CHAP 43


Quand Jenna ouvrit les yeux, elle eut un temps d'hésitation. Elle ne reconnut pas immédiatement la pièce dans laquelle elle se trouvait. Puis elle sourit quand elle vit le dressing. Elle était dans la chambre de son ancien patron, dans son lit, si la précision était nécessaire. Il s'en était passé des évènements depuis qu'elle avait fait le ménage pour lui... Si à ce moment là, elle avait seulement pu envisager que cet homme là changerait le cours de sa vie à ce point, elle aurait bien rit. Seulement, il avait fallu qu'il se pointe dans le club où elle travaillait et qu'il bouscule tous ses principes, toutes les règles qu'elle s'était imposée sur sa façon d'agir envers les clients. Il l'avait rendue faible, incapable de lui résister. Tout l'avait attirée chez lui. Son allure distinguée, son assurance quand il s'était adressé à elle, alors qu'il en avait manqué lors de leur premier contact physique. Enfin, jusqu'au moment où elle avait réussi à faire tomber la barrière qu'il s'évertuait à maintenir entre eux deux. Elle avait gagné le premier round, mais pour tous ceux qui avaient suivi, elle n'avait rien contrôlé du tout, il avait largement été plus fort qu'elle, elle n'avait fait qu'écouter ses émotions et suivre ce que lui dictait son cœur, et qu'elle avait bien fait ! Elle serait toujours dans cette chambre minable si elle n'avait pas pris tous ces risques.

Elle voulut se lever pour aller dans la salle de bain, mais chaque geste qu'elle fit lui arracha un cri de douleur. Les médicaments ne faisaient plus effet, et elle dégustait. Chaque coupure, chaque sillon que le fouet avait tracé sur son corps, lui rappelait l'enfer qu'elle avait enduré dès lors qu'elle faisait un mouvement, quel qu'il soit. Elle réussit tant bien que mal à poser ses pieds sur le sol, doucement, sans se précipiter, puis à se redresser. Un pas après l'autre, elle se dirigea vers la salle de bain. Le temps qu'il lui fallu pour l'atteindre était disproportionné par rapport à la distance qu'il y avait à parcourir.

— C'est ridicule de mettre autant de temps, murmura-t-elle un brin contrariée.

Elle se passa de l'eau fraîche sur le visage, puis elle prit le temps de le regarder. Il était moins gonflé, mais toujours difforme...

— Bien dormi ?

Elle sursauta en entendant la voix de Jimmy juste derrière elle.

— Je vais te répondre oui, vu les circonstances...

Il s'approcha et déposa doucement un baiser sur sa joue.

— L'infirmière va pas tarder à arriver, tu as faim ?

Elle fit un signe de tête pour acquiescer.

— Tu peux descendre l'escalier toute seule ?

— Euh, vu la mission que c'était pour venir jusque là, je préfère même pas tenter...

— Comment ça ?

— Ne te mets pas en danger tant que je suis dans cet état. Je ne pourrais rien faire pour toi, mon pauvre, lui dit-elle en prenant un air navré.

— Message reçu, dit-il compréhensif. Faut que je me dévoue si je comprends bien, ajouta-t-il en lui tendant les bras.

— Désolée...

Il la souleva délicatement pour l'emmener au rez-de-chaussée.

— Je te fais pas trop mal ?

— C'est supportable, soupira-t-elle tout en posant la tête contre son torse.

Elle respira son odeur et se sentit aussitôt en sécurité.

Alors qu'ils arrivaient en bas de l'escalier, ils furent accueillis comme il se doit par Cacahuète, la femelle perroquet :

Coucou toi !

Mojito, le mâle, de sa grosse voix éraillée ne resta pas en reste :

Bonjour ma fiiille !

Jenna éclata de rire. Elle les avait si peu entendu lorsqu'elle travaillait chez Jimmy, qu'elle en fût très surprise.

— C'est fou ça. Ils nous ont dit "bonjour" ! C'est toi qui leur as apprit ?

— Oh non, ils n'ont pas eut besoin de moi pour ça. Ils savent très bien se débrouiller tous seuls. Tu vas avoir l'occasion de t'en rendre compte par toi-même, tu peux me croire, ajouta-t-il blasé.

— Ils sont tops ! dit-elle enjouée.

— Tu ne diras pas toujours ça, là aussi, tu peux me croire...

Il lui fit doucement poser pieds à terre en lui désignant la banquette.

— Installe-toi, je t'apporte le p'tit dèj.

Jenna entreprit de se baisser pour s'asseoir, mais elle dut ralentir le mouvement, toujours à cause de ces foutues douleurs. Une fois assise, elle resta immobile afin de ne plus les sentir, mais le simple fait de bouger ne serait-ce qu'un doigt, suffisait à les réveiller. Elle soupira de lassitude. Laisser le temps au temps lui avait dit Jimmy, facile à dire, beaucoup moins à supporter...

Jimmy posa le plateau plus que garni sur la table du salon.

— Régale-toi.

— Merci.

Elle commença par prendre une tartine de pain grillé sur lequel elle étala de la confiture. Alors qu'elle trempa cette dernière dans le bol où infusait un sachet de thé, elle réalisa que Jimmy était reparti derrière le bar. Avec difficultés, elle se tourna et vit qu'il faisait la vaisselle.

— Tu manges pas ?

— Déjà fait ! Je suis debout depuis sept heures du mat !

Elle posa à nouveau son regard sur le plateau, sceptique.

— Euh, je vais jamais pouvoir avaler tout ça ?!

— Mange juste à ta faim.

— Ok.

Ce fut de bon appétit qu'elle expédia le petit déjeuner. Rassasiée, elle se leva, mais toujours d'une lenteur exaspérante. Elle prit le plateau qu'elle apporta à Jimmy. Elle le déposa sur le plan de travail près d'un verre remplit d'eau et de plusieurs médicaments posés juste à côté.

— C'est pour moi tout ça ?

— Oui. Et n'essaie pas de retenter le coup de "Je vais jamais pouvoir avaler tout ça !" Parce que là, ça ne marchera pas !

— T'es dur en affaires...

— Intransigeant. Souviens-t-en !

Le sourire de vainqueur qui s'afficha sur son visage la fit glousser. Elle ne discuta pas et prit docilement les médicaments.

— C'est quoi le programme aujourd'hui ?

— L'infirmière vient vers neuf heures, j'en profiterai pour aller faire quelques courses, et puis après j'avais pensé que tu pourrais regarder sur Internet des sites de ventes de vêtements en ligne, parce qu'il va t'en falloir, t'es partie sans rien...

La bonne humeur de Jenna s'effaça instantanément de son visage. Jimmy s'en rendit compte et l'interrogea sur ce changement d'attitude.

— Qu'est-ce qui ne va pas ?

— J'ai laissé un bon paquet de fric au studio. J'aurais pu m'en servir...

Jimmy leva les sourcils mi-surpris, mi-amusé.

— C'est ça qui t'inquiète ?

— Ça m'inquiète pas.

— C'est quoi le problème alors ?

— J'aurais pu me rhabiller avec, c'est tout.

— Et bien, tu vas te rhabiller, mais sans !

Jenna soupira.

— C'est insupportable d'avoir cette impression d'être inutile, d'être un poids.

Jimmy la regarda juste un instant avant de quitter la pièce. Jenna s'interrogea sur son comportement bizarre. Il revint presque aussitôt avec dans sa main une enveloppe qu'il lui tendit.

— De la part de Nessy.

Surprise, elle prit l'enveloppe qu'elle ouvrit et découvrit à l'intérieur une liasse de billets.

— Elle a pas... Enfin je veux dire, elle n'a pas... tu sais. Tu vois ce que je veux dire ?

— Absolument pas !

— Comment elle a eu cet argent ? demanda-t-elle presque sur la défensive.

— C'est le tien, celui que tu as économisé. Alfred me l'a donné hier avec tes papiers d'identité.

Le soulagement qu'éprouva Jenna était tellement intense, qu'elle ne pu le cacher.

—J'ai cru qu'elle... avait remis ça, lâcha-t-elle subitement.

— Remis quoi ? Je te suis pas du tout là, dit Jimmy complètement perdu.

— Rien, laisse tomber, je me suis faite peur toute seule.

Elle compta approximativement l'argent, puis ébahi, elle constata :

— Elle a rien pris. Elle a tout laissé !

— C'est normal, c'est ton argent, non ?

— Mais elle aurait pu le partager en quatre. Elle aurait dû faire ça !

— Pourquoi en quatre ? Vous n'êtes que trois.

— Je t'ai déjà parlé de Gaby ?

— Non, mais je connais son histoire par Victoria.

— La quatrième part est pour Mily, la mère de Gaby. On paye chaque semaine pour ses soins.

Jimmy réfléchit un instant.

— À combien s'élève les frais par semaine ?

— Environ cinq cent euros, des fois c'est un peu plus, des fois un peu moins, mais ça se joue à pas grand-chose...

— Ok, disons que ce qu'il y a dans cette enveloppe, va servir exclusivement à la mère de Gaby. Sachant que ni toi, ni les filles n'avez besoin d'argent dans l'immédiat, la question est réglée !

— Qu'est-ce que tu entends par "n'avoir pas besoin d'argent dans l'immédiat" ? J'ai tout à acheter, donc de l'argent, j'en ai besoin, et les filles aussi...

— Mon oncle s'occupe des filles, et moi, de toi.

— Mais tu ne peux pas payer à ma place !

— Si Jenna, je peux et tu le sais. Tu n'as pas vraiment le choix, tu t'en rends compte ?

Jenna, à court d'argument se tut. Elle n'était pas habituée à ce que l'on s'occupe d'elle et cela la mettait mal à l'aise. Mais comme Jimmy lui avait très justement fait remarqué, elle était coincée.

— Je te rembourserai, dès que je pourrai travailler...

— Fais comme tu le sens, lui dit-il en l'embrassant délicatement sur le front afin de ne pas réveiller de douleurs, mais moi, c'est le cadet de mes soucis que tu me rembourses ou pas.

— Tu m'aides pas vraiment là, lâcha-t-elle piteusement.

— Arrêtes de focaliser là-dessus. Crois-moi, il y a bien plus important, comme par exemple que tu te remettes sur pieds.

Il posa les mains, toujours doucement, sur son visage pour l'obliger à le regarder et il ajouta :

— Quand toute cette histoire sera finie, tu seras libre de faire ce qu'il te plaît, d'agir comme tu le souhaites, mais en attendant, tu dois accepter que je t'aide...

Devant son air septique, il insista :

— Jenna, s'il te plaît, laisse-moi m'occuper de toi.

Il posa délicatement les lèvres sur les siennes afin de l'apaiser et surtout qu'elle arrête une bonne fois pour toutes de douter de tout.

— La dernière fois que j'ai laissé quelqu'un s'occuper de moi, je me suis retrouvée dans un bordel, murmura-t-elle alors que leurs lèvres étaient à peine décollées. Je me suis promis depuis de me débrouiller toute seule pour ne plus avoir à rien attendre de quiconque, pour ne plus être trahie, déçue. Pour ne plus avoir mal... tu comprends ?

Jimmy s'écarta pour sonder son regard. Il s'inquiéta subitement de la façon dont elle pouvait le percevoir.

— Tu n'es pas en train de me comparer à... l'autre ?

— Oh non ! Bien sûr que non, s'empressa-t-elle de lui répondre, comprenant parfaitement à qui il faisait allusion. Je me suis mal expliquée. Je voulais dire...

— J'ai compris ce que tu voulais dire, la rassura-t-il. J'ai conscience qu'il te faut du temps à la fois pour t'adapter, mais aussi pour oublier, ou du moins essayer d'oublier, rectifia-t-il d'un ton amer.

Il prit le temps de bien la regarder et il senti un déchirement au cœur quand il repensa à ce qu'elle avait subit. Il prit sa tête entre ses mains et rapprocha son visage du sien.

— J'ai pas oublié ce que tu m'avais dit, quand on était dans la suite, sur le fait que tu ne savais pas faire confiance. Je peux le comprendre. Mais si tu es là, c'est justement parce que tu m'as fait confiance, à moi et à mon oncle. Si seulement ce fils de pute de Lewis ne nous avait pas devancé...

Jenna le stoppa en posant les doigts sur sa bouche.

— Il m'aurait eu un jour ou l'autre, je le savais, il me l'avait dit...

Jimmy tiqua.

— Tu ne m'en as jamais parlé ?

Baissant la tête, elle répondit :

— J'ai pas voulu t'inquiéter avec ça. Vous vous preniez déjà bien assez la tête pour nous inclure dans un plan prévu pour sortir une seule fille, qui en plus n'était pas dans le même endroit que nous... Non, je ne voulais pas vous embêter encore plus.

Quand elle releva la tête et qu'elle croisa son regard, elle ne sut si c'était de la déception qu'elle y lut ou du mécontentement. Quoiqu'il en soit, il n'avait pas l'air ravi par cette nouvelle.

— Alors, puisqu'il parait que je dois compter sur toi, dit-elle pour changer de sujet, pourrais-tu, s'il te plait me dépanner en vêtement pour aujourd'hui ?

Bien qu'il n'était pas dupe, Jimmy ne releva pas l'esquive de Jenna. Il alla même dans son sens.

— Je vais voir ce que je peux te trouver.

— Merci, dit-elle alors qu'il grimpait l'escalier avec une aisance qu'elle lui envia légèrement.

Quand est-ce qu'elle pourra à son tour bouger sans souffrir ? Cela lui paraissait tellement loin qu'elle n'arrivait même pas à seulement l'imaginer...

...

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