CHAP 2

- Je me demande encore ce que je fous là, lança Jimmy à son ami Christopher.

- Tu es là parce que tu l'as voulu !

Soufflé par la réponse du deuxième, le premier rétorqua :

- Pardon ? Rappelle-moi qui me harcèle depuis plusieurs semaines pour que je l'accompagne dans une de ses foutues soirées de dépravés ?

- Alors déjà, ce ne sont pas des soirées de dépravés. Ensuite, je peux te garantir que tu vas y devenir complètement accro et pour finir, tu me diras merci d'avoir eu la bonté de t'y faire participer !

- La bonté de vider mon compte oui. Parce que c'est ça le but de ceux qui organisent tout ça, dit-il en désignant la salle d'un revers de la main. Se servir du cul pour récolter un max de fric. Tu l'as compris au moins ?

- Évidemment !

Désespéré par la réponse, Jimmy s'enfonça dans son siège et marmonna :

- Il est vraiment trop con. Y'a plus rien à faire de lui...

- Allez Jim. Fais-moi plaisir en étant toi aussi con, juste ce soir. Lâche-toi, pour une fois. Tu verras, tu le regretteras pas !

Jimmy ne répondit pas mais regarda sa montre. Il restait encore un quart d'heure à patienter. N'ayant pas tout saisit des règles, il demanda à son ami de les lui expliquer encore une fois. Christopher s'en fit un plaisir et lui repassa tout en revue.

- Mais surtout, si tu crois entendre ton numéro au micro, vérifie bien avant de crier victoire. Hier j'ai cru que j'avais gagné et j'ai hurlé de joie. Sauf que j'avais inversé deux chiffres. Je me suis très salement affiché...

- Parce que t'es venu hier aussi ?

- Oui, avec des potes.

- T'as une vie ailleurs que dans cet endroit ?

- Ce soir, je suis là pour toi et seulement pour toi, ok ?

En montant sur scène, Jeff annonça le début du spectacle. Il refit le même discours que la veille, ce qui agaça Christopher.

- Même pas il a changé son speech. Il faiblit ce pauvre Jeff.

Jeff finit par s'effacer pour laisser la place au spectacle ce qui réveilla d'un coup Christopher.

- Enfin le début des réjouissances, lança-t-il en se redressant sur son siège.

Il frappa assez fort l'épaule de son ami qui râla, sans bouger pour autant.

- Allez Jimmy, fait un effort. Je ne nous ai pas réservé la meilleure place pour te voir affalé dans le fauteuil. C'est pas un match de foot qu'on regarde !

- J'aime pas le foot...

- Pourquoi tu crois que j'ai pris le foot comme comparaison ? Mets-y un peu de bonne volonté. Au pire, fais semblant...

Devant la mine renfrognée de Jimmy, Christopher abandonna. Il n'avait pas de temps à perdre face à autant de mauvaise volonté. Il préféra focaliser toute son attention sur la scène.

Comme pour le soir d'avant, les filles firent leur entrée sous les applaudissements et les sifflements du public. Elles furent ovationnées avec tout autant d'enthousiasme. Christopher nota cependant une petite différence. La meneuse n'était pas Skyler mais la dénommée Lou. Chaque meneuse ayant chacune sa propre chorégraphie, au moins, il y aurait du changement de ce côté-ci. Peu lui importait vu qu'il n'était pas là pour miser, mais pour accompagner son ami. Sa seule préoccupation du moment : profiter du spectacle. Ce qu'il fit avec délectation.

Les danseuses enchaînaient les figures, qu'elles maîtrisaient à la perfection, avec beaucoup de style et d'assurance. Christopher était si subjugué par tant de beauté et de grâce qu'il en oublia, le temps d'un instant Jimmy et sa mauvaise humeur, jusqu'à ce que celui-ci ne bougea près de lui. Alors il réalisa qu'il n'était pas seul à être subjugué. Jimmy n'était plus avachi sur son fauteuil. Il s'était redressé et donnait l'impression de vraiment apprécier le spectacle. Il s'aperçut aussi qu'il ne regardait pas le show dans son ensemble. Il ne lâchait pas des yeux la petite Lou. Un beau brin de fille, il en convenait, mais elle n'égalait pas Skyler qui restait sa préférée.

En y regardant de plus près, Christopher s'aperçut que la danseuse Lou lançait régulièrement des coups d'œil vers son ami. Plusieurs fois, il surprit des échanges de regards soutenus, seulement interrompus quand une figure obligeait Lou à détourner les yeux. Mais c'était pour mieux les reposer sur Jimmy dès qu'elle le pouvait.

- Visiblement, tu as déjà choisi sur qui tu vas miser, lui glissa un tantinet moqueur Christopher.

- Ferme la, Christo, le rembarra sèchement Jimmy.

- Juste une précision, si tu veux pas qu'elle te passe sous le nez, mise maintenant...

Du tac au tac, Jimmy lui demanda :

- On fait comment pour miser ?

Christopher prit le stylo et le carton posés devant eux.

- Tu inscris le numéro de la danseuse ici, lui montra-t-il. Ta mise ici, et ton numéro à toi, là.

Jimmy eut un temps d'hésitation.

- T'as misé combien hier ?

- Deux mille euros.

Sans aucune hésitation, Jimmy inscrivit les informations.

Christopher fit un signe à une des serveuses qui vint prendre le carton.

- Voilà, les dés sont jetés, copain ! Tu vas tenir le coup jusqu'au sifflet final ?

- Ferme la, Christo !

Jimmy se ferma complètement à son ami pour ne plus voir que ce qui se passait sur la scène. La meneuse l'avait remarqué, il le savait. Elle ne regardait pratiquement pas le public hormis lui. Il avait misé un bon paquet d'argent sur elle, il espérait que cela suffirait car il n'envisageait pas une seconde de quitter cette salle sans avoir eu son dû. Sans comprendre pourquoi ni comment, elle l'avait envoûté dès le début du spectacle. Il n'était cependant pas idiot au point d'oublier que son rôle à elle était de lui soutirer un maximum d'argent. Argent qu'elle ne toucherait probablement pas, mais qui très certainement, irait dans le tiroir caisse de celui qui en tirait les ficelles. Bien qu'il ne fût pas homme à se laisser berner par ce genre de soirées où tout n'était qu'illusion, il devait reconnaître qu'il s'était laissé prendre au jeu. À cela, il ne voyait que deux possibilités ; soit il était plus faible qu'il ne pensait, soit elle était très douée.

Le spectacle se termina sur la chute impressionnante des filles qui se laissèrent littéralement glisser du haut de leur barre jusqu'au sol, n'évitant ce dernier que de justesse.

- Ah, cette figure là, elle y était hier, lança Christopher en se donnant des airs de grand connaisseur. Alors, verdict ? s'enquit-il, impatient d'avoir l'avis de son ami.

Impressionné, Jimmy l'était. Conquis, encore plus.

- J'avoue que je ne m'attendais pas à ça. C'est inédit pour moi. Les filles sont parfaites, le spectacle, la musique, les figures, tout est nickel. C'est bien pensé.

Jimmy avait parlé sur un ton calme alors qu'intérieurement, il bouillait. Il voulait que Christopher se taise, qu'il le laisse tranquille.

- Attends de voir la suite, si tu gagnes, dit Christopher en lui balançant un coup de coude dans le bras, ce sera le jackpot mon pote !!!

Un regard noir de Jimmy suffit à le faire taire.

Jeff revint sur scène, puis ce fut au tour des filles. Elles remirent le feu dans la salle, et en remontèrent d'un cran l'ambiance et la chaleur. Jeff prit l'enveloppe que lui tendait une jeune serveuse. Comme il prenait son temps pour annoncer le résultat, Jimmy serra le bras du fauteuil d'agacement. Il remarqua que la danseuse Lou était aussi nerveuse. Il n'osait imaginer qu'elle espérait la même issue que lui. Elle serrait les mains de deux autres danseuses qui murmuraient chacune quelque chose. Un infime mouvement de leurs bouches laissait supposer qu'elles aussi, espéraient gagner. Quand à la quatrième danseuse, la préférée de Christopher, elle se tenait à l'écart des trois autres, nerveuse elle aussi. Jeff ne ménageait ni le public, ni les danseuses. Un roulement de tambour se fit entendre, qui finit par le décider :

- Ce soir, la gagnante est... LOU !

Curieusement, ce n'est pas l'intéressée qui explosa de joie, mais ses deux collègues. Elles la soulevèrent dans les airs et lui firent faire le tour de la scène. Alors qu'elles la reposaient, Jimmy jura voir la danseuse Vicky faire un doigt d'honneur à Skyler, soutenue par Nessy qui approuvait à grand renfort de hochement de tête, ce qui le surprit, mais le fit sourire. Jeff attira Lou près de lui :

- Maintenant, nous allons savoir lequel d'entre eux va finir la soirée en beauté...

Jimmy surprit le rapide coup d'œil que Lou lui lança, avant de fixer un point imaginaire dans le fond de la salle. Subitement, elle parut se détacher de tout, comme si la prochaine étape ne la concernait pas. Cela ne le rassura pas. Avait-il mal interprété ses regards ? Ou pire, avait-il tout imaginé, prit dans l'euphorie du spectacle ? Peut-être serait-il préférable que son numéro ne soit pas tiré au sort...

Le deuxième roulement tambour lui donna limite la nausée. Il n'avait rien à faire là ! Qu'est-ce qui lui était passé par la tête de céder aux supplications de Christopher ?

Il était tellement pris par ses pensées, qu'il sursauta quand son ami lui prit le bras pour le lever brutalement.

- C'EST LUI ! C'EST SON NUMERO !

Jeff invita Jimmy, sonné, à monter sur scène. Ce qu'il fit, aidé par Christopher qui le poussait dans le dos. Bien qu'ayant l'impression de flotter, il réussit à rejoindre l'animateur qui lui prit la main, tout comme il prit celle de la danseuse. Quand leurs deux mains furent réunies, Jeff fit un sourire entendu à Lou :

- Il est tout à toi, ma belle.

Il s'écarta pour les laisser passer. Sans lui lâcher la main, Lou entraîna Jimmy derrière elle. Ils descendirent de la scène et se dirigèrent vers un rideau rouge que Lou écarta pour passer derrière. Ils disparurent ainsi de la vue des autres clients. Ils marchèrent dans un couloir sombre, éclairé seulement de petites lumières de couleurs chaudes rendant le lieu très intime. Ils dépassèrent plusieurs portes. Jimmy n'osait pas imaginer ce qui l'attendait. Il n'était pas un "habitué" de ce genre de soirée. Pour la première fois depuis longtemps, son assurance lui faisait défaut. Il ne voyait pas d'échappatoire possible, à part celle de suivre la danseuse.

Elle stoppa devant une porte. Lui faisant face, elle lui lâcha la main.

- Attend là ! lui dit-elle gentiment, avant de disparaître par la porte d'à côté.

Laissé seul, la confusion s'empara de lui. Il voulait fuir loin, très loin de cet endroit malsain. Mais en même temps, quelque chose le forçait à rester. Quelque chose de bien plus fort que la curiosité qui l'avait poussé à accepter l'invitation de Christopher : la tentation !

Elle agissait de façon néfaste sur lui en faisant ressortir tout ce qui le répugnait chez les hommes qui fréquentaient ce genre d'endroits. Dans très peu de temps, il ne vaudrait pas mieux qu'eux. Pris d'une angoisse fulgurante, il envoya un texto à son ami : Comment on fait pour sortir de cette merde ???

En lisant la réponse, il jura intérieurement : On fait pas...

Je te maudis !!!

Blablabla. On en reparle dans une vingtaine de minutes...

Jimmy jura de plus belle en se promettant mille et une vengeances des plus terribles à infliger à son ami.

La porte s'ouvrit, le faisant sursauter.

- Par ici, lui dit sèchement un homme, en lui indiquant d'un signe de tête un canapé de couleur rouge sombre.

Hésitant, Jimmy entra et alla s'asseoir. Jamais auparavant, il ne s'était senti aussi mal. Il avait les mains moites, il transpirait sous sa veste de costume. Il n'était pas au mieux de sa forme...

Une hôtesse, habillée très légèrement, fit son apparition chargée d'un plateau sur lequel était disposé deux coupes, mais aussi un seau rempli de glace et d'une bouteille de champagne. Elle installa le plateau sur la table qui se trouvait sur la droite de Jimmy. Elle se dirigea ensuite vers la porte d'entrée ou l'homme se tenait toujours, droit comme un piquet, et prit dans ses mains une petite boite vide posée sur un socle, qu'elle ramena avec elle.

- Pour le téléphone portable, lui dit-elle en souriant.

Il s'exécuta et y posa son téléphone. L'hôtesse le remercia et alla reposer la boite là où elle l'avait prise. Elle revint vers lui et ouvrit la bouteille de champagne, servit les coupes et ajouta avant de partir, toujours en souriant :

- Retirez votre veste et détendez-vous, ça va bien se passer, se voulu-t-elle rassurante.

De nouveau, il obéit. Dans l'état où il se trouvait à cet instant, il était absolument incapable d'entreprendre quoi ce soit qui fut dicté par son propre cerveau. Obéir, ça il y arrivait encore, mais pour combien de temps ?

- On ne change rien ? lui demanda-t-elle.

- Changer quoi ?

- Comme prestation. Vous avez gagné le strip intégral option nirvana, mais si cela ne vous convient pas, vous pouvez, si vous le désirez, demander autre chose...

L'esprit de plus en plus embrouillé, il réussit tant bien que mal à sortir une phrase cohérente.

- Elle fera ce qu'elle voudra. Même le minimum me conviendra.

- Beau et sage, soupira-t-elle. C'est rare des clients comme vous. Je vais transmettre le message. En attendant, le champagne est à votre disposition. Bonne soirée.

- Merci, lâcha-t-il crispé.

Une musique démarra. L'hôtesse s'esquiva par une porte dérobée. Jimmy fonça sur une des coupes de champagne qu'il vida d'un trait. Il s'en resservit une mais n'y toucha pas. La présence de l'homme, toujours posté près de la porte, lui revint brutalement à l'esprit. Il fallait qu'il se maîtrise mieux, au risque de passer pour un gros nul.

Il essaya de se détendre quelque peu en s'étirant les jambes. Il se cala confortablement dans le canapé en se servant du dossier comme appui pour ses bras. Il commençait légèrement à se sentir mieux quand Lou fit son entrée. Elle s'était changée. Le peu de vêtements qu'elle portait n'étaient plus seulement sexy comme lors du spectacle, ils étaient carrément aguicheurs, là rendant terriblement belle, attirante mais surtout dangereuse...

D'un geste sûr, elle grimpa le long de la barre qui n'était pas à trois mètres de lui. Les mouvements qu'elle enchaîna s'avérèrent eux aussi beaucoup plus équivoques. Le doute n'était plus permis, elle était passée au niveau supérieur...

La danse érotique dura encore quelques minutes pendant lesquelles Jimmy se délecta de cette vision qu'il pensait irréelle. Détendu, il l'était enfin. La danseuse avait réussi une vraie prouesse : lui faire oublier l'endroit où il se trouvait. Pour lui, à cet instant, il n'y avait qu'elle. Rien qu'elle. Et son regard d'une telle intensité, son corps parfait... Mon dieu, comment pareille créature pouvait exister sur terre et se trouver là devant lui ?

Elle laissa la barre pour s'approcher de lui. Elle s'assit face à lui sur ses cuisses, prit une coupe de champagne qu'elle lui tendit puis prit la deuxième pour elle-même. Elle but une gorgée avant de lui demander :

- Tu veux toujours le minimum ou bien je passe à la vitesse supérieure ?

Il ne répondit pas. Son regard se porta instinctivement sur l'homme près de la porte. Un bref coup d'œil que Lou surprit. Elle se pencha vers son oreille et lui murmura :

- Il te reste de l'argent ?

À son air interrogateur, elle précisa :

- Il ne partira pas sans un billet.

Sans plus réfléchir, Jimmy prit sa veste posée à côté de lui et sortit son portefeuille qu'il ouvrit. Un billet de cinquante euros couvrait en partie un autre de vingt euros. Elle prit celui du dessous :

- Vingt euros, ça suffira, assura-t-elle.

Elle s'éloigna vers la porte, échangea quelques mots avec l'homme qui accepta sans broncher le billet. Il s'esquiva sans un regard vers Jimmy.

Lou vint se rasseoir sur ses cuisses et reprit là où elle s'était arrêtée. Doucement, elle entreprit des mouvements sensuels qui le mirent mal à l'aise. Elle était trop proche de lui, beaucoup trop proche. Il avait peur de perdre le contrôle. Il tenta de détourner les yeux afin de retrouver ses esprits mais elle ne le laissa pas faire. Elle prit son visage entre ses mains.

- Regarde moi ! lui dit-elle fermement.

Elle lui saisit les bras et rejeta sa tête en arrière. Cambrant son corps, elle dirigea une des mains de Jimmy sur elle, l'incitant à parcourir ses courbes. Main qu'il ne retira pas. Le désir d'aller plus loin était bien trop présent. Cette main descendit doucement le long de son cou, passa entre ses seins pour aller jusqu'en bas de son ventre. Alors, Lou se redressa et se mit debout devant lui. Elle se tourna mais Jimmy lui attrapa le bras, la stoppant dans son élan.

- Ne va pas là où tu ne veux pas aller, lui intima-t-il.

Elle parut surprise par une telle demande mais elle acquiesça d'un signe de tête. Il put alors se laisser aller en laissant tomber la dernière barrière qu'il y avait entre eux deux, celle de la retenue. Il se laissa guider tout au long de leurs échanges devenus torrides. Il accéda à toutes ses demandes, même celle de la déshabiller. D'abord le haut, puis le bas. Une fois entièrement nue devant lui, il crut, à regret, qu'ils en avaient fini.

- Il reste l'option Nirvana, lui glissa-t-elle. Enfin, seulement si tu le désires...

Devant son hésitation, elle lui prit la main.

- Pour moi, c'est ok, lui dit-elle encourageante.

Il ne lui en fallut pas plus pour le décider. Il l'attira à lui, la souleva et l'emporta jusqu'à un mur sur lequel il la plaqua assez violemment, mais elle ne broncha pas. Elle répondit à ses étreintes et ses caresses sans donner l'impression de simuler. C'était de la folie pure !

Elle le stoppa cependant.

- Préservatifs, sur ta droite, lui indiqua-t-elle un sourire en coin.

...

- Passe-moi le sel Jimmy, s'il te plait.

Jimmy n'entendit pas. Il ne déjeunait pas avec ses parents, il n'était pas dans la même pièce qu'eux, il était ailleurs, dans une salle secrète, à faire des choses inavouables avec une prostituée. Il ressentait sous ses doigts la texture de sa peau. Il sentait son parfum enivrant. Il entendait sa voix lui murmurer les jours où elle travaillait au club : «Tous les jeudis, vendredis et samedis soir». Moins agréable, il se rappela quand elle lui avait montré la petite lumière rouge qui clignotait près de la porte et qui annonçait la fin de la prestation. Il lui avait demandé si elle avait fini son travail pour la soirée. Elle avait répondu par le négatif. Pourquoi cette réponse l'avait autant contrarié ? Il n'en savait rien. Mais il aurait voulu ne jamais avoir posé la question.

- JIMMY, insista sa mère, le sel !

Il quitta des yeux l'assiette à laquelle il avait à peine touchée et vit qu'on le dévisageait avec insistance.

- Il se passe quoi ? s'inquiéta-t-il subitement.

- Rien de grave, ta mère veux juste le sel, lui répondit son père. T'es sorti hier soir ?

- Oui, avec Christo.

- T'es rentré tard alors.

- Je sais pas j'ai pas regardé.

- Arthur, passe-moi le sel, s'il te plaît, retenta-t-elle cette fois auprès de son mari qui ne l'entendit pas plus que son fils et qui continua sa discussion.

- T'as passé toute la soirée avec Christo ?

- Oui, pourquoi ?

- Parce qu'il a téléphoné ce matin pour avoir de tes nouvelles... Et j'ai cru comprendre qu'il y avait une histoire de filles. Si je t'en parle, c'est juste pour que tu n'oublies pas Lydie...

- Papa, ne recommence pas avec ça ! Lydie est très gentille, mais JE.NE.L'É.POU.SE.RAI.PAS !!!

- Isa, dis quelque chose, fais lui entendre raison !

- Oh ben moi, elle, je l'aime pas, alors ce que j'en dis... Tu me passes le sel, s'il te plaît ?

- Merci de ton soutien Isa ! Et comment je fais pour lui faire entendre raison, si tu te ligues aussi contre moi ???

- Je ne me ligue pas contre toi, je me ligue contre elle. Je n'en veux pas comme belle-fille, c'est tout ! Par contre, du sel, j'en veux bien !

- Et pourquoi tu n'en veux pas ? Qu'est-ce qu'elle a qui te déplaît tant que ça ?

- Je ne vais pas te le dire parce que tu seras incapable de comprendre mon raisonnement. Tu ne comprends déjà pas quand je te demande du sel, je ne peux pas espérer un tel miracle, dit-elle en levant les yeux au ciel.

Visiblement agacé, Arthur attrapa le sel et le posa sans ménagement devant sa femme.

- Maintenant explique !

Elle le remercia, prit dans sa main une pincée de sel qu'elle saupoudra ensuite dans son assiette, puis découpa un morceau de viande qu'elle mâcha sans se presser.

- Qu'est-ce qu'elle est bonne cette viande, un vrai délice, savoura-t-elle. Jimmy, tu devrais te forcer un peu, c'est vraiment un régal...

- Isa, la coupa son mari sur un ton de plus en plus pressant.

- Oui mon chéri, j'y viens. Mais je te le redis, tu ne vas pas comprendre.

- Comprendre ce qu'on ne sait pas, c'est de toute de façon impossible, alors accouche !

- Sa mère !

Le père et le fils ouvrirent grands leurs yeux de surprise. Ils s'attendaient à pleins de raisons, sauf à celle-là.

- Sa mère ? répétèrent-ils en chœur.

- C'est ça, confirma-t-elle. Sa mère et ses gros seins !

Alors que Jimmy pouffa, le père se prit la tête entre les mains.

- Seigneur, et moi qui pensais avoir tout entendu dans cette maison...

Isabelle se tourna vers son fils.

- Apporte le dessert à ton grand-père, il est dans le frigo. Ça risque d'être un peu mouvementé par ici, ajouta-t-elle en soupirant.

Jimmy obtempéra et se dirigea vers la cuisine. Il n'avait pas passé la porte que les hostilités reprirent de plus belle.

- Non mais Isa, t'es pas sérieuse ?

- Ah si, très sérieuse. Je fréquente les mêmes clubs qu'elle, les mêmes restos, les mêmes associations et tu sais ce que tout le monde dit sur elle ?

- Non, dit-il en baissant les bras.

- Qu'elle se tape tout ce qui bouge ! Donc, j'ai décidé qu'elle n'aurait pas mon mari. C'est tout, la voilà la vraie raison. Et comme il paraît que les chiens ne font pas des chats, j'ai décidé aussi que sa fille n'aurait pas mon fils !

Elle fit une pause, croisa les bras sur sa poitrine et scruta de son œil imperturbable son mari.

- Quelque chose à ajouter ? s'enquit-elle sèchement.

- Non, répondit Arthur vaincu.

- Bon. Finalement ça a été moins long que ce que je pensais !

Comme si de rien n'était, elle se remit à manger.

Arrivé devant la chambre de son grand-père, Jimmy toqua à la porte puis entra.

- Re !

- Ah ! Enfin quelqu'un qui pense à moi ! Comment va mon petit fils depuis tout à l'heure ?

- Ça va, et toi ?

- Comme un vieux qui sert plus à rien, lui répondit-il sans entrain.

Jimmy ne releva pas et vint s'asseoir près de lui.

- Tiens, pour te remonter un peu le moral, dit-il en lui tendant une assiette dans laquelle il y avait une part de tarte aux pommes.

- T'es une vraie mère pour moi, affirma le vieil homme en se redressant péniblement.

Jimmy lui sourit tendrement. Il adorait Georges, son grand-père paternel. Le voir ainsi diminuer commençait à être difficile moralement. N'ayant pas le temps de lui rendre visite en semaine, il se faisait un devoir de passer chaque dimanche avec lui.

- Y'avait de la houle en bas, releva l'ancien en engouffrant une bouchée de tarte.

Jimmy, comprenant l'allusion sur le désaccord de ses parents, attesta d'un signe de tête.

- Vendredi aussi ça a swingué.

- Entre papa et maman ?

- Non, entre ton abruti de père et moi.

- Qu'est-ce qui s'est passé ? demanda-t-il en souriant.

- Il est pas foutu de me trouver une remplaçante digne de ce nom. C'est pourtant pas sorcier !

- C'est parce qu'il veut la meilleure pour toi.

- Je n'ai pas besoin de la meilleure. La seule meilleure que je connaisse c'est Rosa, la pauvre.

- Elle va me manquer à moi aussi, tu sais. J'avais confiance en elle. Trouver quelqu'un d'autre pour mon appart, ça m'angoisse un peu...

- Toi, c'est seulement un appartement, c'est matériel. Alors que moi, c'est le bonhomme, c'est deux choses complètement différentes !

Jimmy, compréhensif, sourit à son grand-père. Il comprenait son inquiétude.

- Tu ne veux pas laisser la chance à une autre. Sois un peu moins exigeant, laisse leur au moins faire un essai.

- Si t'avais vu leurs têtes Jimmy, toi-même tu te serais enfui...

- À ce point là ? Tu en as vu combien ?

- Quatre cette semaine.

- Ah oui, quand même. Si je rajoute les trois de la semaine d'avant, ça commence à faire !

- Mais il m'emmerde ton père avec ses "références" et son "expérience". Il me ramène que des bonnes femmes qui te parlent avec des phrases toutes faites, une façon de travailler dans "les règles" et je t'en passe... Elles me parlent comme si j'étais un attardé. Elles n'ont aucune spontanéité. Elles sont fades, ternes, ennuyeuses... On dirait des robots !

- En même temps, elles sont là pour travailler et si papa insiste tant sur l'expérience, c'est parce qu'il ne veut pas te laisser entre n'importe quelles mains. Il faut un minimum de savoir faire.

- Et bien Rosa n'avait aucune expérience, il me semble. Ça n'a pourtant dérangé personne qu'elle s'occupe de moi, non ?

- Rosa travaille pour nous depuis des années, pépé. Ne compare pas ce qui n'est pas comparable.

- Peut-être, mais tu peux me croire. Celle qui s'occupera de moi, elle n'est pas encore née, foi de Laroche !!!

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