qui masque son incompétence derrière une esbroufe d’acteur de bas étage.
— Espérons que ce soit concluant, cette fois.
Bien que notre Iznogoud grimace, il ne relève pas. Tant mieux, parce que je ne tairai pas le fiasco de sa première campagne sur les boucles d’oreilles. Delmas a approuvé le projet malgré mes réticences, mais j’avais vu juste. Tout miser sur le glamour n’a pas accroché le public test et les investisseurs ont menacé de nous lâcher. Encore une fois, heureusement que j’étais là.
Nous devons viser beaucoup plus large que la coquette dame de quarante ans et attirer ceux qui n’auraient jamais pensé à utiliser cet article. Aura-t-il compris qu’il faut toujours écouter une femme quand il s’agit de bijoux ? Je lui laisse le bénéfice du doute, pour cette fois.
La réunion se déroule sans davantage d’accrocs. La soirée de lancement du produit est sur les rails sans que j’aie à frotter la lampe pour demander à mon génie d’accomplir des miracles. La semaine ne s’annonce peut-être pas si mal, finalement.
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