CHAP 19


Jenna s'écroula sur le matelas qu'elle partageait avec Tennessie. Un week-end de répétition intense sur la nouvelle chorégraphie, voulue, suppliée et obtenue par cette garce de Mandy, l'entraînement dans la salle de sport le matin même, ajouté à cela la mission Georges/dentiste/conduite, l'avaient complètement éreintée.

— Tu vas quand même manger ? interrogea Tennessie.

— Pas manger, pas doucher, juste dormir, lui répondit Jenna la tête enfouie dans son oreiller.

Tennessie s'installa sur le tapis et disposa son repas sur la table basse.

— J'ai été voir Mily cet aprèm, et j'ai apporté l'argent à la compta. Heureusement qu'on avait donné plus la dernière fois, parce qu'avec le peu que j'avais, on aurait pas eu assez pour la semaine. Là, on est juste bonnes, mais pour couvrir les frais de la semaine prochaine... ?

— Tu prendras l'argent de Vicky, elle n'en a plus besoin maintenant, et pour la semaine suivante, j'aurais reçu mes deux salaires, ça devrait suffire.

— Et pour après ?

— J'y penserai demain, je suis trop naze là. Comment elle va Mily ?

— Pas mieux et pas pire qu'il y'a une semaine. Elle était contente de me voir et comme à chaque fois, il a fallu que je l'emmène dans le jardin pour rejoindre Gaby. Quelle tristesse de la voir comme ça...

— On peut pas faire plus que ce qu'on fait déjà, Nessy.

— Je sais. Mais c'est tellement pas juste...

— Et t'as vu avec Gros Pat pour nous couvrir ?

— Oui, il gère trop ce mec ! Heureusement qu'il est là. Il dit que Gwendal est tellement sur les nerfs qu'il n'a même pas repensé que tous les lundis, on avait son accord pour aller voir Mily et avec le bordel de jeudi, Gwendal ne veut plus qu'on sort. Mais Gros Pat m'a dit quand ce moment il est à la recherche de Vicky et que ça lui occupe toutes ses journées. Apparemment, il retourne tout dans le nord de la ville, il est comme un fou ! Gros Pat m'a promis que si nous ne pouvions plus emmener l'argent à la maison médicalisée, il trouverait un moyen pour qu'il arrive quand même à destination.

— Tant mieux alors...

Jenna, sans même prendre le temps de se déshabiller, se pelotonna sous la couette et s'endormie sans souhaiter bonne nuit à Tennessie. Cette dernière, une fois fini son repas, quitta le logement sans faire de bruit.

Elle descendit les escaliers et se dirigea vers le bar. Pour la première fois, ce fut seule qu'elle s'installa à une table.

Songeuse, elle sirota son verre de whisky pur, signe révélateur, lorsqu'on la connaissait bien, qui trahissait une grande solitude. Plongée dans ses pensées, elle ne vit pas que quelqu'un s'installait sur la chaise à côté d'elle.

— C'est toujours triste de voir boire une personne seule, encore plus quand c'est une jolie fille, dit une voix grave qui la fit sursauter.

Quittant la table des yeux, elle les posa sur Gros Pat.

— Ah, c'est toi, dit-elle rassurée.

— Tu espérais quelqu'un d'autre peut-être ?

Il s'était voulu moqueur, mais cela tomba à plat, Tennessie n'était pas d'humeur joyeuse.

— Espérer ? Qu'est-ce ça veut dire, espérer ?

Elle avait replongé ses yeux sur la table, visiblement elle n'allait pas bien.

— Jenna ne t'accompagne pas ?

— Elle dort.

Gros Pat regarda l'heure sur son téléphone portable et siffla.

— Dix-neuf heures trente... C'est rare de la savoir couchée à cette heure-ci. Elle est pas malade au moins ?

— Non, juste fatiguée.

Il y eut un silence pesant de quelques instants que Tennessie rompit.

— On te remercie pour ce que tu as fait tout à l'heure.

— J'ai fait quoi tout à l'heure ?

— Tu nous a couvert pour aller voir Mily, lui dit-elle en lui mettant gentiment un coup de coude qui signifiait qu'elle avait relevée la pointe d'humour.

— Je t'ai couvert toi, pas Jenna.

Elle releva les sourcils et prit un air interrogateur.

— Pourquoi tu dis ça ?

— Parce que vous n'êtes pas revenues à la même heure, et donc forcément, pas ensembles, et non plus par la même ligne de bus. J'en déduis logiquement que toi, tu as été voir Mily, mais pas Jenna. Donc, j'ai très envie de te demander où elle était cet aprèm ?

— Tu nous surveilles maintenant ? Tu nous as balancé à Gwendal parce que toi aussi t'es devenu son toutou ?

Elle lui avait craché sa tirade à la figure comme elle lui aurait craché dessus tout court et des larmes de colère envahissaient soudainement ses yeux. Alors qu'elle se leva précipitamment pour s'éloigner de lui, Gros Pat lui attrapa le bras pour la retenir mais elle lui fit face et lui balança un coup de pied dans le tibia. Gros Pat grogna de douleur avant de lui dire, étonné :

— Tu fais quoi Nessy ? Je suis pas ton ennemi, je l'ai jamais été...

Elle ne l'écouta pas et lui tourna résolument le dos avant de quitter le bar par la porte qui menait aux chambres des filles. Alors qu'elle entamait l'escalier, Gros Pat l'attrapa à nouveau et la plaqua contre le mur moisi et taché.

— Qu'est-ce qui te prends de me parler comme ça ? T'as l'air d'oublier qu'ici je suis le seul qui te porte un peu d'intérêt. Qu'est-ce que tu ferais si je te laissais tomber, hein ? Qui t'irais voir pour te couvrir, Terry peut-être ?

Le son de sa voix n'était pas sévère, il cherchait juste à comprendre ce revirement de situation car Tennessie ne l'avait jamais fui, elle ne l'avait jamais craint. Les larmes qui coulaient, son air complètement perdu lui déchirèrent le cœur.

— Dis-moi ce qui te met dans cet état Nessy, tu n'as rien à craindre de moi, tu le sais ?

— Tu me poses des questions, lui répondit-elle un sanglot dans la voix, et d'habitude tu poses jamais de questions. J'ai cru que...

— Tu me dis que vous allez toutes les deux voir Mily et je découvre qu'il n'y a que toi qui y soit vraiment allée, c'est normal que je m'interroge, non ?

Elle opina de la tête visiblement rassurée et se jeta dans ses bras. Bien que surpris par cet élan affectif, il répondit à son étreinte. Quand il réitéra sa question au sujet de Jenna, il sentit qu'elle se braquait encore. Il l'éloigna de lui afin de bien la voir et à son visage fermé, il comprit qu'il n'obtiendrait rien d'elle.

— Ok, je sais ce qu'on va faire. Et toi, lui dit-il en la désignant de son index, tu viens avec moi !

Il la tira par le poignet et l'entraîna avec lui. Elle eut beau protesté, il n'y eut rien à faire, Gros Pat était bien trop fort et elle ne réussit pas à se dégager de son étreinte. Ils sortirent de l'immeuble, traversèrent la rue et marchèrent une centaine de mètres avant de s'engouffrer dans une ruelle sombre.

— Pat, où tu m'emmènes ??? s'écria-t-elle à la limite de sortir de ses gonds.

Il s'arrêta net, visiblement énervé par ses cris. Emportée par son élan, elle lui fonça dedans en jurant.

— Ça y est, t'as fini d'ameuter les voisins ? gronda-t-il.

Elle leva sur lui un regard interloqué.

— Les... les voisins ? Tu m'emmènes chez toi ?

— Oui, et j'apprécierais beaucoup que tu fermes ta bouche maintenant !

Sous le coup de la surprise, elle se tut et avança sans sourciller. Gros Pat ne la maintenait plus par le poignet, mais par la main, ce qui la perturba. Ils entrèrent dans un hall lugubre et grimpèrent un étage. Gros Pat ouvrit la porte et fit signe à Tennessie d'entrer.

— Assis-toi, lui proposa-t-il en lui indiquant une banquette deux places, ce qu'elle fit. Tu veux boire quelque chose ?

Déconcertée, Tennessie refusa. Elle était bizarrement intimidée et Gros Pat soupira en pensant qu'il n'était pas encore arrivé à son but premier : la faire parler.

— Comme tu voudras, dit-il en se servant un verre d'une bouteille de whisky qui était déjà sur la table basse. Lève-toi et va à la fenêtre !

Comme elle ne bougea pas, il ajouta avec un sourire en coin :

— S'il te plaît.

Elle obéit et se leva. La vue donnait sur une rue qu'elle-même n'empruntait jamais. Elle regarda Gros Pat en relevant ses sourcils d'un air interrogateur.

— Tu vois l'arrêt de bus ? lui demanda-t-il en se laissant tomber sur la banquette.

Tennessie opina de la tête sans comprendre où il voulait en venir.

— Tous les après-midi, Jenna attend à cet arrêt le bus de treize heures quinze, et elle ne revient pas avant dix-sept heures trente, des fois même plus tard. Alors Nessy, je te le demande une dernière fois, où est-ce qu'elle passe tous ses après-midi ???

Se trouvant coincée, elle lui répondit sans le regarder.

— Je peux rien te dire Pat...

— Peut-être que c'est un mec qui lui fait prendre tous ces risques ?

Elle bougea doucement sa tête de gauche à droite.

— D'accord, alors si c'est pas un mec, qu'est-ce que c'est ?

— N'insiste pas, je dirai rien...

Ce fut de colère qu'il tapa bruyamment son verre sur la table, qu'il se leva et se rua sur elle. Il l'attrapa par les cheveux et colla son visage au sien. Parce que c'était Gros Pat, Nessy ne fut pas effrayée par cet accès de colère, mais elle ne broncha pas pour autant.

— Je prends des risques presque tous les jours pour vous, lui souffla-t-il en ce contenant, alors tu n'as pas le droit de ne rien me dire !

— Il faut que tu parles à Jenna, c'est à elle de te le dire, pas à moi, tu comprends ?

En disant cela, elle avait posé machinalement la main sur son torse et ce contact la troubla, sans qu'elle comprenne pourquoi. D'un coup, elle se sentit attirée par lui et pour la première fois, elle eut peur de ce qui pourrait se passer ici, entre eux deux, dans son logement...

Gros Pat se rendit compte du changement de regard de Tennessie et la repoussa doucement.

— Non, Nessy, s'il te plaît, pas ça, je...

— Pourquoi, qui le saura ?

Elle s'agrippa désespérément à sa chemise, ses yeux le suppliant.

— C'est pas le problème Nessy...

N'écoutant que ses émotions et son envie du moment qui s'intensifiait, elle fit glisser la veste de costume de Gros Pat le long de ses bras tout en l'embrassant dans le cou.

— Nessy... tu fais quoi ? lâcha-t-il dans un souffle.

— Je vais quand même pas te l'expliquer non, si ?

Il ne la repoussait plus, alors elle continua en s'attaquant aux boutons de sa chemise qu'elle lui retira et jeta sur le sol.

— Putain, tu fais chier Nessy ! lui dit-il comme s'il n'avait plus le choix et qu'il devait la suivre dans sa folie passagère.

Il lui attrapa les cuisses, la souleva, puis la porta pour l'emmener jusqu'à sa chambre...

...

Jenna ouvrit les yeux. Elle chercha son téléphone portable pour voir l'heure. Quatre heures du matin et la place près d'elle était vide. Elle appela Tennessie qui ne répondit pas. Elle alluma la lumière et d'un coup d'œil comprit qu'elle était seule dans le logement. Elle envoya un texto à son amie : T'es où ?

Elle espérait une réponse mais vu l'heure, elle n'y croyait pas trop. Son portable vibra quand même : T'inquiète pas pour moi, je vais bien, on se voit tout à l'heure à l'entraînement, j'ai des news de fous à te raconter, bisous.

— De mieux en mieux, murmura Jenna.

Elle se rallongea sur son matelas et le regard rivé au plafond, elle n'essaya pas de se rendormir, elle se perdit dans ses pensées. Réfléchir aurait du être une de ses occupations premières au vu de tous les évènements importants des derniers jours, mais le manque de temps et la fatigue l'en avait empêché. Il y avait tant à analyser qu'elle ne savait même pas sur quoi se pencher.

Victoria ? La seule chose dont elle était persuadée, était qu'elle allait bien, à la condition toute fois, que Lewis ne l'ait pas trop esquintée. Ses hurlements de douleurs lui raisonnaient encore dans la tête. Peut-être était-ce la raison pour laquelle elle ne leur avait pas encore donné signe de vie, à elle et à Tennessie ? Elle avait été blessé dans cette satanée chambre et sûrement qu'elle n'était pas totalement rétablie... C'était véritablement là le point qui la souciait le plus.

Et qui était l'homme qui l'avait sauvée ? Parce que de cela, elle ne doutait absolument pas. Si elle avait su qu'une telle chose allait se produire, elle lui aurait dit d'emmener Tennessie lorsqu'elle s'occupait de lui, pensa-t-elle avec amertume. Mais elle n'avait rien vu venir, tout avait été si rapide, et si effrayant.

Comme si tout cela n'était pas assez compliqué à gérer, il fallait en plus qu'elle arrive à esquiver les hommes de Gwendal à chaque fois qu'elle partait travailler chez les Laroche, sans oublier son escapade du mardi soir. Combien de temps tout cela allait-il durer ? Combien de temps allait-elle encore tenir ce rythme de fou ?

Plus elle y pensait et plus elle réalisait que prendre autant de risques pour juste sa personne était de la pure folie. Elle n'avait pas le droit de compromettre sa liberté ainsi que celle de Tennessie juste pour son bon plaisir. Il y avait trop en jeu ! Un changement de vie radical les attendait, mais à la seule condition de mener son plan à terme, et vu le contexte pour l'exécuter ce plan, elle n'avait pas le choix, elle devait être raisonnable et ne pas se mettre en danger inutilement. L'âme en peine, elle décida qu'elle ne devait plus voir Christopher.

— Putain, mais quelle vie de merde, dit-elle pour elle-même.

Il était la seule touche colorée dans cette vie noire qui était la sienne, et elle devait faire une croix dessus pour sa propre sécurité, celle de Tennessie, mais aussi pour lui. Mais si par miracle, elle parvenait à s'enfuir avec Tennessie, rien ne l'empêcherait plus alors de mener la vie comme elle l'entendrait et qui c'est, peut-être le reverrait-elle ?

Elle avait prit sa décision, elle n'irait pas le rejoindre dans la suite, il comprendrait, elle n'avait pas de doute là-dessus. Loin d'être soulagée, ce qui pourtant aurait du être le cas car elle délestait ses épaules d'un sacré poids, elle se mit à pleurer. Des larmes de tristesse bien sûr, mais aussi de rage et d'injustice. Elle commençait à croire que le bonheur n'était pas pour elle alors qu'elle n'avait rien fait pour mériter une telle misère.

Jenna était une battante, après son petit coup de faiblesse, elle relèverait la tête, et elle continuerait à avancer, comme elle l'avait toujours fait. Pour l'heure, elle avait besoin de craquer, seulement un petit peu, juste le temps d'un instant...

Elle s'était finalement rendormie. À son réveil, elle avait les idées plus claires et avait retrouvé son courage. Elle se leva, bien décidée à affronter la journée comme à son habitude.

...

— C'est ça tes news de fou, lâcha Jenna sidérée, que tu t'es envoyée Gros Pat ???

— Mais pas du tout, s'offusqua Tennessie, c'est pas ça !

— C'est quoi alors ? demanda-t-elle complètement perdue.

— Vicky va bien !

Il fallu un petit temps à Jenna pour diriger l'information.

— Comment tu le sais ?

— Je le sais de Gros Pat.

— Et lui, comment il le sait ?

— Il le sait parce qu'il a légèrement participé à son évasion...

— C'est pas vrai, souffla-t-elle en s'enfonçant un peu plus dans sa chaise.

— Ben si, c'est vrai !

Tennessie trempa un croissant dans son café au lait et interpella la serveuse du bar :

— Ils sont supers bons tes croissants, un vrai régal !

La serveuse lui répondit d'un signe de tête et afficha un sourire tellement spontanée qu'il surpris Tennessie qui ne put s'empêcher d'analyser sa réaction.

— La pauvre, elle doit pas recevoir beaucoup de compliments. C'est bien triste...

Jenna tapa sur la table du plat de la main.

— La suite ! exigea-t-elle.

— Tu manges pas ? T'as déjà pas mangé hier soir...

— Nessy, me fait pas languir plus, par pitié...

— Ok. Je te la fais version courte ou version longue ? Sachant que la version longue est interdite au moins de trente ans, trop choquante !

Jenna leva les yeux au ciel.

— La courte.

— Pauvre Jenna, tu passes à côté de l'histoire de cul la plus torriiide du siècle !

Devant le regard noir de son amie, elle s'empressa de lui rapporter les dernières informations.

— Une semaine avant le fameux jeudi, Gros Pat a été accosté par un homme qui recherchait sa fille. Bien sûr, il s'est méfié et il l'a envoyé balader, mais le gars a insisté et il lui a montré une photo. Pat a cru avoir reconnue la fille, il n'était pas bien sûr mais il pensait qu'elle travaillait dans un des bordels de Gwendal, donc il a été vérifié, et il se trouve que c'est bien sa fille. Ils se sont revus deux jours plus tard et ils se sont mis d'accord pour trouver le moyen de la faire sortir.

— Ils vont faire ça seulement à deux ? Mais ils sont inconscients ?

— Non, parce que le gars, il est pas tout seul. C'est un certain Alfred Laroche qui est derrière tout ça !

— Laroche ?

Jenna avait réagit avec un peu trop d'empressement à l'énoncé du nom.

— Oui, Laroche, tu connais ?

— Non, non, ça me dit rien, j'ai du confondre, se rattrapa-t-elle du mieux qu'elle le put.

— Bref, cet Alfred Laroche agirait pour le compte de quelqu'un d'autre, qui habiterait dans cette ville et qui en aurait après un certain Lewis !

Jenna commençait enfin à réunir les pièces du puzzle, pourtant, un détail lui échappait.

— Qu'est-ce que Victoria à avoir là-dedans ?

— C'est là qu'entre en jeu le génie de Pat ! Il a accepté d'aider à la fois l'homme qui recherchait sa fille mais aussi le fameux Alfred qui cherche à faire tomber Lewis, en négociant la sortie d'une de nous trois, et c'est tombé sur Victoria !

— Je comprend pas comment Pat pouvait être si sûr que ça ne tombe pas sur Mandy par exemple, si Lewis l'avait voulu elle en particulier, il l'aurait eut et personne n'aurait pu rien y faire !

— Lewis change de filles à chaque fois, il ne prend jamais la même. Vu que Mandy et moi c'était déjà fait, il ne restait plus que Vicky ou toi.

— Donc ça aurait pu tomber sur moi ?

— Exactement !

— Et Lewis ? Pourquoi il s'en est sorti si c'était lui qui était visé ?

— Parce que l'homme qui recherche sa fille a foiré sur ce coup là. Tout s'est passé exactement comme prévu par Pat, la bagarre dans le club déclenchée par des hommes d'Alfred Laroche pour occuper ceux de Gwendal, Pat qui a réussi à s'éclipser grâce au chaos qui régnait dans la boîte, et l'homme qui recherche sa fille, bien en place dans une salle à côté de celle de Lewis... Tout était nickel, mais personne n'avait prévu que l'homme péterait un câble en entendant Vicky hurler, il n'a pas supporté... Quand Pat est arrivé dans la salle où Lewis était censé être, c'était déjà trop tard, le gars était dans le couloir avec Vicky bien amochée, d'après Pat. Il les a fait sortir par derrière, ni vu, ni connu.

— C'est une histoire de fou, admit bien volontiers Jenna, puis elle repensa à un détail. Gros Pat, je l'ai croisée ce soir là, il a fait celui qui ne comprenait pas ce qu'il se passait. Pourquoi ne m'a-t-il rien dit à ce moment là ?

— Il n'avait pas prévu nous révéler quoi que ce soit tant que ça n'était pas fait...

— Je comprends ? Et Vicky, elle est toujours en ville ?

— Ils l'ont caché, ils aimeraient qu'elle témoigne contre Lewis.

— Le problème, c'est qu'elle ne dira rien tant qu'on est encore là. Elle aura trop peur qu'il nous arrive quelque chose...

— Je sais, c'est ce que j'ai dis à Pat. Il est toujours en contact avec le gars qui cherche sa fille, il va lui en parler, on verra bien. Bon, à part ça, je te raconte ma nuit physiquement agitée ou pas ?

Jenna ne put s'empêcher de sourire, mais elle refusa gentiment.

— T'as raison, dit Tennessie, je te raconterai ça demain, une fois que toi, tu m'auras raconté la tienne de nuit !

Le sourire de Jenna s'effaça brusquement.

— Quoi ? Qu'est-ce que j'ai dis ? interrogea Tennessie.

— Rien, c'est juste que j'ai décidé de ne pas aller au rendez-vous...

— Pourquoi ?

— Parce que c'est prendre beaucoup trop de risques, et on peut pas se le permettre pour l'instant. Je préfère me concentrer sur le travail qui va me rapporter l'argent dont nous avons besoin pour partir d'ici que sur une éventuelle histoire qui est inévitablement vouée à l'échec...

Tennessie réfléchissait à ce que venait de lui dire son amie. Certes, elle prenait suffisamment de risques pour les sortir de leur enfer, mais qu'elle se prive de la seule partie sympa dans cette vie de merde, n'était tout simplement pas envisageable !

— Jenna, tu as deux facettes en toi qui se battent continuellement, une très raisonnable, sage, très maman poule, qui t'empêche de vivre et surtout d'apprécier l'instant présent, on va l'appeler "la facette Vicky", et une autre beaucoup plus spontanée, délurée et extravertie, qu'on va appeler "la facette Nessy". Cette facette là, je la vois de moins en moins...

Elle prit le menton de Jenna entre son pouce et son index et plongea son regard dans le sien avant de lui dire :

— Fais moi plaisir, pour une fois laisse-moi gagner et vas t'amuser à ton rendez-vous !

Elle planta un rapide baiser sur les lèvres de Jenna, histoire d'accentuer son côté délurée et éclata de rire.

— Bon, je vais me préparer pour l'entraînement. Tu m'attends, j'en ai pas pour longtemps, dit-elle en lui faisant un clin d'œil.

Restée seule, Jenna fit une rapide analyse de la suggestion de Tennessie. Elle s'avérait tentante, extrêmement tentante... Un dernier risque, pour un dernier rendez-vous ? Après tout, pourquoi pas...

Quand Tennessie revint, habillée d'un survêtement pour l'entraînement, elle vit au regard de Jenna que celle-ci avait prit la bonne décision.

— Que j'aime quand c'est moi qui tiens les rennes ! ne put-elle s'empêcher de dire pour narguer son amie. Et puis, tant que j'y pense, ne cherche pas tes clés, elles sont dans ma poche, je te les rendrais quand tu partiras à ton rendez-vous !

Elle lui fit un magnifique sourire qui montrait toutes ses dents car elle était à cet instant très fière d'elle.

— Putain, tu fais chier Nessy ! souffla Jenna blasée.

— C'est ce que m'a dit Pat hier soir, juste avant qu'on...

— Stop ! C'est bon j'ai compris. J'ai juste une question.

— Laquelle ?

— T'as quand même pas couché avec Gros Pat pour obtenir les informations sur Vicky ?

Tennessie blêmit subitement.

— Non, pourquoi tu dis ça ? dit-elle toute mielleuse.

— Parce que je vois pas Pat te balancer tout ça gratuitement. Alors si t'as pas couché avec lui pour les infos, qu'est-ce que tu lui as données en échange ???

Mal à l'aise, Tennessie se tortillait sur place.

— Nessy, insista Jenna.

— Il sait pourquoi tu t'en vas tous les après-midi...

— Pardon ???

Jenna n'en revenait pas. Comment Tennessie avait-elle pu être aussi négligente ?

— Écoute Jenna, il savait déjà à quelle heure tu prenais le bus, et à quelle heure tu revenais, et il le savait parce que ton arrêt de bus, il le voit de sa fenêtre. Qu'est-ce que je pouvais faire d'autre que lui dire la vérité, sachant qu'il prend des risques pour nous couvrir ?

Jenna était furax ! Elle voyait déjà son rêve de liberté envolé.

— Mais t'inquiète pas, tout va bien, Pat ne te balancera pas. Je te rappelle qu'il va essayer de nous sortir de là. Il veut notre bien, pas le contraire... M'en veut pas, s'il te plaît.

Une fois de plus, Tennessie réussie à convaincre son amie du bien fondé de l'implication de Gros Pat dans leur secret. Il leur serait utile de bien des façons.

— Jenna, insista-t-elle, lui, il n'a rien à y gagner, penses-y...

Jenna souffla, trop fatiguée pour se battre contre son amie.

— Tu fais chier Nessy !

— Je sais, répondit-elle d'une toute petite voix.

— Faut y aller maintenant, mais on en reparlera, tout à l'heure ! dit Jenna d'un ton ferme.

Tennessie opina de la tête et la suivit d'un pas résigné.

...


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