— Tu partiras plus ?

— Pas dans l'immédiat.

Jenna était scotchée à Jimmy. Allongés dans le lit, elle avait enroulé ses jambes aux siennes, collé son corps au sien, et elle l'entourait de ses bras. Il ne pouvait manifestement pas se détacher, ni même s'éloigner un tout petit peu. Mais ça lui était égal tant qu'il la sentait contre lui.

— C'est fou ce que tu m'as manqué, soupira-t-il. La prochaine fois que j'ai un déplacement, j'essaierai de t'emmener.

— De toutes façons, si tu te permets de m'oublier, je me glisserais dans ton sac, ni vue, ni connue.

Elle n'avait pas fini sa phrase qu'elle sentit subitement Jimmy se raidir. Il se redressa, la repoussant dans le même temps. Elle le vit s'asseoir sur le rebord du lit puis se prendre la tête entre les mains.

— Qu'est-ce que t'as ? s'inquiéta-t-elle.

La seule réponse qui lui parvint, fut la respiration saccadée de Jimmy. Ne comprenant absolument pas sa réaction et n'envisageant pas de rester dans l'ignorance, elle se plaça derrière lui et l'entoura de ses bras.

— Dis-moi ce que tu as. Ne me laisse pas sans savoir, s'il te plaît. Je... je comprends pas ce qu'il se passe.

Elle lui embrassa l'épaule, plusieurs fois, essayant de le réconforter contre elle ne savait quoi.

— C'est rien, ça va passer. Juste une mauvaise image qui s'est glissée là, lui dit-il en lui montrant sa tête.

Il posa sa main sur la sienne et se tourna vers elle.

— C'est bon, ça va maintenant. Je vais bien.

Il se remit au lit, appuyant son dos contre le mur. Jenna, bien que ne comprenant toujours pas la raison de son changement brutal de comportement, s'installa quand même sur lui en posant la tête sur ses cuisses. Elle était loin de se douter que c'était la phrase qu'elle avait dite, qui l'avait autant perturbé. Se glisser dans son sac... Il n'avait pu empêcher l'intrusion de l'image de Jenna inconsciente, nue, en sang, trimbalée dans un sac de sport... Quel mal de chien cela lui fit. Tout en caressant ses cheveux, il décida de lui avouer cette douleur toujours présente depuis le soir de son agression. Depuis que des monstres l'avaient laissée pour morte dans un sac, sur le pas d'une porte, comme de la vulgaire marchandise.

— Il y a des moments comme à l'instant, où un mot, une image, ou bien une phrase, me rappelle ce que tu as subi. C'est insupportable, parce qu'une fois que c'est dans ma tête, je n'arrive plus à penser à autre chose.

Jenna, toujours la tête posée sur les cuisses de Jimmy, écoutait avec une extrême attention, jusqu'à ce qu'elle comprenne que c'était elle qui avait provoqué la situation. Elle se redressa pour se mettre face à lui. Même si la chambre était dans la pénombre, elle arrivait à distinguer légèrement les traits de son visage. Suffisamment en tout cas pour y percevoir la douleur qui s'y était installée.

— Je comprends, mieux que quiconque. Mais si j'ai réussi à ce qu'ils ne m'empêchent plus d'avancer, alors tu dois y arriver aussi.

Elle posa une main sur sa joue et poursuivit :

— Je pense toujours à ce maudit jour, et j'y penserai toute ma vie, parce que je l'ai vécue, parce que ça fait partie de moi, ça fait partie de mon passé et ça, je ne peux pas le changer. Mais ce que je sais, c'est que j'ai envie de vivre une vie comme tout le monde, parce que je sais que j'y ai droit, comme tout le monde. Je la veux cette vie, tu comprends ? Et j'ai besoin de toi sur ce coup là. Repenser à ce qu'il m'est arrivé, ne sert à rien du tout, à part nourrir cette rage intérieure qui te consumes. Tu te sens responsable de ce que j'ai subi ce soir là parce que tu n'as pas réussi à l'éviter. Mais comment pouvoir éviter l'inévitable Jimmy ? On ne peut pas, c'est tout. Les seuls responsables sont Lewis et Gwendal. Mais certainement pas toi.

Jimmy se pencha vers elle pour l'embrasser.

— Je t'aime tellement, lui dit-il en la serrant contre lui.

— Moi aussi.

Elle l'embrassa à son tour, puis très sérieusement, elle planta ses yeux dans les siens :

— Tu dois te débarrasser de cette haine qui te ronge. Exactement comme moi je les ai viré de ma tête, tu entends ?

— Je ne conçois pas de les laisser s'en tirer à si bon compte. Ce n'est même pas envisageable. Rien ne pourra jamais réparer le mal qu'ils t'ont fait. À par une vie de souffrance ou la mort, rien ne sera jamais assez fort pour les détruire.

— Si, nous deux on peut.

Jimmy eut un sourire en coin. Comme si la frêle créature qui avait encore peu de temps avant la tête posée sur ses cuisses, pouvait contrer une horde de bêtes sauvages ! Elle en était bien incapable. Même lui, ne se savait pas à la hauteur de la tâche. Il en mourrait d'envie, mais sans son oncle et ses hommes, il était impuissant. Et son oncle ne le laisserait jamais intervenir de quelqu'une façon.

— Explique-moi comment tu comptes t'y prendre ?

— En ne faisant rien. Tout simplement.

— C'est trop me demander Jenna.

Elle ferma les yeux devant son entêtement. Il ne comprenait donc pas qu'il n'était pas de taille contre eux ? Qu'il ne tiendrait pas cinq minutes devant un homme tel que Gwendal ?

Elle se mit face à lui, sans le toucher, et le fixa :

— Alors, on aura fait tout ça pour rien parce que je te perdrais à la minute où tu seras face à eux.

— Dis pas n'importe quoi.

Il la tira vers lui, et l'emprisonna dans ses bras. Il la respira intensément, comme pour imprimer son odeur en lui, définitivement.

— Ne pense plus à tout ça. On s'en fout bien d'eux. L'important c'est nous, pas eux. Ils n'existent plus dans nos vies, ils sont rien du tout.

Il ne répondit pas, mais la serrait toujours aussi fort.

— Jimmy, s'il te plaît.

Il opina doucement de la tête, pas vraiment franchement, mais cela suffit à Jenna. Elle comptait bien revenir sur le sujet, mais plus tard, quand il serait moins sous le coup de l'émotion. Elle voulait aussi lui parler de ce qu'elle avait appris par Gros Pat, mais elle jugea le moment inopportun et elle le repoussa à plus tard. Puis elle repensa à sa conversation avec Victoria. Pourvu qu'elle s'inquiète pour rien et qu'elle ne soit pas enceinte. C'était bien trop tôt pour envisager l'arrivée d'un enfant car ni elle, ni Jimmy, n'étaient prêts psychologiquement à un tel bouleversement. Ils avaient des problèmes à régler avant, peut-être même un procès à affronter si Alfred arrivait à mettre la main sur Lewis et Gwendal un jour. Elle n'osa même pas imaginer quelle pourrait être sa réaction, ni celle de sa famille d'ailleurs. Et s'il s'avérait qu'elle était vraiment enceinte, que penseraient les Laroche d'elle ? Sûrement qu'elle s'était faite engrosser afin de s'assurer un avenir financier. Avec ce qu'elle leur avait déjà fait, ils seraient bien en droit de le penser et elle le vivrait très mal si tel était le cas, car elle s'était énormément attachée à eux. Quel vide immense cela serait si elle devait se séparer d'eux. Elle préférait ne pas y penser...

— Fais-moi l'amour Jimmy, maintenant !

Et afin d'être sûr qu'il ne se défile pas, elle se mit à califourchon sur lui et l'embrassa amoureusement dans le cou.

— J'ai besoin de toi, de te sentir sur moi, en moi, lui susurra-t-elle amoureusement.

Si au début il la laissa faire, très vite ses caresses et ses baisers eurent raison de son inertie. Il la bascula sur le lit pour prendre le relais.

Jenna fut rassurée. Il avait répondu présent à son appel que l'on pouvait assimiler à un S.O.S.

Elle avait beau craindre l'avenir, dans ses bras, elle se sentait en sécurité, sereine et c'était un état auquel elle n'était pas encore vraiment habituée. Mais elle y prenait goût, et elle avait peur qu'un rien ne vienne tout foutre en l'air. Elle savait que tout était très fragile autour d'elle. Elle se résolut à chasser ses craintes et ses doutes pour se concentrer essentiellement sur le moment présent. Elle ne voulait pas perdre du temps et de l'énergie à se battre contre Jimmy car elle s'était assez battue tout au long de sa vie. Elle était fatiguée de tout ça, elle avait besoin de calme, de repos et de lui, surtout de lui...

...

Une semaine plus tard, Jenna prévint Victoria qu'il n'y avait pas de changement à sa situation. Sur les conseils de cette dernière, elle fit appel au docteur Cruz pour le rencontrer. Celui-ci étant dans l'impossibilité de se déplacer à domicile, lui demanda de faire le déplacement jusqu'à l'hôpital, où il la recevrait. Sur la demande expresse de Jenna, c'est lui-même qui en informerait Jimmy, et pour ne pas éveiller ses soupçons, il prétexterait une fausse raison, Jenna lui ayant bien fait comprendre qu'elle préférait qu'il ignore la raison de ce rendez-vous pour le moment.

Comme convenu, Jimmy ne douta pas une seule seconde des paroles du médecin et ne s'étonna donc pas de ce rendez-vous pris sur le tard. Ne pouvant pas l'accompagner lui-même étant à l'entreprise à l'heure de la visite, il chargea un des hommes d'Alfred de prendre sa place. Jenna en fut satisfaite, cela arrangeait bien ses affaires. Elle n'aurait pas à lui mentir dès la sortie de la salle d'examens, mais plus tard, lorsqu'il rentrerait du travail. Elle aurait donc tout le temps nécessaire pour se préparer à faire un tel acte alors qu'elle s'était interdite tout mensonge envers lui. Ce n'était pas correct, et elle était déjà prise de remords.

L'homme d'Alfred ne la laissa qu'une fois passée la porte de la salle d'examens et qu'elle fut remise aux bons soins du docteur Cruz. Celui-ci invita Jenna à s'asseoir et lui demanda pourquoi elle souhaitait le voir.

— J'ai un retard de règles d'un peu plus de quinze jours et je suis inquiète.

— Vous ne vous êtes pas protégée ? s'étonna-t-il, se souvenant parfaitement de ses recommandations.

— Si, tout le temps, sauf une fois...

— Ah !

— Voilà, ajouta-t-elle en se tordant les mains tellement elle était gênée.

Le docteur Cruz s'enfonça dans son fauteuil en joignant ses mains. Sans savoir pourquoi, ce geste lui rappela celui d'Arthur lors de son entretien d'embauche, lorsqu'elle lui avait annoncé qu'elle n'avait pas de C.V. Il avait joint ses mains et pressé ses pouces contre sa bouche tout en réfléchissant à comment poursuivre l'entretien sans un C.V comme point de référence...

— Bien, je vais prévenir le service maternité pour qu'une infirmière vous fasse une prise de sang. Cela nous éclairera sur votre état actuel, et si vous êtes effectivement enceinte, de combien de temps précisément.

Jenna soupira.

— Je pensais sortir d'ici en ayant la réponse...

Le docteur Cruz lui sourit, amusé.

— Si vous êtes si pressée, je peux vous proposer un test de maternité. Vous aurez une réponse dans les minutes qui suivent, mais je vous préviens, il existe une possible petite marge d'erreur.

— Je suis preneuse, attesta-t-elle sans réfléchir plus que nécessaire.

— Bien. Je vais vous faire conduire au service maternité. Il vous feront faire le test de maternité mais aussi la prise de sang qui elle, est fiable à cent pour cent !

— D'accord.

Puis Jenna pensa subitement à quelque chose.

— Je ne peux pas aller au service de maternité. Il va me suivre et donc savoir où je vais ! réagit-elle en lui désignant la porte par où elle était entrée.

— Ne vous inquiétez pas. Je vais vous faire sortir par ici, lui dit-il en désignant une autre porte qui se trouvait dans le fond de son bureau. Il ne le saura pas, et je vais le prévenir du délai d'attente, comme ça, il n'y aura pas de soucis.

— Merci beaucoup pour votre compréhension, docteur Cruz.

— Ne vous en faites, tout ira bien. Je vous préviendrai par téléphone pour le résultat de la prise de sang dès demain. Avez-vous un numéro où je peux vous joindre ?

Jenna lui donna son numéro de portable et le suivit jusqu'à une pièce où l'attendait une aide soignante. Ce fût avec un nœud dans l'estomac qu'elle marcha derrière elle. Elles empruntèrent un long couloir qui n'en finissait pas. Elle aurait donné cher pour que Jimmy soit près d'elle, il lui manquait cruellement en cet instant. Mais c'était mieux ainsi. Elle préférait avoir la réponse seule car elle ne savait comment elle réagirait si par malheur elle attendait un bébé. Un bébé, songea-t-elle avec amertume. Quel genre de maman ferais-je alors que j'ai tant de démons qui me poursuivent encore ?

Ce fût avec des pensées bien sombres et tristes qu'elle pénétra dans la pièce où son destin allait peut-être encore prendre un nouveau tournant...

...