CHAP 48


Jenna piétinait d'impatience. Elle attendait la visite du docteur Cruz qui venait pour un examen de contrôle. Le dernier examen, si tout se passait bien. Elle s'était bien gardée de le rappeler à Jimmy car s'il s'avérait qu'elle était remise, elle tenait à lui en faire la surprise. Cela faisait bien trop longtemps que tous les deux se contenaient, alors rien que d'envisager la possibilité que l'abstinence obligatoire touchait à sa fin, rien que d'imaginer que le soir même allait peut-être être différent des soirs précédents, apportait une saveur inhabituelle à ce début de journée. Et s'il s'avérait que le médecin jugeât bon son état de santé, alors avec Jimmy, ils allaient enfin pouvoir former un "vrai" couple. Bien qu'ils le soient, il ne leur manquait plus que ça pour être vraiment ensemble, pouvoir vivre comme n'importe quel autre couple...

C'était clairement pour Jimmy que c'était le plus dur. Elle était consciente que de se coucher tous les soirs à ses côtés était un vrai supplice pour lui. Il pouvait regarder, toucher, mais pas consommer. Elle espérait vraiment que le docteur Cruz sonnerait le glas qui les délivrerait de cette torture.

Pour elle, c'était beaucoup moins difficile. Les premiers temps, juste après son arrivée chez lui, elle ne pensait évidemment pas au sexe. Elle sortait d'une terrible agression qui l'avait traumatisée aussi bien physiquement que psychologiquement. Et puis, l'univers auquel elle était habituée avait tout simplement disparu, remplacé par celui de Jimmy, certes plus sain, mais complètement nouveau pour elle. Il avait fallu beaucoup de patience à Jimmy pour qu'il réussisse à lui faire comprendre que chez lui, elle ne risquait rien. Dès lors qu'elle eut trouvé ses marques, ses repères, elle put alors se focaliser sur elle-même, sur ce qu'elle avait subit et sur comment se reconstruire. Pendant tout ce temps, le sexe n'était pas envisageable, médicalement d'une part, mais aussi parce qu'inconsciemment son corps n'en voulait pas, il le refusait. C'était tout récemment qu'elle avait laissé Jimmy poser les mains sur elle. Avec beaucoup d'appréhension dans un premier temps, car elle avait eut peur de ne pas supporter, puis lorsqu'elle s'était aperçue que son corps ne se rebellait pas, qu'il ne considérait pas les caresses de Jimmy comme une agression, alors elle s'était détendue. Pas suffisamment pour ressentir de l'excitation, mais juste ce qu'il fallait pour apprécier la chaleur de son regard lorsqu'il avait posé les yeux sur elle, puis celle de ses mains et de ses baisers sur son corps...

Oui, elle avait apprécié, mais elle s'était inquiétée que son corps n'en demande pas d'avantage. Il n'avait pas répondu présent aux caresses de Jimmy. Elle s'était empressée de questionner l'infirmière lors d'une de ses visites, cette dernière l'avait aussitôt rassurée.

— C'est une réaction on ne peut plus normale. Tout rentrera bientôt dans l'ordre, ne vous inquiétez pas. Votre corps à juste besoin de temps, c'est tout. Quand il sera prêt, vous le saurez.

Le clin d'œil coquin que l'infirmière lui avait adressé s'était voulu rassurant et avait eut l'effet escompté sur Jenna, elle était rassérénée. Elle avait donc pris son mal en patience, sans jamais en inquiéter Jimmy. Elle ne voulait surtout pas qu'il se sente rejeter par son non intérêt pour la chose, ou qu'il pense qu'elle n'en avait plus l'envie, ou bien encore que le problème venait de lui. Elle avait donc laissé le temps agir, comme recommandé, cela lui avait permis de vérifier les dires de l'infirmière. Elle fut heureuse de constater que son corps reprenait vie chaque fois un peu plus lors de leurs moments d'intimité. Moments d'intimité qui revenaient de plus en plus souvent. Même si elle avait hâte de passer à l'étape suivante, elle ne pouvait empêcher une pointe d'appréhension freiner son enthousiasme. Et si arrivée au moment fatidique, elle ne pouvait vraiment pas aller plus loin, comment le prendrait Jimmy ? Elle ne voulait pas le rejeter, ni qu'il le prenne mal et ne lui en veuille. Avant lui, elle n'avait connu que des hommes exigeants, qui ne se contentaient pas de promesses. Jimmy était le premier depuis Cylian à être différent, à ne rien exiger d'elle. Tous les ingrédients étaient réunis pour la rassurer, pour ne pas qu'elle craigne ce moment, mais c'était quelque chose qu'elle ne contrôlait pas. Elle avait peur, voilà tout !

Après examen, le docteur Cruz rassura Jenna. Tout aller bien chez elle d'un point de vue médical.

— Je ne vois pas de contre-indication à ce que vous ayez à nouveau une vie sexuelle active. Seulement lors des premiers rapports, il faudra y aller doucement d'accord, et surtout vous protégez pour éviter tout risque d'infections. Gardez en tête que vous êtes encore fragile et si jamais vous avez mal, je contrôlerai pour vérifier que tout va bien.

— Et c'est tout ? demanda Jenna qui restait dans l'expectatif.

— C'est tout.

L'infirmière qui accompagnait le médecin se permit d'expliquer les craintes de la jeune patiente, ce à quoi il répondit en reprenant approximativement les mêmes idées qu'elle :

— Votre corps a subit de graves traumatismes qu'il n'a pas encore oublié. Imaginez que vous vous soyez brûlé la peau, est-ce que vous accepteriez que monsieur Laroche passe ne serait-ce qu'un doigt sur votre blessure, même une simple caresse ? Non, parce que votre peau ne serait pas à même de l'apprécier et donc, vous non plus. C'est le même principe, votre corps n'est pas encore réceptif à cela, mais ça viendra, surtout si vous, vous le voulez. Tout se mettra bientôt en place. Par contre, si ça ne se fait pas naturellement, il faudra sérieusement envisager de consulter la psy que je vous ai déjà indiqué.

— D'accord, approuva Jenna.

Le médecin et l'infirmière plièrent la table de consultation, rangèrent l'appareil portatif pour faire les écographies et partirent, la laissant sans réaction. Elle ne réalisait pas qu'elle y était enfin, tout comme elle ne savait absolument pas comment l'annoncer à Jimmy. Quelle façon était la plus appropriée : de but en blanc, sans ménagement ? Ou plutôt par le jeu, en lui laissant deviner ? La pauvre, elle n'en savait rien du tout. Elle s'allongea sur le canapé deux places, et fixa le haut plafond. Elle partit dans des pensées inavouables, qui la ramenaient à sa première fois avec Jimmy dans la salle secrète. Il avait fait tellement de choses pour elle depuis ce moment là...

Elle ne comprenait pas pourquoi ça lui arrivait à elle. Combien de filles, prostituées comme elle avaient eut cette chance là, un jour, de rencontrer un homme capable de les traiter comme elles devaient être traitées, c'est-à-dire dignement, comme un être humain ; capable de les aimer au point de prendre des risques inconsidérés pour les sortir des griffes de leurs souteneurs ; capable de ne pas les juger ; capable de leur rendre une vie qu'elles avaient perdue depuis longtemps...

Normalement, un tel homme n'existait pas, en tout cas, pas dans la vraie vie. Il existait seulement dans les films, et encore, pas dans tous les films. Alors pourquoi elle précisément, était tombée dessus ? C'était tout simplement trop beau pour être vrai...

Finalement, la journée passa relativement vite. Jimmy n'ayant pas pu rentrer pour le déjeuner, arriva plus tôt avec des fleurs, pour se faire pardonner de sa désertion du midi. Alors que Jenna remplissait un vase d'eau du robinet de la cuisine, Jimmy se plaça derrière elle et l'enlaça amoureusement.

— C'est fou comme tu m'as manqué aujourd'hui.

— Tu m'as manqué aussi, lui affirma-t-elle avec un grand sourire, même s'il ne pouvait pas le voir.

— Je déteste ces repas d'affaires. Ils m'obligent à rester loin de toi, et c'est inconcevable comme situation, dit-il en se détachant d'elle pour la laisser se décaler.

— C'est dur pour moi aussi, mais tu n'as pas le choix, donc...

Elle mit les fleurs dans le vase et le posa sur le bar. Elle se tourna pour être face à lui et plongea ses yeux dans les siens. Elle hésitait sur la façon d'amener la nouvelle. Elle hésitait à lui dire tout simplement. Se tordant les mains, elle se lança :

— J'ai eu une visite aujourd'hui.

Appuyé sur l'évier de la cuisine, les mains dans les poches, Jimmy venait juste de remarquer le comportement bizarre de Jenna. Elle paraissait sur la réserve par rapport aux soirs précédents et subitement, il repensa à un soir en particulier, celui où elle lui avait parlé de la visite de Cylian.

— Il est revenu ? lui lança-t-il sèchement.

— Qui ça ? demanda-t-elle, ne voyant sincèrement pas de qui il voulait parler.

— Cylian.

— Oh non ! s'empressa-t-elle de lui répondre. Ça n'a rien à voir du tout. C'était une visite prévue depuis quelques temps déjà, mais que tu as oubliée et que je ne t'ai pas rappelée volontairement. Ça ne te dit rien ?

Bien qu'il fût soulagé que ce ne soit pas celui auquel il pensait, il n'en restait pas moins méfiant. Mais après une rapide réflexion, il se souvint que c'était la visite du médecin qui était prévue le matin même.

— Si. Ça s'est bien passé ? hasarda-t-il circonspect.

— Très bien. Plus que très bien même.

— Dis-moi, l'invita-t-il à poursuivre.

Elle se tordit à nouveau les mains, cherchant dans le fouillis de son cerveau les mots adéquats pour enfin réussir à lui annoncer la nouvelle.

— C'était sa dernière visite de contrôle.

— Et tout va bien ?

Il avait parlé lentement, comme s'il s'attendait à une mauvaise nouvelle. Jenna ne répondit pas. À la place, elle lui fit un sourire franc qui le mit instantanément sur la voie.

— C'est pour ça que tu ne m'avais rien dit, comprit-il, un sourire malin en coin. Au cas où ce ne serait pas encore le moment.

— Je sais que pour toi, ça devient...

Là encore, elle chercha le juste mot pour décrire ce qu'elle savait de son ressenti à lui :

— ... compliqué. Je voulais juste t'éviter une déception si ça n'avait pas était bon.

Il n'en revenait pas. Après tout ce qu'elle avait traversé, tout ce qu'elle avait enduré, elle s'obstinait encore et toujours à s'inquiéter de ce qu'il pouvait bien ressentir. Enlevant les mains de ses poches, il s'approcha d'elle et la serra fort dans ses bras. Il était définitivement fou d'elle, à n'en pas douter.

— Je voudrais que tu me rendes un service.

Intriguée, elle leva la tête vers lui.

— Lequel ?

— J'aimerais que tu arrêtes de te soucier de mes états d'âmes quand ce sont des tiens qu'il est question.

— Ok.

— Ok pour tout le temps, pas que pour maintenant, c'est compris ?

— Compris !

Ils restèrent un petit moment dans les bras l'un de l'autre, jusqu'à ce que Jimmy ne s'éloigne légèrement d'elle.

— Comment tu as interprété la nouvelle ? s'enquit-il très sérieusement en passant les mains dans ses cheveux.

— C'est une bonne nouvelle, alors je suis contente.

— Est-ce que tu penses que c'est trop tôt ?

Son sourire s'effaça, laissant la place à un profond désarroi.

— Je ne sais pas.

Elle surveilla le moindre signe de déception sur son visage, mais elle ne vit rien. Soit il n'était pas du tout contrarié, soit il cachait parfaitement ses émotions.

— Rien ne presse, tu sais, lui dit-il gentiment.

— Je sais.

Il posa délicatement ses lèvres sur les siennes avant de lui dire :

— Je suis content que tu ailles mieux. C'est un pas de plus vers une guérison complète.

Elle ne releva pas et elle se serra vraiment fort contre lui, frottant son visage sur sa chemise ou elle pouvait sentir un reste de parfum datant du matin.

— Je vais prendre une douche avant qu'on prépare le repas.

Elle acquiesça d'un signe de la tête, le laissant avec regrets, monter à la salle de bain de l'étage.

Bien qu'il avait fini de se laver, Jimmy ne sortit pas de la douche pour autant, préférant se prélasser paresseusement le temps de quelques instants, laissant avec bonheur l'eau chaude glisser le long de sa peau. Il repensait à Jenna et à cette façon horripilante qu'elle avait de toujours le faire passer avant elle. Si au début, il avait pensé que c'était un trait de son caractère d'être si avenante, il s'était vite rendu compte que cela n'était en rien naturel. C'était un reste de son conditionnement au club. Servir et satisfaire l'homme (le client) coûte que coûte. C'était tellement ancré en elle, qu'il doutait qu'un jour elle ne réussisse à se défaire de cette manie. Il donnerait cher pour l'entendre ne serait-ce qu'une seule fois le contredire, affirmer son caractère, parce qu'il ne doutait pas qu'elle en avait, il était juste enfoui quelque part dans sa tête. Il aimerait aussi qu'elle prenne des décisions par elle-même, mais cela, elle ne savait pas faire. Pourtant, elle avait décidé par elle-même de postuler à l'offre que son père avait publiée dans le journal local, malgré tous les risques que cela lui faisait courir. C'était elle encore qui arrivait à manier à la baguette son diable de grand-père. Oui du caractère, elle en avait à revendre, mais devant lui, elle ne le faisait pas ressortir, jamais. Elle se comportait comme une enfant à qui il fallait tout apprendre, et si cela n'était pas un problème dans l'immédiat, ça pourrait vite le devenir dans un futur proche.

Tout à ses réflexions et l'eau couvrant son ouïe, il n'avait pas entendu la porte de la salle de bain s'ouvrir puis se refermer. Quand il leva la tête, il eut l'agréable surprise de découvrir Jenna devant lui, complètement nue.

— Il n'est pas trop tard pour t'accompagner ?

Derrière cette question, c'était une autorisation qu'elle attendait. Il lui tendit la main qu'elle prit rapidement.

— Non, bien sûr que non, lui dit-il en l'attirant vers lui.

...

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