CHAP 79
Cela faisait bien deux heures que Jenna était enfermée dans une salle du tribunal. Elle n'était pas seule, les avocates, Maître Dabe-Lucidor et Maître Caret, deux femmes qui n'avaient pas froid aux yeux et qui s'occupaient de l'affaire du Secret's Club, s'entretenaient avec elle pour que son passage en tant que témoin soit le moins traumatisant possible. Jimmy attendait dans le couloir en faisant les cent pas. Lorsque la porte s'ouvrit, il se précipita sur Jenna. Si elle était entrée confiante dans la salle, elle en sortit complètement chamboulée.
— Ça va ?
Il l'attira vers lui à peine eut-elle passé le pas de la porte.
Un des avocats lui répondit.
— Nous avons passé une heure à lui poser le genre de questions auxquelles elle va avoir droit quand elle passera à la barre. Nous ne l'avons pas ménagée pour qu'elle sache à quoi s'attendre.
Jimmy s'adressa à Jenna :
— Tu peux encore renoncer...
— Elle a pris sa décision monsieur Laroche. Elle témoignera. Nous l'avons bien étudiée durant notre petite mise en scène, elle est forte, elle tiendra bon, ne vous en faites pas pour elle.
— C'est bon Jimmy, ça va aller. J'ai connu pire que ça... Je m'en sortirai.
— On se retrouve dans la salle d'audience. À tout à l'heure Jenna. Monsieur Laroche.
Les avocates partirent se préparer pour un nouvel acte dans l'affaire du moment, celle qui occupait toutes les unes des journaux papiers et télévisés.
— Viens, on va se boire un café. Tu veux manger un morceau avant que ça ne commence ?
Jenna accepta de bonne grâce et ils sortirent du tribunal pour rejoindre une restauration rapide qui se trouvait à deux pas.
Les yeux dans le vague, Jenna fixait la fumée qui s'élevait de son café. C'est elle qui avait refusé la présence de Jimmy près d'elle lors de son entrevue avec les avocates. Il y avait une raison à cela, et elle voulait l'avouer à Jimmy, mais elle ne savait pas comment si prendre.
— Jimmy, se lança-t-elle. Je vais te dire pourquoi j'ai voulu être seule avec les avocates.
Levant les yeux du journal qu'il lisait, il l'a regarda intrigué. Il s'était bien demandé pourquoi il avait été maintenu à l'écart, mais il avait pensé que c'était une exigence des avocates, ce qu'il pouvait comprendre.
— Je t'écoute.
— C'est moi qui ai demandé à Maître Dabe-Lucidor et à Maître Caret que tu ne sois pas présent. J'avais des choses à leur expliquer. Des choses que je ne suis pas capable de dire si tu es là...
— D'accord. Jenna je peux le comprendre ça. Tu n'as pas à en faire un secret d'état. Tu me le dis simplement, c'est tout.
— Ok.
Il lui prit la main, pour la rassurer et lui garantir son soutien sans faille.
— Je vais raconter ce qui s'est passé dans la suite, le soir où on devait s'évader avec Nessy.
La main de Jenna s'était subitement mise à trembler. Quand Jimmy le sentit, il l'emprisonna entre les deux siennes, lâchant le journal qu'il tenait d'une main.
— Si tu ne veux pas entendre, je le comprendrais. Tu n'es pas obligé d'être là... D'ailleurs ce serait mieux que tu ne sois pas là... parce qu'elles, les avocates, vont se servir de la vidéo... C'est pas beau ce qu'il y a dedans, c'est pas une belle histoire...
Devant la détresse de Jenna, Jimmy, qui était assis en face d'elle, vint s'asseoir près d'elle pour la prendre dans ses bras.
— Chut, calme-toi. Pense pas à ça maintenant.
— Je veux que Terry paye. Je sais qu'Alfred m'a demandé de ne pas me servir de ça contre lui, à cause de Gros Pat, mais je ne peux pas le laisser s'en sortir. Je veux qu'il paye pour ce qu'il a fait.
— Ok. On trouvera un moyen pour Patrick, ne t'inquiète pas pour lui. Fais ce que tu penses être le mieux pour toi, on se débrouillera avec le reste d'accord ?
La tête appuyée contre son torse, elle essaya de se calmer, mais rien que d'imaginer la réaction qu'il aurait en visionnant la vidéo, lui fit une peur atroce. Comment allait-il la voir après ça ? Comment allait-il la juger ? Est-ce que seulement il voudrait encore d'elle ? Elle craignait aussi qu'il ne s'enfonce un peu plus profondément dans son désir de vengeance.
— Les avocates vont demander à ce qu'elle soit montrer en huit clos, ajouta-t-elle en s'essuyant les yeux parce qu'ils la jugent trop insoutenable à voir. Dans ce cas, seulement le jury, le juge, la greffière et les avocats des deux parties y auront accès, mais dans le cas contraire, si elle est rendue publique, je te demande de ne pas rester dans la salle. Je ne veux pas que tu me vois... comme ça.
Jimmy souffla avant de prendre la parole. Il mesura ses propos pour qu'à la fois, elle ne se fâche pas et qu'elle ne prenne pas peur.
— Il se trouve que je l'ai déjà visionnée...
Le cœur de Jenna se glaça.
— Que... Quoi ? Comment ?
— J'ai pris la carte mémoire dans les affaires de mon oncle. J'en ai fait une copie et je l'ai remise sans qu'il ne s'en aperçoive...
Jenna avait relevé la tête alors que Jimmy finissait son explication.
— Oh mon Dieu ! Tu l'as vue ?
Elle était terrorisée et dans son regard, Jimmy y vit l'enfer qu'elle avait vécu.
— Oui.
Un silence pesant s'installa alors sur eux. Ils n'entendirent même plus les conversations des gens autour d'eux. Ils s'enfermèrent dans une bulle, comme pour se protéger de toute agression extérieure.
— Je t'aime Jenna, n'en doute jamais.
Jenna glissa ses doigts entre ceux de Jimmy et les serra.
— Donne-moi la force d'aller jusqu'au bout, lui dit-elle comme une prière. Aide-moi à les envoyer pourrir derrière les barreaux.
— Ils iront, sois en certaine. En ce qui me concerne, ils sont déjà morts. Finis ton café, il va bientôt être l'heure.
Quand ils eurent fini, ils sortirent main dans la main, très secoués par leur échange. Contrairement à ce que Jenna s'était imaginée, la vidéo les rapprochait encore un peu plus. Elle avait cette sensation réconfortante que cet homme qui se tenait à ses côtés, était son ange gardien. Tant qu'elle serait dans son sillage, il ne pourrait plus rien lui arriver de mal. Elle voulait tant y croire, mais quelque part au fond d'elle restait bien ancré la crainte que tout cela ne s'arrête. Qu'un jour, elle perde tout, son enfant, celui qui allait devenir son mari et la famille qui allait avec, son cercle d'amis...
— Reste avec moi, le supplia-t-elle.
— Je ne te lâche pas !
Ensemble ils avancèrent jusqu'aux portes de la salle d'audience. Jimmy les ouvrit et ils pénétrèrent dans ce qui allait devenir le nouveau supplice de Jenna.
...
La première impression de Jenna fut de se croire dans un film. Ce n'était pas elle qui était là, assise juste derrière Victoria, Tennessie et les deux avocates. Ce n'était pas sa main que Jimmy emprisonnait si fermement dans la sienne et qui lui lançait des coups d'oeil en coin parce qu'il était inquiet. Mais surtout, ce n'était pas elle que Gwendal et Terry fusillaient de leurs regards si durs et si froids. Mais alors si ce n'était pas elle qui était visée, pourquoi était-elle parcourue d'un frisson si glacial qu'elle dût détourner son regard d'eux pour pouvoir reprendre sa respiration. Sa main devint si subitement moite, que Jimmy s'en aperçut immédiatement.
— Si tu veux partir, on s'en va tout de suite, lui proposa-t-il déjà prêt à se lever.
— Il faut absolument qu'elle reste, avertit Maître Dabe qui avait entendu à ses dépends. Il faut qu'elle s'habitue à leur proximité. Sans ça, elle ne tiendra pas deux secondes face aux avocats de la partie adversaire.
Jimmy fit fi des propos pourtant prévoyants de l'avocate :
— C'est toi qui décides. Si tu veux rentrer, on rentre !
Jenna lança un bref coup d'œil vers le box des accusés avant de lui répondre.
— Non, Maître Dabe à raison. Je dois rester. Il faut que j'arrive à supporter leur regard sur moi, à leur présence, même si ça m'est insupportable de les voir...
L'avocate fit un clin d'œil encourageant à Jenna puis se retourna pour préparer les feuilles du dossier qui lui serviraient durant l'audience.
— J'ai vécu pire, murmura-t-elle pour se convaincre que c'était la bonne décision. J'ai vécu pire ; j'ai vécu pire ; j'ai vécu pire...
— Ne cherche pas à les affronter du regard, lui conseilla Victoria. Ignore-les, ils n'en valent pas la peine.
— Et puis c'est sur nous que repose l'issue du procès, renchérit Tennessie, donc ne pense qu'à ça. Concentre-toi sur ce qu'il se passe droit devant toi et pas sur ce qu'il y a sur la gauche, ok ?
Jenna hocha la tête, comprenant parfaitement l'enjeu du procès.
— On va les niquer ! conclut Tennessie, très sûr d'elle. On est en train d'inverser les rôles et c'est un juste retour des choses, tu ne crois pas ?
— Si. Mais j'ai juste un peu de mal à me dire qu'ils sont dans la même pièce que moi et qu'ils ne peuvent pas m'atteindre, c'est très déstabilisant.
— C'est pas comme si une paroi en verre épaisse de cinq centimètres et un beau bébé à la carrure d'un rugbyman se trouvait entre toi et eux, hein ?
L'air moqueur de Tennessie en désignant Jimmy réussit à arracher un semblant de sourire à Jenna.
— Allez déstresse poulette, le temps va passer aussi vite qu'une lettre qui rentre dans une boite aux lettres !
Victoria leva les yeux au ciel, les avocats soupirèrent de concert, et Jimmy parut complètement désespéré, mais l'arrivée d'Alfred recentra l'attention de tout ce petit monde sur l'origine de leur présence dans ce même lieu, et tous revêtir le même masque grave et impassible pour ne le quitter qu'à la fin de l'audience. L'ambiance s'enfonça encore plus dans la gravité avec l'entrée du juge des assises, de l'avocat général et du jury, rendant l'instant crucial.
Jenna inspira profondément alors qu'Alfred lui tapota amicalement l'épaule en signe d'encouragement avant de s'installer près de son neveu. Puis, afin de s'adresser à elle, et ce malgré le gabarit de Jimmy qui la cachait presque intégralement de sa vue, il dut se pencher exagérément :
— Mon père te passe le bonjour Jenna. Surtout pense à lui dire que je t'ai bien transmis le message, si tu tiens ne serait-ce qu'un petit peu à ma santé mentale...
— Je le lui dirais Alfred, merci, lui répondit-elle en souriant.
— Et moi, j'ai le droit à rien ? s'étonna Jimmy.
— Il ne t'a même pas mentionné. Désolé...
— Sympa le pépé...
Bien que Jimmy se renfrogna légèrement, il n'eut pas le temps de râler, la séance commença par le témoignage de Paula, une ancienne prostituée qui pratiquait dans l'une des maisons closes que possédait Gwendal. Le tableau qu'elle en fit eut de quoi choquer, effrayer et révolter le public épanoui de la salle. Agée de vingt-trois ans, la jeune fille raconta avoir été enlevée sur une aire d'autoroute alors qu'elle faisait route avec ses parents et son frère vers la destination de leurs vacances. Elle avait alors quatorze ans...
Le procès avait commencé depuis plusieurs semaines mais malgré tout, le public et les jurés n'arrivaient pas à s'habituer aux témoignages particulièrement durs et poignants de ses toutes jeunes femmes qui avaient été injustement arrachées à leurs vies d'avant pour atterrir droit dans l'enfer. Voir la souffrance, le dégoût, s'inscrirent sur leurs visages déjà marqués par cette vie impitoyable ; voir les larmes de la honte glisser le long de leurs joues, attristaient les mères de famille présentes dans la salle.
Les accusés, quant à eux, gardaient la tête haute. Se sachant d'avance condamnés, rien n'était plus amusant que d'agacer la partie adverse en se comportant comme si ce qu'ils avaient fait n'était finalement pas si grave. Mis à part Gwendal qui pour avoir perdu son empire, avait du mal à assimiler la situation et avait une tête de chien battu, et Terry qui lui se sentait invulnérable grâce au chantage qu'il faisait à Alfred Laroche...
Plus Jenna le regardait, plus elle se convainquit qu'elle avait raison de l'inclure dans son témoignage. Il ne pouvait pas continuer à arborer cet air de vainqueur indéfiniment. Elle voulait qu'il déchante. Elle voulait le voir supplier la clémence du jury. Elle désirait plus que tout le voir être lynché en public. Mais rien de ce qu'elle désirait au plus profond d'elle-même ne se passerait pas si elle tenait sa langue et ce temps là était bel et bien définitivement révolu. Elle était plus que décidée à s'octroyer le droit à la parole. Elle se pencha pour avertir l'oncle de Jimmy de sa décision :
— Alfred !
— Oui ?
— Est-ce que je pourrais te parler après l'audience ?
— Bien sûr. Rien de grave j'espère ?
— Non, rien de grave.
Du moins elle l'espérait. Jimmy lui avait promis de trouver une solution pour Gros Pat, elle priait pour qu'il y en ait vraiment une car elle ne voulait pas lui causer du tort, c'était même la dernière chose qu'elle souhaitait.
Le témoignage de la jeune fille se termina par le contre-interrogatoire de la défense et Jenna put se rendre compte de la violence avec laquelle les avocats tentaient de démonter tous ses dires. Ils n'y parvinrent pas à chaque coup car Paula avait été bien préparée par Maître Dabe et Maître Caret et elle arrivait courageusement à leur faire face. Il faut dire aussi qu'avec la vie qu'elle avait menée à l'intérieur de la maison close, elle s'était bien endurcie et cela l'aidait sans aucun doute.
Quand enfin, après deux heures passées à être malmenée, elle quitta la barre, Jenna sentit ses forces la quitter d'un seul coup. Elle était épuisée alors que ce n'était même pas elle qui s'était défendue corps et âme. Pas encore en tout cas... Si Paula avait été très courageuse, Jenna doutait de l'être autant quand son tour viendra...
...
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