CHAP 44
Isolée dans la cabine de douche de la salle de bain du rez-de-chaussée, elle se lavait, mais sans eau, et avec comme produit un désinfectant qui ne se rince pas... Bref, elle n'y trouva aucun plaisir, aucun réconfort, mais par contre les blessures réagirent violemment au contact du produit. Son corps était en feu. Cela ne dura heureusement que quelques instants, ce qui lui permis de supporter la douleur, mais elle avait hâte d'en finir avec cette torture quotidienne.
Quand elle eut fini, l'infirmière l'aida à se sécher puis à s'habiller.
— Combien de temps encore avant d'avoir moins mal ? lui demanda-t-elle en grimaçant alors qu'elle enfilait le t-shirt prêté par Jimmy.
— Il faut compter une bonne semaine encore. Celle qui va vous embêter plus longtemps, c'est la grande traînée qui traverse tout votre dos, parce qu'elle est profonde, mais les autres, une fois passées la semaine, elles vous feront de moins en moins mal.
— Une semaine, soupira Jenna affligée.
— Je pense. N'hésitez pas à prendre les médicaments contre la douleur, ça vous soulagera un peu. Les strips vont aider à refermer plus vite la grande plaie, mais c'est celle qui restera sensible le plus longtemps.
— Super, lâcha Jenna blasée.
— Soyez patiente, ce sera bientôt un mauvais souvenir. Avez-vous contacté le psy que vous a recommandé le docteur Cruz ?
— Pas encore.
— Faites-le, ça vous aidera à aller mieux dans votre tête et dans votre corps. Vous êtes jeune, vous pouvez aller de l'avant, et elle vous guidera dans ce sens, elle vous épaulera...
— Elle ? C'est une femme ?
— Oui, et la meilleure dans ce domaine ! Elle est la spécialiste des cas tel que le votre. Faites moi confiance, prenez rendez-vous, d'accord ?
"Encore faire confiance", pensa Jenna septique alors que la seule chose dont elle avait réellement besoin était qu'on lui foute la paix, qu'on les laisse tranquilles, elle et Jimmy, se faire oublier...
Elle sortit de la salle de bain, suivit de l'infirmière qui ayant finit, comptait partir. Elles mirent du temps à atteindre le salon, et Jenna était pressée de se retrouver seule avec Jimmy. Elle l'avait entendu rentré alors qu'elle était encore dans la salle de bain et cela l'encourageait à accélérer la cadence, du moins à essayer. Mais ce n'est pas Jimmy qui se trouvait devant elle quand elle pénétra enfin dans la pièce. Donovan, la bouche grande ouverte, la mine très inquiète, une paire de ciseaux dans la main prêt à s'en servir comme arme, donnait l'impression de n'être pas loin de faire un malaise.
— Salut Donovan, lui lança-t-elle presque timidement parce que surprise de sa venue.
Donovan ne répondit pas immédiatement, tout simplement parce qu'il ne reconnaissait pas la femme qui se trouvait en face de lui, bien que ce visage abîmé ne lui était pas inconnu. Mais il n'arrivait pas à remettre où il l'avait déjà vu.
— C'est moi, Myrtille. Tu te rappelles ?
Là encore, il lui fallut un certain temps de réaction. Puis quand il réalisa que c'était bien elle, ses yeux s'agrandirent, sa bouche se referma légèrement et il posa la paire de ciseaux qui n'avait plus d'utilité, sur le bar près duquel il se trouvait.
— Qu'est-ce... Qu'est-ce qu'il vous est arrivé ?
Sa voix était à peine audible tellement il était choqué de voir celle dont il était tombé sous le charme, il n'y avait pas si longtemps, presque méconnaissable.
— Euh... Un accident, lui répondit-elle hésitante.
— Bien, je vais vous laisser, je reviens demain, dit l'infirmière. Et repensez à notre discussion de tout à l'heure, d'accord ?
— Oui, acquiesça Jenna. Je vais y réfléchir, merci pour tout.
— À demain alors.
L'infirmière partie, Donovan restait figé près du bar, Jenna comprit qu'elle était bonne pour lancer la conversation si elle ne voulait pas subir le silence qui venait de s'installer.
— Les ciseaux dans ta main, c'était pourquoi ?
L'adolescent se redressa histoire de se donner une certaine contenance.
— En fait, j'ai entendu du bruit provenant du couloir. Comme un bruit de pas qui se traîne, avec une respiration un peu rapide. J'ai cru qu'il y avait quelqu'un... Je sais pas pourquoi j'ai eu cette image de zombie, mais ça m'a donné la peur de ma vie !!! J'ai attrapé ce qu'il y avait à porté de main, et c'était les ciseaux...
Amusée, elle le regarda en souriant.
— Je ne suis pas loin d'y ressembler à ton zombie, répliqua-t-elle sur le ton de la plaisanterie. Il ne manque vraiment pas grand-chose en fait.
Devant le manque de réaction de Donovan, elle enchaîna :
— Tu voulais voir Jimmy ?
— Ah non, pas du tout. J'étais venu chercher Shelby pour l'emmener chez moi. Je croyais qu'elle était toute seule, c'est pour ça.
— Ah, d'accord. Tu veux boire quelque chose ?
— Non merci. Je ne vais pas vous embêter plus, je vais y aller. Vous passerez le bonjour à Jimmy de ma part.
— Donovan, s'il te plaît, arrête avec les "vous", tu veux bien ? Ça me vieillit, et je n'aime pas ça.
Elle ne l'avait pas dit méchamment, et Donovan l'avait bien comprit.
— Ok, à la condition que tu m'appelles Don', renchérit-il sans se démonter.
Jenna accepta sans hésiter et l'accord fut conclu par un check. Donovan quitta les lieux et Jenna en profita pour aller s'allonger sur le lit de la chambre d'ami. Elle n'était pas remise des derniers évènements. Elle fatiguait encore vite et cela la contrariait de ne pas tenir plus de deux heures sans éprouver le besoin de faire une pause.
— Laisser le temps au temps, lâcha-t-elle dans un souffle, après avoir réussi à s'allonger sans trop avoir mal.
Elle finit par s'endormir et ce fut dans cet état que la trouva Jimmy quand il rentra. Il remit bien la couette sur elle de sorte qu'elle n'attrape pas froid puis il quitta la pièce sans oublier de la couvrir une dernière fois du regard. Il était heureux de la savoir chez lui. Heureux et serein. Tout irait bien maintenant qu'elle était là, il n'avait plus à s'inquiéter.
Dans la cuisine, Jimmy s'affaira à ranger les courses. Il mit de côté les revues qu'il avait achetées pour Jenna, le but étant de l'occuper un peu, puis il se rendit dans son bureau pour passer quelques appels téléphoniques. Il commença par Marie, sa secrétaire, afin de se tenir au fait des avancements dans leurs dossiers. Marie le rassura, tout se passait bien, "pour une fois" se crut-elle obliger de rajouter en plaisantant. Ensuite, ce fut au tour de son oncle Alfred. Jimmy voulait savoir s'il avait eu des nouvelles concernant Lewis.
— Rien de rien. C'est comme s'il s'était volatilisé ! C'est incompréhensible. Son bureau est vide. Dans sa maison, il n'y a aucun mouvement, pas d'aller et venue. Personne n'entre, ni n'en sort...
— C'est pas rassurant ça...
— Comme tu dis. Protéger les filles dans ces circonstances ne va pas être évident... Grrr, je déteste quand une situation m'échappe à ce point !!! J'ai mis plusieurs hommes sur le coup, ils vont bien finir par le dénicher. En attendant, interdiction pour elles de sortir, c'est plus prudent.
— En ce qui concerne Jenna, y'a rien à craindre de ce côté-là, elle n'est pas en état de sortir, mais pour Victoria et Tennessie, ça va peut-être être plus compliqué à leur faire accepter.
— Patrick était justement en train de leur préparer une surprise. Une sortie, je ne sais plus où. Je crois que ça va être compromis, en tout cas dans l'immédiat. Enfin bref, j'aurai préféré t'annoncer de meilleures nouvelles, mais je ne désespère pas, on va bien finir par voir le bout de tout ça...
— On sait que ce n'est pas pour demain, mais oui, ça se finira forcément un jour ! En parlant de Patrick, tu pourrais me donner son numéro ? J'ai à lui parler.
— Je te l'envoie par SMS dès que j'aurai raccroché.
Ils continuèrent à discuter de tout et de rien pendant encore quelques instants, puis ils se quittèrent, Alfred s'étant levé de très bonne heure, il devait palier à la faim qui le tenaillait très sérieusement.
Le dernier appel fut pour son grand-père. Jimmy n'avait pas eu de nouvelles de ce dernier depuis l'arrivée de Jenna aux urgences et il s'en étonnait. Il n'était pas dans les habitudes du vieil homme de faire le mort ainsi.
Ce fut Rosa qui décrocha. Elle le rassura d'emblée sur Georges, il se portait bien, on ne peut mieux même, d'après elle.
— Il est dans la salle de sport, comme chaque matin depuis plusieurs semaines maintenant. L'effet Myrtille, plaisanta-t-elle en riant. Bien que je sache d'avance que je vais me faire engueuler, je vais te le passer, il en profitera pour faire une pause.
Jimmy sourit en imaginant sans mal la scène.
— Et comment va-t-elle ? reprit plus sérieusement Rosa alors qu'elle se dirigeait vers la salle de sport.
— Physiquement, c'est pas top. Elle mange bien, mais elle fatigue vite. Et moralement, c'est pas top non plus. Je paierai cher pour lui faire oublier ce qu'elle a vécu dans cette suite...
— Elle n'oubliera jamais, Jimmy. Elle va juste apprendre à vivre avec.
— Je sais.
— Tu l'embrasseras bien fort de ma part. Je passerai la voir bientôt, quand elle ira un peu mieux.
Jimmy eut à peine le temps de la remercier que la voix tonitruante et éraillée de son grand-père vint lui transpercer méchamment le tympan.
— MAIS Y'A PAS UN SEUL ENDROIT DANS CETTE MAISON OÙ ON PEUT ME FOUTRE LA PAIX ???
— Désolée Georges, mais c'est votre petit fils.
— Alors sous prétexte qu'il est mon petit-fils, il se permet de m'interrompre dans mes efforts ?
Rosa haussa les épaules et lui tendit le téléphone.
— C'est lequel de p'tit fils ? demanda-t-il comme s'il en avait dix à la douzaine.
— Jimmy.
— Et qu'est-ce qu'il me veut encore celui-là ?
— Lui seul pourra vous le dire Georges, souffla-t-elle complètement blasée.
Georges, dans un geste qui manquait de délicatesse, lui arracha presque l'appareil qu'elle lui tendait toujours.
— Toi, t'as décidé de ne pas voir le coucher de soleil ! argua-t-il un tantinet rageur.
— Oh, moi aussi je suis content de t'entendre ! répliqua Jimmy sans tenir compte de la mauvaise humeur de son grand-père. Surtout que ça faisait un moment qu'on ne s'était pas parlé... Comment vas-tu depuis tout ce temps ?
— Dis-moi plutôt comment va Myrtille ?
— Et venir la voir pour te rendre compte par toi-même de comment elle se porte, ça ne te dirait pas ?
Il y eut un blanc. Georges ne répondit pas, ce qui mit Jimmy sur la voix de la raison du surprenant silence radio de son grand-père.
— J'insiste, il faut que tu viennes la voir, reprit-il. On peut prévoir un déjeuner ou un dîner, comme tu préfères, et tu passes un peu de temps avec nous. Je sais que ça lui ferait plaisir...
— Je ne peux pas, répondit le vieil homme en serrant les dents et en fermant les yeux.
Jimmy fut surpris par la réponse.
— Pourquoi tu ne veux pas venir la voir ? Tu te sens responsable de ce qu'il lui est arrivé ?
— Je l'ai convaincue de nous suivre dans cette foutue histoire alors qu'elle ne le voulait pas. Si je n'étais pas intervenu, rien de tout ça ne serait arrivé !
— Ok. Je vais te dire ce qu'elle-même m'a dit, parce que tu vois, moi aussi je culpabilise. Si on ne l'avait pas sortie de là, elle y serait toujours et Lewis lui aurait quand même fait ça. Il la voulait, et il l'aurait eut ! C'est ce qu'elle m'a dit. Alors certes, on n'a pas réussi à empêcher l'inqualifiable d'arriver, mais elle n'est plus entre leurs mains, et c'est ce sur quoi il faut se focaliser. Tu comprends ?
Devant l'absence de réaction, Jimmy dû insister :
— Si tu ne passes pas la voir, je l'amènerai jusqu'à toi alors qu'elle n'est pas en état de sortir, mais je te jure que je le ferai !!!
— Ok ! T'as gagné, je viendrai...
— Quand ?
— Demain, en fin de matinée, si ça vous convient ?
— Parfait ! Tu peux rester déjeuner si tu veux...
— Alors là, c'est même pas envisageable !!!
— Et pourquoi ça, je te prie ? voulut savoir Jimmy, curieux de l'argument que son grand-père allait lui fournir.
— Parce que tu n'as pas ce qu'on appelle une table avec des chaises. Si tu crois que tu vas me faire grimper sur un de tes tabourets qui te servent de chaises et me faire déjeuner sur le bar qui te sert de table, t'as vu la vierge mon petit. Et je ne te parle même pas de m'asseoir sur ton canapé pour avoir le dos complètement ramassé après m'être courbé pour que la distance entre mon assiette et moi soit correcte ! Si on parle repas entre nous, ça se passera à la résidence, je suis assez clair là-dessus ?
Jimmy avait reculé le combiné de son oreille afin de soulager un peu son tympan.
— Oui, je pense que c'est très clair. Dans un premier temps, on se contentera de ta venue demain en fin de matinée. Mais je prends note pour l'invitation à déjeuner ou à dîner, peu importe. Je te contacterai quand on pourra envisager une sortie pour Jenna.
— Mouais. Tu me rediras ça... Et comment va-t-elle, demanda à nouveau le vieil homme ?
Jimmy prit le temps de réfléchir à ce qu'il allait lui répondre. Visiblement, il paraissait assez affecté par le sort de Jenna, ce qui se comprenait parfaitement. Son comportement assez agressif prouvait à lui seul que Georges n'allait pas bien. C'était quitte ou double. Soit le fait de la voir le rassurerait, soit cela l'affecterait encore un peu plus, ce que ne souhaitait pas Jimmy, bien évidemment. Il souffla avant de lui répondre le plus honnêtement possible :
— Physiquement, elle est très marquée. Il ne faudra pas que tu sois surpris par son visage, il est encore gonflé, bien qu'il y ait du mieux, avec quelques hématomes. Et sur le reste du corps, même si la plupart vont partir, elle restera marquée à vie par quelques cicatrices. Niveau moral, elle se maintient devant nous, mais je n'ai aucune idée de la façon dont elle gère ce qu'elle a vécu. C'est encore trop récent, j'attends qu'elle aille mieux physiquement pour approfondir son état psychique avec elle.
— Ouais, je pense que ce sera la partie la plus dure à affronter pour elle...
— Je le pense aussi. Bon, on compte sur toi demain alors ?
— Oui. À demain Jimmy, passes lui le bonjour de ma part.
— Je lui transmettrai le message, à demain.
Jimmy raccrocha. D'une main, il se frotta les yeux. Il commençait à ressentir le contrecoup des évènements. Mais il ne devait pas faiblir. Elle avait besoin de lui, il aurait largement le temps de se reposer plus tard. Et si les deux semaines de vacances qu'il s'était octroyé ne suffisaient pas, il n'hésiterait pas à s'en rajouter. Surtout qu'il comptait bien prendre quelques heures par ci par là pour faire un tour dans son entreprise, histoire de se tenir informé et de régler les affaires urgentes. Et puis, s'il le fallait, il pourrait aussi rapporter du travail avec lui.
Il s'étira, fit craquer son cou qui s'était raidi, puis il se leva. En se dirigeant vers la porte, son regard fut attiré par quelques coups de crayons sur une feuille de dessin. C'était l'esquisse de la maison de ses rêves qu'il avait commencée. Dans l'immédiat, cela ne ressemblait à rien, mais il se promit de l'avancer quand il aura un peu de temps pour lui. Et qui sait, peut-être qu'ils l'avanceraient à deux et l'esquisse deviendrait réelle, un jour...
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