CHAP 65


 Jenna passa sans encombre les barrières de sécurité ainsi que la caisse où elle régla sa place en liquide. Et oui, on ne chassait pas d'un coup de balai les vieilles habitudes. Bien que sa nouvelle identité ne lui ait jamais posé de problème, elle avait gardé cette manie car cela la rassurait. Installée très confortablement dans un fauteuil en velours rouge, elle attendit patiemment le lever de rideau. Tout autour d'elle, les places furent prises rapidement et très vite, la salle fut comble.

Jenna était agréablement surprise par cette salle bondée. Elle ne s'était pas du tout interrogée sur le sujet, mais l'engouement du public était réellement perceptible.

Après à peine vingt minutes d'attente, une jeune femme en tenue de scène vint se poster derrière le micro sur pied qui trônait au milieu de la scène. Elle n'eut pas le temps d'ouvrir la bouche qu'elle fut ovationnée par le public.

— Merci, dit-elle la voix enjouée. Merci beaucoup pour votre accueil si chaleureux, mais vous n'avez encore rien vu ! fit-elle l'air faussement étonné et en mettant les mains sur ses hanches. Non, parce que la règle est d'applaudir autant, seulement lorsque le spectacle est fini et qu'il a été à la hauteur de vos espérances, or, pour l'instant, vous n'avez vu que moi !

Puis elle se pavana, mais en exagérant les mimiques, ce qui fit rire la salle dans son ensemble. Jenna aurait certainement suivit si elle n'avait pas reconnu Mandy en présentatrice !

— Qu'est-ce qu'elle fout là celle-là ? se demanda-t-elle choquée par cette désagréable découverte.

Après s'être déhanchée tout autour de la scène, Mandy se remit devant le micro qu'elle prit à la main.

— Mesdames, Mesdemoiselles, Messieurs, sans plus attendre, voici les filles de l'air, dont je fais évidemment partie ! La première à se lancer dans le vide, pour le plaisir de vos yeux, est la magnifique NESSY !!! La seule et l'unique à pouvoir tout se permettre avec une barre entre les mains.

Puis prenant le public à témoin, elle plaça une de ses mains contre sa joue comme pour cacher ce qu'elle voulait dire :

— Enfin, la seule et l'unique après moi, évidemment !

— ÉVIDEMMENT !!! reprirent en chœur une bonne majorité de personnes dans la salle.

Complètement déconcertée, Jenna regarda autour d'elle cette complicité qui s'était déjà installée entre le public et la présentatrice.

— Non mais j'y crois pas, murmura-t-elle les yeux ronds comme des soucoupes.

Mandy se retira. La salle plongea dans le noir aussitôt, puis une barre fut illuminée en même temps qu'une musique forte, angoissante et entraînante à la fois envahie la salle. Une femme surgit tout en haut de la barre, tête en bas et se laissa glisser à une vitesse surprenante, pour ne s'arrêter qu'à quelques centimètres du sol, accompagnée des exclamations de peur du public.

— Ça fait toujours son petit effet, constata Jenna qui se rappelait la réaction des hommes du Secret's Club lors du show, qui n'était pas différente.

Ce fut émue et admirative qu'elle regarda Tennessie enchaîner les mouvements à la perfection. Elle ne releva aucune erreur, aucune hésitation, tout était parfaitement synchronisé, en accord avec la musique. C'était une pure merveille que cette chorégraphie et elle en oublia le temps d'un instant, la proximité de Mandy.

Les chorégraphies s'enchaînèrent, mais quelle ne fut pas la surprise pour Jenna de voir qu'il n'y avait pas que les barres dans le spectacle, mais aussi des vraies danses de cabarets, avec des danseuses dénudées, évoluant la poitrine nue, avec des froufrous, des bas résilles et en talons aiguilles. Sans indécence aucune, ni vulgarité. Aucun appel au sexe. C'était juste beau. Tout comme les tours de magie à base de musique, de jeu de lumière et à grand renfort d'effets spéciaux...

La chorégraphie qui clôtura le spectacle fut celle que Victoria, Tennessie, Mandy et elle-même avaient faite au Secret's Club, mais sans elle. Ce fut avec un pincement au cœur qu'elle en fut pour la première fois spectatrice. La première fois aussi qu'elle revoyait ses amies depuis deux ans, sans avoir pris une seule fois de leurs nouvelles...

Quand le rideau tomba, une jeune fille que Jenna ne connaissait pas, micro dans la main, présenta un à un, tous les artistes du spectacle. Ils étaient une bonne vingtaine, hommes compris, à se partager l'affiche. Le public s'était levé pour les ovationner dans un tonnerre d'applaudissements et de cris de joies. Puis la jeune fille remercia celui sans qui tout ça ne serait rien, le propriétaire des lieux, qui n'était pas là au moment où elle parlait, mais qui serait assurément sur scène avec eux dans le cas contraire. Quand Jenna entendit la jeune fille prononcer son nom, son cœur s'emballa sans qu'elle puisse l'en empêcher. Il n'est pas là, ne put-elle s'empêcher de penser. À ce moment là, ses sentiments furent mitigés. Son absence l'arrangeait, elle ne tomberait pas sur lui et elle éviterait une confrontation qu'elle redoutait plus que tout, mais en même temps, la tristesse s'emparât d'elle, car elle aurait aimé pouvoir seulement l'apercevoir... Si elle était honnête, elle en crevait de le voir, tout simplement.

Elle suivit le mouvement et se leva de son fauteuil. Elle quitta la file qui s'évacua vers la sortie pour aller vers les loges. Personne ne vint l'intercepter et elle continua son chemin. Elle arriva dans le couloir qui avant les travaux menait aux chambres secrètes. Des souvenirs d'alcool, de sexe, parfois de drogues, d'insultes, d'humiliations, l'assaillirent subitement. Elles pouvaient encore entendre les mots dégoûtants qu'on lui avait chuchotés maintes et maintes fois dans le creux de l'oreille. Elle frissonna de dégoût, mais continua quand même à avancer.

Sur les deux premières portes, il y avait seulement noté le numéro de la loge, mais sur la troisième porte, c'était le nom de Victoria qui y était apposé. Son cœur ne fit qu'un bond. Après tout ce temps, elle allait enfin savoir si les filles lui en voulaient de les avoir laissées tomber. Elle espérait juste ne pas se faire jeter, car elle avait besoin d'expliquer son geste qui, elle l'espérait, serait compris...

Elle inspira un grand coup et frappa doucement à la porte.

— Entrez !

Jenna reconnu la voix de Victoria. Elle ferma les yeux puis mit la main sur la poignet de la porte. Plus elle l'abaissait, plus elle tremblait et son cœur s'agitait. La porte fut assez ouverte pour qu'elle puisse entrer, mais elle resta immobile, incapable d'avancer. Assise devant son miroir entouré de petites lumières, Victoria se démaquillait. Elle leva les yeux pour apercevoir le visage blême de Jenna juste derrière elle. Doucement, elle posa son coton à démaquiller puis quitta son reflet dans le miroir pour se tourner vers la visiteuse, la bouche grande ouverte d'étonnement.

— Seigneur Dieu ! dit-elle à voix basse.

Ne sachant toujours pas si son amie était heureuse de la revoir, Jenna n'osa sourire, mais l'envie de lui sauter dans les bras la tenaillait corps et âmes. Elle n'avait pas changé, sauf peut-être quelque chose dans le visage qui était différent d'avant. Il paraissait plus serein, apaisé...

— Dites-moi que je rêve putain !!!

Victoria se leva et prit la main de Jenna qu'elle serra fort à lui en faire mal.

— Mais non, je ne rêve pas ! C'est bien toi...

Il y eu un moment de flottement pendant lequel ni l'une, ni l'autre ne surent quoi dire ou quoi faire. Victoria brisa la glace d'une façon peu orthodoxe, elle gifla Jenna...

— Désolée, mais celle-là, elle est méritée ! Maintenant que c'est fait, viens dans mes bras vilaine, et tout de suite !

Jenna se frotta la joue l'air complètement ébahie.

— Tu m'as... mis une gifle ?! Mais ça va pas ?

— C'est ne pas le faire qui n'irait pas ! Tu n'imagines même pas par quoi on est passés, tous autant qu'on est. Jenna, comment t'as pu nous faire ça ? Nous laisser, Nessy, moi... et Jimmy, sans explication, sans même nous dire au revoir...

Jenna ne chercha pas à se défendre, ni à fournir de réponse. Non, elle fonça sur Victoria pour la prendre dans ses bras et surtout, pour ne pas la lâcher, enfin pas dans l'immédiat. Elle avait juste besoin de la sentir, cela faisait si longtemps. Victoria la serra à son tour et toutes les deux fondirent en larmes. Il leur fallu quelques minutes avant de pouvoir se détacher l'une de l'autre.

— Tu n'avais pas à partir tu sais ? Tu n'avais pas à tout quitter !

La voix de Victoria tremblait sous le coup de l'émotion, mais elle restait ferme, c'était un reproche et Jenna le comprit bien.

— Tu ne sais pas tout, Vicky. Le jour où je suis partie, il s'est passé quelque chose...

— Je le sais. Tu t'es faite agresser, Shelby t'as défendue, elle a tué l'agresseur, t'as balisé et tu t'es enfuie. Mais tu n'avais pas à faire ça, c'était un choix débile, irréfléchi, et complètement extrême !

Jenna la regarda interloquée :

— Comment tu le sais ?

— Par Cylian.

— Cylian ?

— Oui, Cylian...

— Il ne devait rien dire à personne !

Victoria souffla un bon coup avant de s'asseoir pour reprendre :

— Jimmy ne lui a pas trop laissé le choix.

— Comment ça ?

— Il lui a mis une sacrée volée. Après, Cylian a parlé, et il lui a tout dit. On l'a su dès le lendemain.

Jenna imita son amie et s'assit sur le fauteuil près d'elle. Elle était soudain prise de profonds regrets. Elle culpabilisait du chaos que son départ avait provoqué.

— Comment va-t-il ?

Jenna ne put prononcer le nom de Jimmy, car elle l'imaginait fou de douleur et cela lui fit un mal de chien.

— Il va... mieux... Le cabaret l'a maintenu à flots. Mais je ne vais pas te mentir, ton départ l'a dévasté.

Jenna dut fermer les yeux pour ne pas pleurer. Quand elle sentit une main se poser sur son genou en guise de soutien, elle les rouvrit mais des larmes s'échappèrent quand même.

— Cylian m'a dit, il y a quelques mois de ça, qu'il mettrait sa main à couper que l'agression n'était pas la seule raison de ta fuite. A-t-il raison ?

Jenna acquiesça. Devant le désarroi de son amie, Victoria fut incapable d'être plus sévère. Elle était bien trop heureuse de la revoir pour la malmener plus que nécessaire. Et pour être honnête, elle n'en ressentait pas l'envie, ni le besoin. Elle se contenta de la serrer dans ses bras.

— Dis-moi pourquoi tu es partie. La Jenna que je connais ne nous aurait pas abandonnés pour ce prétexte là.

Jenna se retira des bras de son amie et s'essuya les yeux. Sans un mot, elle ouvrit son sac à main et en sortit son téléphone portable. Une fois qu'elle eut trouvé ce qu'elle cherchait dedans, elle tendit l'appareil à Victoria. Cette dernière le prit et regarda la photo avec attention.

— C'est la raison pour laquelle je suis partie. Il s'appelle Joey, il a seize mois.

La bouche ouverte, Victoria fit défiler les photos de son doigt. Elle était sidérée par l'annonce de son amie.

— Tu es maman. Mon Dieu, ça y est, je suis tata !!!

Devant la joie évidente de Victoria, Jenna réussit enfin à sourire, jusqu'à ce que subitement, le visage de son amie ne se ferme radicalement.

— Et le papa, c'est bien...

— Jimmy, oui c'est lui le papa.

— En même temps, il lui ressemble. Mais je voulais être sûre. Qu'est-ce que tu comptes faire maintenant, revenir, ne pas revenir ?

— C'est trop tôt pour le dire, je ne sais plus où j'en suis. Ça se bouscule un peu trop pour moi, tu comprends ?

— Évidemment. Ça ne me regarde pas, mais est-ce que tu comptes informer Jimmy de son nouveau statut ?

— Il le faudrait, mais j'ai tellement peur de sa réaction...

Victoria lui adressa un sourire compatissant. Elle comprenait, mais elle ne pouvait pas l'aider. Il ne tenait qu'à Jenna de prendre la décision, et à elle seule.

— J'ai moi aussi quelque chose à t'apprendre.

Jenna posa un regard intrigué sur elle.

— Je t'écoute.

Victoria leva alors sa main gauche qu'elle fit tourner sur elle-même. Jenna s'en saisit et inspecta la bague qu'elle avait au doigt.

— Je suis fiancée, et je vais bientôt me marier ! lui annonça-t-elle tout sourire.

— Vicky, mais c'est génial ! J'en suis encore quand tu pensais virer goudou parce que tu étais dégoûtée des hommes... Euh, à moins que ce soit une fille ta moitié ? l'interrogea-t-elle tout à coup, craignant d'avoir fait une bourde.

— C'est un homme, affirma Victoria.

— Ah bon d'accord. Tu as une photo de lui ?

— Oui, mais je dois te prévenir de quelque chose avant.

— Qu'est-ce que c'est ?

— Tu le connais, lui avoua-t-elle en la détaillant du regard.

À son tour, Victoria sortit son téléphone portable de son sac à main. Elle ouvrit la galerie de photos avant de le tendre à Jenna. Celle-ci, quand elle l'eut entre les mains, fut choquée parce qu'elle découvrit.

— Comment en êtes-vous arrivez là ?

— Oh, ça ne s'est pas fait du jour au lendemain, parce que tu occupais constamment ses pensées et que moi, je ne supportais même pas l'idée de me rapprocher d'un mec. Mais il arrive des fois, qu'on ne contrôle rien du tout et que les choses se mettent en place toutes seules... C'est ce qui s'est passé avec Cylian, on a laissé faire, sans rien provoquer. Résultat, on se marie au mois de juin.

— Et bien, félicitations à vous deux, lui dit-elle en lui rendant son portable. Je suis surprise, mais sincèrement heureuse pour vous. C'est un homme bien, je ne m'en fais pas pour toi, tu es tombée sur une bonne personne.

— Merci Jenna.

Le silence qui s'installa les laissa songeuses. Victoria admirait sa bague de fiançailles, tendit que Jenna se perdit dans ses pensées qui ne mirent pas longtemps à dévier sur Jimmy. Deux questions la taraudaient plus que toutes les autres, pourtant nombreuses. Comment, après l'avoir tant fait souffrir, allait-il réagir lorsqu'il la verrait, et d'abord, pourquoi accepterait-il de la rencontrer ? Et puis, peut-être avait-il refait sa vie ?

Elle l'imaginait avec Joey dans ses bras de rugbyman. Son fils s'y sentirait bien, au moins autant qu'elle s'y était bien sentie. Et puis Joey aurait des grands-parents, un oncle, une tante, et même un arrière grand-père. Elle était consciente de ne pas avoir le droit de les priver les uns des autres, mais le courage pour affronter Jimmy lui manquait vraiment.

— Il devrait plus tarder maintenant, lui dit doucement Victoria. Il avait un gala de charité avec toute sa famille ce soir, mais il a dit qu'il passerait voir si tout allait bien. Est-ce que tu vas l'attendre ?

— Non ! s'écria-t-elle en se levant subitement.

— C'est l'occasion Jenna, ne te sauve pas une fois de plus !

— Je peux pas, je suis désolée...

Elle sortit un crayon et un papier de son sac à main sur lequel elle inscrivit quelque chose.

— Promet-moi de ne parler de ma visite à personne.

— Ne fais pas ça Jenna, s'il te plaît, l'implora son amie, les larmes aux yeux. On a besoin de toi. J'ai besoin de toi...

Jenna lui glissa le bout de papier dans la main et l'embrassa sur la joue.

— Je ne m'enfuie pas Vicky. Pas cette fois. Mais j'ai besoin de temps, tu comprends ?

Victoria acquiesça de la tête.

— C'est l'adresse où je vis et mon numéro de portable. Tu peux venir me voir quand tu veux, mais seulement toi pour l'instant, avec Cylian évidemment. Je ne pourrais pas vous loger, mais il y a un petit hôtel plutôt pas mal pas très loin.

Victoria essuya ses yeux et fut un peu rassurée que son amie n'ait pas dans l'idée de disparaître à nouveau.

— Mais je t'en conjure Vicky, pas un mot de ma venue, même pas à Tennessie, d'accord ?

— Je cautionne pas, mais d'accord.

Elles se prirent dans les bras une dernière fois, puis Jenna partie sans plus tarder.

Elle marcha à grand pas en direction de la sortie, priant pour qu'elle ne croise personne qu'elle ne connaisse, plus précisément une en particulier. Elle ne regarda pas autour d'elle afin de ne pas attirer l'attention. Se fondre dans la masse serait facile, si d'autres personnes se dirigeaient dans la même direction, mais visiblement, le public avait déjà déserté les lieux. Sa visite à Victoria lui avait pris du temps, elle accéléra la cadence lorsqu'elle aperçut la sortie au loin.

Elle passa la double porte qui la séparait du dehors et prit une grande inspiration quand elle sentit l'air sur sa peau. Elle ne s'arrêta pas pour autant et continua de marcher jusqu'à la gare. Elle avait prit un aller-retour dans la même journée, afin de ne pas craquer en prolongeant le temps inutilement, mais aussi parce qu'elle ne s'était jamais séparée de son fils. Pour cela non plus, elle n'était pas encore prête. Elle grimpa dans le train qui la ramenait chez elle, là où elle prendrait le temps pour assimiler tout ce qu'elle venait de vivre et pour digérer le trop plein d'émotion.

La seule personne à laquelle elle pensa à ce moment là, s'appelait Jimmy.

...

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