CHAP 64


Jenna s'occupait de Joey quand Jacqueline revint du coiffeur. Elle l'entendit pester après elle ne savait quoi, mais habituée comme elle l'était aux sautes d'humeurs quasi constantes de toute la famille, elle ne s'en inquiéta pas et continua le bain du petit. Elle connaîtrait bien assez tôt l'origine de la contrariété de sa patronne.

Joey avait maintenant seize mois. Il marchait, commençait à parler et aux yeux de sa mère, il était l'enfant le plus beau qui puisse exister. Dans cette grande famille au sein de laquelle il évoluait, il avait trouvé son public qui à chaque exploit, bêtise ou comédie ne ratait jamais une occasion de se manifester. Il n'était d'ailleurs pas en reste pour les bêtises car il avait de sacrés bons exemples avec les petits enfants du couple. Des modèles pour lui, mais le cauchemar de Jenna qui souhaitait avoir un fils sage et discipliné. Elle avait abandonné certaines de ses exigences pour ne garder que celles qu'elle trouvait absolument primordiales quant à l'éducation qu'elle souhaitait pour son fils. Mais malgré tout, elle passait outre ces petits désagréments car son fils était heureux et s'épanouissait dans ce petit monde pas très ordonné. Et s'il était heureux, alors elle était heureuse. Voir son enfant sourire n'avait pas de prix à ses yeux. Le petit Joey évoluait comme n'importe quel autre enfant de cette famille un tant soit peu atypique.

— Aller mon fils, lui dit-elle alors qu'elle finissait de le coiffer, il est temps de descendre prendre ton biberon. Tu as assez fainéanté ce matin.

Joey regarda sa mère en lui souriant. Parler de biberon, cela réconciliait avec la vie et faisait s'envoler la mauvaise humeur dû à son réveil tardif. Elle le prit dans ses bras et quitta la salle de bain.

Arrivée dans la cuisine, Jenna posa Joey dans la chaise haute qui n'avait jamais le temps d'être reléguer dans le garage entre deux enfants. Elle lui donna un biscuit sec pour le faire patienter pendant qu'elle lui préparait son biberon.

— Ah ! Le plus beau est réveillé ! lança Jacqueline en entrant dans la cuisine.

Elle eut droit à un magnifique sourire de la part "du plus beau" et elle lui déposa des baisers bruyants sur sa joue. Joey éclata de rire ce qui rendit gaga la vieille dame.

— C'est une saloperie ce gamin ! Il arriverait à nous faire vendre notre âme rien qu'avec son sourire. Une vraie saloperie ce gamin, je vous dis moi !

Jenna émit un petit rire, mais ne releva pas. Elle était presque d'accord avec son analyse car elle aussi, elle craquait complètement devant son fils. Mais elle savait être sévère lorsqu'il le fallait, ce que Jacqueline était parfaitement incapable de faire.

Pendant que la vieille femme faisait le pitre avec Joey, le regard de Jenna dévia malgré elle vers le journal qui avait été déplacé sur le meuble. Son esprit fut préoccupé une fois de plus par les durs moments que devaient vivre les filles. Est-ce que Jimmy les soutenait bien qu'elle ne soit plus avec lui ? Elle était pratiquement sûre que toute la famille Laroche était derrière elles, à les épauler et même à agir s'il y avait besoin. Elle ne devait pas s'inquiéter pour elles, elle les savait très bien entourées. Son regard quitta le journal pour se reporter sur Joey mais il croisa celui de Jacqueline qui la fixait d'une drôle de façon. Gênée d'avoir été prise sur le fait, elle piqua du nez, n'osant plus regarder la vieille dame.

Jacqueline prit Joey dans ses bras et l'emporta avec son biberon dans le jardin. Elle le déposa dans un petit parc près de son mari et retourna dans la cuisine.

— Voilà comment je vois les choses, Lyv. Tu es arrivée ici avec une mine triste, des yeux ternes, la peau pâle et un gros ventre. Après quelques semaines passées près de nous, et plus particulièrement à partir du moment où tu es venue vivre avec nous, tu t'es mise à sourire, et même à rire... Tu as retrouvé une peau plus colorée, et la tristesse qui ne te lâchait pas à finit par disparaître avec le temps. Et puis il y a eu l'arrivée de Joey qui t'a complètement transformée. Une naissance qui t'a apportée une renaissance.

Jacqueline ne la quittait pas du regard pour ne rater aucune de ses réactions. Elle vit que ses yeux rougissaient et qu'ils s'humidifiaient. Elle touchait la corde sensible, mais elle espérait ne pas l'effrayer en la bousculant un peu.

— Tu es presque redevenue comme tu étais à ton arrivée depuis que toute cette histoire a commencé. Donc j'en ai déduit que d'une façon ou d'une autre, tu étais liée à cette histoire.

Jenna était surtout pieds et poings liés. Elle n'avait pas vu venir l'attaque de Jacqueline, ni qu'elle avait poussé ses analyses aussi loin. Elle n'eut même pas la force de riposter tant elle avait lâché prise depuis qu'elle vivait avec eux.

— J'ai compris autre chose. La photo de l'homme que tu as accroché au dessus du lit du p'tit, c'est son père, je me trompe ? Parce que faut avouer qu'il y a une certaine ressemblance...

Jenna essuya ses yeux et ses joues des quelques larmes qui s'étaient échappées sans qu'elle ne puisse les retenir. Décidemment, elle ne réussirait jamais à garder une fausse identité très longtemps. À chaque fois, elle était découverte alors même qu'elle ne s'y attendait pas !

Jenna respira un grand coup et décida de dire toute la vérité à Jacqueline. Peu importe ce qu'il se passera après, elle avait l'occasion d'être honnête, elle ne voulait pas rater le côche.

— Je vais tout vous expliquer Jacqueline. Mais c'est un peu long.

— J'ai tout mon temps, dit-elle en montrant une chaise à Jenna et en s'asseyant elle-même. Je t'écoute, ajouta-t-elle quand elle fut installée.

Jenna lui raconta son enfance chez Nanou, le foyer, sa fuite, la rencontre avec Cylian, puis celle avec Gwendal. Comme pour Georges, elle esquiva ce qu'elle avait vécu au bordel. Le regard horrifié de Jacqueline, la mit sur ses gardes. Elle paraissait tellement choquée par son récit qu'elle décida de faire très attention aux mots à employer pour ne pas la choquer plus que nécessaire. Elle lui expliqua comment la danse l'avait sortie du bordel, mais surtout ce que cela lui avait apporté de pratiquer la pôle dance et quel plaisir elle en tirait encore à ce jour. Elle parla de ses amies, Victoria et Tennessie, de ce lien immuable qui les unissait et qui les avait rendu plus fortes.

Puis arriva le moment où Jimmy entra dans sa vie. Si parler des filles avait été relativement facile, son ventre se noua quand elle prononça son nom. Les souvenirs la submergèrent subitement et violemment et cela lui fit un mal de chien. Jacqueline lui proposa un verre d'eau, mais pas d'arrêter, ni même de faire une pause. Non, elle ne la laisserait pas avant de tout savoir, Jenna le comprit et prit sur elle pour continuer. Elle but une grande gorgée d'eau et poursuivit l'histoire de sa triste vie.

Elle ne lui révéla pas l'épisode avec Lewis, trop douloureux et parce qu'elle ne voulait pas voir de la pitié dans le regard de son interlocutrice. Elle passa aussi sous silence que Jimmy était le père de son enfant, mais quand Jacqueline en émit l'hypothèse, elle ne le nia pas, alors même qu'elle appréhendait qu'elle ne la jugea mal.

— Pourquoi être partie sans lui avoir dit qu'il allait être papa Lyv ? Je ne comprend pas, il n'a pas l'air d'être homme à esquiver les problèmes, il te l'a quand même prouvé, non ?

— Parce que protéger mon enfant à naître a été ce qui m'a poussé à m'enfuir.

— Mais il avait les moyens de vous protéger tous les deux ! Tu ne risquais rien avec lui. Vraiment, je ne suis pas ton raisonnement.

Alors elle lui avoua avoir été agressée chez Jimmy.

— C'est là que j'ai compris que rien ne pourrait jamais me protéger efficacement. Rien, ni personne. Je ne serais jamais partie si je n'avais pas été enceinte, mais je n'avais pas d'autre solution. Je devais partir, sans tarder...

— Je comprends un peu mieux, mais je n'approuve pas ! Je pense qu'une fois que cette histoire sera finie, il serait bien de reprendre contact avec le papa. Ce petit ne doit pas rester sans père. C'est important pour son équilibre émotionnel.

— J'en suis consciente, et j'y ai déjà réfléchi, plusieurs fois. Mais j'ai bien trop peur de sa réaction. Je ne supporterais pas qu'il me repousse pour ce que je lui ai fais, parce que je n'ai jamais voulu lui faire de mal. Ce n'était pas le but...

— Le mal est fait, tu ne peux pas revenir en arrière ! Maintenant, tu dois assumer la décision que tu as prise il y a deux ans et agir en conséquence, et pas que pour ton fils, pour toi aussi. Tu es toujours amoureuse de lui, tu ne peux pas me le cacher.

Jenna ne releva pas. Elle baissa piteusement la tête, incapable de soutenir le regard sentencieux de Jacqueline.

— Il n'est pas question que tu le fasses maintenant, mais il faudra que tu y réfléchisses sérieusement quand le procès sera fini et que les choses se seront calmées.

Jenna opina du chef, consciente du bon sens des paroles de la vieille femme.

— Je... pourrais peut-être y faire un tour, pour aller voir Victoria et Tennessie ?

Jacqueline réfléchit intensément à la suggestion de Lyv.

— Oui, pourquoi pas, finit-elle par lâcher. Ça te permettrait de prendre la température, et ce serait un premier contact d'établit. Bon, je vais être franche, ça ne te rendra pas la tâche moins difficile. Ce que tu as à apprendre au papa, n'est pas du même niveau que ce que tu as fait à tes amies, c'est-à-dire les abandonner, mais tu pourras les interroger sur lui, et on avisera par la suite.

— On ? releva Jenna.

— Oui, On. Ton histoire me touche beaucoup, je ne compte pas te laisser tomber, ni te laisser agir n'importe comment. Si tu as besoin de conseils avisés, je suis ton homme !

Sur ces mots, Jacqueline éclata d'un rire si communicatif qu'il se propagea sur Jenna. Ses nerfs fortement éprouvés par son mea culpa, lâchèrent prise si vite, qu'elle fut grisée par son fou rire et n'entendit même pas Michel qui l'appelait. Ce fut Jacqueline qui se leva et qui partit aux renseignements. Jenna en profita pour se calmer, essuyer ses yeux humides, et respirer un bon coup pour reprendre ses esprits. Est-ce que son passé lui ficherait un jour la paix ? Arriverait-elle à affronter ses amies, alors qu'elle avait tous les torts en les ayant lâchement abandonnées ? Trouverait-elle le courage de faire machine arrière et de retourner dans le lieu où elle avait vécu les pires années de sa vie. Même si indéniablement, une part du meilleur n'était pas à ignorer non plus. Jimmy ne l'avait jamais laissée tomber, contrairement à elle...

— Mon Dieu, pourquoi tout est toujours si compliqué dans ma vie ? souffla-t-elle en se frottant les yeux, alors que Jacqueline revenait de l'extérieur en tenant Joey par la main.

— Mais parce que ce serait pas drôle sans ça, argua la vieille femme dans un demi-sourire. Bien que pour ta décharge, je reconnaisse que tu as été particulièrement gâtée, ma pauvre chérie. Mais tu es jeune, peu importe la réaction du papa, tu t'en remettras parce que tu as toute la vie devant. Mais à partir de maintenant, il faut que tu fasses les choses correctement. T'en sens tu capable ?

— Il le faudra bien, je crois que je n'ai plus trop le choix, soupira-t-elle en se cachant le visage dans ses mains.

...

Jenna était dans le train qui la ramenait vers sa ville d'origine. Elle était très nerveuse, mais elle reconnaissait que les conseils de Jacqueline étaient bons. Certes, difficiles à suivre, mais bons. Elle avait un plan quant à sa réapparition auprès des filles. Jacqueline avait réussi à lui dégoter les soirs d'ouvertures du cabaret de Jimmy. Comme le Secret's Club, il n'ouvrait qu'en fin de semaine. Elle ne comptait pas rester plus que nécessaire dans le cabaret, mais elle espérait réussir à tomber sur une de ses amies car si elle croyait ce qui était noté dans le dernier article qui en parlait, Victoria et Tennessie avait une part active dans le fonctionnement de celui-ci.

Elle avait laissé le petit Joey sous bonne garde, chez l'une des filles de Jacqueline avec laquelle elle s'entendait plutôt bien. À l'approche de l'entrée en gare, elle lui envoya un dernier sms pour s'assurer que tout allait bien pour lui. Quand elle eut la réponse à ce dernier, elle rangea son téléphone dans son sac et soupira d'appréhension. Son cœur commençait à accélérer alors qu'elle n'était pas encore sortie du train. Elle commençait sérieusement à douter de réussir à aller jusqu'au bout de sa démarche. Plus qu'une simple appréhension quant aux retrouvailles avec les filles, elle redoutait qu'elles ne la rejettent tout bonnement. Elle le comprendrait, parce que c'était ce qu'elle méritait, mais elle le vivrait très mal. Quitte à choisir, elle préfèrerait ne même pas connaître leurs réactions. Mais elle ne pouvait plus se payer le luxe du choix. Il fallait qu'elle tente quelque chose, Jacqueline avait raison. Si elle pouvait vivre avec le poids des regrets, elle ne pourrait jamais vivre avec celui des remords. Au fond d'elle-même, elle savait qu'un jour où l'autre, elle aurait essayé de reprendre contact avec les filles tout comme elle aurait essayé de savoir ce que devenait Jimmy.

Dans sa vie actuelle, elle était heureuse, épanouie même, mais elle n'était pas entière. Il lui manquait quelques éléments pour pouvoir prétendre à un bonheur complet, et ces éléments se trouvaient être dans ce passé qu'elle fuyait si farouchement...

Elle posa un pied sur le quai, puis l'autre. Elle inspira un grand coup et continua à avancer jusqu'à sortir de la gare. Elle chercha un petit restaurant dans lequel elle pourrait se poser tranquillement et ainsi attendre l'heure d'ouverture du cabaret, mais plus elle attendait, plus elle angoissait. Plus elle angoissait, et moins elle était sûre d'aller jusqu'au bout de sa démarche. Mais elle ne doutait pas que si elle rentrait sans ramener avec elle quelque chose de positif, la déception de Jacqueline serait immense, et rien que pour éviter cela, elle se motivait en invoquant toutes les raisons évidentes du bien fondé de sa présence devant les filles. Si elle était honnête avec elle-même, elle espérait que les filles, dans la mesure où elles accepteraient de lui adresser la parole, lui donneraient des nouvelles de Jimmy. Elle avait un insondable besoin de savoir comment il se portait. Avait-il refait sa vie ? Pensait-il encore à elle, autant qu'elle pensait à lui ? Lui en voulait-il pour ce qu'elle lui avait fait subir ? Certainement que oui, cela semblait tellement inévitable. Surtout quand elle repensait à tout ce qu'il avait fait pour elle.

Elle jeta un coup d'œil sur l'écran de son portable. Il était l'heure d'y aller...

Elle régla l'addition, puis prenant son courage à deux mains, elle quitta le restaurant. N'étant pas loin du cabaret, elle s'y rendit en marchant. Au loin, elle vit des lumières qui clignotaient sur une façade. En s'approchant, elle s'aperçut qu'elles entouraient une affiche gigantesque, sur laquelle était marqué en gros son nom, enfin plus précisément, celui du cabaret : Le Jenna's Cabaret. En admiration devant cette affiche très prometteuse, sa gorge se noua.

— Mon dieu Jimmy, mais qu'as-tu fait ? ne put-elle s'empêcher de murmurer.

Piquée par la curiosité, elle s'enfila dans la file d'attente qui ne cessait de s'allonger.

...

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