CHAP 70


De toute sa vie, Jimmy n'avait jamais assisté à pareil spectacle. Un repas chez Jacqueline et Michel pouvait être qualifié de tout sauf de repas à proprement parler. Les conversations partaient dans tous les sens, tout comme les gens qui partaient aussi dans tous les sens. Tout ce qui avait été placés en début de repas n'était plus au même endroit à la fin et cela ne concernait pas que les objets. Jimmy installé au milieu de la table près de Jenna, s'était retrouvé dans le coin, près du grand-père, avec pas moins de trois membres de la famille arrivés en cours de route et qui s'étaient posés là, le plus naturellement, entre lui et Jenna... Bien qu'il n'était pas à cheval sur les principes, il considérait qu'il y avait quand même un minimum à respecter !

Il soupira, lorsque pour la deuxième fois, son voisin le bouscula alors qu'il s'apprêtait à boire une gorgée de vin et qu'elle finisse sur sa main. Je suis dans un vrai cauchemar, pensa-t-il pressé d'en finir avec tout ce bazar.

Jacqueline, qui faisait ce qui pouvait s'apparenter de loin au "service" dans la famille de Jimmy, tendit une trousse à Michel. Celui-ci la repoussa vivement :

— Commence pas à m'emmerder avec tes conneries ! Ce soir, on a un invité, donc, je bois un coup ! prévint-il en ronchonnant.

— C'est pas quand tu veux que tu prends tes médocs, c'est TOUT LE TEMPS ! le reprit Jacqueline fermement. C'est marqué sur la notice du docteur, donc tu fais ce que je te dis de faire et c'est tout !

— Je l'emmerde la notice du docteur ! rugit-il en serrant le poing. C'est juste bon à me pourrir la vie. Ce soir je bois un coup et basta !!!

Jimmy qui ne voulait pas prendre part à la dispute, s'aperçut que son fils avait déserté la table. Il le chercha des yeux. D'où il était, il pouvait entrevoir le réfrigérateur dans la cuisine. Il vit Joey l'ouvrir et regarder avec attention à l'intérieur.

— Jenna ! l'interpella Jimmy, bien embêté du sans gêne du petit.

Cette dernière, prise entre les conversations de tout le monde, ne l'entendit pas et ce, bien qu'il réitéra ces appels. Joey eut tout le temps de prendre une chaise, de grimper dessus pour atteindre le yaourt qu'il s'était choisi, sous les yeux inquiets et estomaqués de son père. Jenna ne s'était même pas aperçu qu'il était sortit de table. Mais comment l'aurait-elle pu, vu l'agitation excessive du repas ? Mais elle le vit manger son yaourt.

— Joey ! On n'en n'est pas encore au dessert ! le sermonna-t-elle. Et puis t'as demandé à Jacqueline avant de te servir ?

— Nan, lui répondit le petit garçon en riant.

— Alors va au moins lui dire merci, s'il te plaît.

Joey obéit et descendit de sa chaise en s'agrippant au dictionnaire qui lui servait de rehausseur, ce qui paniqua son père tant la descente fut chaotique. Ce fut vers Michel qu'il se dirigea et pour se faire voir du retraité, il l'appela :

— Mimi, Mimi, Mimi...

Jusqu'à ce que le concerné daigne jeter un œil sur lui.

— Quoi mon petit ?

— Assi pou le youte, Mimi.

Michel comprit parfaitement le langage encore enfantin de Joey.

— Je t'ai déjà dit qu'on dit pas "merci", on dit : "J'en veux encore !" C'est comme ça que t'iras loin dans la vie.

Jimmy cacha son visage dans ses mains à cette réflexion complètement hallucinante. L'éducation des enfants était à revoir dans les grandes lignes et pas que...

Michel se pencha et l'enfant l'embrassa sur la joue puis retourna à sa place en grimpant à nouveau sur la chaise et en s'agrippant de façon incertaine au dictionnaire, fichant encore une petite frousse à son père au passage.

Il commençait sérieusement à regretter d'avoir accepté l'invitation de Jacqueline de rester dîner avec eux. S'il avait su à quoi s'attendre... Bien avant la fin du repas, la voisine au portail fit son entrée. Quand Jacqueline l'aperçut, elle l'accueillit chaleureusement en l'embrassant.

— Mes petits-fils t'ont rendu ce qu'ils t'avaient pris ?

— Justement, non !

Jacqueline se mit à beugler le nom des trois enfants qui avaient détalés sans que personne ne s'en rende compte.

— Les petits salopards ! Tu vas voir ce qu'ils vont prendre quand je vais les chopper ! dit-elle complètement remontée contre eux.

Cindy qui participait au repas, rétorqua à sa grand-mère :

— Tu dis ça à chaque fois, mais tu leurs fais rien du tout quand tu les a en face de toi !

Jacqueline, qui se trouvait être en face de Jimmy, le regarda d'un air navré.

— C'est ce qui se passe quand on aime trop ses gosses, lâcha-t-elle à son intention. Ils sont ma faiblesse...

Cela sonnait comme des excuses à la situation, mais Jimmy n'approuvait clairement pas. La limite qu'il pouvait supporter fut atteinte lorsque son regard fut attiré par un mouvement furtif au travers de la fenêtre qui donnait sur la rue. Il put voir deux des trois frères, Jason et Jordan, portant le portail en pvc, avancer avec détermination, suivit du petit frère, Jessy qui tout seul, s'était chargé du portillon. Jimmy suivit des yeux ce trafic très déroutant, trop déroutant, pour lui. Il avait envie de hurler "Au secours" tellement il était horrifié par la façon de vivre de la famille d'accueil de Jenna. Sans faire de bruit, et en se faisant le plus discret possible, ce qui en soit n'était pas très compliqué, il s'éclipsa de la salle-à-manger, grimpa l'escalier, se dirigea vers la chambre que Jenna et son fils occupaient et s'y enferma. Adossé contre la porte, il soupira un grand coup de soulagement et se massa les tempes pour se détendre.

— C'est définitivement une famille de fous ! décréta-t-il sidéré par ce qu'il venait de vivre.

Puis il regarda d'un œil critique la petite pièce dans laquelle il se trouvait. Excessivement simple, du mobilier vieillot, à la tapisserie défraîchie, l'ensemble en était déprimant... Puis son regard se posa sur l'article de journal punaisé au-dessus du petit lit à barreau de Joey. Il se vit lui, en photo, à côté de l'article où il avait été interviewé pour l'ouverture du cabaret. Il ne l'avait pas vu l'après-midi lorsqu'il avait rejoint Jenna. La chambre était dans la pénombre pour la sieste du petit. Mais cela lui mit du baume au cœur de comprendre qu'elle ne l'avait pas oublié. Au point de mettre sa photo juste au-dessus du lit de leur fils. Il y vit là un signe d'espoir sur la possibilité de la récupérer. Il espérait ne pas se tromper car cela l'achèverait que de rentrer sans eux...

La porte s'ouvrit tout doucement et Jimmy se retourna pour voir la tête de Jenna apparaître. Elle lui sourit et entra en refermant la porte.

— Ils sont trop bruyants pour toi ? avança-t-elle d'un air légèrement moqueur.

— Pour être honnête, ils sont TOUT trop. Comment peux-tu supporter autant de bruit, de cris, d'agitation... ? C'est jamais calme dans cette maison ?

— Je te l'ai dit, c'est une maison qui vit...

— Jenna, sérieusement, y'a vivre et vivre, tu crois pas ?

— Ils m'ont accepté comme j'étais, avec mon gros ventre... Ils ne m'ont pas jugé et ils ont été bons avec moi et avec Joey. Ils m'ont permise de me reconstruire. Ils m'ont aidé de tellement de façon, Jimmy. Ne les jugent pas mal, car au fond ce sont des gens biens...

— Je veux bien te croire, mais tu n'es plus seule maintenant. Je suis là !

— Oui, maintenant tu es là, mais tu ne serais pas là, je continuerais avec eux, sois-en sûr, parce qu'ils sont loin d'être ce que j'ai connu de pire, tu comprends ?

Il n'y avait pas d'énervement dans sa voix, mais elle restait bien campée sur sa position quand cela concernait Jacqueline et Michel. Jimmy dû prendre sur lui car il ne voulait pas froisser Jenna, et au fond de lui il était reconnaissant à cette famille au mœurs controversées, d'avoir pris soin des êtres qui lui étaient les plus chers.

— Je vais bientôt partir, dit Jimmy en s'asseyant sur le lit.

— Je sais.

— Ok.

Jenna s'assis près de lui.

— Quand est-ce que tu pars ?

— Demain.

— Ok.

Elle se triturait les mains, signe de sa nervosité, lui avait la bouche asséchée et aucun des deux ne se regardait.

— Je vais venir avec toi, dit Jenna après un certain temps. Je vais prévenir Jacqueline ce soir. Ça aurait été mieux d'attendre qu'elle ait trouvée une remplaçante, mais je pense qu'elle pourra comprendre.

— Attends la remplaçante pour venir dans ce cas. Ça ne devrait pas être très long et c'est plus correct.

— Non, je veux témoigner. Je sais qu'elle comprendra.

Jimmy finit par sourire. Il avait longtemps souhaité qu'elle affirme son caractère et c'était exactement ce qu'elle faisait. Il voulut l'embrasser, mais il n'osa pas. À dire vrai, il ne savait absolument pas comment se comporter sur ce plan là. Il préféra s'abstenir.

— Je vais rentrer à l'hôtel. Je passerai demain avant de partir, si tu veux bien.

— D'accord, acquiesça-t-elle. Je vais chercher Joey et on va t'accompagner à la voiture dit-elle en se levant.

Quand elle fut partie, Jimmy ferma les yeux un instant. Ça n'allait pas assez vite. En venant ici, il ne savait pas à quoi s'attendre, mais la voir, l'entendre parler, sentir son parfum et même son odeur, cela avait réveillé des sentiments qu'il avait enfoui profondément en lui, sans jamais réussir à tourner la page complètement. Il souffrait de la sentir si proche alors qu'il ne savait pas où elle en était dans ses propres sentiments à elle. Il se voyait déjà la reconquérir, en reprenant tout de zéro. La draguer, l'inviter au restaurant, puis sortir avec elle. Il avait la désagréable impression que bien qu'elle ait décidée de le suivre, de ne pas avancer dans le bon sens. Il était perdu, il ne savait plus quoi faire ni quoi dire pour lui faire comprendre ce à quoi il aspirait. Peut-être avait-elle compris, mais elle ne l'avait pas clairement démontrée...

Il se leva et rejoignit la salle-à-manger afin de s'excuser auprès de ses hôtes pour son départ anticipé. Jacqueline ne le laissa pas partir sans emporter avec lui une assiette du repas.

— Il faut manger ! lui dit-elle en la lui fourrant dans les mains. C'est mon secret pour supporter chaque journée, toujours manger !

Jimmy la remercia et après un petit geste de la main pour saluer tout le monde, il retrouva Jenna et Joey qui l'attendaient près de sa voiture. Quelle belle image que celle de la femme de sa vie portant leur fils dans ses bras, lui souriant tous les deux en attendant qu'il n'arrive à leur hauteur. Si seulement cela pouvait être réel...

— Tu reviens à quelle heure demain ? C'est pour qu'il soit prêt pour te dire au revoir, ajouta-t-elle en désignant Joey.

— Fin de matinée, je voudrais dormir avant de reprendre la route. J'en ai besoin.

— Ce sera bon, il ne se lève pas si tard, il sera prêt.

Jimmy acquiesça et il se pencha pour embrasser Joey sur le front.

— À demain vous deux, passez une bonne nuit.

— Fais un bisou à papa Joey, dit Jenna naturellement en approchant l'enfant du visage de son père.

Interdit, Jimmy ne put même pas bouger. Il ne s'était pas attendu à se faire appeler ainsi si vite.

— Si, je te promets qu'il sait faire les bisous, affirma Jenna devant le manque de réaction de Jimmy.

Il lui sourit, content qu'elle interprète mal son inertie. Il tendit la joue pour recevoir un bisou baveux de son petit bonhomme qui paraissait heureux de son geste.

— Ah ! Tu vois qu'il sait les faire, argua Jenna ravie.

Songeur, Jimmy ne s'essuya même pas et monta dans sa voiture. Il posa l'assiette de Jacqueline sur le siège passager, ferma la portière puis mit le contact pour pouvoir ouvrir la fenêtre.

— On se voit demain.

— Oui, à demain.

Alors qu'il s'éloignait, il regardait les silhouettes qui lui faisait des signes et qui diminuaient à mesure qu'il mettait de la distance entre eux. Il ne voulait pas partir si vite. Il serait bien resté encore un peu avec eux, mais voilà, les affaires l'appelaient, il ne pouvait pas prendre plus de temps qu'il n'en n'avait déjà pris, tout patron qu'il fut. Lui restait plus qu'à attendre leur venue, et il lui tardait déjà.

— Un dernier coucou à papa et on rentre, dit Jenna à son fils.

Quelle avancée pour elle que de parler publiquement de Jimmy comme étant le père de son enfant. Elle avait eut un déclic lorsqu'elle avait vu Joey embrasser son père. Ça lui avait même ouvert les yeux d'un coup. Elle savait ce qu'il lui restait à faire, et elle allait s'y atteler sans tarder, une fois qu'elle aurait régler un dernier détail. Ce fut avec un sourire bien ancré qu'elle entra dans la maison, rayonnante de bonheur comme jamais elle ne l'avait été.

...

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top