38. Oublier
Deux semaines se sont écoulées depuis le gala et je me suis enfermé dans un quotidien morose sans trouver la volonté de m’en extirper. Je n’ai eu aucun signe d’Alana depuis notre dispute, mis à part un chèque au montant mirobolant envoyé à la boutique. Recevoir une somme aussi importante m’a permis de sauver la librairie d’une fermeture inévitable et je devrais me réjouir de travailler dans ce nouveau décor, seulement sa signature est partout sur les murs.
Alana.
Elle a respecté mon souhait et ne m’a pas contactée une seule fois. Est-ce que je le déplore ? Peut-être un peu.
Comment va-t-elle ? A-t-elle repris sa vie comme avant ? Subit-elle le manque autant que moi ?
Je tourne à nouveau en boucle et ressasse les événements. La colère a laissé place au dépit. Je me blâme d’être suffisamment stupide pour m’être fait piéger, assez aveugle pour n’avoir rien vu, trop naïf pour être tombé amoureux.
Apprendre qu’elle m’a caché sa double identité tout ce temps a détruit tout ce que je pensais savoir d’elle. Elle a eu tellement d’occasions pour m’en parler. Le soir où j’ai fait connaissance avec Roxane aurait dû être la limite de son mensonge. Elle aurait dû tout m’avouer avant de m’entraîner dans cette chambre. Quel était son but à cet instant ? Pourquoi ne rien me dire par la suite ? J’ai bien osé confesser ma rencontre avec… elle-même malgré ma peur de la perdre.
Cette histoire me rend dingue !
J’ai au moins trouvé une explication à mon trouble dans ses bras, et tomber deux fois sous le charme de la même personne serait magique si l’issue n’en était pas aussi tragique. Je dois me résoudre à oublier cette femme qui a bouleversé mon existence de toutes les manières qui soient, pour m’enliser dans une existence vide de sens.
L’unique chose de bien qui est ressortie de cette relation, c’est que j’ai bouclé mon roman en un temps record. Après la rupture, l’écriture est devenue mon salut. J’ai jeté le début de mon manuscrit en cours pour reprendre une page blanche. J’y ai noté compulsivement tout ce qui me sortait du cœur, presque sans fermer l’œil, et j’ai terminé le premier jet la nuit dernière.
Sans vouloir me vanter, je crois que c’est ma meilleure histoire. J’ignore si je la publierai par la suite, mais y mettre un point final me permettra peut-être de faire le deuil de celle dont je suis le principal acteur.
Le soleil décline et ce n’est visiblement pas aujourd’hui que va commencer ma résilience. L’air paniqué de Sandro qui débarque dans ma boutique juste avant la fermeture me le confirme.
— Je sais que j’ai promis à Marco de ne pas intervenir dans votre relation et de te laisser déprimer dans ta grotte, mais l’heure est grave ! s’exclame-t-il, sans prendre le temps de me saluer. T’as des nouvelles d’Alana depuis le gala ?
Entendre son prénom me torpille le cœur.
— Non, aucune.
Hélas…
J’aurais aimé qu’elle se batte plus que ça pour nous. Qu’elle me harcèle de coups de téléphone, qu’elle vienne à la boutique sans mon accord pour s’expliquer derrière la vitre, peut-être même qu’elle la briserait avec son sac…
— Moi non plus, déplore Sandro. Elle n’est pas retournée travailler depuis la soirée. Son portable est éteint, ses volets fermés. C’est pas dans ses habitudes. Mais il y a pire. Ce matin, Blue-Tech a reçu sa lettre de démission…
— Elle a quitté son job ?
— Son job… et la ville.
— Quoi ?
Si mon univers ne s’était pas déjà effondré en la perdant, il serait en train de s’écrouler sous mes pieds à cet instant.
— Alana est partie ? répété-je, pour donner corps à l’information que je ne parviens pas assimiler.
Je ne la reverrai plus. Je lui ai fermé la porte, et maintenant, elle n’est plus là.
— J’ai un double de ses clés, m’explique son ami. Je viens de passer à son appartement. Je voulais pas en arriver à cette extrémité, mais il fallait que je comprenne ce qu’elle fabrique. La plupart de ses vêtements ont disparu. Opale aussi est introuvable. Sa boîte aux lettres est remplie… Elle n’y est plus depuis un moment, et je n’ai aucune idée d’où elle se cache. C’est pour ça que je suis venu. Peut-être qu’elle t’a fait des confidences que j’ignore. Je commence à m’inquiéter.
Je reconnais que c’est assez alarmant. Surtout pour qu’elle quitte une des rares choses qui comptait pour elle. Sa carrière était sa raison d’être. Cependant, je n’oublie pas que Sandro était au courant pour Roxane, et lui non plus, n’a rien dit.
— Tu la connais beaucoup mieux que moi, apparemment, soufflé-je.
— Écoute, je suis désolé pour ce qu’il s’est passé entre vous. Et crois-moi que j’ai essayé de la convaincre de tout avouer. Mais elle m’a fait promettre de garder le secret.
— Pourquoi ?
— Ça, c’est entre elle et toi, mon chou. Tout ce que je peux te dire c’est que son mensonge pesait lourd sur sa conscience. Elle tenait à toi. Mais si tu veux découvrir ce qu’elle ressent vraiment, il faut d’abord la retrouver. Alors réfléchis. Où pourrait-elle être ? Elle n’a jamais murmuré une destination de rêve pendant vos tête-à-tête sur l’oreiller ?
Son parfum me revient, le goût de sa peau sur ma langue…
— J’ai pas tellement envie de me remémorer ce genre de souvenirs.
— S’te plaît, fais un effort. Je me fais du souci. Je sais que cette histoire l’a dévastée, elle n’aurait jamais réagi comme ça sinon.
Sa ride du lion confirme son tourment et éveille le mien à mesure que son stress se distille dans la pièce.
— Tu penses quand même pas qu’elle voudrait en finir ?
— C’est pas son genre, mais on peut s’attendre à toutes sortes d’excentricités avec Alana. Si ça se trouve, elle est dans un monastère bouddhiste au fin fond du Tibet.
Un détail tilte dans ma mémoire.
— En y réfléchissant… raisonné-je pour moi-même.
— Elle a parlé du Tibet ?!
— Non. Mais je pense savoir où elle est cachée. Dis à Marc de s’occuper de Volt et de la boutique. Les clés sont dans le tiroir. J’en ai pour quelques jours, max.
— Attends, tu vas où ?
— La retrouver.
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