CHAP 59
Jenna, qui dégustait tranquillement son café du matin, était pensive. Il lui arrivait souvent de se perdre dans ses souvenirs et de les comparer à sa vie actuelle. Deux mondes complètement différents, que tout, absolument tout, opposaient. Bien qu'elle avait l'impression de vivre presque normalement, le fait d'avoir été contrainte de rejoindre l'appartement des filles pour une semaine, la ramenait dans la dure et impitoyable réalité. Elle avait beau avoir une vie de couple enfin complète, un travail, une belle-famille qu'elle n'échangerait pour rien au monde, un cercle d'amis, certes restreint pour le moment, mais en qui elle pouvait compter en toutes circonstances, il avait suffit que Jimmy parte en déplacement professionnel pendant une semaine, pour que telle une enfant, on la déplace en lieu sûr le temps de son absence. Alors même si elle était ravie de partager des moments d'intimité avec ses plus chères amies, elle ne pouvait être totalement sereine, ni s'empêcher de craindre encore pour leur vie à toutes les trois. Mais désormais, quoiqu'il puisse se passer, elles n'étaient plus seules, et cela la rassurait un peu.
L'entrée de Gros Pat dans la cuisine la fit sursauter.
— Oh, désolé de t'avoir fait peur, s'excusa-t-il aussitôt. J'avais oublié que tu étais déjà arrivée.
Jenna lui sourit, puis bu une gorgée de café. Gros Pat prit la cafetière et s'en servit aussi une tasse.
— Alors, bien dormi ? s'enquit-il en s'asseyant en face d'elle.
— Oui, merci.
— Nessy est devenue folle quand elle a su que tu venais t'installer pour une semaine. Elle a dit : " Je vais lui faire la misère jusqu'à ce qu'elle reparte ! Comme ça, elle ne m'oubliera pas quand elle retournera chez elle."
— Elle est grave...
— Ouais, du grand Nessy. Elle est pas nette par moment, dit-il en se frottant un œil.
— C'est comme ça qu'on l'aime.
Gros Pat ne put qu'approuver. Tennessie, si elle n'existait pas, le monde s'ennuierait !
Jenna profita d'être seule avec lui pour se renseigner de l'avancée de l'enquête concernant Lewis. Jimmy esquivant le sujet à chaque fois qu'elle l'avait abordé, elle ne savait pas si Alfred avait progressé.
— Et vous en êtes où dans vos recherches sur Lewis ? lui demanda-t-elle sans ambages.
— C'est un vrai fantôme ce mec. À chaque fois qu'on croit enfin le débusquer, il n'est déjà plus là. Ça fait quatre planques qu'on retourne dans tous les sens pour rien du tout.
— Alfred compte continuer, ou bien il va laisser tomber ?
— Alfred laisser tomber ? Jenna, t'es sérieuse ? C'est un acharné de la justice c't homme là. Tu peux me croire quand je te dis qu'il n'y a que la mort de l'un ou de l'autre qui stoppera tout. Maintenant qu'il vous sait à l'abri, il n'y a plus rien qui peut le freiner.
Bien que rassurée par les propos de Gros Pat, elle n'arrivait toujours pas à comprendre pourquoi l'oncle de Jimmy se donnait corps et âmes pour cette histoire. Il avait beau être un acharné de justice, pour reprendre les mots de Gros Pat, il n'avait aucun intérêt à s'investir de la sorte. Il n'était même pas payé pour faire tomber Lewis et sa bande. Il perdait du temps qu'il aurait pu consacrer à quelque chose de plus important pour lui, de l'énergie et de l'argent et pour quelle raison ? Pour la gloire ?
Non, personne de sensée sur cette terre n'agirait pour une cause que Jenna considérait comme perdue d'avance.
— T'es au courant pour Cylian ? reprit Gros Pat très sérieusement.
— Jimmy n'a pas pris la peine de me dire quoique ce soit, donc non, je ne suis pas au courant pour Cylian, dit-elle en haussant les épaules d'un air désolé.
— Et bien il a fait une alliance avec Gwendal, contre Lewis.
— Pardon ? réagit vivement Jenna, complètement interloquée.
— Oui. Gwendal lui a demandé de se mettre avec lui, en prétextant qu'avec ses hommes en plus des siens, ils avaient de quoi le mettre hors service pour toujours.
— Y'a un truc qui colle pas. Jamais Cylian n'aurait accepté un tel marché, argua Jenna qui n'en revenait toujours pas.
— Tu vois vraiment pas la raison qui l'a incité à accepter, sérieusement ?
Gros Pat plissait les yeux comme pour lui demander si elle ne se moquait pas un peu de lui.
— Non, se défendit-elle, je ne vois pas ce qui aurait pu le pousser à...
Subitement elle comprit.
— Mon dieu, c'est à cause de moi...
— Disons que Gwendal a su trouver les bons arguments pour le convaincre de s'allier avec lui. Cylian a essayé d'embarquer Alfred dans leur croisade, mais il a refusé tout net. Il a dit que ce n'était pas parce qu'il avait marché avec une fois dans sa vie avec un gars de mauvaise vie, qu'il allait faire affaires avec d'autres !
Jenna réalisa avec effroi que la guerre qu'elle avait tenté à toute fin d'éviter était finalement arrivée. Si elle s'en fichait complètement de ce qu'il pouvait advenir de Gwendal, en ce qui concernait Cylian, c'était bien évidemment tout le contraire. Elle craignait qu'il ne lui arrive quelque chose de mal, par sa faute. Elle craignait pour sa vie à lui.
— Et est-ce qu'ils ont trouvé Lewis ?
— Tout comme nous, ils ont fait chou blanc, mais ils ont réussi à trouver des infos compromettantes concernant ses comptes bancaires. Cylian les a communiquées à Alfred, pour qu'il puisse pousser plus loin les investigations. Si on pouvait réussir à les lui fermer, ça réduirait son champ d'action et les possibilités pour se cacher. Sans argent, il ne pourrait plus rien faire, et Alfred est convaincu que ça le ferait sortir de son trou.
Bien qu'elle ne suivit qu'à demi-mot les avancées énoncées par Gros Pat, Jenna acquiesça. Elle aurait voulu avoir plus de précisions sur Cylian, mais elle n'osa lui demander de peur qu'il la soupçonne d'y être encore un peu trop attachée. Elle avait surtout peur que cela ne remonte aux oreilles de Jimmy et qu'il interprète mal sa curiosité. Elle trouva plus prudent de laisser tomber.
— Et bien, c'est pas demain qu'on peut espérer une vie normale. Tant que lui et Gwendal sont dans la nature, on est condamnées à se cacher...
— Vous êtes quand même carrément mieux loties qu'il n'y a encore quelques semaines !
— Je sais, mais j'aimerais tellement pouvoir être comme tout le monde. Aller là où j'ai envie d'aller, sans avoir à m'inquiéter de qui je vais rencontrer. Tu comprends ?
— Parfaitement. Mais sois patiente, le jour arrivera où le règne de Gwendal et le sadisme de Lewis prendront fin. À ce moment là, vous pourrez la bouffer la vie à pleines, dents et en toute quiétude. Tu sais, il ne ménage pas sa peine Alfred. Tout son temps vous est consacré. Il mange, boit, dort en cherchant comment les éliminer définitivement de la surface de la terre. Bon, après j'avoue que Gwendal a le droit à un sursis, parce qu'il œuvre contre Lewis et que ça peut, peut-être, nous être utile. Mais Alfred l'a dit, dès que Lewis est hors service, la traque s'orientera alors sur Gwendal. Et Alfred sera sans pitié, malgré toute l'aide qu'il pourra nous apporter...
— Et qu'adviendra-t-il de Cylian ? Alfred t'as parlé de ses projets le concernant ?
— Non, mais il n'en n'a pas après lui. Alfred reconnaît que bien qu'il soit du côté obscur, Cylian est une personne intègre. Il gère ses affaires comme n'importe quel patron d'entreprise le ferait. Il n'y a pas de menace, pas de chantage d'aucune sorte envers les gens qu'il côtoie. Alfred ne sait pas comment cela peut-être possible, mais les faits sont là ! Il est super respecté dans le sud de la ville.
— Je sais tout ça, soupira Jenna. C'est pour ça que je l'ai conseillé à Alfred, je savais que ça se passerait bien entre eux deux.
— C'est vrai que ça se passe plutôt bien. Étonnamment, Alfred à même quelques marques de respect vis-à-vis de lui. Il lui reconnaît quelques qualités et quelques principes auxquels lui-même adhère. Il dit qu'il lui fait penser à nos anciens gangsters qui avaient un code d'honneur et qui le respectaient sans jamais faillir, alors que maintenant, y'a plus de respect en rien...
Bien que sceptique quand au code d'honneur des anciens gangsters, Jenna ne releva pas. Pour elle, il n'y avait pas de bons ou de mauvais gangsters. Elle condamnait ce que faisait Cylian, mais juste un peu moins fort que pour Gwendal.
Gros Pat changea de sujet :
— Alors, qu'est-ce que vous avez prévu de faire aujourd'hui ?
— Je ne sais pas. Les filles ont parlé de piscine...
— Ah mais c'est top ça ! En plus, elle est dans l'immeuble donc privatisée et réservée qu'aux habitants de la résidence. Autrement dit, c'est la tranquillité garantie !
— Ouais. Mais on sera quand même accompagnées...
— Je sais que ça te pèse Jenna. Mais ça rassure Jimmy et Alfred donc, rien que pour eux, tu dois l'accepter de bon cœur.
— Je sais, mais j'aimerais tellement pouvoir me sentir libre...
— Bientôt Jenna, bientôt. Sois patiente encore un peu.
Blasée, elle acquiesça. Mais qu'il lui tardait de pouvoir agir à sa guise, sans être sans cesse chaperonnée.
Puis quelque chose qui l'inquiétait depuis deux jours, lui revint brutalement en tête. Elle avait du retard dans ses règles, et cela était assez inhabituel. Il fallait qu'elle mette Victoria dans la confidence, peut-être saurait-elle quoi faire...
Les filles n'étaient pourtant que trois dans la piscine de la résidence, mais elles donnaient l'impression d'être une colonie d'enfant agités à elles seules. Comme il n'y avait personne d'autre dans l'eau, elles s'en donnaient à cœur joie, allant jusqu'à arroser les costumes des hommes qui les accompagnaient. Si au début, ils n'avaient pas forcément trop apprécié, le rire communicatif des filles avait fini par se propageait jusqu'à eux. Au point même que l'un des gardes du corps attrapa Tennessie alors qu'elle passait devant lui, la souleva et la jeta sans ménagement dans l'eau. Victoria et Jenna, qui avaient tout vu, s'étaient prises d'une crise de fou rire sans précédent qui ne se calma que lorsque Tennessie s'approcha d'elles d'un air menaçant.
— Si vous n'arrêtez pas de vous foutre de moi tout de suite, je vous coule l'une après l'autre, c'est compris !
— Pardon Nessy, s'empressa de s'excuser Victoria. Mais c'était aussi inattendu que mortellement risible. T'aurais vu ta tête quand il t'a soulevée, mais c'était à mourir de rire ! Putain, mais pourquoi on n'a pas filmé la scène ? Mais quelle perte !
— Rooo bon ça va hein ! On peut passer à autre chose ou mesdames ne vont pas réussir à s'en remettre ?
— C'est bon, c'est fini assura Victoria qui peinait à rester sérieuse.
Mais un seul regard à Jenna suffit pour la faire repartir dans un éclat de rire à faire trembler l'immeuble.
— Vous faites pitié les filles !! lança vexée Tennessie. Des vraies gamines. Il vous faut vraiment pas grand-chose pour vous amuser...
Puis Jenna se rappela la fois où c'était elle-même la risée de ses deux amies lorsqu'elle leur avait avoué le nom de sa nouvelle identité.
— Tu vois ce que ça fait quand tu dis d'arrêter à une bande de débiles qui pense qu'à rire !
— Ouais, bon, ben c'est bon, ça va, j'ai compris, se renfrogna Tennessie.
Jenna et Victoria la laissèrent bougonner dans l'eau, alors qu'elles partirent chacune aux cabines misent à disposition pour les habitants de la résidence afin de se changer. Ce fût toujours à deux qu'elles rentrèrent dans leur appartement, accompagnées d'un des hommes d'Alfred, l'autre étant resté auprès de Tennessie qui n'était pas décidée à sortir de l'eau. Jenna en profita pour se confier à son amie. Quand elles se furent installées dans le salon, bien calées dans le canapé à déguster des petits gâteaux fabriqués des mains de Victoria, cela allait sans dire, elle se lança, non sans mal, car c'était le genre de sujet dont elle n'avait jamais parlé auparavant.
— Vicky, je peux te parler de quelque chose de très personnel ? lui demanda-t-elle un peu gênée.
— Évidemment !
— Avoir du retard dans ses règles, ça veut pas forcément dire que... enfin tu vois, tu comprends ce que je veux dire ?
— On parle de combien de retard, dis-moi ?
— Deux jours.
— Faut attendre encore un peu pour se prononcer. Deux jours, c'est rien du tout.
— C'est bien ce que je pensais, souffla Jenna soudainement rassurée.
— Ça veut pas dire que tu n'y es pas, hein !
Jenna se tourna vivement en se bouchant les oreilles.
— J'ai rien entendu ! Le son de ta voix n'est même pas sortie de ta bouche et n'a donc pas pu atteindre mes oreilles.
— Non mais sérieusement Jenna, imagine que tu y es vraiment, tu vas faire quoi ?
Jenna retira les mains de ses oreilles, se repositionna sur le canapé et lui lança un regard en biais.
— Comment ça je vais faire quoi ? Qu'est-ce que je suis censée te répondre ?
— Dans ce genre de situation, tu n'as que deux options, et donc, que deux choix. Mais, quoiqu'il advienne, il ne peut y avoir qu'une seule réponse. Alors, qu'est-ce que tu feras si toutefois, tu y es ?
— Je te répondrai une fois que je serai fixée. Là, c'est le flou complet dans ma tête...
— Vous ne vous protégez plus maintenant que tout va bien de ce côté-là ?
— Si. On a juste oublié une seule fois. La première en fait depuis qu'on a repris. Je n'y ai repensé que plusieurs jours après et je n'ai rien dis à Jimmy parce que je n'ai pas voulu l'inquiéter plus que nécessaire, tu comprends ?
— Oui, bien sûr que je comprends. Voilà ce qu'on va faire, on attend encore un peu pour voir si tout rentre dans l'ordre, si c'est le cas, tant mieux. Mais si, disons dans deux semaines, c'est toujours le désert chez toi, alors il faudra dégoter un test de grossesse, ça se trouve un peu partout. Et à ce moment là, il faudra bien que tu te décides à le dire à Jimmy, si le test s'avère positif, évidemment...
— Pourquoi j'ai l'impression que tu espère que j'y sois ? demanda Jenna en fronçant les sourcils.
— Parce que si t'es enceinte, JE VAIS ÊTRE TATA !!! s'écria Victoria en levant subitement les bras en l'air et en s'agitant exagérément sur le canapé.
Ce fût à ce moment là que surgit une Tennessie surexcitée et qui s'empressa de demander :
— Qui va être tata ?
...
La semaine passa très vite et quand Jimmy pénétra dans l'appartement, il fut accueilli par Jenna qui lui sauta au cou.
— Bon, j'ai déjà la réponse à ma première question, affirma-t-il en la serrant contre lui.
Elle répondit en collant le nez dans son cou tout en le serrant contre elle à son tour.
— Et là réponse à ma deuxième question, c'est bien, on gagne du temps.
— On vous prête le mur, si vous êtes si pressés. On mettra la télé plus fort, c'est tout ! argua Tennessie, dans un sourire malicieux.
Jimmy, surpris par cette réflexion, en lâcha Jenna de stupeur.
— Non mais vous croyez quand même pas qu'on va... là, comme ça...
— On en a vu d'autres, glissa-t-elle en lui faisant un clin d'œil complice.
Elle s'éloigna en sautillant, comme le ferait innocemment une petite fille qui part jouer dans sa chambre.
— Du grand Nessy. Fais pas attention à elle, le rassura Victoria. Elle en rate jamais une.
— C'était quoi tes questions ? l'interrogea Jenna.
Jimmy se pencha à son oreille pour lui répondre :
— Comment vas-tu pour la première et est-ce que je t'ai manqué pour la deuxième.
— Mieux maintenant que t'es là et trop, trop, vraiment trop ! Et toi ?
— La même que toi, mais en pire.
— Impossible !
— Oh si c'est possible !
Il la reprit dans ses bras et la monta jusqu'à ce que leur visage soit face à face. Alors, il l'embrassa pour l'empêcher de surenchérir.
— Tu triches, roucoula-t-elle en souriant bêtement.
— Tes affaires sont prêtes ? voulut-il savoir, alors qu'il la reposait sur le sol.
Bien qu'elle fût tentée de lui répondre que ce n'était pas le cas pour le taquiner, elle était tellement pressée de se retrouver enfin seule avec lui qu'elle répondit dans l'affirmative en lui désignant son sac d'un signe de la tête. Jimmy se pencha pour le prendre et attendit qu'elle en finisse avec les embrassades, câlins et chamailleries qu'elle distribua à chacune de ses amies.
— Heureusement qu'elles ne sont que deux, commenta un des hommes d'Alfred qui était en charge de surveiller la porte d'entrée.
— Dans le cas contraire, ce n'est pas moi qui serais venu la chercher. Je n'aurais pas eu la patience, plaisanta Jimmy.
— Je comprends. En tout cas, on s'embête pas avec elles. Elles sont tout simplement hors normes.
— J'aurais pas dit mieux, approuva Jimmy. Bon, je vous souhaite une bonne soirée dit-il en voyant Jenna revenir vers eux, et aussi bon courage, ajouta-t-il d'un air empli de compassion.
— Merci. Bonne soirée à vous aussi, Monsieur.
Ce fut l'un contre l'autre qu'ils quittèrent les lieux.
...
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