CHAP 83
La nuit de Jenna fut complètement perturbée. Trop d'évènements, trop de pressions, trop de révélations que son cerveau n'arrivait plus à gérer. Et tellement de questions aussi...
Pourquoi Jimmy était passé à l'acte ?
Pourquoi les filles et elle-même devaient subir un procès si violent alors quelles étaient les victimes ?
Pourquoi avait-il fallu que Mandy surprenne cette maudite conversation ?
Tout à coup, Jenna réalisa que le danger ne venait non plus de Gwendal et de ses hommes, mais bel et bien de Mandy. C'était elle l'instigatrice du guet-apens de Gaby, et c'était encore elle qui faisait chanter Jimmy. Et, Jenna en mettrait sa main à couper, elle ne s'arrêterait pas là. Elle en voudrait toujours plus ! Mandy exploiterait la moindre parcelle des informations qu'elle tenait en sa possession et ce, jusqu'au bout. Elle n'hésiterait pas à se servir de Jimmy et sa famille, c'était une certitude, se désola-t-elle. Ce fut à ce moment que la solution à leur problème qui pouvait les sauver tous, germa dans son esprit. C'était la même que celle par laquelle Mandy et Jimmy avaient eu recours et elle s'avérait horriblement radicale. Il fallait l'éliminer !
Sans Mandy dans leur paysage, Terry ne pourraient plus rien contre eux, et seulement alors, Jimmy, Joey et elle, pourraient envisager un futur. Mais comment mettre en place un tel scénario ? Elle n'était pas aussi machiavélique que Mandy, ni qu'aucune autre personne provenant du Secret' Club. Elle n'était non plus, pas assez courageuse pour aller au bout de son idée. Elle devait trouver quelqu'un pour le faire à sa place et elle savait très bien vers qui se tourner, encore...
Bien que Jimmy dormait à ses côtés, son sommeil ne paraissait pas serein. Il tournait et tournait dans le lit, donnant l'impression d'être entré en conflit contre quelqu'un. Doucement, afin de ne pas le surprendre, elle caressa du bout de ses doigts, l'épaule de l'homme avec qui elle partageait le même lit. L'effet fut immédiat, Jimmy se calma instantanément. Prise d'une subite envie de le sentir encore plus près d'elle, elle l'enroula de ses bras et de ses jambes et se calla contre ce corps si puissant et si rassurant.
Elle s'interrogea alors sur ce que serait sa vie si elle ne l'avait jamais rencontré. En toute logique, elle et les filles feraient très certainement toujours partie du business de Gwendal. L'épisode avec Lewis aurait peut-être été différent, moins horrible, puisque Lewis ne se serait pas servi d'elle pour atteindre les Laroche, mais il aurait bien eut lieu. Elle supposait qu'il lui aurait fait subir l'horreur dans une des chambres secrètes, comme il l'avait fait avec les autres filles et qu'il serait parvenu à ses fins, la détruire partiellement, voir complètement...
En conclusion, si elle n'avait pas rencontré Jimmy, elle serait toujours prisonnière et abîmée. Elle n'aurait pas d'enfant, et donc, pas de famille. Elle n'aurait pas connu Jacqueline et Michel et leur famille un peu hors norme, et surtout, elle n'aurait rien à quoi se raccrocher pour garder la tête hors de l'eau. Sans espoir, elle aurait purement et simplement sombrée. Elle serait devenue une épave, comme cette pauvre Louise...
Prise d'une subite angoisse, elle resserra un peu plus, si c'était possible, les bras autour de Jimmy. Alors que les larmes qu'elle n'arrivait plus à retenir, glissèrent le long de ses joues pour aller s'écraser sur Jimmy, elle s'accrochait à lui comme s'il allait brutalement disparaître à jamais. "Faites qu'on ne soit plus jamais séparés, s'il vous plaît, je ne le supporterait pas !", murmura-t-elle tout contre sa peau devenue mouillée et salée par ses larmes.
Le lendemain matin, Jenna était déterminée à régler le problème Mandy. Durant la nuit, elle avait cherché une solution moins radicale que celle qui était de l'éradiquer de la surface de la terre, mais elle était consciente que lorsque cela impliquait cette garce de Mandy, il n'y avait pas à réfléchir. C'était une personne sans scrupule, qui n'hésitait pas à employer des méthodes expéditives pour arriver à ses fins, si peu glorieuses furent-elles. Elle avait piégé Gaby en simulant un accident de la route, dans le seul but de lui prendre sa place. Elle était capable des pires vilénies, elle n'avait pas d'autre choix que de mettre un terme à tout ça.
Pour passer son appel, elle devait attendre que Jimmy, qui prenait sa douche, parte au travail. Il était prévu qu'ils fassent une partie du chemin ensemble, le tribunal étant sur sa route. Mais afin d'avoir le champ libre, Jenna avait anticipé une raison plausible d'un changement de programme qu'elle avança lorsque Jimmy fut prêt à partir.
— Finalement, tu vas partir sans moi. Nessy a demandé à Boris de passer me prendre pour qu'on se rende toutes les trois au tribunal. Ça ne te dérange pas ?
— Si, beaucoup, lui répondit-il en passant devant elle, mais sans lui jeter un regard.
— Ah bon ? Je pensais qu'au contraire, ça t'arrangerait de ne pas avoir à me déposer...
La raison paraissait logique, elle espérait qu'il ne soupçonnerait rien.
— Cela m'aurait effectivement arrangé si je ne me rendais pas moi aussi au tribunal. C'est bon, tu es prête ? enchaîna-t-il. On peut y aller ?
L'air détaché qu'il avait prit pour parler ne la rassura pas. Quelque chose dans son attitude la dérangea, mais elle ne sut quoi exactement. Elle préféra jouer la prudence en ne relevant pas, en ne cherchant pas à approfondir, de peur de le mettre sur la voie.
— Du tout, répondit-elle en souriant. Bien au contraire. Je vais envoyer un sms à Nessy pour la prévenir.
— Tu le passeras dans la voiture, il faut vraiment qu'on parte.
Devant le visage fermé et le ton sec qu'il avait employé, Jenna n'insista pas et passa le pas de la porte qu'il lui indiquait d'un geste de la main. Quelle mouche l'avait piquée ? Il paraissait pourtant de bonne humeur en se levant...
La route se passa en silence. Jimmy n'étant décidemment pas bavard, Jenna dut prendre sur elle pour ne pas l'interroger sur ce silence devenu pesant. Mais que s'était-il passé entre le moment où il était entré dans la salle de bain, et celui où il en était sortit ? Elle ne voyait vraiment pas. Elle procéda par élimination, mais rien, aucun indice ne lui apparaissait être la raison du changement de comportement de Jimmy. Elle se résigna à laisser tomber. Il se fatiguerait sûrement avant elle. Elle avait pris soin de faire mine d'envoyer un sms à Tennessie car même si cela ne lui plaisait pas, il fallait bien aller au bout de son mensonge.
Quand ils arrivèrent, Jimmy la prit par la main, et pas une fois, il ne la lâcha pas. Si l'idée de lui fausser compagnie le temps d'un petit tour aux toilettes du tribunal germa dans son esprit, elle dut finalement se résoudre à ne rien en faire car à chaque fois qu'elle desserrait sa main afin de lui échapper, celle de Jimmy se refermait avec force sur la sienne, l'emprisonnant toujours un peu plus. Ils entrèrent dans la salle du tribunal et s'installèrent derrière les filles qui étaient déjà arrivées mais aussi derrière les deux avocates qui les représentaient.
N'ayant pas pu expliquer à Tennessie l'alibi dont elle avait fait l'objet, Jenna s'abstint d'y faire référence lorsque celle-ci se retourna pour les saluer, elle et Jimmy.
— J'ai une de ses trouilles, je vous raconte même pas, leur dit-elle gravement.
— C'est normal, répondit Jimmy bienveillant, mais ça va bien se passer. À quelle heure tu passes ?
— Dix heures.
— N'y pense pas pour l'instant. Ça viendra bien assez vite, ajouta-t-il en se penchant pour lui serrer le haut de l'épaule en signe de compassion. Si tu ne te sens pas bien, dis le moi. On ira faire un petit tour pour te calmer, d'accord ?
Tennessie lui répondit par un sourire. Jimmy n'avait pas oublié leur petite conversation lorsqu'elle se plaignait de ne pas avoir Gros Pat avec elle pour affronter l'un des pires moments de sa vie. Elle comprit pourquoi il n'était pas allé travailler, contrairement à ce que lui avait affirmé Jenna le soir précédent. Elle apprécia d'autant plus... Jimmy était vraiment un chic type.
Le procès commença à l'heure, avec le témoignage d'une énièmes filles de Gwendal. Jenna ne la connaissait pas et elle se demanda combien de filles avaient accepté de venir à la barre. Il en fallait du courage pour franchir ce cap.
La jeune femme, prénommée Camille, raconta son histoire, tellement ressemblante à toutes les histoires entendues jusqu'alors. Enlevée à dix-huit ans, elle fut jetée dans une vie à l'opposée de celle qu'elle avait connu jusque là. Jenna écoutait avec émotion, le témoignage poignant de ces années passées dans l'antre du diable. Instinctivement, ce fut vers Jimmy qu'elle chercha du réconfort. Elle passa son bras autour du sien et posa la tête contre son épaule. Bien qu'il était distant avec elle depuis l'appartement, il l'entoura de son bras puis l'embrassa sur le front.
— Si ça ne va pas, tu le dis. On sortira.
Jenna acquiesça d'un signe de tête, chassa d'un clignement les larmes qui avaient envahit ses yeux, puis tout en se pelotonnant contre lui, elle reporta son attention vers Camille. Devenue une éponge à émotion, Jenna revivait au travers de son récit, les insultes, les coups, les viols, les humiliations, qu'elle avait elle-même subit. Elle s'identifiait avec une facilité effroyable à Camille. Toutes, elles avaient vécu la même histoire, différente dans la forme, mais tellement identique dans le fond...
Bien qu'absorbée par les paroles de Camille, Jenna sursauta quand le portable de Jimmy vibra dans la poche de sa veste. Elle le vit lire le sms, et curieuse, elle dirigea innocemment son regard vers le téléphone ou elle pu y lire le message laissé par Alfred.
"Ils sont là, dans la salle des pas perdus."
Jimmy dut retirer le bras qui tenait Jenna contre lui pour répondre. Cette dernière, intriguée par le contenu du message, ne se priva pas pour lire la réponse.
"Ok. C'est bientôt la pause, à tout à l'heure."
— Qui est là ? ne put-elle s'empêcher de demander.
Jimmy rangea son portable dans la poche de sa veste et passa à nouveau son bras autour d'elle, la forçant à se réinstaller comme avant le sms.
— Tu vas le savoir très vite, répondit-il d'un ton énigmatique.
Jenna se tut et tout en réfléchissant à l'identité mystère des personnes se trouvant juste derrière la grande double porte en bois, elle regarda à nouveau Camille qui s'était effondrée, comme toutes les filles qui l'avaient précédées.
Le juge, au vu de la profonde détresse du témoin devenu trop fragile, décida de suspendre la séance pour trente minutes. La salle se vida doucement, les gens en profitant pour se dégourdir les jambes, prendre l'air et un café. Jenna suivit le mouvement, enfin plutôt Jimmy qui avait emprisonné la main de la sienne, la tirant vers l'extérieur.
Une fois dehors, il se mit sur la pointe des pieds pour voir par deçà les gens qui lui bouchait la vue. Jenna se doutait qu'il cherchait Alfred qui devait sûrement être accompagné des mystérieuses personnes. Quand il les repéra, il se tourna vers Tennessie et Victoria pour les enjoindre à le suivre.
Alfred était accoudé au distributeur à café. Tennessie alla le saluer avant de se ruer sur la machine.
— Si j'ai pas ma dose de caféine, je vais dépérir ! s'insurgea-t-elle à la limite de la crise d'angoisse.
Jenna remarqua le demi-sourire qui s'inscrivit sur le visage d'Alfred, puis celui plus franc de Jimmy.
— En fait, c'est d'un joint dont j'ai besoin, enchaîna Tennessie, toujours à la limite de la crise d'angoisse. Vous n'avez pas des feuilles Alfred ?
Ce dernier, habitué aux exagérations de la jeune femme, leva les yeux au ciel tout en souriant de toutes ses dents. Tennessie ne s'avoua pas vaincue pour autant et ce fut avec le plus grand des sérieux qu'elle lui demanda :
— Une petite ligne de blanche ? Ou sinon, une seringue ? Vous n'emportez pas de seringue avec vous Alfred ?
Devant l'air tout aussi sérieux et sincèrement désolé d'Alfred qui haussait les épaules, elle soupira de découragement.
— Ils vont m'abattre avant même que je prononce une parole, lâcha-t-elle résignée.
Ce fut à ce moment qu'une femme d'une cinquantaine d'année, très élégante, s'avança près de Tennessie.
— Ninie ?
Jenna regarda son amie se raidir alors qu'elle se tournait en direction de la voix.
La femme recula d'un pas et tenta un sourire rassurant.
— Mon Dieu ! murmura Tennessie en mettant une main tremblante sur son cœur et en prenant appuie sur la personne la plus proche d'elle, c'est-à-dire Alfred.
— Oui, c'est bien nous Ninie. On est tous là pour toi.
La pauvre Tennessie tenait à peine sur ses jambes. Le choc était violent d'autant plus que visiblement, elle n'avait pas été préparée à cette rencontre.
— Maman ? dit-elle d'une voix chevrotante.
La femme hocha la tête.
— Oui.
Victoria porta ses mains à sa bouche d'étonnement. Jimmy et Alfred savouraient cet instant rare. Jenna sentit son ventre se nouer sous le coup de l'émotion trop intense du moment.
La mère de Tennessie osa toucher le bras de sa fille. Ce fut le déclic pour que cette dernière tombe dans ses bras. Un homme et une jeune femme se mêlèrent aux retrouvailles, et Jenna n'eut plus vue sur son amie, entourée de ses proches retrouvés. Lorsqu'elle reprit ses esprits et qu'elle vit l'air béat de Jimmy et de son oncle, elle profita de l'occasion, certainement la seule qu'elle aurait, pour s'esquiver sans que personne ne s'en aperçoive. Elle se dirigea vers les toilettes, mais n'y entra pas. Elle s'isola pour passer son appel.
Cylian décrocha dès la première sonnerie. Jenna ne le laissa pas parler, elle n'avait pas de temps à perdre. Elle lui exposa alors sa requête :
— Si je te demande de trouver quelqu'un pour nous débarrasser de Mandy, le feras-tu ?
— Et bien, heureusement que je suis sur une ligne sécurisée. On serait déjà en mode arrestation sinon.
Réalisant son imprudence, Jenna fit mine de maîtriser le sujet.
— Pourquoi crois-tu que je suis si directe ? Sérieusement, est-ce que tu as un homme de confiance qui pourrait se charger d'éliminer Mandy ? Je paierais ce qu'il faut. Ne me dis pas non, s'il te plaît...
Elle se rendait bien compte qu'elle était pitoyable à l'implorer de la sorte, mais elle n'avait pas le choix.
— Beauté, tu sais très bien que je ne peux rien te refuser, mais tu n'as pas une autre personne à me proposer ? Parce qu'il y a déjà un contrat sur la tête de Mandy.
— Comment ça ?
Puis, d'un coup elle fit le rapprochement avec le comportement à la fois étrange et énervé de Jimmy depuis le matin. Ce pouvait-il qu'il soit à l'origine du contrat ?
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