CHAP 46
Jenna s'exerçait à l'utilisation de la tablette quand Georges sonna à l'interphone. Jimmy alla répondre et lui ouvrit la porte du hall d'entrée. Quand il revint dans le salon, Jenna se tenait debout, droite, remettant ses vêtements en ordre.
— Comment je suis ? lui demanda-t-elle, soucieuse de l'apparence qu'elle allait montrer au vieil homme.
— Ça va le faire, arrête de flipper tu veux ?
Loin d'être rassurée, elle continua pourtant sur la même lancée.
— Il aurait peut-être mieux fallu attendre que je reçoive les vêtements. J'aurai été un peu plus présentable... Je ressemble à rien habillée de la sorte !
— Georges s'en fout complètement. C'est toi qu'il vient voir, pas mon bas de survêt', ni mon t-shirt, OK ?
Devant la moue que fit Jenna, il ne put que fondre. Comme souvent depuis qu'il l'avait récupérée. Il se plaça devant elle, prit ses mains qu'il serra doucement dans les siennes.
— Tu es parfaite, n'en doute pas. Ou sinon, j'organise une course de déambulateurs sur la terrasse entre toi et lui. Et je ne plaisante pas !
Bien qu'elle appréhendait toujours la venue du grand-père de Jimmy, il avait réussi à la détendre légèrement. Le petit sourire rieur et complice qu'elle lui fit l'amena à penser que finalement, peut-être, elle arriverait à bien gérer ces retrouvailles qu'il savait très importantes pour elle car elle n'était pas fière de s'être servie de Georges comme d'un ticket de sortie de sa vie de galère. Elle en avait même honte. De son côté, Georges culpabilisait de ce qu'avait vécu la jeune femme, alors même qu'il n'y était pour rien.
— Ce sont tes parents qui l'accompagnent ?
— Non, c'est Rosa. Je pensais te l'avoir dit, mais visiblement, non. Désolé...
D'un coup, la panique resurgit. Rosa, elle devait sûrement la détester d'avoir agit de la sorte envers une famille qu'elle considérait comme sienne et qu'elle chérissait tellement. Dans l'esprit de Jenna, Rosa était certainement la personne qui devait le plus la maudire pour ses actes. Il ne pouvait en être autrement.
Quand la sonnerie de la porte d'entrée retentit, Jimmy laissa seule Jenna le temps d'aller accueillir les invités. Elle écouta attentivement les intonations des voix qui lui parvenaient, à l'affût du moindre signe négatif dans celles-ci. Mais rien de ce à quoi elle s'attendait n'en ressortit. La voix de Rosa était calme et joyeuse, tout comme celle de Georges... Cela ne calma pas pour autant ses angoisses. Elle avait peur, très peur de les voir tous les deux.
Rosa fut la première à apparaître. Le sourire radieux qu'elle offrit à Jenna débarrassa instantanément cette dernière de ses craintes. Non, elle ne la détestait pas ou en tout cas, elle n'en donnait pas l'impression, bien au contraire. Tout en avançant vers elle, elle lui tendit les bras en guise de premier contact auquel Jenna répondit sans aucune hésitation.
— Je suis contente de te voir debout, dit Rosa avec sincérité. Tu es de la graine de battante, comme moi. Ce ne sont pas des petits bobos de rien du tout qui vont nous achever, j'ai pas raison ?
Cette simple phrase lui fit monter les larmes aux yeux.
— Et moi, je suis contente de te revoir, Rosa, dit Jenna, un sanglot dans la voix.
— Mais j'espère bien ! lui rétorqua la concernée, comme si la situation inverse ne pouvait exister.
Puis elle la serra dans ses bras.
— Tu sais, on est tous amené à faire des choses dans la vie dont nous ne sommes pas très fiers, après coup.
Elle s'écarta un peu de Jenna avant de reprendre.
— Il fut un temps où lorsque je rentrais dans un magasin de vêtements, j'étais sec comme un cure dent, et j'en ressortais enceinte de neuf mois. Ma mère avait la fâcheuse habitude de nous pondre un gosse tous les deux ans à la maison et étant l'aînée... C'était ma contribution, j'habillais mes frères et sœurs...
— Ah, mais voilà où sont passés mes caleçons, les coupa Georges. Rosa me les a fauchés pour couvrir le postérieur de Carlos !!! Chassé le naturel, il revient au galop.
Il ria de bon cœur, entraînant avec lui Rosa et Jimmy. Quant à Jenna, elle n'osa rire et se contenta de sourire.
— Bonjour Georges, se lança-t-elle timidement.
— Bonjour ma p'tite Myrtille. Je suis...
Il s'interrompit, rattrapé par les émotions qu'il croyait pourtant enfoui au plus profond de lui-même. Gêné, il poursuivit quand même :
— Je suis très heureux de te revoir.
— Merci, lui répondit-elle d'une toute petite voix. Moi aussi, je suis très heureuse de vous revoir.
Puis Georges emprunta un ton beaucoup plus léger, histoire de renvoyer une fois pour toutes ses émotions là où elles devaient être.
— Alors dis-moi Myrtille, est-ce que mon petit-fils te traite comme il se doit ? Et ne me ment pas, s'il doit se prendre une engueulade, il se la prendra !
— Vas-y, fais toi plaisir, ses engueulades ne me font plus rien depuis longtemps, tu peux tout lui raconter, murmura Jimmy à l'oreille de Jenna sur le ton de la confidence.
Elle leva son regard vers lui et dis d'un ton moqueur :
— Tu as dis : "Tout lui dire" ? Je peux parler du déambulateur ?
Bien qu'il garda l'apparence d'être sûr de lui, Jenna remarqua qu'il se pinça les lèvres.
— Euh non, ça, t'oublies.
— Je me disais bien aussi...
Jimmy se frotta les mains énergiquement :
— Bon, qui veut un café ? proposa-t-il pour clairement changer de sujet.
Alors que Georges et Jimmy étaient partis dans une grande conversation, Rosa avait entraîné Jenna à l'écart sur la terrasse, chacune avec leur tasse de café, afin de discuter avec elle un peu plus intimement.
— Alors dis-moi, comment tu te sens ici ?
— Bien, merci.
— Les journées ne te semblent pas trop longues ?
— Je les vois pas passer... Je n'ai même plus la notion des jours, parce qu'ils se ressemblent tous. Avant, c'était bien cadré, tel jour correspondait à telle activité, mais là, à cause des douleurs, je ne peux rien faire du tout... malgré ça, je ne m'ennuie pas, je suis bien ici...
— Hum, je suppose que la présence de Jimmy n'y est pas pour rien dans le fait que tu ne vois pas les journées passer, je me trompe ?
Jenna sourit, ses yeux se mirent à briller d'une lueur à la fois joyeuse mais avec une pointe de tristesse.
— Je ne mérite pas tout ce qu'il fait pour moi. Ça me met très mal à l'aise de le voir prendre tout ce temps, dépenser tout cet argent... Je ne pourrai jamais lui rendre la pareille.
— Je t'arrête tout de suite Jenna. Il le fait parce qu'il le peut ! Il est de la même graine que son père, qui est lui-même de la même graine que son père, tu me suis ?
— De quel père tu parles ?
— Ok, tu ne me suis pas, comprit Rosa.
Tout en souriant, elle ajouta :
— Ce que j'essaie de t'expliquer, c'est qu'il faut que tu acceptes ce qu'il te donne. Tu prends et c'est tout !
— Mais c'est du profit pur et simple, je ne peux pas accepter qu'il en fasse autant, tu comprends ? J'ai l'habitude de m'occuper de moi toute seule...
Rosa posa la tasse sur la table de jardin en teck, puis mis ses mains sur les épaules de Jenna.
— Je comprends ce que tu veux dire, l'interrompit-elle en soufflant. Écoute, les Laroche sont une famille très altruiste.
— Ça veut dire quoi "altruiste" ?
— Ça veut dire qu'ils sont tournés vers les autres. Parce qu'ils ont largement ce qu'il faut pour vivre, ils donnent beaucoup et de leur temps, et de leur argent à ceux qui en ont besoin. Jimmy a été élevé dans cet état d'esprit. Pour lui, c'est naturel de te tendre la main.
— D'où je viens, cette façon de faire n'existe pas...
— Accorde ta confiance à Jimmy, il ne te trahira pas, il ne te jugera pas, mais laisse le faire, laisse le prendre soin de toi, au moins tant que tu en auras besoin, après tu aviseras, ok ?
Les larmes aux yeux, Jenna acquiesça d'un léger signe de la tête.
Georges observait les deux femmes au travers de la baie vitrée. Pensif, il ne comprenait pas comment un être humain pouvait infliger autant de violence à une jeune femme aussi douce et belle que Myrtille. Elle n'était pas sortie de l'enfance qu'elle avait été jetée dans un bordel, puis elle avait servi de défouloir à des êtres qui n'avaient plus rien d'humain.
— Seigneur, lâcha-t-il en serrant les dents. Qu'on me laisse vivre jusqu'à la fin de tout ceci... Qu'on me laisse le temps de voir crever ses ordures, une par une !
— Pour l'instant on tient le bon bout. On a des témoins, il ne reste plus qu'à retrouver cette pourriture de Lewis pour qu'Alfred lance la machine.
— Il s'est terré dans un coin, Alfred n'a toujours pas retrouvé sa trace...
— Je sais, c'est ennuyeux. Plus il tardera à réapparaître, plus les filles devront rester cacher. Je ne sais pas combien de temps elles pourront supporter cette contrainte...
— Ça ne m'inquiète pas. Ce genre de rapace ne peut pas rester trop longtemps sans pouvoir se payer ses petits extras. On va entendre parler de lui très prochainement, je le sens.
— Espérons que tu dises vrai, elles ont vraiment besoin de tourner la page, de passer à autre chose. En tout cas, en ce qui concerne Jenna, mais je suis certain que c'est pareil pour Victoria et Nessy.
Georges approuva et reporta son attention vers la terrasse. Rosa serrait Jenna dans ses bras, exactement comme une mère le ferait pour son enfant.
— Est-ce qu'elle t'a parlé un peu ? voulut savoir le vieil homme.
— Pas franchement. Je capte quelques unes de ses pensées en analysant son comportement, ou en essayant de décoder certaines de ses phrases, mais l'exercice est périlleux. Ce que je peux te dire avec certitude, c'est que la peur est encore bien ancrée en elle et le traumatisme qu'elle a subi n'a fait qu'empirer cet état. Elle sursaute au moindre bruit qu'elle ne connaît pas ou qu'elle n'a pas anticipé. Ça me fait mal de la voir comme ça.
— Je te crois sans difficultés.
— Elle a craqué hier. Comme ça, brutalement. Je ne m'y attendais pas.
— C'est bien, c'est ce qu'il faut.
— Je sais, mais la voir aussi mal, ça me rend complètement dingue !
Georges tapota brièvement l'épaule de son petit fils.
— T'es un Laroche Jimmy, tu survivras.
Ce dernier lui répondit par un sourire entendu, même si la peine qu'il ressentait pour celle qui avait pris une place si importante dans sa vie, ne s'estompait pas.
— Avec du temps et de la patience, elle se remettra sur pieds. Elle est beaucoup plus forte qu'elle n'en donne l'impression. Juste, montre-lui l'importance qu'elle a pour toi, le reste suivra...
Jimmy approuva et porta son attention sur les deux femmes qui discutaient sur la terrasse. Elles riaient. Elles paraissaient insouciantes, heureuses de vivre, alors que toutes les deux affrontaient ce qui était sûrement le plus dur combat de toute leur vie et à ce jour, rien n'indiquait qu'elles le gagneraient. C'était bien trop tôt pour crier "victoire".
...
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