CHAP 67


 Cela faisait bien une heure que Jimmy poireautait devant la supposée maison de Jenna. Il était stationné sur le trottoir d'en face, mais à part des enfants, des adolescents et une dame d'un certain âge qui en étaient entrés et sortis, aucune trace de Jenna. Pourtant il avait vérifié que l'adresse était bien celle indiquée sur le papier que Victoria lui avait donné, à deux reprises. Il était donc au bon endroit, mais visiblement, dans la maison, du monde il y en avait, mais rien qui ne corresponde à celle qu'il recherchait...

Il se faisait déjà tard. Jimmy avait complètement raté l'organisation de la journée qu'il avait préparée la veille. Il devait donc se lever tôt afin de cueillir Jenna dès qu'elle sortirait de la maison, en supposant qu'elle travaille et qu'elle fut obligée de quitter cette maison. Mais aux prises avec ses émotions et l'inconnu que pouvait être le lendemain, il n'avait pas fermé l'œil de la nuit et ne s'était endormi que sur le matin pour ne se réveiller qu'en fin d'après-midi. Tout son programme en fut décalé, son humeur était maussade, ajouté à cela, le désespoir de la voir enfin apparaître devant ses yeux. À bout de nerfs, il se décida à agir et il sortit de la voiture.

Il se rendit devant le domicile de Jenna et sonna à la porte d'entrée qui était restée entrouverte. Il put profiter de l'agitation qui régnait à l'intérieur. Des enfants couraient, chahutaient, criaient, ou bien encore pleuraient. Il eut le droit après tout ça à l'aboiement de la dame qui remettait de l'ordre dans sa maisonnée. Le moins que l'on puisse dire était que son coup de gueule avait été efficace. Plus aucun enfant ne pipait mot...

Il en profita pour sonner à nouveau car avec tout ce remue-ménage, il était quasiment sûr que personne ne l'avait entendu la première fois. Et ce fut un succès ! Le premier de la journée à dire vrai.

Ce fut un petit enfant, haut comme trois pommes qui s'approcha en premier. Il avançait en tenant une peluche dans ses mains, le pas sûr, et ouvrit la porte un peu plus. Jimmy n'eut pas le temps de le questionner qu'une grosse voix tonna dans la pièce d'à côté :

— C'est qui Joey ?

Le petit garçon fit demi-tour et rejoignit la dame en sautillant. Jimmy insista et frappa directement à la porte.

— Entrez !

Bien qu'hésitant, il obtempéra et se laissa guider par la voix jusqu'à la pièce dans laquelle il pénétra.

— C'est pour quoi ? dit la femme qui était assise dans un fauteuil, le petit garçon grimpé sur elle.

Le ton pas très sympathique qu'elle avait employé ne le rassura pas, mais il prit son courage à deux mains et se lança :

— Bonjour, excusez-moi de vous déranger, mais je suis à la recherche d'une personne et d'après mes renseignements, elle vivrait ici...

— Je ne pense pas que vos renseignements soient exacts, mais dites toujours !

— Elle n'est pas très grande, brune, la peau légèrement matte.

La femme plissa les yeux l'air soupçonneux. Elle détailla Jimmy, ce qui le mis mal à l'aise.

— Elle a pas un nom cette personne ?

Et là ce fut le drame pour lui car il n'avait pas de réponse à cette question.

— Je ne sais pas quel est son nom... actuellement.

— Mémèèère ? Mémèèère ??? beugla une voix de petit garçon.

— Veuillez m'excuser, mais le devoir m'appelle, encore...

La femme souffla avant de s'extirper du fauteuil, tout en tenant le petit garçon qu'elle avait toujours sur elle.

— Comme c'est là, il veut un sandwich !

Comme pour lui donner raison, un garçon d'environ cinq ans, des lunettes vertes avec du scotch apposé sur l'intérieur, entra dans la salle à manger, suivit d'un autre un peu plus jeune, des lunettes rouges avec aussi du scotch apposé au même endroit.

— Mémère ! Tu fais un 'dwich à l'arrache s'teup ?

La femme jeta un coup d'œil à Jimmy qui voulait dire : Tu vois, j'avais raison ! Puis elle quitta la pièce suivie de ses petits enfants.

— Elle a plus de frigo ta mère ?

— Ben si, on n'est pas des clochards quand même. Mais elle a plus de jambon et en plus y'a plus de pain, répondit-il sans se démonter.

— Vous, vous venez avec moi, somma-t-elle à Jimmy en passant devant lui.

— Euh, je ne veux pas de 'dwich, lâcha ce dernier hésitant, mais tout en lui emboîtant le pas docilement.

Regarder la femme s'activer à la fabrication "à l'arrache" de sandwichs méritait d'être vu au moins une fois dans une vie. Non seulement elle avait le coup de main, mais en plus elle connaissait les goûts des enfants car pas une seule fois, elle ne leur avait demandé ce qu'ils désiraient comme ingrédients. Quant aux enfants, tous les trois accoudés à la table, dont deux étaient grimpés sur une chaise, la même, pour contourner un problème de grandeur, n'en rataient pas une miette.

— Je suppose que tu en veux un aussi toi ? demanda-t-elle au petit Joey en donnant les morceaux de pains aux deux frères.

L'enfant opina énergiquement de la tête pour confirmer et la grand-mère s'y recolla de bon cœur. Une fois la tâche terminée, elle les envoya dans le jardin avec l'obligation de rester tranquilles. Ce fût à ce moment là qu'elle reporta toute son attention sur Jimmy.

— Je pense savoir qui vous êtes et aussi pourquoi vous êtes là ! lâcha-t-elle de but en blanc.

Interloqué, Jimmy ne sut quoi répondre.

— Je vais vous dire où vous pouvez la trouver, mais je vous préviens, si vous lui faites du mal, ne serait-ce que par la parole, vous aurez affaire à moi, c'est bien compris ?

— Euh, ce n'est pas mon intention, loin de là, dit Jimmy sur la défensive.

Puis, intrigué par la réaction de la femme qui ne lui avait rien demandé sur lui, il tenta d'en savoir plus :

— Comment savez-vous qui je suis ?

— Simple déduction qui crève les yeux mais que, visiblement, je suis la seule à remarquer !

— Vous pouvez m'aiguiller un peu, pour que je comprenne de quoi vous parlez ?

Elle lui expliqua alors où trouver la personne qu'il cherchait.

— Il vous faudra attendre un peu, lui dit-elle en regardant l'heure sur la pendule de la cuisine, elle n'a pas tout à fait fini son cours, mais après, vous pourrez lui parler. Dites-lui de ma part qu'elle a tout son temps, je m'occupe de tout, d'accord ?

Bien qu'il n'arrivait pas à suivre la femme, il acquiesça d'un signe de tête. Il approchait de son but, et même s'il avait les tripes nouées, il lui tardait de se trouver devant elle. Deux ans sans la voir, sans même de nouvelles, c'était plus qu'il ne pouvait supporter...

Il remercia très sincèrement la femme et se dirigea vers la sortie. Alors qu'il atteignait la porte d'entrée, elle lui cria :

— Ici, elle s'appelle Lyv !

...

Grâce aux explications très précises de la femme, Jimmy se gara sans encombre devant un petit bâtiment sans étage. Aux travers des baies vitrées, il apercevait du mouvement, et ce malgré des reflets. Autour de lui, plusieurs voitures étaient alignées sur les places de parking. Par déduction, il en conclut qu'elles n'étaient pas là par hasard, mais que leurs propriétaires devaient très certainement assistés "au cours" que la vieille dame avait mentionné. Cours de quoi, c'était la question qu'il se posait. Il sortit de la voiture afin d'avoir la réponse. Il s'approcha d'une des vitres et il put voir des femmes se mouver autour de barres. Il comprit en la voyant prodiguer des conseils à l'une, puis à d'autres, que Jenna était devenue professeur de pôle dance. Il la regarda avec attention. Elle n'avait pas beaucoup changé, elle était toujours aussi belle...

Submergé par l'émotion, il préféra retourner dans sa voiture et attendre la fin du cours pour agir.

Après quelques longues minutes, les voitures, conduites par de jeunes femmes, quittèrent le parking une à une. Jimmy prit alors son courage à deux mains, c'était à son tour d'entrer en scène. Le cœur battant de façon complètement irrégulière, il souffla un grand coup avant d'ouvrir la porte et d'entrer.

Elle était là, dos à lui, une queue de cheval en guise de coiffure, en tenue de sport, mais légère, nota-t-il. Elle rangeait tranquillement le matériel. Il ne savait pas comment se signaler, alors il ouvrit la bouche pour s'annoncer :

— Bonjour Jenna, dit-il simplement.

Jenna sursauta, surprise par l'intrusion qu'elle n'avait pas entendue, mais pas que. La voix, le prénom employé pour l'appeler, non, ce n'était pas possible, ça ne pouvait pas...

Elle se retourna précipitamment pour faire face à son passé, parce qu'elle l'avait reconnu, parce qu'elle n'avait pas de doute. Quand elle le vit devant elle, elle ouvrit la bouche, choquée, puis sans qu'elle ne puisse le contrôler, des larmes humidifièrent ses yeux.

Elle paniqua lorsqu'il s'approcha d'elle, ne sachant comment réagir à cette situation qu'elle avait si fortement évitée. Raide comme un piquet, elle fut incapable de bouger, de parler, ni même de réfléchir.

Leur face à face silencieux dura encore quelques instants, jusqu'à ce que Jimmy prenne l'initiative de lancer la conversation.

— Salut, dit-il nerveusement.

— Salut.

Sa réponse n'était pas plus brillante, mais les émotions qui la malmenaient, l'empêchaient d'être normale, sereine. Elle ne se sentait vraiment pas bien, elle manquait d'air.

— Je suis content de te voir.

Jimmy était nerveux, et son entrée en matière n'était pas terrible, mais après tout ce temps, il lui était difficile de trouver les bons mots. Et d'abord, y en avaient-ils ?

Jenna aussi était nerveuse. Ses jambes ne la portant plus, elle dut s'asseoir sur le banc installé le long d'une des baies vitrées et réservé aux spectateurs.

— Moi aussi, affirma-t-elle sans le regarder. Même si c'est inattendu...

Elle inspira pour se calmer, ce qui n'échappa pas à Jimmy. Il chercha alors le moyen de détendre l'atmosphère, parce qu'il ne voulait pas que sa venue ne la fasse fuir encore. Il était impératif qu'ils arrivent à se parler !

— Te voilà devenue professeur de pôle dance, apprécia-t-il. C'est bien, très bien.

— Merci.

— Ça te plaît ?

— Oui, beaucoup.

Jimmy se sentit subitement rassuré. Jenna n'avait pas l'air de vouloir prendre la fuite. Elle répondait même aux questions qu'il lui posait, c'était plutôt encourageant. Alors il poursuivit.

— À part ça, dit-il en désignant la salle, qu'est-ce que tu deviens ?

Jenna eut un sourire en coin lorsqu'il s'assit près d'elle sur le banc.

— Je travaille chez un couple de retraités. Je vis même chez eux.

— D'accord, je comprends maintenant le lien entre vous.

— Comment ça ?

— C'est une dame d'un certain âge qui m'a indiqué où te trouver. Je suppose que c'est la retraitée dont tu viens de parler.

— Oui, c'est Jacqueline. Je m'occupe de son mari, Michel, et de la maison aussi. Ils sont adorables.

— Tant mieux, approuva sincèrement Jimmy.

Il ne voulait tellement pas entendre qu'elle avait eu la vie dure depuis qu'elle était partie. Il aurait beaucoup de mal à accepter qu'elle ait souffert en étant si loin de lui...

— Et toi, qu'est-ce que tu deviens ?

Jenna eut un soudain élan de courage. Lui parler s'avérait moins difficile que ce qu'elle s'était imaginée. Mais ils n'avaient pas encore abordé le sujet sensible.

— Je dirige toujours l'entreprise familiale, que j'ai même agrandie. J'ai ouvert deux succursales dans deux autres villes et pour l'instant ça marche pas trop mal. C'est encore timide, parce que c'est le début, mais il faut du temps pour s'implanter, donc pour l'instant je ne suis pas inquiet.

Il ne mentionna pas le cabaret, et elle ne sut pourquoi. Alors elle tenta une approche un peu détournée pour le faire parler.

— Comment m'as-tu retrouvée ?

Il n'y avait aucun reproche dans l'intonation de sa voix ce qui fit plaisir à Jimmy. Ils arrivaient à se parler, c'était plutôt bon signe. Il sortit de sa poche le papier que Victoria lui avait remis le soir d'avant. Quand Jenna le vit, elle le reconnu sans mal.

— D'accord, Victoria...

— Oui, Victoria.

Elle ne put retenir un sourire car au fond d'elle, elle était heureuse d'être assise près de lui, ce qu'elle n'aurait pas imaginé quelques instants plutôt. Elle n'en voulait même pas à Victoria car une sensation de plénitude l'envahissait inexorablement, et quel bien cela lui faisait...

— Ok, qu'est-ce qu'on fait maintenant ? lui demanda-t-elle en tournant la tête vers lui.

Il était tellement plongé dans ses pensées, qu'elle doutait qu'il l'ait entendue.

Mais Jimmy avait très bien entendu, il manquait juste d'assurance pour poursuivre ce qu'il avait prévu :

— Je voudrais t'inviter à dîner, si tu le veux bien, se lança-t-il finalement.

— Je ne peux vraiment pas. Je dois absolument rentrer, désolée.

Sa réponse était sans appel. Un non définitif, qui lui fit mal. Mais il n'abandonna pas.

— Jacqueline te fait dire qu'elle s'occupait de tout, que tu n'avais pas à t'inquiéter.

— Elle a dit qu'elle s'occupait de TOUT, vraiment tout ?

— Oui, c'est ça.

Jacqueline avait été maligne sur ce coup là, ou devin, qui pouvait savoir. Par le biais de Jimmy, elle lui avait glissé un message. Elle ne devait pas s'inquiéter pour Joey. Elle lui laissait quartier libre, comme à une de ses petites filles et de ses filles avant elles.

— Alors c'est d'accord !

Ils ne se le dirent pas ouvertement, mais par leurs sourires entendus, ils comprirent qu'ils étaient sur la même longueur d'ondes. Ni l'un, ni l'autre ne désirait mettre fin à ce moment, leur moment depuis si longtemps.

Jenna fini de ranger le matériel. Elle ferma la salle en descendant le rideau métallique, puis suivit Jimmy jusqu'à sa voiture. Une nouvelle voiture, apparemment...

— Qu'est-ce que tu as fait de l'autre ? Elle n'était pourtant pas vieille.

— Elle avait trop de kilomètres, répondit-il d'une façon que Jenna trouva un brin mystérieuse.

Elle n'insista pas et s'installa côté passager.

— Il va falloir que tu me guides, je ne connais pas les restos du coin.

— Il n'y en a pas des masses, la ville est petite.

— Oui, j'ai cru voir ça, dit-il en lui souriant.

Jenna le dirigea jusqu'à un petit restaurant dans lequel elle venait assez souvent dans les débuts de son installation.

Leur proximité rendait l'instant vraiment étrange. Jimmy parce que, après tout ce temps, il l'avait enfin retrouvée alors que c'était à peine pensable il y avait encore peu, et Jenna, parce qu'elle n'aurait jamais imaginé que Victoria la trahirait et si vite qui plus est. Elle ne lui en tenait pas rigueur, loin de là, bien au contraire, elle l'en remercierait quand elle la reverrait, car elle n'aurait pas eu le courage de faire le premier pas, elle en prenait réellement conscience.

Ils entrèrent dans le petit restaurant et furent rapidement installés, vu le peu de monde à l'intérieur.

— Y'a pas foule, constata Jimmy en s'asseyant.

— C'est une petite ville.

Jimmy sourit à sa réponse.

— Vivre dans une petite ville à ses avantages, releva-t-il d'un air moqueur.

Ils passèrent commande et pour patienter, ils s'autorisèrent un apéritif. Jenna était prête à subir les foudres de Jimmy qu'elle méritait amplement. Elle avait peur de ne pas supporter ce face à face car elle le redoutait, mais elle venait de s'apercevoir qu'être près de lui comblait un vide qu'elle subissait depuis deux ans. Sa voix, son attitude, ses manies, lui, tout simplement. C'était tellement trop beau pour être vrai... Elle ne voulait plus fuir. Elle ne pourrait plus être loin de lui. Elle sentait cette attraction qui les liait toujours, c'était comme si rien ne s'était passé, comme si leurs corps ne voulaient pas mettre carte sur table, comme si être l'un sur l'autre, étaient la seule chose dont ils avaient besoin. Elle chassa les images salaces qui s'installaient dans sa tête, pour se concentrer sur ce qui allait suivre. Jimmy s'apprêtait à parler...

         

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top