CHAP 50
Quand elle entendit la porte d'entrée se refermer, Jenna se dirigea vers celle-ci pour y retrouver Jimmy. Il rentrait enfin, et à partir de cet instant, ils allaient rester ensemble, plusieurs jours. Ils allaient quitter l'appartement pour aller, elle ne savait où, mais elle s'en fichait bien, l'important étant d'être avec lui. Ses pensées furent interrompues par des cris de folles furieuses. Devant elle, se tenaient Victoria et Tennessie, complètement hystériques, qui l'attrapèrent et la serrèrent à l'étouffer.
— Putain que c'est bon, hurla Tennessie. Ça faisait trop longtemps !
Puis, quand elle fut légèrement plus calme, elle ajouta :
— Plus jamais ça. Plus jamais loin de toi si longtemps...
Victoria s'écarta pour regarder Jenna dans son ensemble.
— T'as pas changé, t'es toujours aussi belle.
Jenna ne répondit pas aux compliments de son amie. D'une part parce qu'elle n'y croyait pas et d'autre part, parce qu'elle était tellement émue, qu'aucun son n'arrivait à sortir de sa bouche. À la place, elle retourna avec empressement dans ses bras. Ce fut à son tour de la serrer avec force.
— D'accord, targua Tennessie. Sympa les copines. T'as vu ça Pat, comment elle me laisse tomber ?
Pour la faire taire, Victoria agrippa son vêtement et la força à les rejoindre.
Jimmy savait que sa surprise allait faire plaisir à Jenna. Mais il n'avait absolument pas imaginé que lui-même serait envahit par l'émotion à ce point. Ses trois filles là, dégageaient quelque chose que l'on pouvait apparenter à une force, comme si rien ne pouvait plus les atteindre lorsqu'elles étaient réunies. Il vit alors le lien qui les unissait, celui qui les avait maintenues la tête hors de l'eau pendant toutes ses années. Il comprit pourquoi Victoria n'aurait jamais parlé tant que ses amies étaient toujours sous le joug de Gwendal, et pourquoi Jenna ne l'avait pas suivi lorsqu'il l'avait presque supplié de rester dans la voiture avec lui et d'abandonner sa vie d'alors. Elle lui avait donné la raison de son refus : Tennessie. Il n'avait pas imaginé combien ce lien était puissant.
— Je t'offre une bière ? proposa-t-il à Gros Pat qui lui aussi était pris par l'émotion.
— Ouais, je veux bien, accepta ce dernier, content d'échapper au spectacle émouvant des filles.
Ils burent tout en discutant histoire d'alléger l'ambiance chargée en émotions. Puis, sans vraiment le vouloir ou bien même le contrôler, leurs regards se posèrent à nouveau sur elles.
— Je crois qu'on ne pouvait pas leur faire plus plaisir, lâcha Jimmy dans un souffle.
Gros Pat approuva en refoulant les larmes qui lui montaient aux yeux. Il était insensible en temps normal, hermétique à toutes sortent de situations, quelles soient cruelles, injustes ou gores. Mais dès qu'il était question des filles, pour une raison obscure, il perdait son sang froid. Il ne comptait plus le nombre de fois ou il s'était mis en danger pour les couvrir et ainsi leur éviter des sentences atroces. Il avait même failli à son devoir avec Tennessie. Il s'en était voulut, conscient de faire la plus belle des conneries dans un lieu où tout était permis. Dès lors que le porte-monnaie s'ouvrait facilement, ce qui était loin d'être son cas. Lui, il n'avait pas le droit de toucher à la marchandise, réservée aux plus riches de la ville, il devait seulement la surveiller. Gwendal l'aurait tout simplement tué pour avoir osé toucher Tennessie. Mais il était un homme avant tout. Il avait été faible face à elle, lorsqu'il l'avait emmenée chez lui. Et pourquoi l'avoir emmenée à son appartement ? Pourquoi avoir risqué de mettre son travail et peut-être même sa vie en péril pour elle ? Tout simplement parce que Tennessie, il l'avait vue arriver au bordel. Ce jour là, il avait en charge la surveillance du convoi des nouvelles arrivées. Il devait s'assurer que les gars livraient bien la cargaison, entière, en temps et en heure. Gwendal était très pointilleux quand il était question de "ses filles". Elles étaient bien plus lucratives que n'importe quel autre business dont il s'occupait. Même la came ne lui rapportait pas autant.
Parmi le lot de filles qui avait défilé devant lui, une seule lui avait fait détourner le regard. Une seule avait su capter son attention. Il se rappelait même l'avoir interpellée lorsqu'elle était arrivée à sa hauteur, il lui avait demandé son nom. Un nom qu'il n'avait jamais pu sortir de sa tête, tout comme son regard apeuré. Elle était très jeune, comme toutes les autres filles lorsqu'elles arrivaient au bordel. La chair fraîche était une denrée précieuse, très recherchée et très appréciée des grosses fortunes de la ville. De plus leurs cerveaux étaient encore malléables, il était facile de les faire plier aux dures règles, mais pourtant très simples, du bordel. Sourire, écarter les cuisses, accéder aux exigences du sexe fort.
"Soit bonne et tais-toi !", la phrase préférée de Gwendal...
Gros Pat se rappelait surtout à quel point il avait été heureux de voir Tennessie intégrer le spectacle. Cela voulait dire la fin du bordel pour elle et pour lui, pouvoir la voir tous les jours car les filles du spectacle montaient en grade aux yeux de Gwendal, elles devenaient encore plus précieuses, et par ce fait, elles étaient logées dans le bâtiment qui était justement sous la responsabilité de Gros Pat. Une aubaine qui lui avait permis au fil du temps de l'approcher elle, mais aussi ses deux co-locataires sans oublier Gaby, l'officielle de Gwendal qui était danseuse aussi. Une relation de confiance s'était nouée tout doucement, jusqu'à ce que Gros Pat devienne pour elles, le seul en qui elles puissent compter.
À la mort de Gaby, les filles avaient tellement été choqué et peiné que plus d'une fois il avait eu dans l'idée de les faire évadées. Mais seul, cela était inenvisageable...
Si bien que lorsque Éric l'avait approché pour lui faire part de sa recherche qui visait sa fille, et qu'après vérification, Gros Pat avait pu lui certifier qu'elle appartenait bien à Gwendal, il avait monnayé la sortie d'une des trois filles contre son aide. C'était tombé sur Victoria, il aurait préféré Tennessie, car il l'avait senti à fleur de peau et pas loin de craquer, mais le sort en avait décidé autrement...
Mais par le plus grand des hasards, il avait fallu que Jenna entretienne une relation suivie et qui plus est, extrêmement risquée, avec le neveu de l'homme qui avait organisé l'évasion de Victoria et qui organisait celle de la fille d'Éric, ouvrant là une nouvelle perspective d'évasion pour elle-même, mais aussi pour Tennessie. Rien n'était donc perdu, bien au contraire. Alfred avait su géré les derniers imprévus et organiser ainsi l'évasion des filles le même jour que celui de la fille d'Éric. Si seulement cette pourriture de Lewis n'était pas intervenue, tout ce serait bien passé...
— Pat, l'interrompit Jimmy. Comment se comporte Tennessie ?
— Comment ça ?
— Est-ce qu'elle te paraît en paix avec elle-même, après ce qu'elle a vécu ?
Des images de Tennessie s'acharnant à frotter sur sa peau nue une brosse métallique, lui apparurent. Il les chassa avant de lui répondre :
— Elle n'en parle pas. Victoria non plus.
— Pareil en ce qui concerne Jenna.
Gros Pat repensa à la vidéo sur laquelle Jenna subissait l'horreur.
— Ce qu'elles ont vécu, elles ne pourront jamais l'oublier. Je sais parfaitement ce qu'elles ont subi, soit parce que j'y étais, soit parce que je suis arrivé juste après, soit...
Il s'interrompit, ne voulant surtout pas mentionner la vidéo.
— ... soit par d'autres moyens. Toutes les trois sont fracturées à vie. Le temps qui passe ne suffira pas à les soigner. Avec beaucoup de patience, tu arriveras, vous arriverez à passer au dessus de tout ça, mais il restera toujours quelque chose qui ne partira pas. Elles sont condamnées à vivre avec...
Tout en regardant les filles discuter énergiquement, Jimmy réfléchissait à l'analyse de Gros Pat. Il était clair que le chemin à parcourir serait encore long et plein d'embûches. Mais son naturel optimiste voulait croire en une guérison complète de l'âme de Jenna. Elle va s'en sortir, se dit-il convaincu, elles vont toutes s'en sortir !
Puis Jimmy rebondit sur un détail que Gros Pat avait dit, ou plus exactement, avait sous-entendu.
— Quand tu dis "par d'autres moyens", tu parles de la vidéo de Jenna, tu l'as vue ?
Gros Pat ne put se résoudre à lui mentir. Et puis, cette vidéo, il ne tomberait jamais dessus. Son oncle la gardait en lieu sûr, en vue d'un éventuel procès. Il acquiesça gravement à sa question mais alors que Jimmy ouvrit la bouche pour lui poser une autre question, Gros Pat le coupa :
— Non, tu ne veux pas savoir ! Crois-moi, il vaut mieux que tu n'approfondisses pas ce terrain là.
Ils furent coupés par le rire de Victoria qui racontait une anecdote à Jenna.
— T'as loupé ça, lui dit-elle entrecoupée d'un rire spontanée. J'étais postée juste derrière la porte d'entrée pour l'accueillir.
— Ouais, bien sûr, pour m'accueillir, c'est ça. Tu veux que je te dise comment elle m'a réellement accueillit ?
Jenna, amusée par l'échange de ses deux amies incita Tennessie à poursuivre.
— La première chose que j'ai vue après Victoria, c'est une poubelle juste à côté d'elle, et une paire de baskets juste à côté de la poubelle. Voilà comment elle m'a "accueillit" !
Jenna ne voyait pas où elle voulait en venir. Victoria l'éclaira :
— Rien que de repenser à ce qu'elle avait aux pieds, j'en avais la nausée. J'ai demandé à Alfred si c'était possible de lui avoir des baskets neuves à son arrivée, histoire de ne pas gâcher nos retrouvailles...
— Franchement Jenna, c'est pas honteux cette façon d'agir ? s'insurgea la pauvre Tennessie. Elle n'a pas voulut me toucher tant que je n'avais pas mis mes baskets dans la poubelle !
Jenna ne put s'empêcher d'éclater de rire, tout en s'excusant platement auprès de Tennessie. Les gars qui avaient assistés à la conversation, rirent eux aussi de bon cœur. Seule Tennessie faisait mine de bouder. Jimmy les rejoignit et se plaça derrière Jenna pour la prendre dans ses bras. Avoir reparlé de la vidéo avec Gros Pat, lui avait subitement donné l'envie de la sentir contre lui, envie de respirer son odeur. Il était complètement fou d'elle, comme jamais une fille ne l'avait rendu aussi dingue. Il voulait oublier le mal qu'on lui avait fait, mais c'était chose impossible. Tout en Jenna, que ce soit dans ses gestes, dans sa façon de parler, dans son manque d'initiatives, dans les questions qu'elle posait, lorsqu'elle en posait, ou encore, et c'était le plus parlant, par le blocage sexuel, tout, absolument tout, rappelait le traumatisme qu'elle avait subit. Il espérait vraiment que la surprise qu'il venait de lui faire et celle qu'il avait prévu pour le lendemain, l'aideraient à aller mieux, à comprendre que la vie continuait et que le passé était le passé.
Quand ils se retrouvèrent seuls, il était grand temps de se coucher. Gros Pat et les filles avaient dîné avec eux, ce qui avaient prolongé la soirée plus que ce Jimmy avait souhaité, mais il ne le regrettait absolument pas. Voir la femme dont il était épris rire enfin aux éclats était si inattendu et si beau, qu'il n'avait pas voulu écourter la soirée. Lui, n'avait pas tellement participé, mais il s'était régalé à écouter les anecdotes des filles concernant leur ancienne activité, cela valait carrément le détour. Il n'aurait pu imaginer un jour, pouvoir rire de ces situations au demeurant dramatiques. Racontées par les filles, cela paraissait être un moment, parmi d'autres moments, dans la journée d'une personne lambda. Il ne fallait pas s'y tromper, derrière leurs légèretés, elles cachaient du mieux qu'elles le pouvaient, les malheurs qui avaient ponctué leurs journées. Toutes les trois avaient réussi à l'émouvoir. Jenna dans ses bras, il s'endormit si rapidement, qu'il ne l'entendit pas le remercier d'avoir fait venir les filles. N'entendant aucune réaction de la part de Jimmy, elle se retourna doucement et vit qu'il n'était déjà plus avec elle. Elle reprit sa position initiale, se blottissant un peu plus contre lui et elle aussi, elle finit par s'endormir, tout en se demandant où est-ce qu'ils seraient le lendemain soir.
...
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