CHAP 68
— Je voudrais te poser une question, mais je ne veux pas que ça te mette mal à l'aise, lui dit-il gravement.
Jenna, qui savait qu'elle ne pourrait pas esquiver cette discussion, ne se défila pas. Il avait eu le courage qu'elle n'avait pas eu, celui de venir à sa rencontre, il méritait vraiment qu'elle soit enfin franche envers lui.
— Je ne veux vraiment pas gâcher ce moment, reprit-il, mais dis-moi pourquoi tu es partie ? J'ai besoin de le savoir.
Elle savait par Victoria que Cylian lui avait expliqué le drame qui s'était passé chez lui, alors elle ne jugea pas utile de revenir dessus. Elle espérait aussi que Jimmy ne demande pas de précision, c'était le genre de souvenirs auquel elle s'efforçait de ne pas repenser...
— J'ai flippé, mais vraiment beaucoup. J'ai paniqué, je ne savais plus quoi faire. Je n'avais pas les idées claires à ce moment là, j'ai eu peur pour ma vie, puis après, j'ai eu peur pour toi, les filles, et ta famille. Je me suis dis qu'il n'y avait qu'une seule façon pour que vous soyez tranquilles, que je m'en aille. Je n'en n'ai pas vu d'autre. Je suis désolée...
Jimmy resta silencieux. Il n'avait pas compris sa désertion à l'époque, et il ne la comprenait pas plus lorsqu'elle le lui expliqua.
— Je t'ai détesté, pendant longtemps.
Jenna en eut les larmes aux yeux de l'entendre.
— Je t'ai recherchée, dès les jours suivants, et pendant de longs mois. La mère de Donovan m'avait expliqué t'avoir vu monter dans une voiture sur le parking de la résidence. Elle ne gare jamais sa voiture dans le parking souterrain, parce qu'elle a peur, précisa-t-il. Elle m'a décrit le conducteur. Dans sa description, j'ai reconnu Cylian. Je suis donc allé le voir pour qu'il me donne des explications.
— J'ai cru comprendre que tu les avais obtenues, releva Jenna se rappelant de sa conversation avec Victoria.
— Je lui ai pas vraiment laissé le choix.
— Je sais.
— J'ai fait chou blanc, il ne savait rien sur ta destination, mais il m'a expliqué ce qui t'avais poussée à partir...
Jenna baissa la tête honteuse et tellement désolée de lui avoir fait vivre des moments si pénibles. Elle mesurait seulement maintenant le drame qui s'était joué dans sa vie à lui. Il n'y avait pas qu'elle qui avait souffert de son choix, lui aussi l'avait très mal vécu. Elle lisait la souffrance dans ses yeux parce qu'elle était toujours là.
— Il n'a jamais su où j'étais allée. Je ne l'ai pas revu depuis, ni personne d'autres d'ailleurs.
Le plat de résistance arriva, mais Jenna n'avait pas spécialement faim. Elle avait l'estomac noué par la présence de Jimmy. Elle ne réalisait pas qu'il était là, devant elle, à une table de restaurant...
Jimmy mangeait, mais lui non plus, ne donnait pas l'impression d'être affamé. Le restaurant n'était pas une si bonne idée finalement. Un bar aurait amplement suffit pour ce premier face à face, avec un bon whisky, songea-t-il soudainement. Puis il reprit le cours de ses explications :
— Dans l'historique de la tablette, il y avait un site que tu avais consulté. Je suis aller voir de quoi cela parlait. Il y était question d'un concours de pôle dance...
Jenna leva sur lui un regard intrigué. Elle n'aurait jamais imaginé qu'il était possible qu'il puisse voir ce qu'elle avait fait sur la tablette. Elle avait naïvement pensé qu'une fois la page fermée, il n'y avait plus aucune trace. À cette époque, elle était novice sur tellement de chose, et à ce jour, elle apprenait encore la vie...
— Il y a eu deux concours depuis que j'ai découvert le site. J'y suis allé aux deux.
Jenna, la bouche légèrement ouverte, buvait ses paroles et n'en ratait pas une miette.
— Comme tu n'étais pas au premier, j'y suis retourné l'année suivante, et tu y étais. Le concours étant ouvert au public, j'ai pu assister à tes performances et j'ai vraiment cru que tu allais gagner. Il n'a manqué vraiment pas grand-chose pour que tu y arrives.
À dire vrai, pour Jimmy, elle était la seule à mériter de gagner, ses rivales ne lui arrivaient pas à la cheville. Mais ce n'était que son avis, de plus, il n'était pas un professionnel donc il n'était pas qualifié pour juger, mais surtout, il était trop impliqué pour ne pas trouver de défauts à Jenna. Pour lui, c'était elle la meilleure, point barre !
— Pourquoi tu n'es pas venu me voir ?
Il sourit avant de lui répondre :
— Parce que personne n'a voulu me donner ton nom. Tu étais la candidate numéro quatre vingt dix-sept et c'est tout. Alors j'ai soudoyé une des employée en lui payant un bon paquet d'argent pour qu'elle me donne ton nom. Et elle m'a donné un nom, qui n'était pas celui que tu portais... Il appartenait à une des concurrentes, mais pas à toi...
Jenna porta ses mains à sa bouche de stupeur. Il était là-bas, elle n'en savait rien. Avoir été si proche de lui sans le savoir... Et qu'aurait-elle fait s'il s'était montré ? Elle n'en savait fichtre rien !
— Je suis tellement navrée de tout ce que tu m'apprends. J'ai jamais pensé que tu en ferais autant pour me retrouver...
— J'ai fait d'autres endroits aussi, mais tu n'y avais jamais été. Je me suis fait balader pas mal de fois avant que je me rende compte que tout ça était ridicule. Si tu voulais revenir, tu serais déjà réapparue, d'une façon ou d'une autre...
Jenna voyait trouble. Rien ne pouvait plus l'arrêter de pleurer tellement elle était touchée par ce qu'il avait fait pour la retrouver. Comment avait-elle pu être si égoïste et le laisser sans même lui donner une chance de comprendre son départ ?
— Je m'en veux tellement... Mais tout à été trop vite, j'ai pas pris le temps de réfléchir, je n'ai pas vu d'autres solutions parce que... parce que...
Elle n'arrivait pas à lâcher la véritable raison de son départ. Mais elle devait lui dire, maintenant, sinon, elle risquait de ne jamais trouver le courage, la force, de lui avouer ce qu'elle avait à toute fin voulu protéger car ce qui avait motivé sa fuite allait bien au-delà d'eux. C'était tellement plus...
Ils parvinrent à presque finir leurs assiettes et firent l'impasse sur le dessert. Pendant que Jimmy réglait l'addition, elle s'esquiva pour téléphoner à Jacqueline afin de lui demander la permission de venir avec Jimmy chez elle. Elle avait dans l'idée de présenter le père et le fils tant qu'elle avait un brin de courage. Jacqueline n'émit aucune objection, surtout qu'elle n'avait pas encore couché Joey et qu'il était toujours éveillé.
Quand Jimmy la rejoignit, elle ne dit mot et le suivit jusqu'à sa voiture. Ils s'installèrent à l'intérieur et il démarra le moteur.
— Il n'y avait que ma voiture sur le parking quand on est partis pour le restaurant, je suppose que tu es venue à pied ?
— Oui.
— Je te dépose chez toi alors ?
— D'accord.
Ils quittèrent le parking du restaurant et Jenna guida Jimmy jusque chez Jacqueline. À peine cinq minutes plus tard, ils étaient arrivés.
— Jenna ?
— Oui.
— Est-ce qu'il est possible de te revoir demain ?
Après ce qu'elle allait lui dévoiler, accepterait-il encore de la voir lorsqu'il saurait ce qu'elle lui avait fait ? Elle ne pouvait pas en jurer.
— Il faut d'abord que je te montre quelque chose, tu veux bien ?
— Bien sûr.
— Il faut que tu viennes avec moi, ce que j'ai à te montrer se trouve à l'intérieur.
Ils sortirent de la voiture et Jimmy suivit Jenna dans l'allée. Arrivés devant la porte de la maison, elle fit volte face et le regarda droit dans les yeux.
— Avant de rentrer, promets-moi de ne pas hurler.
Jimmy tiqua. Pour quelle raison devrait-il hurler ?
— Je sais me tenir Jenna, je pense que tu le sais ?
— Euh, oui. Mais c'est qu'il est tard, je ne voudrais pas que tu réveilles Michel s'il dort déjà, tu comprends.
L'excuse était bête, elle voulait juste s'assurer qu'il n'effraierait pas Joey en s'emportant contre elle, bien qu'elle le mériterait. Elle se mit face à la porte et souffla un bon coup. Voilà, ils y étaient à ce moment de vérité qu'elle redoutait tant.
"Maintenant, ça passe ou ça casse !" pensa-t-elle avant d'entrer dans la maison.
Elle se dirigea vers la seule pièce encore éclairée, le salon, et y entra suivit de Jimmy. Elle fut attendrit par ce qu'elle y vit. Jacqueline et Joey s'étaient tous les deux endormis en les attendant, le petit avait la tête posée sur les genoux de la vieille dame. Bien que ses mains tremblaient, qu'elle avait la bouche sèche et l'estomac complètement noué, elle fit demi-tour et emmena Jimmy dans la cuisine.
— Je vais les réveiller et je reviens. J'en n'ai pas pour longtemps. Assieds-toi, en attendant.
Avant qu'il ne puisse la questionner, elle retourna dans le salon afin de réveiller Jacqueline. Elle la secoua très doucement, pour ne pas lui faire peur. Jacqueline ouvrit un œil et dans l'instant suivant, elle s'empressa de regarder où était Joey, rassurée de le voir endormi sur elle, elle sourit à Jenna.
— Je voulais qu'il ne dorme pas. C'est réussit ! constata-t-elle mi-amusée.
— C'est pas grave, il est dans la cuisine. J'attends que vous montiez, et je le ferai venir dans le salon.
— Comment te sens-tu ?
— Pas bien du tout, mais il faut que ce soit fait ce soir, ce sera mieux pour tout le monde. Enfin je le pense...
— Je le pense aussi. Il me fait bonne impression. J'espère qu'il prendra bien la nouvelle...
— Je l'espère aussi, si vous saviez.
Jacqueline poussa doucement Joey, puis se leva du canapé. En grand-mère très habituée, elle le recouvrit machinalement avec un plaid qui traînait sur le canapé.
Elle prit les mains de Jenna et tenta de la rassurée :
— Tout va bien se passer. Aie confiance en toi, mais aussi en lui. C'est pour le p'tit que tu le fais d'accord ? Une mère fait toujours ce qu'elle croit être le mieux pour son enfant, il finira par le comprendre.
Jenna attesta d'un signe de la tête tout en essuyant (encore) ses yeux.
— Allez, courage. Et avant de te coucher, je veux que tu viennes me voir, juste pour me dire que tout va bien. Je ne dormirai pas sans ça.
— Promis.
Jacqueline monta se coucher pendant que Jenna alla chercher Jimmy. Elle entrouvrit la porte de la cuisine.
— C'est bon, tu peux venir. Jacqueline est partie se coucher.
Jimmy se leva et la suivit jusque dans le salon. Il avait remarqué ses yeux rougis, mais il ne le releva pas. Une remarque que lui avait faite Victoria lui était revenue en mémoire. D'après elle, Jenna avait une très bonne raison de s'enfuir, et il pressentait qu'il allait très vite savoir de quoi il en retournait.
Ils pénétrèrent dans le salon. Jimmy remarqua tout de suite l'enfant qui dormait sur le canapé.
— Euh, c'est normal qu'elle le laisse dormir là ? demanda-t-il surpris.
— En principe, il dort dans son lit. Mais ce soir, c'est un peu exceptionnel.
Elle avala le peu de salive qu'elle avait tellement sa bouche était sèche d'appréhension.
— Jimmy, si je suis partie si précipitamment c'est pour lui, dit-elle en désignant l'enfant.
Jimmy regarda d'abord l'enfant, puis Jenna, et encore l'enfant.
— Tu es en train de me dire que c'est... ton fils ?
— Il n'est pas que mon fils, il est NOTRE fils...
Jenna surveilla la réaction de Jimmy, mais rien ne vint. Son regard était rivé sur l'enfant, et il ne donnait pas l'impression d'avoir entendu ce qu'elle venait de lui dire.
— Je te présente Joey, ton fils, lui dit-elle d'une petite voix.
Comme si un éclair de lucidité venait de le frapper, Jimmy se tourna brutalement vers elle.
— Tu es partie parce que tu étais enceinte ?
— Quand je me suis faite agressée à l'appartement, j'ai compris que jamais, on ne me laisserait tranquille. Ni moi, ni toi, ni les filles... Personne ne serait en sécurité tant que je serais là. Mais je ne serais jamais partie si je n'avais pas été enceinte. J'ai juste voulu protéger notre fils de mon passé. La seule solution que j'ai trouvée, était de m'enfuir, pour lui donner une chance de grandir loin de tout ça...
Jimmy eut besoin de s'asseoir, ses jambes ne le portant plus. Il se laissa choir dans le fauteuil près de lui.
— Tu as fait une énorme erreur en me cachant la raison de ton départ, Jenna. Tu n'aurais pas dû !
— Je sais, je m'en rends compte maintenant, mais à l'époque, je n'ai pensé qu'à une seule chose, le protéger ! C'est la seule raison qui fait que je suis partie si vite et si loin.
Jimmy ne répondit pas mais regarda à nouveau l'enfant.
— Putain, j'étais loin d'imaginer ça en venant ici. Comment tu l'as appelé ?
— Joey.
— Joey, répéta-t-il, comme si en le disant, il prenait conscience de ce qu'il se passait. Et pourquoi Joey ?
— Le J et le E sont dans Jenna ; le J et le Y sont dans Jimmy et le O et le E sont dans Georges... Joey.
Jimmy la regarda choqué par le choix du prénom. Il s'était retenu depuis le début de leur rencontre, mais là, il n'en pouvait plus. Il se leva subitement et avança vers elle d'un pas décidé. Il avait besoin de la toucher, de la sentir, de vivre cet instant intensément. Il n'arrivait même pas à lui en vouloir pour ce qu'elle avait fait. Ses sentiments étaient clairs, comme jamais ils ne l'avaient été. Il lui caressa la joue, elle sursauta mais lui prit la main pour l'embrasser.
— Je suis désolée Jimmy. Je m'en veux de te l'avoir caché et de t'avoir fait souffrir.
Il ne répondit pas, mais il la prit dans ses bras et la serra fort. Elle l'entoura aussi et respira son odeur qui lui avait tant manqué.
Ils restèrent longtemps ainsi, n'arrivant plus à se détacher l'un de l'autre.
...
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