Confortablement installé sur une banquette en charmante compagnie, Dimitri ne me quitte plus des yeux. La jeune femme qui dévore son cou de baisers ne semble pas l’émouvoir, pourtant, j’ai du mal à rester indifférente devant cette scène.
Il l’a fait exprès pour me tester, j’en suis sûre. Il savait que je serais là. Il savait que me surprendre ainsi réveillerait mes vieux démons. Il le savait. Je le lis dans ses pupilles aussi sombres que son âme.
Je ne reste prostrée que quelques secondes, mais cela suffit à afficher cet air conquérant sur son visage. Je ne le laisserai pas remporter la partie, cette fois.

J’avance vers lui d'une démarche chaloupée. Son corps se tend à la vision du mien qui se rapproche et je gagne encore en assurance.

— Bonsoir Dim.
— Roxane. Content de te voir.

L’inconnue décolle enfin ses lèvres pour me jauger de haut en bas.

— Tu nous présente pas ? le nargué-je.
— Tu veux participer ?
— Ça ne me dérange pas, conclut l’autre.

J’ai presque envie de rire devant l’innocence de l’agneau entre les bras du loup, mais elle me fait de la peine, finalement.

— Désolée, je ne pense pas que tu sois prête pour ce jeu. Toi non plus, d’ailleurs.

Si ma dernière phrase a le mérite d'aiguiser les crocs de la bête devant moi, elle éveille aussi sa curiosité :
— Tu m’intéresses. C’est quoi ton plan ?

J’aime quand le chasseur devient chassé ! Un simple sourire en coin et je m’éloigne en direction du billard, attendant qu’il me rejoigne. Sa réaction ne tarde pas. J’ai ferré le poisson :
— Tu t’en vas où, comme ça ? invective-t-il, en me retenant par le bras.

Durant toute la semaine, je me suis demandé comment affronter ce problème sans pâtir des conséquences, jusqu’à ce que je m’aperçoive que la solution était devant moi tout ce temps. Si j’ai toujours surmonté les obstacles en gardant mon intégrité, ce n’est pas pour y renoncer maintenant et ma meilleure arme reste la provocation.

— Je te l’ai dit, Dimitri. Tu n'es pas à la hauteur de mes attentes.

Attaquer la virilité de monsieur Lazarev équivaut à secouer une cape rouge sous le nez d’un taureau énervé. Il tente de bloquer mon bras dans mon dos pour me coller contre lui. Heureusement, j’ai appris à ses côtés à manier l’art de la tauromachie en vraie virtuose et je parviens à me dégager de son emprise d’un simple demi-tour.

— C’est donc ton choix ? Je pensais que ton travail comptait plus que ça pour toi, menace-t-il.

Nous voilà au deuxième acte. Quelle tournure va prendre ce vaudeville ? Aura-t-il un dénouement heureux ou tragique ? La fin n’est pas encore écrite, mais j’ai bien l’intention d’assurer le premier rôle jusqu’au bout.

— Écoute-moi bien. Je suis très performante dans mon boulot. Si tu signes ce contrat, je te garantis de tripler ta mise en deux semaines. En revanche, si tu veux ruiner ma carrière, non seulement il te faudra de sacrés arguments pour me décrédibiliser auprès des autres investisseurs, mais tu perdras tout. Je disparaîtrai avec la fortune que je gagnerais en procès et tu ne me reverras plus jamais. Maintenant, c’est à toi de choisir.

Il ne l’avait pas senti venir, ce rebondissement ! Ma poitrine se gonfle d’orgueil face au dépit inscrit sur son visage.

— Tu penses pouvoir t’en sortir aussi facilement ?
— Tu ne m’auras pas de cette façon, Dimitri. Tu ne m’auras plus tout court.

Échec au roi.