Jenna se remettait doucement de la cuite qu'elle avait prise dans la nuit. Gros Pat l'avait récupérée à l'aube chez Louise et d'après ses dires, dans un état pitoyable. Heureusement pour elle, même ici, le dimanche était un jour de repos...

 Elle regarda Nessy qui dormait profondément à ses côtés. Elle avait aussi passé une nuit terrible, bien pire que la sienne, car contrairement à elle, Nessy n'avait pas réussi à trouver le sommeil. La présence de Gros Pat ne l'avait que légèrement calmée, mais pas suffisamment pour lui enlever les souvenirs de cette horrible soirée. Elle avait pris pas moins de cinq douches afin d'enlever toutes ces traces de souillures. Elle s'était épuisée à frotter chaque parcelle de son corps, le recouvrant totalement de la mousse du gel douche jusqu'à épuisement complet du stock. À la cinquième douche, n'ayant plus de produit, elle s'était récurée avec une brosse métallique trouvée sur les lieux. Ses cris de douleurs avait alors alerté Gros Pat qui l'avait découverte le corps ensanglanté, frottant avec acharnement la brosse sur sa peau nue. Bien que plus fort qu'elle, il n'avait pas réussi à lui faire lâcher la brosse. Elle frottait avec une volonté farouche d'abîmer ce corps qu'elle ne supportait plus. Il avait dû la frapper pour la forcer à lâcher prise. Il l'avait essuyée, soignée, puis il lui avait roulé un joint, seul moyen qu'il avait en sa possession pour la détendre.

 — Elle a tiré dessus trois fois, et je l'ai vu partir, tout doucement. Ses yeux se sont enfin fermés, lui avait expliqué Gros Pat après que Jenna ait émergé de sa propre nuit.

 Elle l'avait remercié d'avoir été présent pour son amie. Il lui avait avoué qu'il tenait beaucoup à elles deux. Gros Pat partit, elle s'était allongée près de Tennessie et elle avait pleuré de voir son corps si abîmé. Puis, à son tour, elle s'était endormie.

 Mais quand elle avait rouvert les yeux, dans le milieu de l'après-midi, c'était toujours la même merde autour d'elle. Elle doutait réellement de leur capacité à tenir bon jusqu'au jour J...

 Elle trouva la force de se lever et de se diriger jusqu'aux sanitaires. Le choc fut violent quand elle vit les projections du sang de Nessy sur les murs. La brosse métallique était toujours sur le sol, au milieu d'une marre de sang éclaircie par l'eau. Cela ressemblait à s'y méprendre à une scène de crime, des frissons glacés lui parcoururent le dos.

 Elle nettoya comme elle put la douche. Le pommeau étant fixé au mur, elle se servit de ses mains comme d'une cuvette pour y réceptionner l'eau qu'elle jeta contre les parois. Elle repensait à la douche de Jimmy Laroche, si grande, si propre, si belle, tout comme celle de la suite... Elle se lava quand même, mais en s'imaginant dans un autre lieu, loin de là où elle était, n'importe où elle s'en foutait tant que c'était ailleurs qu'ici et que Christopher fut avec elle. Elle se demandait à quoi il pouvait occuper son temps libre. Elle savait si peu de chose de lui. Elle aimerait tellement en savoir plus que cela lui rongeait le cœur.

 À ce moment là, alors que l'eau chaude coulait sur elle, elle se rendit compte qu'elle était en manque de lui. En manque de ses bras l'encerclant ; de ses baisers et de ses caresses sur son corps ; en manque d'être possédée par lui ; de son regard quand il la désirait ou qu'il se moquait gentiment d'elle... Elle posa le plat de ses mains sur le mur et pencha la tête en avant, laissant tombé l'eau sur elle alors qu'elle pleurait de rage, de dégoût et de tristesse quant à sa condition qu'elle ne supportait plus. Entourée d'une serviette, elle sortit de la douche et alla s'habiller dans sa chambre.

 Elle mit la bouilloire en route ainsi qu'un sachet d'infusion dans une tasse. Son estomac ayant été mis à mal par tout l'alcool ingurgité, elle n'était même pas sûre qu'il supporterait le liquide qu'elle comptait avaler, mais rien d'autre ne la tentait. Elle sortit son portable de la poche de sa veste en espérant trouver un message de Christopher, mais il n'y avait rien. Elle réalisa qu'elle avait peur. Peur de l'après. Elle aspirait tellement à la réussite de leur évasion qu'elle ne s'imaginait plus de rester sous la coupe de Gwendal et de ses sbires. Elle ne voulait plus être un pion, elle préférait encore mourir que de continuer cette vie là qu'elle n'avait pas choisie. La mort serait de loin la meilleure chose qui pourrait lui arriver si elle ne parvenait pas à s'enfuir. Vivre dans ses conditions équivalait à vivre en enfer, et elle le refusait !

 Son estomac ayant toléré l'infusion, elle descendit au bar afin de se prendre quelque chose de plus consistant. Elle jeta un regard triste à Tennessie qui dormait toujours puis quitta le studio.

...

 Quand l'interphone sonna, Jimmy leva la tête de la feuille sur laquelle il tentait de réaliser la maison de ses rêves. Se demandant qui pouvait bien le dérangeait un dimanche soir, il se leva et alla dans l'entrée pour répondre.

 — C'est Callie !

 Il réalisa alors avec stupéfaction qu'il avait complètement oublié sa venue et par conséquent, qu'il n'avait rien préparé pour le repas. Quand il ouvrit la porte à sa sœur, ce fut bien embêté qu'il lui avoua sa négligence.

 — C'est rien p'tit frère, on va commander ! Sushis ou pizzas ? lui demanda-t-elle en lui faisant un clin d'œil.

 — Sushis, ça me va !

 Installés au bar, ils mangèrent de bon appétit tout en discutant de tout et de rien quand elle lui annonça une grande nouvelle :

 — Tu vas bientôt être tonton !

 Jimmy resta bouche bée, le temps que l'information n'atteigne son cerveau déjà bien encombré.

 — Comment c'est possible ?

 — Et bien des millions de petits spermatozoïdes ont filé droit sur un de mes ovules et...

 — Callie ! Je n'ai pas besoin de cette explication là. Je ne savais même pas que tu étais avec quelqu'un !

 — Il s'appelle Fred, et ça fait plus d'un an qu'on est ensemble. On travaille dans le même cabinet d'avocat.

 — Un an ?! Et tu me le dis que maintenant ?

 — Oui, je voulais vous en parler qu'une fois que je serai sûre de notre engagement mutuel, mais voilà, bébé vient précipiter les choses, donc... On va se marier au printemps prochain, avant l'accouchement.

 Malgré son état d'esprit perturbé, la nouvelle avait réussi à faire sourire Jimmy de joie.

 — Et bien, félicitations ! J'espère que tu as prévu de nous présenter l'heureux élu avant le mariage ?

 — Dès que tout ça sera fini, je le ramène chez les parents. Bien, assez parler de moi ! Je veux tout savoir sur toi et Jenna.

 Bien qu'il n'ait aucune envie de parler de ça, il expliqua à sa sœur sa rencontre avec Jenna sans tabous. C'était l'avantage avec elle, il pouvait se lâcher. Il lui raconta tout, se contentant de garder pour lui les passages les plus intimes.

 — Et bien, analysa Callie, si le contexte n'était pas aussi dramatique, ce serait une merveilleuse histoire d'amour...

 — J'aimerai lui dire qui je suis vraiment, mais j'ai peur de sa réaction, peur qu'elle refuse mon aide encore plus qu'elle ne la refuse déjà...

 — Je pense que tu devrais le lui dire. Si elle ne veut rien savoir sur toi, c'est juste pour te protéger. Qu'est-ce qu'elle pourrait bien balancer si elle ne sait rien ? Mais je suis sûre qu'elle meurt d'envie de tout savoir de toi. Mardi me parait être le moment idéal pour quelques aveux.

 Jimmy réfléchissait. Il était perdu et ne savait plus quoi penser.

 — Ne lui balance pas directement l'info à la figure, tu vas avoir une soirée entière, fais le en douceur, avec du tact.

 — D'accord.

 Puis changeant de sujet, Callie reprit :

 — Oh fait, je t'ai apporté les macarons !

...