3. Promets-moi

Le sourire plein de défi de Dimitri ne quitte plus mes pensées. Ces deux années sans le voir n’ont pas effacé cette attraction qui me pousse vers lui. J’ai réussi à lui résister, cette fois, mais je n’oublie pas sa promesse de ne pas en rester là. En cinq ans de relation tumultueuse, j’ai connu à peu près toutes les émotions à ses côtés, de la passion à la destruction, en passant par ruptures et réconciliations, jusqu’à atteindre le point de non-retour. Je pensais avoir fait le deuil de notre couple. Je n’en suis plus aussi sûre, maintenant qu’il réapparaît dans ma vie.

J’ai à peine le temps de refermer la porte de chez moi qu’un Sandro tout en couleur pénètre dans l’appartement :
Hello, ma chérie !

Quand il parle avec son accent exotique, j’ai toujours l’impression d’inviter Cristina Córdula dans mon salon.
Il me serre dans ses bras et me décolle à dix centimètres du sol, comme à son habitude.

— Bonjour mon amour. T’as fait vite ! m’exclamé-je.
— Et encore, je me suis arrêté en chemin.

Il ondule vers la cuisine américaine et sa voix mélodieuse résonne dans la pièce. Sandro ne marche pas, il danse. Sandro ne parle pas, il chante. Sandro ne vit pas, il brille.
Mon ami est arrivé du Brésil pour poursuivre ses études de commerce en décrochant une bourse. C’est un homme très talentueux dans tout ce qu’il entreprend. Malgré une enfance difficile au pays, il parvient à garder son côté solaire, quel que soit le milieu dans lequel il évolue. Il est capable de s’adapter à n’importe qui, dans n’importe quelle situation. C’est en partie grâce à ce don qu’il en est là aujourd’hui.
Il retire ses lunettes à monture dorée, dépose un sac rose bonbon sur le bar et ajoute :
— J’ai apporté les sushis et… suspense.

Il me sort un sourire extralarge et le blanc de ses dents contraste encore plus avec sa peau ambrée :
— Tadaaaa !
— Des macarons ! claironné-je.

Il me tend la boîte avec autant de ferveur qu’une couronne royale et je me jette sur une gourmandise à la vanille. Le sucre fond sur mes papilles, j’en gémis de bonheur.

— T’es le meilleur, lui dis-je, la bouche pleine. Qu’est-ce que je ferais sans toi ?

Sandro s’assoit sur la chaise haute et me montre du doigt :
— Ta vie n’aurait plus aucun sens.
— À qui le dis-tu !
— Alors, c’est quoi cette urgence ? Un problème avec ce mystérieux client ? Tu sais que je m’inquiétais. J’étais prêt à te rejoindre à ton rendez-vous. Je t’imaginais séquestrée par un vieux mafieux. Bien que t’aurais pu apprécier l'idée.
— Pour être honnête, non seulement il était diablement sexy, mais le plus grave c’est que, oui, j’aurais aimé ça…

Le silence lourd de sens qui s’ensuit est assez éloquent pour qu’il s’alarme pour de bon :
— Qu’est-ce qui se passe ? T’as l'air toute chamboulée. C’est qui ce type ?
— Milliardaire russe. Du genre, dieu viking.

Son visage se décompose :
— J’y crois pas. Me dit pas que c’est Dimitri ?
— Le mystérieux client, acquiescé-je. Il est à Paris quelques semaines pour affaires… et pour moi.
— Le mec va investir dans les bijoux Blue-Tech juste pour se rapprocher de toi ? Il ne lâche vraiment rien, celui-là. Plus collant que mes bolas ¹ un jour de canicule !
— Comment penses-tu qu’il gère sa fortune ? me moqué-je. C’est le pire requin de son espèce. Il refuse de signer tant que je ne réponds pas à ses avances. Il me débecte, et pourtant, tu n’imagines pas l’effet qu’il me fait. J’ignorais qu’il aurait encore ce genre d’ascendant sur moi après tout ce temps.

Sandro se lève et fouille dans les placards comme s’il était chez lui pour en sortir deux verres à pied. Il débouche la bouteille de Bordeaux près de lui et les remplit.

— Pour affronter ça, il va nous falloir plus fort que du sucre, explique-t-il. Vas-y, raconte-moi. Qu’est-ce qu’il t’a dit ?
— Que je lui manque. Qu’il souhaite reprendre là où l’on s’est arrêté. Et qu’il est capable de tout pour ça.
— Quelle pourriture !
— C’est son mode de vie. Il veut quelque chose, il l’obtient, peu importe les obstacles. Ça m’a amusé un certain temps d’être son jouet, mais…
— Bébé, t’as les cils qui frisent ! Je t’interdis de replonger.
— …
— Y a pas de trois petits points qui tiennent, tranche-t-il, sèchement. Tu oublies que vous avez totalement perdu le contrôle ? Je ne te laisserai pas recommencer, c’est hors de question.
— Je m’en souviens. C’est moi qui ai failli y rester, je te rappelle.
— Voilà pourquoi tu ne dois pas y retourner.

Je baisse les yeux et accuse le coup. Un lourd silence s’installe et les images du drame me reviennent en mémoire. Je secoue la tête et essuie une larme avant que ce souvenir explose à la surface.

— Ça t’a fait si mal que ça, de le revoir ?

Sa voix enjouée est descendue dans les graves en prononçant ces mots. Il sait. Il a été témoin de mon malheur toutes ces années. Mon estomac se tord pour toute réponse. Sandro prend les devants :
— Ça va aller, ma vie, je suis là, moi. Je te lâcherai jamais, promis.
— Merci, t’es un ange.

C’est vrai, il l’est.
Depuis que je l’ai rencontré, Sandro est mon ange gardien, la seule personne sur qui je peux compter. Il est constamment présent pour moi, en cas de coup dur, comme pour me remettre à ma place quand, soi-disant, je prends trop la grosse tête. Et pourtant, ce n’était pas gagné entre nous.
Je travaillais pour Blue-Tech, une entreprise en plein essor de technologies spécialisées dans le Bluetooth, depuis six mois. Une simple commerciale bien décidée à gravir les échelons un à un. Lorsque Sandro est arrivé, je détestais son côté m’as-tu-vu et lui me jugeait beaucoup trop coincée à son goût. C’était mal me connaître. Il était loin d’imaginer, à l’époque, qu’il découvrirait une partie de moi tout à fait différente de celle de la collègue de bureau insipide qu’il croisait tous les jours. Toujours est-il qu’on aurait dû en rester là, sauf que l’année d'après, on s’est retrouvés en concurrence pour le poste de responsable. La lutte fut rude, néanmoins on s’est toujours battu loyalement. Si j’ai eu le job, j’ai surtout gagné son respect et lui le mien. Il est devenu mon assistant, mon meilleur ami, mon repère, et il m’a suivi dans mon ascension faramineuse jusqu’au sommet.

— Et toi, avec ton Myke, comment ça s’est passé ? m’empressé-je de changer de sujet.
— La soirée commençait plutôt bien, mais il est beaucoup trop délicat, ce garçon. Trop prude pour moi. Il était choqué par une simple fessée !
— Désolée qu’il ne soit pas à ta hauteur, mon chéri.
— On ne peut pas le blâmer, il faut assurer grave pour arriver à mon niveau ! Et puis je t’ai, toi. C’est l’essentiel.
— Oh ! Mon amour !
— Viens par-là, ma biche.

Il m’enlace fermement et je me laisse aller au réconfort de ses longs bras jusqu’à ce qu’il me menace à nouveau :
— Promets-moi que tu ne lui céderas pas.
— Et comment je fais pour le contrat ? Delmas le veut signé sur son bureau à son retour.
— Tu ne peux pas répondre au chantage de Dimitri. C’est du harcèlement sexuel.
— Tu crois qu’il va avoir un cas de conscience ? me gaussé-je.
— On va trouver une solution, mais ne craque pas. Tu vaux mieux que ça.
— Pourquoi suis-je irrémédiablement attirée par les types les plus toxiques ? J’aimerais bien tomber sur quelqu’un de différent, un jour. Quelqu’un qui m’apprécie pour ce que je suis vraiment.
— Ça viendra, bébé. Ça viendra.

L’après-midi touche à sa fin. Mon ami m’a quitté il y a une heure, et malgré notre session comédie romantique où nous avons plus ri et parlé que prêté attention au film, Dimitri occupe toujours mes pensées. Je comptais sur ma lecture pour divertir mon esprit, mais l’histoire d’amour insipide ne me passionne absolument pas. À la moitié du roman, une pulsion m’envahit. Je me rappelle avoir repéré une librairie de l’autre côté de l’île que je n’ai pas encore eu le temps de visiter. Moins de trente minutes plus tard, je me retrouve face à la devanture défraîchie de l’échoppe. Je craque complètement pour ces vieilles boutiques. Je pousse la porte. Une clochette annonce mon arrivée.
L’odeur des livres poussiéreux, voilà ce dont j’ai besoin pour me changer les idées.





¹ Bolas : couilles en portugais.

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