28. Désire-moi

Mon cœur a bien failli sortir de ma poitrine lorsqu’Antoine a cru reconnaître Sandro. Heureusement, mon ami a l’habitude de me tirer de situations embarrassantes. J’espère que le libraire n’y a vu que du feu. Après cette nuit, je ne me sentais pas prête à subir un affrontement de plus, encore moins face à cet homme. Je n’aurais pas pu rêver meilleur soutien au moment où j’étais plus bas que terre.
Incapable de rester seule face à mon image, le réconfort de ses bras m’a fait oublier un instant la piètre estime que j’avais de moi après le départ de Dimitri.
Dimitri. Ce nom me débecte.

Sandro, qui a d’abord cru à des jeux sadiques entre mon nouvel amant et moi, était bien sûr révolté d’apprendre les actes de mon ex. Je ne donne pas cher de la peau du Russe lorsque le Brésil va lui déclarer la guerre ! J’aurais souhaité m’étendre un peu plus sur mes malheurs à son chevet, mais mon ami flottait sur le nuage de l’amour tant et si bien que même la tempête Alana n’a su l’en faire descendre.
Apparemment, la reconquête de son ancien crush se passe à merveille. Sacrilège en période dominicale, il a abrégé notre brunch pour le rejoindre.
Et c’est comme ça toute la semaine.
Je ne peux pas lui en vouloir, puisque Antoine accapare également mon temps libre. Sorties au musée, cinéma, théâtre ou simples balades au bord de l’eau, tout est prétexte pour se retrouver, en plus de nos rendez-vous « professionnels » où l’on parle plus de nos vies respectives que des préparatifs du gala ou de l’écriture de son roman — qui avancent bien, en passant.

Évidemment, même si je parviens encore à simuler un semblant de motivation, mon vrai travail en pâtit. Par miracle, je n’ai eu aucune nouvelle de Dimitri depuis « l’incident ». Aucune, sauf ce fameux mail qui m’attendait dès lundi à mon arrivée au bureau. J’ai hésité un temps avant de l’ouvrir. Quelle ne fut ma surprise lorsque j’y ai découvert le contrat d’investissement signé, accompagné d’un simple mot :

Désolé pour ce malentendu.
Je respecte ma part du marché.
Ci-joint, tous les documents.
Dimitri Lazarev.

Monsieur est trop lâche pour assumer ses erreurs. Ce n’est pas la première fois. Au moins, j’ai obtenu mon pass pour ma liberté le jour du retour de mon patron. Le timing parfait. Lui servir ce contrat sur un plateau d’argent a le mérite de calmer ses ardeurs de colon esclavagiste et il m’oublie un peu au dépend de ses autres sous-fifres. Cela ne durera qu’un temps, alors j’en profite pour le mettre au bénéfice de mon Antoine.

Antoine…
Si on m’avait dit qu’un homme comme lui existait, je lui aurais ri au nez. Tout est bon en lui. Chaque cellule de sa peau respire la tendresse et l’honnêteté. J’ai le sentiment, lorsqu’il me regarde, d’être la plus belle créature sur Terre. Une sensation jamais ressentie auparavant. Certes, mon physique m’a valu plus d’un compliment, mais personne ne s’était intéressé de si près à mon âme. C’est à la fois troublant et incroyablement dévastateur. Je ne pense plus qu’à lui. Je respire Antoine, je dors Antoine, j’en oublie même de manger, tant me nourrir de sa présence me suffit. Il a bouleversé ma vie par sa simple existence.

Cependant, une ombre subsiste au tableau. Il ignore toujours tout de Roxane. À chaque nouvelle rencontre, je me promets de lui avouer, et dès que je croise son regard chatoyant mêlé d’ambre et d’agate, j’en perds tout courage. Je n’ai pas la force de briser l’image qu’il a de moi, car c’est la première fois que j’aime le reflet que je renvoie. Si ce miroir éclate, je mourrai de ne pouvoir m'y contempler à nouveau.
Je tais donc cette partie de moi que j’ai envie d’oublier. Celle qui me rappelle Dimitri. Celle qui me rappelle mon passé.
Je ne veux plus parler du passé. Antoine, c’est le présent. Antoine, c’est l’avenir.

***

— Cette exposition est… Je ne trouve pas de mots ! Tu dirais quoi, toi ? susurre-t-il, en se glissant dans mon dos tandis que je contemple une masse difforme censée ressembler à une sculpture.
— Inqualifiable ?

Son rire réchauffe ma nuque et je me tourne face à lui, ses bras enroulés autour de ma taille. Je ne parviens pas à décrocher mon regard de ses fines lèvres lorsqu’il reprend :
— Quelle est ton œuvre préférée ?

Je l’attire vers un tableau saturé de couleurs que le peintre semble avoir jeté au hasard sur la toile, mais qui forment pourtant une harmonie, chacune trouvant sa place au contact de l’autre. Comme moi aux côtés de cet homme. Antoine observe les vagues irisées un instant avant de demander :
— Pourquoi ce choix ?
— Parce qu’il me fait penser que je me sens bien, ici et maintenant.

Il plante ses yeux dans les miens et la foule s’efface autour de nous lorsque ses lèvres se scellent aux miennes.

— Et toi, ajouté-je en effleurant son nez du mien. Quelle œuvre tu préfères ?
— Je la tiens dans mes bras.

Longeant les ruelles pavées du Marais main dans la main, l’ambiance pittoresque du quartier inspire à la rêverie et mon esprit vagabonde vers des pensées plus exotiques.
Depuis notre premier baiser, Antoine se montre très sage avec moi. Et j’avoue que je ne suis pas habituée à ce genre d’abstinence. C’est une sensation grisante. À la fois frustrante et stimulante… surtout frustrante ! Ses gestes délicats et attentifs, ses effleurements sur ma peau sont la promesse d’un désir qu’il me tarde d’assouvir. Mais Antoine a une petite idée de ce que j’ai vécu par le passé et il ne veut pas précipiter les choses, même si je sens que lui aussi en meurt d’envie.
Sa voix me surprend dans ma réflexion :
— Qu’est-ce que t’en penses ?
— Hein ?
— T’étais partie sur quelle planète, dis-moi ?

Son sourire me taquine et je ne résiste plus au charme de sa fossette :
— Vénus.

Il cherche un instant à percer le message, mais j’appuie mes propos pour qu’il n’y ait pas d’équivoque :
— Tu me fais visiter ton appartement ?
— Tu es sûre ?

Je plaque mes lèvres sur les siennes sans hésiter, puis conclus :
— Je veux tout connaître de toi.

Il m’embrasse à son tour pour signer ce pacte charnel et m’entraîne avec hâte en direction de son domicile.
En chemin, ma conscience se réveille et mon estomac se serre à l’idée de taire mes mensonges, mais arrivée dans son salon, ses baisers parsemant mon cou finissent par convaincre ma lâcheté.
Mes mains se glissent sous son t-shirt pour y trouver sa chaleur et dessiner les sinuosités de son dos, tandis que les siennes s’enroulent dans mes cheveux. Le regard qu’il pose sur moi est aussi doux que ses gestes. Ses caresses le long de mes courbes effleurent à peine le tissu, décuplant la sensation sur ma peau.
Lorsqu’il m’embrasse à nouveau, j’abdique face à mon palpitant qui s’anime à chacun de ses contacts. Je n’ai plus qu’une certitude : je serai capable du pire pour garder le meilleur de cet homme.

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