23. Attache-toi
— Depuis quand le style prof des écoles te fait de l’effet, dis-moi ? se gausse Sandro, ravi d’avoir les potins de la soirée.
— Depuis que le prof en question est en réalité un libraire rencontré il y a peu.
Son menton s’abaisse de dix centimètres et un cri strident grésille dans mes tympans, tandis que notre taxi se faufile dans les rues animées de la capitale.
— OH. MY. GOD !!! s’égosille-t-il. C’était Antoine ?
— Exactement.
— Ton Antoine ? L’intello coincé ?
— En personne.
— Qu’est-ce qu’il foutait au manoir ? Il s’est perdu ?
— Vu sa réaction, tu crois pas si bien dire.
— Raconte. Je veux tous les détails.
De retour chez moi, Sandro s’extasie face aux exploits héroïques d’Antoine.
— J’aurais tellement aimé voir la tête de Dimitri, s’esclaffe-t-il. Pourquoi je ne suis jamais au bon endroit, au bon moment ?
— C’est vrai ça. T’étais où, d’ailleurs ? Heureusement que tu devais jouer mon garde du corps. Tu t’es volatilisé dès le début de soirée.
— Figure-toi que j’ai retrouvé une ancienne connaissance...
Il allonge ses bras avec grâce sur le dossier du canapé et croise les jambes à la manière de Sharon Stone dans Basic Instinct.
— Je me languis devant tant de suspense, m’avancé-je. Je l’ai déjà rencontré ?
— Ça m’étonnerait que tu t’en rappelles. On ne s’est vu que quelques fois dans les clubs libertins pendant mes premières escapades. Puis il a disparu de ma vie... jusqu’à présent.
— C’est fou ça ! Et alors ? Moi aussi je veux des détails !
— Il s’est bonifié avec les années ! Encore meilleur que dans mes souvenirs. Quand je l’ai croisé, il était en charmantes compagnies, mais il a vite abandonné ses conquêtes pour se consacrer à mon bien-être, et j’avoue que je ne suis pas peu fier d’avoir remporté le duel face aux deux avions de chasse qui se battaient pour lui.
— Ça, c’est mon Sandro ! Et après ?
— Après j’ai eu droit à une petite séance de shibari à m’en scier les jambes.
— Oh bordel !
Mon estomac se serre. J’adorais être attachée. Sentir les liens épouser mes membres jusqu’à ne plus contrôler un seul mouvement, chaque nœud appuyer sur des points stratégiques, être à la merci totale de son maître, me procuraient un sentiment extrême de lâcher prise. Mais c’était avant d’avoir failli y rester.
Une grosse erreur de débutant.
Après m’avoir traîné par les cheveux devant une assemblée haletante jusqu’au podium, il leur avait offert un show des plus sensuels, mon corps en offrande à son public.
Dim voulait tenter des nœuds différents pour impressionner les convives. J’ai tout de suite perçu que la corde était mal positionnée. Pourtant, je n’ai rien dit. Emportée par l’euphorie du moment, je l’ai laissé achever son œuvre. Il aurait dû vérifier avant de me suspendre au crochet. J’aurais dû protester, comme je sais si bien le faire. La tension de mon poids qui tend les liens. Ma trachée comprimée. Sandro a bien remarqué que quelque chose n’allait pas. Je me souviens de son cri avant le noir.
Il était trop tard.
Mon ami, trop préoccupé par cette rencontre fortuite rétorque, sans se douter de mon trouble :
— En effet ! Et il s’y connaît le garçon. J’en suis encore tout retourné. Dans tous les sens du terme !
Il m’entraîne malgré moi dans un fou rire et Opale nous rejoint, curieuse. Je lui rends sa caresse et mon cœur se fane de mélancolie :
— T’as eu plus de veine que moi. Dès qu’Antoine découvrira qui est derrière le masque, Alana va sérieusement descendre dans son estime.
— Pourquoi t’as pas dévoilé ton identité tout de suite ?
— J’en ai aucune idée. J’étais sous le choc de le voir. J’étais aux prises avec Dim. Il m’a sorti de ses griffes, tel un preux chevalier. Il était si doux, si prévenant...
— Doux et prévenant ? Ce sont en effet les qualités premières pour entraîner un homme dans un donjon.
— Je sais ce que tu penses et tu as raison. Je n’aurais jamais dû jouer à ça avec lui. Je crois que je m’attache à cet homme. J’ai l’impression de l’avoir trahi.
Je ravale un sanglot, mais il reste bloqué dans ma gorge.
— Eh, chérie, n’oublie pas qu’il n’est pas si innocent que ça, ton Antoine. C’est pas toi qui l’as invité dans un club BDSM. Et personne ne l’a forcé à monter dans une chambre avec une inconnue, alors qu’il commence à flirter avec une autre femme. Qui se trouve être une seule et même personne, mais ça, il l’ignore.
— On a rien entrepris tous les deux. Il n’a jamais été question de flirter. Je ne l’avais pas envisagé avant ce soir. Il est libre de voir qui il veut. Tous les torts sont pour moi dans cette histoire. Je suis un être abject. Je ne mérite pas un homme comme lui.
Sandro enroule ses longs bras autour de moi et plaque sa joue chaude contre la mienne.
— Mais non, ma vie, t’es fantastique. Et je suis sûr que ton libraire l’a également remarqué. Si tu lui parles à cœur ouvert, il comprendra. Peut-être même qu’il te suivra dans tes fantasmes. Tu as des atouts plutôt convaincants ! s’esclaffe-t-il, en tirant sur mon décolleté.
Je lui envoie un coussin dans la tête qui me revient en boomerang et une bataille de polochons, rythmée de cris perçants, anime la fin de cette nuit intense en émotions. Sandro parvient l’espace d’un instant à me faire oublier le bourbier dans lequel je m’enlise, mais derrière l’hilarité, l’angoisse de me confronter à mes erreurs gagne du terrain.
— Et Dimitri ? Tu penses en avoir fini avec lui ? assène mon ami sans prévenir.
— Après les frasques d’Antoine, il doit être furieux. Je m’attends au pire.
— Oui, le connaissant, c’est évident. Mais c’est pas ce que je voulais dire. Si ton héros n’avait pas bravé les flammes, tu serais tombée dans les griffes du dragon ?
Sandro a vraiment le don pour appuyer sur les zones sensibles. Il est exclu de lui taire la vérité, son détecteur de mensonges intégré le remarquerait aussitôt.
— Je te cache pas que j’ai ressenti une pointe de jalousie lorsque je l’ai surpris avec cette femme, avoué-je, honteuse. Mais vu comment il s’est comporté depuis son retour, je n’ai aucune envie de revivre ça.
— Voilà ce que je voulais entendre, applaudit-il.
— J’espère seulement que sa riposte ne sera pas trop douloureuse.
— Mets un t-shirt de Poutine, il osera plus te toucher !
Le fou rire nous reprend et les lancers d’oreillers aussi. On discute ainsi le reste de la nuit, lorsqu’au petit matin, une notification nous interrompt.
— Qui t’envoie un message à six heures du mat ?
Je blêmis devant l’écran.
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