CHAP 13

Après avoir trinqués, ils s'assirent à même le sol, enfin Jenna, habituée qu'elle était dans son petit taudis à manger dans cette même position autour de l'unique table qu'elles possédaient avec ses amies, s'assit et Jimmy, sans hésitation, l'imita.

— Tu as trouvé l'hôtel facilement ? s'enquit ce dernier.

— Oui. Nessy, ma colocataire, m'avait fait un plan très précis. Même avec la meilleure volonté, je n'aurais pas pu me perdre.

— C'est très avenant de sa part, apprécia-t-il. Et qu'est-ce qui t'as décidé à accepter ma proposition ?

— Nessy, lâcha-t-elle en répondant sans réfléchir.

— Et c'est tout ? demanda-t-il en relevant un sourcil, étonné.

Elle but une gorgée de champagne, se maudissant de répondre sans réfléchir. Et je commence seulement à boire, songea-t-elle. J'ai sacrément intérêt à y aller molo, surtout qu'il se boit plutôt bien.

— La curiosité, se rattrapa-t-elle.

— La curiosité, répéta-t-il sceptique. Et c'est tout ?

Elle comprit où il voulait en venir.

— Et un certain Christopher, aussi, ajouta-t-elle avec un air malicieux en picorant un petit toast qui accompagnait le champagne.

— Ah oui, ce Christopher là ! répondit-il beau joueur avec un sourire en coin.

— C'est super bon ces p'tites merdes, dit-elle en se resservant un toast. Tu devrais en prendre parce qu'ils vont pas faire long feu.

— C'est pas trop mon truc, alors vas-y, fais toi plaisir !

— Merci. Et tu travailles dans quoi, Christopher ? demanda-t-elle la bouche pleine.

— Dans la pub.

Il ne mentait qu'à moitié, Christopher travaillait réellement dans la publicité. C'était son agence qui assurait ses campagnes publicitaires lorsqu'il lançait des promotions à durée limitée.

— Je voulais te demander, combien tu touches par prestation ?

— dix pour cent de la mise.

Jimmy n'en revenait pas, il s'avérait qu'elle n'avait touchée que cinq cent euros sur les cinq mille qu'il avait misés la première fois.

— Mais c'est carrément du vol, observa-t-il atterré.

— On n'a pas vraiment notre mot à dire, on prend et on se tait !

Trois coups à la porte annoncèrent l'arrivée du dîner.

— Je reviens, dit Jimmy en se levant.

— Ok, répondit-elle en s'enfilant deux toasts l'un après l'autre.

Jimmy alla dans l'entrée de la suite et dispensa le serveur d'installer les assiettes dans le salon en lui donnant un généreux pourboire. En échange, il récupéra le chariot qu'il emmena jusqu'à la table basse.

— On poursuit là ou tu préfères la grande table ?

— Ici ça me va très bien.

Il installa les assiettes et tout en se rasseyant, il reprit la conversation.

— Et à qui profite ce qui ne te revient pas ?

— À Gwendal, mon mac.

Jimmy réagit à ce nom et il chercha où il avait bien pu l'entendre. Jenna, quant à elle, salivait devant le foie gras qu'elle ne mit pas longtemps à étaler sur son pain grillé. Avant de l'engloutir, elle prit le temps de le dévorer des yeux.

— Y'a quelques temps j'étais dans un bar qui fait aussi restaurant. Il y avait trois filles qui mangeaient. Quand elles sont sorties, le serveur nous a dit que c'étaient des filles d'un certain Gwendal, justement. C'est le même ?

Alors qu'elle allait planter ses dents dans le pain, elle s'arrêta dans son élan et leva les yeux sur lui. Elle se rappelait parfaitement cette soirée.

— Oui, dit-elle en baissant son toast de foie gras. C'est lui.

— Combien de filles travaillent pour lui ?

— Je sais pas, peut-être trente, ou quarante ou même plus...

— Tant que ça ?

Elle mordit dans son toast et réfléchit avant de répondre.

— Il est propriétaire de trois bordels, plus les filles qui travaillent directement dans la rue et puis nous, les danseuses. À la réflexion, on doit être plus que quarante.

— S'il ne vous laisse à toutes que dix pour cent, c'est très lucratif comme activité... Mais ça va à l'encontre des principes de bases de la dignité humaine... Enfin, à mon sens.

Jenna ne répondit pas. Bien loin d'être mal à l'aise avec cette conversation, elle continuait de manger avec appétit.

Jimmy la regardait faire avec tendresse. Il réalisait qu'en bas de chez lui, derrières des murs devant lesquels, très certainement, il passait tous les jours, se tramaient des drames humains, invisibles aux yeux de tous bien que très réels.

Ils continuèrent à manger silencieusement, chacun jetant des coups d'œil à l'autre, chacun pensant combien la personne qui se trouvait en face lui était agréable.

Quand le dessert fut fini, ils débarrassèrent la table du salon et retournèrent s'asseoir sur le tapis en s'adossant au canapé, un verre de vin à la main.

Ce fut Jimmy qui prit la parole :

— Racontes moi ton histoire, Lou.

Elle leva les yeux sur lui, ne sachant trop par où commencer, puis elle se lança. Elle lui expliqua qu'elle n'avait jamais connu ses parents. Elle avait été élevée dans un premier temps par une dame âgée qu'elle appelait Nanou. Puis à son décès, les services sociaux étaient venus la chercher pour la placer en foyer, elle avait alors sept ans. À ses quatorze ans, elle s'était enfuie et avait vécu dans la rue jusqu'à ses seize ans, l'âge auquel elle avait rencontré Gwendal.

— C'est pas une belle histoire, s'excusa-t-elle. Peut-être que dans dix ans, j'aurais mieux à raconter...

Il y avait de la tristesse dans sa voix et dans son regard, Jimmy en fut bouleversé. Il ne le montra pas, il ne jugea pas utile de faire dans le mélodramatique.

— Et tu te vois où dans dix ans ?

Jenna étendit ses jambes sous la table basse et posa sa tête sur le bord de l'assise du canapé. Regardant le plafond, elle sourit faiblement, comme si elle s'apprêtait à lui raconter un de ses rêves les plus fous.

— Loin, très loin d'où je suis maintenant. Probablement toujours dans la danse, parce que sans danse, je meurs. Etre prof d'une troupe dans un cabaret me plairait beaucoup. Créer des spectacles grandioses, avoir une file d'attente longue à n'en plus finir lors des représentations... Ouais, c'est là que je veux être dans dix ans.

Elle fit une pause, les yeux toujours rivés au plafond puis elle se tourna vers lui, plongeant son regard dans le sien.

— Je t'ai vu ce soir là, au restaurant. J'étais une des trois filles.

Jimmy, surpris se redressa.

— Ah bon, j'ai pas fais attention...

— Tu ne pouvais pas me reconnaître, je portais pas de perruque... Tu étais avec ton pote qui-sait-pas-lire-un-numéro.

Jimmy éclata de rire. Elle avait en plus de l'humour.

— Il y avait une blonde avec vous...

— Oh, elle ! Sans intérêt, vraiment, dit-il en retrouvant son sérieux.

— C'est pas l'impression que j'en ai eue.

— Et pourtant...

Le regard suspect de Jenna l'obligea à fournir une explication.

— Elle veut se marier avec moi. C'est pour le fric bien sûr et la renommée qui va avec...

— Elle le sait qu'elle peut s'asseoir sur son futur imaginaire ?

— Pas exactement. Mais elle s'accroche.

— Comme moi, je m'accroche aussi à un futur imaginaire...

Elle se redressa et regarda l'heure sur son portable.

— Je vais pas tarder, j'ai entraînement demain matin.

— À quelle heure ?

— Neuf heures, dit-elle en se levant.

Jimmy fit de même.

— Je peux te raccompagner si tu veux ?

Jenna lui sourit, touchée par sa proposition.

— Je vais appeler un taxi, mais merci.

— Je propose, tu disposes, dit-il en levant légèrement les mains. Je vais t'appeler le taxi et ça, ce n'est pas négociable ! ajouta-t-il plus fermement, ce qui la fit rire.

Une fois le taxi réservé, il se dirigea vers la chaise où était suspendue sa veste et en sortit de la poche intérieure une enveloppe.

— Comme convenu, ajouta-t-il en la lui tendant.

Jenna, qui avait complètement oublié qu'elle serait payée, refusa de la prendre.

— Il n'y a qu'un seul endroit où j'accepte ton argent, se justifia-t-elle, et tu ne veux plus y aller.

— C'est compris dans le deal, insista-t-il.

— Tu te moques de moi, Christopher ??? Regarde où on est !

Comme il lui tendait toujours l'enveloppe, elle posa les yeux sur lui et sans plaisanter, lui dit :

— Si tu veux que je prenne l'argent, alors fais moi travailler !

Il ne cédait toujours pas, elle ajouta :

— Je propose et tu disposes, c'est ce que tu as dis, alors je n'en veux pas et il n'y a pas à discuter !!!

— Très bien, j'insiste pas, dit-il en posant l'enveloppe sur la table.

— Par contre, y'a une chose que je tiens à faire avant de partir.

— Laquelle ?

— Voir une dernière fois au travers de la fenêtre de la salle de bain, juste pour le plaisir des yeux. La vue est juste sublime ! Je peux ? lui demanda-t-elle.

— Fais comme chez toi.

Ce fut presque en courant qu'elle alla dans la salle de bain car elle n'avait pas beaucoup de temps. Elle monta les deux marches qui menaient au jacuzzi, s'assit sur le rebord collé à la vitre et admira la vue. La nuit était tombée et les lumières qui illuminaient la ville rendirent cet instant magique. C'était incroyablement beau !

Jimmy l'avait rejointe et avait repris la même position qu'un peu plus tôt dans la soirée. Appuyé contre la porte de la salle de bain, ce n'était pas la ville qu'il admirait, mais bien elle. Celle qui venait de refuser son argent parce qu'elle n'avait pas "travaillé". Il voulait la revoir, coûte que coûte, il le fallait.

— Tout à l'heure tu as dit "dernière fois ". Tu n'envisages pas de revenir ?

Doucement, elle tourna la tête vers lui, les yeux ronds d'étonnement.

— C'est une invitation ?

— Je propose et tu disposes, répondit-il en craignant un refus de sa part.

— Tu veux me revoir ?

— J'aimerais beaucoup...

— Quand ? demanda-t-elle en se levant.

— Mardi prochain ?

— D'accord, mardi prochain, dit-elle en lui adressant un sourire qui découvrait toutes ses dents.

— Le taxi doit être arrivé, lui glissa-t-il avec regret.

— Je me sauve !

Elle passa devant lui, se hâta de rejoindre le salon, enfila sa veste, et avant de prendre son sac à main. Elle fit demi-tour pour lui dire au revoir sauf qu'elle le percuta de plein fouet.

— Oh, excuse-moi, je t'ai pas entendu...

— Y'a pas de mal, la rassura-t-il en riant. Je vais te raccompagner en bas.

Il prit son sac à main et l'invita à passer devant.

Côte à côte dans l'ascenseur, Jenna prit la parole :

— Merci pour ce soir, j'ai passé une très belle soirée. C'était vraiment sympa.

— Moi aussi, j'ai apprécié.

Ils sortirent de l'ascenseur, traversèrent le hall d'entrée et une fois dehors, repérèrent le taxi qui patientait sur l'arrêt minute.

— Bon, à mardi alors, la salua-t-il en lui rendant son sac à main.

— À mardi, répondit-elle.

Elle fit quelques pas, puis s'arrêta. Elle revint vers lui, l'air très embêté.

— Je sais que là-haut, dit-elle en pointant son index vers le haut de l'immeuble, il y a une enveloppe avec de l'argent dedans et que j'ai refusé, mais par hasard, tu n'aurais pas un billet qui traîne dans ta poche pour le taxi ? demanda-t-elle en lui tendant la main et en grimaçant tellement elle était gênée. Je te le rendrais la semaine prochaine...

— Elle est pas possible, lança-t-il en levant les yeux au ciel désespéré.

Il fouilla dans ses poches et remercia le ciel de ne pas avoir donné tous les pourboires au serveur. Il lui donna les deux billets qu'il lui restait et alors qu'elle les prenait, il lui dit :

— Lou, ce fut un plaisir !

— Christopher, plaisir partagé !

— Tu es mieux sans perruque, ajouta-t-il en souriant.

Elle lui renvoya son sourire, puis elle grimpa dans le taxi et pendant qu'il démarrait, elle lui fit un signe de la main.

Regardant le taxi s'éloigner, ce fut nostalgique qu'il pensa : La semaine promet d'être très longue...

Jenna, quant à elle ne le lâcha pas des yeux jusqu'à ce que le taxi tourne au coin de la rue suivante. Elle s'appuya sur le dossier de la banquette en repensant à la soirée qu'elle venait de vivre. Heureuse, elle l'était, littéralement, et elle souriait, béate. Elle reprit ses esprits et partit à la recherche de son téléphone portable dans son sac à main dans le but d'envoyer un texto aux filles pour les prévenir qu'elle rentrait. À la place, ce fut une enveloppe avec de l'argent à l'intérieur qu'elle sortit de son sac, et sur laquelle était écrit :

Ceci n'était pas une proposition ! Merci pour ton agréable présence.

C.

...

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