CHAP 26
Jenna regarda une énième fois l'heure sur son portable : quatre heures vingt du matin et elle n'arrivait toujours pas à se rendormir. Tennessie n'était pas encore rentrée, elle ne l'attendait plus depuis un bon moment. Elle se leva et mit la bouilloire électrique en marche pour se préparer une infusion. Nostalgique, elle pensait à l'appareil de Jimmy Laroche qui en plus de faire des cafés, avait une fonction pour préparer thé, chocolat, infusion, capuccino... Ça me manquera tout ça, songea-t-elle avec amertume.
Son infusion prête, elle fit deux pas pour atteindre la fenêtre alors qu'il en aurait fallu au moins une quarantaine pour atteindre la baie vitrée de Jimmy Laroche. Et que dire de la vue qui donnait sur la rue. Du premier étage, celle-ci était limitée. En face, un immeuble terne et tout aussi délabré que celui dans lequel elle vivait la déprimait. Les trottoirs, contrairement à ceux qui longeaient la résidence des Laroche ou ceux qui entouraient l'immeuble de Laroche fils, étaient d'une saleté déplorable. On y trouvait de tout : des bennes à ordures archi pleines renversées ; des sacs poubelles éventrés dont le contenu était répandus sur plusieurs mètres autour ; des rats crevés ; des seringues et préservatifs usagés... Elle ne supportait plus ces immondices, elle ne voulait plus de cette vie misérable. Elle avait connu tellement plus beau, tellement plus propre. Des gens biens, vivants sainement, riants, plaisantants, avec toujours un mot gentil envers elle. Ailleurs qu'ici lui avait dit un jour Christopher...
Si seulement elle pouvait être libre d'agir comme bon lui semblait, aller là où elle voulait, comme elle le voulait, sans avoir à s'inquiéter d'être suivie, sans qu'un homme ne vende son corps pour satisfaire son besoin d'argent et de pouvoir, sans avoir à lutter pour tout simplement vivre. Sans le savoir, les Laroche et Christopher, en l'embarquant avec eux dans leur univers lui avaient ouvert les yeux sur ce qu'était réellement sa propre vie. Elle savait que son monde à elle était sans pitié, qu'un jour elle finirait assassinée comme Gaby, que ce soit des mains d'une autre fille, d'un des hommes de Gwendal ou de Gwendal lui-même, d'un client, ça ne faisait pas vraiment de différence, ou bien encore pire, comme Louise, une épave échouée sur un trottoir... Ils lui avaient montré la vie de famille, pour les Laroche, l'amour et la sécurité pour Christopher...
Ce dernier lui manquait comme jamais personne ne lui avait manqué auparavant. Elle repensa subitement qu'il lui avait donné son numéro de téléphone. Elle fonça à l'endroit où était caché l'argent et ses papiers "nouvelle vie", trouva la carte de l'hôtel sur lequel il avait noté le numéro. Oserait-elle le contacter ? Rien que d'y penser, son cœur faillit sortir de sa cage thoracique. Elle nageait tellement en eaux troubles qu'elle ne fit pas attention à l'heure qu'il était quand elle lui envoya un texto : Mardi <3.
Ce ne fut que lorsqu'elle retourna à l'écran d'accueil et qu'elle vit l'heure inscrite en haut à droite, qu'elle réalisa avec horreur que c'était le milieu de la nuit. Elle se maudissait pour son manque de discernement et son empressement. Il manquait plus qu'elle ne le réveille, les gens normaux dormaient à cette heure-ci... Elle posa sa tasse vide dans l'évier et retourna se coucher sans pour autant lâcher son téléphone, des fois qu'il ne réponde...
Elle s'était finalement rendormie, tard sur le matin, sans nouvelle de lui.
...
Il n'était pas loin de midi quand Jimmy se réveilla. Il avait dormi presque douze heures d'affilées ce qui ne lui était pas arrivé depuis longtemps. Il se sentait reposé, avait les idées claires, et il était plus que décidé à suivre son oncle pour sortir Jenna de sa prison sans barreaux. Rien ni personne ne pourrait l'arrêter. Il ne supportait tout simplement plus d'être séparé d'elle. Il ne serait tranquille que lorsqu'elle serait en sécurité, avec lui...
En attendant ce jour, il devait combler ses journées, mais à quoi ? Il eut une idée qui devrait bien l'occuper et il s'y attela après avoir prit soin des perroquets et avoir sortit Shelby.
Une tasse de café à la main, il s'installa dans son bureau, sur la table à dessin et regarda le croquis qu'il avait déjà réalisé. C'était une belle villa, la villa de ses rêves, mais c'était avant sa rencontre avec Jenna. La villa dessinée, aussi belle fut-elle, ne lui convenait plus, trop impersonnelle...
Il prit une nouvelle feuille à dessin, un crayon de papier, et il se lança dans une toute nouvelle réalisation.
...
Tennessie était songeuse. Étendue sur le matelas, elle fixait le plafond d'une façon étrange. Elle s'était murée dans un silence très inhabituel ce qui était surprenant venant d'elle.
Jenna vint la rejoindre. S'allongeant près de son amie, elle colla sa tête à la sienne et regarda aussi le plafond.
— Qu'est-ce que tu as Nessy, lui demanda-t-elle en lui prenant la main.
— Je n'arrive pas à me projeter dans le futur, tu sais, après tout ça. J'essaie pourtant, je te jure, mais le seul endroit dans lequel je me vois, c'est ici, et rien qu'ici... Ça me fait peur Jenna, pourquoi je n'arrive pas à m'imaginer faire les boutiques, travailler, avoir un appartement rien qu'à moi ?
— Parce que tu ne connais pas, tu ne sais pas ce que c'est. Ils nous ont mis une laisse et des œillères invisibles, notre cerveau s'en accommode parce que nous n'avons pas le choix. Mais je te promets que ce qui nous attend au-delà de ces murs, ça vaut le coup d'être vu et vécu...
— Si seulement...
— Pour l'instant, il ne faut pas que tu réfléchisses trop, ça pourrait leur mettre la puce à l'oreille. Dis-toi qu'ils nous connaissent, ils nous analysent tout le temps. Si notre comportement leur paraît suspect, Gwendal le saura. Alors, en plus de la laisse et des œillères, ils nous rajouteront des chaînes qui elles seront bien réelles...
Jenna se redressa et appuya sa tête sur sa main.
— Nous n'aurons pas d'autres chances Nessy. Nous n'aurons qu'un seul coup d'essai, il ne faudra pas le louper...
— Ouais, parce que si on le loupe, on est mortes. Ça par contre, je le visualise très bien...
Jenna la prit dans ses bras pour la réconforter et lui caressa les cheveux.
— Arrête de te faire du souci maintenant, on a encore plus d'une semaine à passer avant le jour J. Pense à nos retrouvailles avec Vicky si tu veux, mais pas qu'on n'y arrivera pas, d'accord ?
— Je vais essayer d'être plus positive...
— C'est bien.
Elle lui embrassa le front.
— Et ce soir, je veux que tu te donnes à fond, si on peut lui piquer la première place à l'autre connasse, d'une, ça la matera un peu, et de deux, on aura besoin du fric pour après.
— Je vais peut-être t'étonner, mais d'elle, j'en ai plus rien à foutre tellement j'ai autre chose en tête.
Jenna ne répondit pas, elle n'était pas certaine que cela fût très rassurant.
...
Jimmy refit encore le même geste et ce, pour au moins la quinzième fois. Froisser la feuille de dessin, la mettre en boule pour finir par la jeter sur le sol...
Sans se décourager, il recommença sur la feuille du dessous. Il avait tracé quelques coups de crayon quand du salon, il entendit la voix éraillée de Cacahuète :
— Allo ? Ouais, ça va ? Allo ? Allo ? Allooooooo ?
Il réalisa alors que son téléphone portable devait sûrement sonner. Il se précipita dans le salon mais ne le trouva pas. Quand la sonnerie réitéra, il comprit qu'il ne risquait pas de le trouver dans cette pièce car le son provenait de l'étage. Il grimpa l'escalier quatre à quatre et couru jusque dans sa chambre. Il plongea sur son lit pour décrocher avant que la sonnerie ne se coupe.
— Maman, dit-il complètement essoufflé. Comment vas-tu ?
— Tu es où ? lui demanda-t-elle curieuse de connaître la raison de sa respiration saccadée.
— Dans ma chambre pourquoi ?
— Dans ta chambre ? Euh, peut-être que je te dérange, je peux rappeler plus tard si tu préfères ?
— Bien sûr que non, pourquoi tu me dérangerais ?
— Tu es sûr ?
— Évidemment !
— Ok, je vais pas être longue. Ton frère et ta sœur viennent d'arriver, est-ce que tu te joins à nous pour le dîner de ce soir ?
N'ayant aucune idée de l'heure qu'il pouvait être, il regarda son radio réveil et vit qu'il était déjà plus de dix-sept heures.
— Et tu me préviens que maintenant ? s'étonna-t-il alors qu'il s'asseyait sur le rebord du lit.
— Je t'ai envoyé plusieurs SMS depuis ce matin mais tu ne m'as pas répondu donc je t'appelle en désespoir de cause.
— Ah, merde... Désolé, ce matin je dormais, et cet après midi j'étais occupé.
— Oui, j'ai cru comprendre... Pour les deux. Bon, ce soir, tu viens ou pas ?
— Oui, oui, je viens, le temps de prendre une douche et j'arrive.
— D'accord, à tout à l'heure alors.
— À tout à l'heure.
— Euh, Jimmy, juste une question...
— Je t'écoute.
— Par pitié, dis-moi juste que c'est pas Lydie !
Tellement choqué par la question de sa mère, il mit son téléphone devant ses yeux et le regarda comme si celui-ci avait le pouvoir de lui expliquer le long cheminement que sa mère avait parcouru pour arriver à une telle déduction.
— Mais de quoi tu parles ? lui demanda-t-il en remettant le téléphone en place. Qu'est-ce que Lydie vient faire dans notre conversation ?
— Répond-moi juste, et je te laisserais tranquille. Enfin seulement si tu m'affirmes que ce n'est pas elle, dans le cas contraire...
— Je suis seul maman, qu'est-ce que tu vas t'imaginer ?
— Je n'imagine pas, j'analyse. Ok, maintenant que tu m'as rassurée, je peux me mettre au boulot. On se voit tout à l'heure mon fils, bye !
Elle raccrocha avant qu'il ne puisse lui demander des explications. Fixant son portable, il essayait tant bien que mal de comprendre ce qu'il venait de se passer quand il vit qu'il avait reçu plusieurs SMS. Quatre étaient de sa mère mais il y en avait un d'un numéro inconnu qu'il ouvrit sur le champ. Son cœur s'emballa quand il le lut : Mardi <3.
Message court mais efficace ! Il y répondit sur le champ : Mon jour préféré...
Puis il vit l'heure à laquelle elle l'avait envoyé. Quand tout sera fini, les nuits où tu ne dormira pas, tu ne seras plus seule Jenna, parce que je serai là pour te tenir compagnie, songea-t-il agacé par cette situation qui perdurait vraiment trop dans le temps. Il avait cette désagréable impression que rien n'avançait, ni le plan à préparer, ni le temps. Pour lui, une heure équivalait à une journée, du coup une journée était d'une longueur infinie...
— PUTAIN ! dit-il en balançant son portable sur le lit.
Toujours assis, il se laissa tomber lourdement sur le lit. Passant ses mains dans les cheveux, il soupira. Son portable se manifesta à nouveau. Il se redressa pour le récupérer et ouvrit le SMS qu'il venait de recevoir : Non, c'est le mien, et je ne partage pas !
Elle avait de l'humour la p'tite Jenna, il aimait ça. Elle avait réussi à le faire sourire... Même pas une exception ? lui répondit-il en prenant un malin plaisir à rentrer dans son jeu.
La réponse arriva vite, il la lu avec empressement : Je viens d'un monde où tout se négocie, alors peut-être... Rendez-vous ailleurs qu'ici ;)
Elle avait reprit le terme qu'il lui avait dit lors de leur deuxième rencontre, cela le toucha en plein cœur et le perturba au point qu'il en eut les larmes aux yeux. Et oui, cette fille le rendait dingue, il en était le premier surpris. La douleur dans son ventre qui s'intensifiait en même temps que le temps qu'il passait loin d'elle, il l'avait clairement identifiée. Il marchait en terrain inconnu mais cela ne lui faisait pas peur, en tout cas pas autant que le jour J, celui qu'il espérait être le dernier de ce bordel sans nom. Vivement !!! lui répondit-il simplement.
Elle lui renvoya le même texto accompagné d'un cœur. Il resta pensif quelques instants à regarder ce dernier message, puis il laissa le téléphone sur le lit et partit dans la salle de bain pour se préparer. À peine y avait-il mit un pied qu'il fit demi-tour. Il reprit son téléphone et enregistra le numéro afin qu'il ne soit plus inconnu en y mettant le nom de Lou, car contrairement à ce qu'il lui avait dit lors de leur dernière soirée dans la suite, il aimait définitivement tout d'elle, même son nom de scène, et oui...
Quand il eut fini, il partit se préparer pour le dîner chez ses parents.
...
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