Chap 33

 Jimmy siffla en sortant de la voiture de son oncle. Malgré la nuit, il voyait bien qu'il ne se trouvait pas dans un quartier malfamé. C'était même tout le contraire. Une barrière gardée par un gardien, un parking sous vidéo surveillance, un ensemble de petits immeubles ultra modernes et en apparence sophistiqués...

 — Et bien mon oncle, je ne te savais pas si attentif envers ta protégée. Visiblement, elle ne craint vraiment rien ici.

— C'est le but.

Ils avancèrent jusqu'à la porte du hall d'entrée. Une voix robotisée les accueillit :

Merci d'entrer le mot de passe, suivit du code d'entrée.

Alfred s'exécuta et la porte s'ouvrit. Ils entrèrent et Jimmy observa d'un air satisfait la décoration luxueuse, tout en brillance, tout en dorure, et tellement propre qu'il put voir son propre reflet sur le mur tout en marbre.

— Comment as-tu trouvé cet endroit ? l'interrogea-t-il étonné. Moi-même, je ne soupçonnais pas qu'un tel lieu existait dans la ville dans laquelle je vis...

— On me l'a gentiment proposé.

Il salua une femme derrière un comptoir puis se dirigea vers les ascenseurs.

— Quel est son rôle exactement ? se renseigna Jimmy qui ne voyait pas ce qu'elle faisait là.

— C'est la responsable de ce bâtiment, elle prend soin des résidents.

— Elle devrait peut-être rencontré mon gardien, il est jamais là quand on a besoin de lui, maugréa-t-il. Et qui t'as gentiment proposé cet immeuble ?

— Une connaissance à Jenna, je t'en ai déjà parlé du reste, Cylian.

— Encore lui, souffla Jimmy pas vraiment ravi à l'évocation de ce nom.

Ils entrèrent dans l'ascenseur et quand les portes se refermèrent, Alfred se tourna vers son neveu, le regard soucieux :

— Tu te rappelles quand je t'ai dit qu'il savait pour toi et Jenna et qu'il ne s'interposerait pas ?

— Oui.

— Et bien j'avais tout faux. Il ne fait pas ça gratuitement. Il a une idée derrière la tête, que j'ai très clairement identifiée.

— Que veut-il en échange ?

— Tu ne vois pas ?

Quand Jimmy comprit, son visage se ferma radicalement.

— Évidemment, grinça-t-il.

— Évidemment. C'est pour cette raison que j'ai accepté qu'elle vienne chez toi. Pour l'instant, il ne sait pas encore qu'il n'y a que Tennessie qui rejoindra Victoria.

— Merci Alfred.

— C'est bien normal.

Ils sortirent de l'ascenseur et marchèrent jusqu'à la porte au numéro 8. Alfred toqua ce que Jimmy comprit être un code avant que cette dernière ne s'ouvre sur un des hommes de son oncle. Ils se saluèrent.

— Prends-toi une pause, je te préviendrais quand on en aura fini.

L'homme acquiesça et disparu en refermant la porte derrière lui. Les deux hommes avancèrent dans l'appartement, l'un en terrain connu, l'autre en l'examinant d'un œil averti. La pièce dans laquelle ils se trouvaient était plutôt grande. Grâce aux deux baies vitrées, elle devait sûrement être en plus très lumineuse la journée. Juste meublée d'un ensemble canapé fauteuil en cuir blanc et d'une table de salon en verre trempé en son centre, posés sur un tapis bleu et d'un meuble bas collé au mur en face des baies vitrées.

— C'est ici que l'on reçoit les visiteurs qui sont juste de passages, le lieu de vie est derrière la double porte, viens.

— Tu l'as prévenu de ma visite ?

— Non, et c'est intentionnel, je voudrais voir sa réaction...

Jimmy suivit son oncle qui ouvrait la porte. Ils pénétrèrent dans une pièce plus meublée que la précédente, mais sans exagération. Ils continuèrent d'avancer et passèrent une autre porte derrière laquelle Victoria, assise sur un canapé en angle, les jambes repliées sur le côté, regardait la télévision, un casque sur les oreilles. Alfred se mit devant elle pour lui signaler sa présence. Dans un même mouvement, Jimmy la vit qui se leva et retira le casque.

— Bonjour Victoria. Comment vous sentez-vous aujourd'hui ?

— Bonjour Alfred. Bien, je vais bien.

— Ravi de l'entendre. Je me suis permis de venir avec quelqu'un qui souhaitait vous rencontrer.

— Ah ?

Alfred fit signe à son neveu d'approcher. Jimmy contourna le canapé en angle pour faire face à Victoria. Celle-ci, bien que surprise, le reconnut immédiatement.

— Le coup de cœur de Jenna, argua-t-elle tout sourire.

— Jimmy Laroche, dit-il en lui tendant la main, troublé par son approche, enchanté.

Victoria la lui prit et l'attira à elle pour lui faire la bise.

— Pas de civilité entre nous s'il te plaît.

Elle avait agit avec un tel naturel qu'il ne put s'en offusquer. Cette fille, il l'appréciait déjà.

— Bon je vous laisse discuter, je serais dans la pièce à côté si vous avez besoin.

Jimmy hocha la tête puis il fit signe à Victoria de s'asseoir.

— Je t'offre à boire avant peut-être ? s'empressa-t-elle de lui demander.

— Si tu veux, un verre d'eau fera l'affaire.

— D'accord, je reviens.

Jimmy s'assit sur le canapé et pensa à Jenna. Il avait hâte qu'elle puisse elle aussi, tout comme Victoria, vaquer à ses occupations, comme tout à chacun. Il avait besoin de la connaître un peu plus pour appréhender son arrivée chez lui. Il ne voulait pas faire d'erreur et il comptait sur Victoria pour l'aiguiller dans la bonne direction.

Elle revint avec un plateau sur lequel était posé deux verres d'eau et une assiette avec des petits gâteaux aux chocolats.

— C'est moi qui les ai fait, ça m'occupe, et les gars les apprécies aussi, dit-elle en riant. En même temps, ils veillent sur moi, c'est ma façon de les remercier.

Jimmy se servit et les trouva très bons.

— Bon, qu'est-ce que tu veux savoir ? lui dit-elle sans se départir de son sourire si avenant.

Il lui rendit son sourire. Apparemment elle n'était pas dupe, elle avait compris le but de sa visite : Jenna. Il lui parla sans détours.

— Que peux-tu me dire d'elle, de son parcourt, de sa vie d'avant ?

— On s'est rencontrées au bordel, il y a maintenant, elle leva les yeux au ciel pour réfléchir, sept ans, calcula-t-elle. Moi, ça faisait presque un an que j'y étais. Je connaissais les rouages de l'entreprise, j'avais eu le temps d'apprendre. Quand elle est arrivée, elle avait seize ans, elle venait de la rue m'a-t-on dit, c'est la seule chose que j'avais réussi à savoir sur elle. Elle était dans un tel état de désolation, complètement perdue, elle ne parlait pas, ne mangeait pas... Le seul qui arrivait à des résultats avec elle, était le grand patron, Gwendal. La première fois qu'il est venu la voir, c'était une quinzaine de jours après son arrivée. Il a été horrifié d'apprendre à qu'elle point elle se laissait aller. J'ai su plus tard que ce n'était pas de la compassion, mais qu'il misait beaucoup sur elle car il était convaincu qu'elle avait de l'avenir dans la profession. Pfft, tu parles d'un avenir...

Elle l'avait dit avec une grimace de dégoût. Elle fit une courte pause pendant laquelle elle but une gorgée d'eau. Jimmy fit de même. Il était suspendu à ses lèvres. Chaque mot qui sortait de sa bouche le touchait d'une telle force qu'il en était bouleversé. D'une manière générale, tout ce qui concernait Jenna le bouleversait.

— Il venait la voir tous les jours, reprit Victoria. Il la nourrissait, la lavait, l'habillait, il couchait avec aussi, bien sûr, et ma pauvre Jenna n'y voyait que du feu. Elle était amoureuse, elle croyait qu'il prenait soin d'elle. Jusqu'au jour où il jugea qu'elle était prête. Il lui fit rencontrer un client et l'obligea à avoir des rapports avec, devant lui. Ce jour là, elle a surtout fait la connaissance du vrai Gwendal ; ce jour là, et tous ceux qui suivirent, elle n'a plus été dorlotée par lui. Elle était devenue comme nous, une simple pute, qui devait faire ce qu'on lui disait de faire, sans broncher, mais avec le sourire, c'était une obligation le sourire... Quand j'ai vu qu'elle rechutait, je suis intervenue. Je lui ai expliqué comment survivre. On s'est liées d'amitié, et on s'est soutenues, comme on pouvait. Et puis un jour, approximativement deux ans plus tard, Gwendal a débarqué au bordel avec deux de ses gars. Il nous a fait nous aligné, et il a choisit cinq filles. Nous étions toutes les deux dedans. C'était la première fois que Jenna le revoyait. J'ai eu peur qu'elle craque, mais elle a tenu bon. Ils nous ont fait monter dans une camionnette et ils nous ont emmené au club. On ne savait pas ce qu'il voulait de nous, mais crois-moi Jimmy, sortir du bordel et respirer l'air du dehors, ça valait le coup, je n'oublierai jamais le bonheur que c'était.

— Je ne peux même pas l'imaginer, lui dit-il navré.

— Et je ne te souhaite pas de vivre cette expérience. D'autres filles étaient déjà là, elles provenaient des autres bordels. Il nous a présenté Martha, qui nous a fait faire un tas d'exercices bizarres et qui ne ressemblaient à rien, suite à ça, elle a procédé à une première série d'élimination. Ensuite, avec le reste des filles, elle a formé plusieurs groupes de trois, enlevant une fille par ci, la remplaçant par une autre, etc. Quand enfin, elle s'est arrêtée et a montré à Gwendal le trio qu'elle voulait. Jenna, une fille qui se nommait Gaby et moi, formions ce trio.

Jimmy réagit au nom de Gaby. Il ne dit rien, laissant poursuivre Victoria, mais il comptait bien en savoir un peu plus sur celle-ci.

— Nous ne savions pas encore pourquoi nous étions là. Gwendal fit partirent les filles qui n'avaient pas été choisi par Martha, puis il nous expliqua la raison de notre venue. Il voulait monter un spectacle d'un genre nouveau, et c'est comme ça que la salle secrète est née... Nous n'avons jamais remis un pied au bordel, et notre condition de vie s'est vue nettement améliorée.

Jimmy profita qu'elle s'arrêta de parler.

— Qu'est devenue Gaby ? se renseigna-t-il.

— Elle est morte, il y a plus d'un an.

Jimmy ouvrit la bouche d'étonnement.

— De quelle façon ?

— Elle a été renversée par une voiture, elle est morte à l'hôpital, des suites de ses blessures...

— Comment cela a-t-il pu se produire, puisque vous n'aviez pas le droit de sortir ?

— Gwendal avait fait de Gaby son officielle, et par ce fait, elle avait des avantages que nous, nous n'avions pas. Elle allait chez son esthéticienne, et c'est là qu'a eu lieu l'accident... Il faut que tu saches que c'était prémédité.

— Comment ça ?

— Elle a été victime d'un meurtre. C'est Mandy la coupable.

— Mandy ? Qui est Mandy ?

— Skyler, qui fait partie du spectacle actuel. On ne s'est pas comment elle a pu sortir du bordel, ni comment elle s'est procurée une voiture, ni par qui elle a obtenu les informations... Ce qui est sûr, c'est qu'elle était très bien renseignée sur les habitudes de Gaby... C'est elle l'officielle de Gwendal maintenant. Elle a monté un plan machiavélique pour prendre sa place, et elle a parfaitement réussi.

Jimmy fut horrifié par le récit de Victoria. Il savait Jenna confrontée à divers danger dans ce club, mais il n'avait pas vraiment réalisé qu'elle pouvait être aussi en danger de mort. Il comprenait mieux pourquoi elle avait autant de difficulté à lui parler, et pourquoi elle avait si peur pour lui.

— Seigneur. Comment est-il possible de supporter une telle vie ?

— Un jour chasse l'autre, on espère des lendemains meilleurs, c'est tout.

Après un silence pendant lequel chacun était plongé dans ses pensées, Victoria regarda Jimmy.

— Je crois que tu ne te rends pas compte à quel point tu l'as changé. Toi, mais aussi ta famille. Quand elle a postulé pour le travail, c'était pour mettre de l'argent de côté, afin d'organiser le futur, après notre évasion, mais pas seulement. Tu ne le sais peut-être pas, mais on s'est engagées à subvenir aux besoins de la mère de Gaby qui est, comment dire ça... Qui n'a plus toute sa tête. On le lui a promis sur son lit de mort, et on a toujours réussi à régler l'établissement qui prend soin d'elle, semaine après semaine. Mais la vérité est qu'on peinait de plus en plus parce que, bizarrement, Mandy gagnait pratiquement à chaque fois la première place, celle qui rapporte le plus d'argent. On a tiré la langue, souvent. Et puis Jenna a gagné deux fois, grâce à toi. On a eu de quoi payé d'avance, ça nous a soulagé pendant un temps... Son plan était une bonne idée, mais il était voué à l'échec parce qu'il ne rapportait pas assez d'argent et qu'elle se serait fait chopper un jour où l'autre, c'était inévitable.

— Si tout se passe bien, demain ce sera fini...

— Ça se passera bien, Alfred m'a tout expliqué. Ensuite, on fera tomber toute cette bande de pourritures.

Il aurait aimé être aussi optimiste qu'elle, mais il ne le pouvait pas. Tant que Jenna ne serait pas à l'abri à ses côtés, il continuerait à s'inquiéter. Elle l'avait dit elle-même, tellement de choses pouvaient se passer entre aujourd'hui et demain...

...

Jenna sortit le portable "Alfred Laroche" de sa cachette, elle voulait vérifier si Jimmy l'avait appelé et c'était le cas. Elle l'avait manqué de seulement une demi-heure, elle tenta de le rappeler.

— Jenna ? dit une voix femme.

Surprise, Jenna resta d'abord muette. Puis lorsqu'elle comprit à qui appartenait la voix, elle fit signe à Tennessie de s'approcher.

— Vicky, c'est bien toi ? s'écria-t-elle au bord des larmes.

— Et oui ma poule, c'est moi ! Alors quoi de neuf dans vos beaux quartiers ?

— Oh mon dieu, je ne peux pas le croire, répondit-elle si émue qu'elle attrapa la main de son amie, prise d'une soudaine euphorie.

— Et pourtant, je suis là en chair et en saucisse, si on peut dire.

— Comment vas-tu ?

— Bien ma belle et vous, vous tenez le coup ?

— Pour l'instant ça va. On se motive toutes les deux. Jimmy est près de toi ?

— Oui, il est là. Il est venu me rendre une petite visite. C'était assez inattendu, mais ça m'a fait du bien de voir un si beau visage.

— Je suis jalouse, grogna Jenna sur le ton de la plaisanterie.

— Demain, il sera tout à toi, mais ce soir...

Victoria éclata de rire alors que Jenna ravala sa salive, légèrement piquée au vif.

— Passe-la moi, la supplia Tennessie qui trépignait d'impatience à côté d'elle.

— On se voit demain ma poule. Je te laisse, y'a une débile qui veut te parler, dit Jenna en riant de bon cœur.

Elle lui passa le téléphone en lui faisant les gros yeux.

— Je te préviens, pas trois heures ok ? Tu la vois demain.

— Oh, c'est bon, tu vas l'avoir après ton mec ! râla Tennessie en lui tirant la langue.

Le temps de leur discussion, Jenna partit faire le gué dans le couloir, mieux valait encore être prudente, leur fuite étant prévue pour le lendemain. Elle s'imaginait quitter définitivement le studio avec sa compagne de galères. Dans environ vingt-quatre heures, elles descendraient l'escalier pour ne plus jamais le remonter. Elles passeraient par le sous-sol, exactement comme elle l'avait fait elle-même après l'évasion de Victoria car il était inenvisageable de sortir par le bar, trop de monde les verrait. Une fois dehors, elles fileraient le plus loin possible de leur bâtiment, sans un regard en arrière. Elles prendraient un taxi qui les conduirait à l'hôtel où Jimmy les y attendrait. Cela paraissait tellement simple. Alors pourquoi avait-elle si peur de ne pas atteindre l'hôtel ? Baissant son regard sur ses mains, elle s'aperçut que celles-ci tremblaient. Je ne suis même pas encore partie, pensa-t-elle subitement angoissée par ce qui l'attendait le lendemain. Elle chassa ses pensées négatives, elle devait être forte pour Tennessie, elle ne devait pas flancher, ni maintenant, ni demain. Surtout pas demain...

La porte s'ouvrit et Tennessie qui avait toujours le portable collé à son oreille dit :

— Je te laisse, y'a une débile qui veut te parler. À plus Jimmy !

La bouche ouverte de stupéfaction, Jenna ne se rendit même pas compte qu'elle avait pris le téléphone que lui tendait son amie.

— T'as pas osé, lui dit-elle toujours pas remise de son coup bas qui résonnait comme une petite vengeance.

— Tu t'es gênée toi peut-être ? Bon tu rentres ou tu discutes dans le couloir ? lui dit-elle alors qu'elle-même sortait du studio pour prendre la place de Jenna, une lueur de victoire dans ses yeux.

Jenna s'exécuta. Une fois la porte fermée, elle couru jusqu'à la petite chambre et sauta sur le matelas.

— Jimmy ?

— Jenna ? Ou devrais-je plutôt dire "Débile" ?

— Ah, ah, c'est vachement drôle !

— Tu vas bien ?

— Maintenant, oui, lui répondit-elle tout sourire. T'as assuré pour Victoria. Ça m'a fait un bien fou d'entendre sa voix !

— C'était le but. Et puis ça m'a évité d'avoir à lui dire que tu l'aimes et aussi de parler de baskets.

Jenna gloussa.

— Alors prête pour demain ?

— Évidemment.

Elle ne voulait pas lui faire part de ses inquiétudes. Elle ne doutait pas qu'il aurait déjà les siennes à gérer, elle ne jugeait pas utile de lui en rajouter une couche. Elle était une grande fille, elle avait connu pire comme angoisses, elle arriverait à se maîtriser... Enfin, elle n'en était absolument pas convaincu, mais il fallait en donner l'impression coûte que coûte.

— Demain, vous n'appellerez pas de taxi, mon oncle vous en enverra un, d'accord ?

— Euh oui, mais ça change quoi ?

— Si vous en appelez un vous-même, ce sera forcément un taxi du nord de la ville.

Jenna compris où il voulait en venir. Gwendal ne pourrait pas obtenir d'informations sur leur destination avec un taxi provenant du sud de la ville, là où il n'avait aucun pouvoir.

— Pas bête. Il pense à tout Alfred, c'est vraiment un bon, attesta-t-elle.

— Le point de rendez-vous est l'endroit où je t'avais déposé la première fois, tu t'en souviens ?

— Oui, et c'est pas trop loin, c'est nickel !

— Ok. Il faut aussi que tu effaces les numéros et les textos de ton ancien portable et que tu détruises la carte SIM et tant que tu y es, lâche-toi sur le portable aussi vu que tu en as un autre.

— Ok.

— Une dernière chose, n'oublies pas de prendre tes papiers d'identité, ceux de Myrtille, ils te serviront.

— D'accord, de toutes façons, c'est les seuls que j'ai...

Jimmy ne releva pas, bien qu'il comprit le sous-entendu.

— Ne vous chargez pas, ne prenez que quelques vêtements et c'est tout, le reste, on s'en occupe.

— D'accord.

— Le taxi vous attendra à vingt heures précises. Il a comme consignes de ne pas partir sans vous, mais ne traînez pas, essayez d'être à l'heure.

— Ça ne devrait pas poser de problèmes, à cette heure-ci, en principe, on est tranquilles.

Le sentant tendu, Jenna s'inquiéta brusquement.

— Tu vas tenir le coup ?

— C'est pas moi qui ai le plus dur à faire. Attendre dans une suite, y'a pire, lui répondit-il sur un ton rassurant. Et puis, j'ai confiance dans le déroulement du plan. Il n'y a pas de raison que ça foire.

— Non, y'a pas de raison...

Elle pensait le contraire, mais elle se garda bien de le dire. Des raisons, il lui en venait pleins à l'esprit.

— Je vais te laisser. Ne vous mettez pas en danger d'ici à demain soir, prends soin de toi et on se voit demain.

— Tu me laisseras plus après, promets le moi.

— C'est la dernière fois que je te laisse, promis ! lui dit-il en fermant les yeux d'émotion. Rendez-vous ailleurs qu'ici !

— Rendez-vous ailleurs qu'ici, lui répondit-elle les larmes aux yeux.

Elle raccrocha en soupirant. Ses yeux se perdirent sur le plafond crasseux de la chambre.

— Ailleurs qu'ici, dans une autre vie, murmura-t-elle, le téléphone posé sur sa poitrine.

...

Le lendemain matin, après une nuit agitée, Jimmy ne se rendit pas à son bureau. Il avait pris une semaine de congés afin de ne pas laisser Jenna seule à son arrivée chez lui. Il rangea l'appartement, s'occupa de ses animaux, puis il se rendit chez ses parents le midi. Tout le monde était déjà là quand il arriva, prêt à en découdre avec cette journée si particulière. Personne ne s'installa à table pour le repas. Sur le bar de la cuisine était installées multitude de victuailles, toutes plus appétissantes les unes que les autres et chacun piochait dans ce qui l'intéressait. Jimmy se joignit aux membres de sa famille et se servit bien que son appétit était aux abonnés absents. Quand sa sœur le vit, elle le prit dans ses bras.

— Comment tu te sens ?

— J'ai connu mieux, lui avoua-t-il.

— Je me doute. C'est la dernière ligne droite, après tout ne sera plus que mauvais souvenirs.

— Je sais, même si je ne le réalise pas.

— Tout ira bien, elle sera bientôt parmi nous.

Jimmy lui sourit sans conviction. Il aurait voulu lui dire combien il appréhendait les évènements de cette journée, mais il le garda pour lui.

— Et le grand-père, il est où ? s'étonna-t-il.

— Dans sa chambre, il se prépare.

Il s'excusa auprès de sa sœur et la laissa pour retrouver le patriarche. La porte de la chambre étant fermée, il toqua.

— Quoi encore, entendit-il Georges répondre pas très agréablement.

— C'est moi.

— Entre !

Jimmy fut surpris de le trouver debout devant le miroir, vêtu d'un pantalon de costume, d'une chemise blanche sur laquelle il avait passé son boléro en satin, celui des grandes occasions.

— Pourquoi cette tenue ? lui demanda-t-il dubitatif.

— Parce que aujourd'hui est une première fois pour moi. Et comme pour toutes les premières fois, je me prépare psychologiquement. M'apprêter, m'aide à me mettre en condition. Passe-moi le nœud papillon, s'il te plaît, le somma-t-il très concentré.

Jimmy s'exécuta et bien que les circonstances ne s'y prêtaient guère, il le regarda faire avec une pointe d'amusement.

— Il pleut toujours ?

— Oui.

— Dans ce cas, veux-tu bien m'apporter mon imper ?

Jimmy récupéra l'imperméable sur le portemanteau fixé sur le mur et aida son grand-père à le mettre. De ses doigts maigres et flétris, Georges attrapa son chapeau qu'il fixa sur sa tête, puis il prit sa canne.

— Voilà, je suis prêt !

— T'as une nouvelle canne ? remarqua Jimmy surpris.

— Non, c'est la même. J'ai juste changé le pommeau.

— Et tu le sors d'où ce pommeau ? Je ne l'ai jamais vu.

— Il appartenait à mon père. Et oui, c'est de l'or, dit-il en devançant la prochaine question de son petit-fils. Une tête de loup en or. Bon, on y va ? s'impatienta-t-il.

— Tu m'étonneras toujours pépé.

— Encore heureux, tu t'ennuierais sans moi !

— Le monde s'ennuierait sans toi, rectifia Jimmy en se retenant de rire. Après toi, je t'en prie.

Ils quittèrent la chambre et rejoignirent le reste des hommes de la famille qui, une fois n'était pas coutume, s'étaient réunis dans la bibliothèque pour une dernière mise au point.

Une odeur de café planait dans la pièce. Jimmy s'en servit une tasse et en proposa une à Georges que ce dernier refusa sans ménagement.

— Ce sera un whisky pour moi, et un double ! dit-il en agitant sa canne.

— Pardon ? s'écria Jimmy sidéré.

— T'as très bien entendu, à journée exceptionnelle, remontant exceptionnel ! J'ai besoin de prendre des forces.

— C'est pas très raisonnable, insista Jimmy.

— La raison, ça fait un bail qu'elle m'a quittée, lui répondit-il en s'asseyant sur le canapé.

Un signe de la tête de son oncle lui indiqua de le servir. Il posa donc le verre devant son grand-père qui le prit et qui le bu d'une traite, puis il le reposa bruyamment sur la table basse.

— Bon, je suis prêt. On y va quand ?

Deux berlines de couleur noire se dirigeaient tranquillement vers le nord de la ville en direction des bureaux de Lewis. Alfred, assis côté passager de la première, expliquait à son père et à son neveu ce qui allait bientôt suivre.

— Boris, dit-il à Jimmy en lui indiquant l'homme assis à ses côtés, va se présenter à l'accueil pour son rendez-vous avec Lewis. Dimitri, qui conduit, ira avec lui. C'est lui qui nous préviendra lorsqu'on pourra passer à l'action. Nous entrerons dans les locaux et nous nous dirigerons vers le bureau de Lewis. Ce qui se passera ensuite, ne sera que pure intimidation.

— Et tu me laisseras prendre les choses en main, une fois qu'on sera dans son bureau, affirma Georges fermement.

— Oui papa, c'est ce que nous avons convenu.

— Parfait !

Jimmy, qui pensait que son oncle dirigerait l'opération du début à la fin, s'inquiéta brusquement de ce revirement de situation.

— Euh, vous pouvez m'expliquer ?

— Il s'en est prit à MA société, argua Georges d'un air mauvais, celle que j'ai bâti à la sueur de mon front, je ne laisserai personne la menacer de quelques façons que ce soit. Je compte lui donner un aperçu de ce que peut être un Laroche pas content.

— Et tu es d'accord avec ça ? demanda Jimmy à son oncle.

— C'est sa société, je ne peux rien dire. Boris, veux-tu bien vérifier une dernière fois le sac ?

Ce dernier ne répondit rien mais se baissa pour prendre le sac qui était à ses pieds. Il le posa sur ses genoux et l'ouvrit. Il en sortit ce qui ressemblait fortement à un fusil d'assaut. Jimmy eut un mouvement de recul.

— Mais vous êtes devenus fous ??? C'est une kalachnikov ! s'écria-t-il paniqué en désignant l'arme de ses deux mains.

— Je te l'avais dit qu'il flipperait, souffla Georges devant sa réaction qu'il jugea puéril.

— Mais non, c'est un grand garçon, il saura gérer ça, affirma Alfred en souriant.

Puis il s'adressa directement à lui.

— Ne t'inquiète pas Jimmy, tu as près de toi des pros de la gâchette. Vois-tu, Boris et Dimitri sont russes, et frères en plus. Ils ont servi dans l'armée russe un temps, puis pendant une bonne quinzaine d'années dans les services secrets. Le maniement de ses engins, ils connaissent parfaitement. Rassuré ?

— Pas vraiment...

Pendant que la voiture poursuivait tranquillement sa route, le cerveau de Jimmy lui fonctionnait à plein régime. S'il s'était attendu à se trouver à cinquante centimètres d'un fusil d'assaut en se levant le matin, il aurait hurlé de rire tellement cela lui aurait paru improbable. Il ne savait pas ce qu'avait en tête son grand-père, et il n'était pas sûr de vouloir le savoir au risque de faire demi-tour. Ses pensées se dirigèrent vers son père. Était-il au courant de ce qu'il se tramait ? Savait-il pour les armes ? Il regarda Dimitri sortir une deuxième arme et la vérifier minutieusement comme il l'avait fait avec la première. Jimmy se frotta les yeux en jurant intérieurement. Mais qu'est-ce qu'il foutait là ? La réponse lui vint brutalement : Jenna. Voilà la raison de sa présence. Mettant ses réticences de côté, il se concentra sur la route, bien décidé à aller jusqu'au bout de cette journée au combien déterminante pour son avenir, et pas que pour le sien.

...


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