CHAP 10

 Il ne dormit pas de la nuit. Après avoir laissé Lou dans cet endroit pitoyable, qui regroupait à lui seul toutes les bassesses, les vices, dont l'homme était malheureusement pourvu, Jimmy était rentré chez lui, complètement frustré. Il aurait aimé passer toute la soirée avec elle, mais dans un contexte plus classique. Lui donner rendez-vous quelque part ; apprendre à la connaître ; la regarder sourire puis rire ; parler de tout et de rien, bref avoir une approche normale. Mais il l'avait sentie à fleur de peau, perdue et sur ses gardes, comme si le fait d'être invitée, elle ne connaissait pas... Il avait bien fait de ne pas lui proposer de prolonger la soirée dans un autre endroit, bien qu'il en crevait d'envie, elle n'était pas prête, pas encore. Lui laisser le temps de réfléchir lui avait alors paru la solution la moins brutale. La balle était dans son camp, il lui laissait le choix. Elle ne s'imaginait sûrement pas à quel point attendre le prochain rendez-vous lui était difficile...

La journée du vendredi fut donc sans surprise : Longue à n'en pas finir, monotone parce que rien de bien passionnant à faire, et terne parce que loin d'elle...

Le seul moment sympathique de sa journée fut le repas du midi qu'il partagea avec son collègue Freddy et Marie la secrétaire. Elle, complètement amoureuse, lui, complètement aveugle... C'était le genre de situation inextricable car malgré les appels du pied pourtant extrêmement clairs d'un côté, de l'autre, il n'y avait rien.

— Je vais les lui faire bouffer ses œillères, glissa Jimmy à Marie à la fin du repas.

— Avant mes cinquante ans, s'il vous plaît monsieur Laroche, le supplia-t-elle très sérieusement.

— Avant votre prochain anniversaire, Marie. Promis !

— Euh... En êtes-vous bien sûr ? Parce que c'est dans deux mois !

Jimmy demeura interdit un court instant.

— Vu son temps de réaction, se reprit-il, il est préférable d'élargir un peu la fourchette. Disons entre votre prochain anniversaire et le suivant. Là je pense qu'on sera bons, conclut-il très compatissant.

Marie ajouta dépitée :

— Si seulement...

Le soir, Jimmy s'était remis à penser à Lou et à ce qu'elle serait amenée à faire dans sa soirée. Surtout à ce qu'elle allait faire avec d'autres que lui. Ça le rendait malade de l'imaginer servir ainsi d'instrument sexuel à qui pourrait se la payer. Comment pouvait-elle bien supporter ce mode de vie ? Mais la question qui le hantait vraiment était : Comment en était-elle arrivée là ? L'avait-elle choisi ? Si oui, alors pourquoi ? Et si non... Mon dieu... On touchait alors à un problème autrement plus grave : Le trafic d'êtres humains...

Jimmy se servit un double whisky et s'installa confortablement sur le canapé, près de sa chienne qui ne l'avait pas attendu, et mit sa série préférée en version originale sous titrée : Peaky Blinders.

Le générique réveilla les perroquets qui se tenaient tranquilles jusque là. Cacahuète se mit à danser sur son perchoir en rythmant elle-même ses gestes d'un bruit sonore qui ressemblait à si méprendre à un claquement de langue sur le palais. Quant à Mojito, il ne trouva rien de mieux que de commenter à l'aide d'une phrase de la série qu'il avait retenu :

— WE ARE THE FUCKING PEAKY BLINDERS !!! lâcha-t-il en imitant l'intonation employée par l'acteur.

Jimmy soupira, se leva et prit le casque audio qu'il connecta à la télévision et qu'il mit sur ses oreilles. Ainsi paré, il se plongea dans la série et s'endormit sans même finir son verre.

...

— Elle arrive demain, lança Georges à son petit fils, sans s'occuper de la conversation déjà en cours autour d'eux.

— Qui ça ? demanda Jimmy d'un air distrait, plongé qu'il était dans la discussion très animée entre son père et sa mère.

— La remplaçante de Rosa !

— Ah oui c'est vrai, c'est demain. Elle a déjà fait sa première journée chez moi.

— Et alors ?

— Pour l'instant j'ai rien à redire. Elle n'a pas fait tout ce que je lui avais demandé, mais c'est le temps qu'elle s'organise. Rosa reste avec elle demain ?

— Oui, elle va lui expliquer comment manier un vieux salopard comme moi !

— À peine salopard, n'exagère pas.

— Un salopard et une fille de mauvais genre... On va former un duo de choc elle est moi ! plaisanta-t-il.

— Ah oui, c'est vrai. J'en ai entendu parlé...

— Par ton coincé de père, je suis sûr.

— C'est ça.

— S'il avait poussé un peu plus ses investigations, il aurait vu qu'il y a une école de... je sais plus comment ça s'appelle...

— Pole dance, lui souffla Jimmy qui d'un coup d'un seul, se retrouva propulsé dans la salle secrète.

— ... en ville et qu'il y a même des cours pour les gamines. Alors comme activité suspecte, excuse-moi, mais y'a pire !

— C'est sûr, dit Jimmy la tête complètement ailleurs.

— Tiens, emmène moi sur la terrasse, je voudrais profiter tant que c'est encore possible du soleil et de la chaleur. Bientôt, ce sera fini...

— Faut pas se plaindre, on aura eu un beau mois de septembre.

Jimmy se leva, enleva les freins qui bloquaient le fauteuil roulant de son grand-père et le dirigea vers la baie vitrée quand son père l'interpella.

— Tu me rejoins dans mon bureau quand t'as fini, j'ai des infos à te donner sur ton client Lewis !

Jimmy qui au nom de Lewis, quitta brutalement la salle secrète, lança un regard inquiet à son père.

— Pourquoi j'ai l'impression que ça va pas me plaire ?

— Parce que ça va pas te plaire, lui répondit gravement Arthur.

— Génial, maugréa Jimmy en poussant le fauteuil en direction de la terrasse.

Georges questionna son petit fils sur l'inquiétude qu'il vit s'inscrire sur son visage et Jimmy lui expliqua de quoi il retournait. Le patriarche fronçait les sourcils, à mesure qu'il visualisait la situation.

— Je pense que tu es dans la merde mon p'tit...

— Peut-être pas à ce point là, mais qu'il va m'emmerder, ça oui je le crois...

— Laisse-moi, vas voir ce que ton père à trouver sur lui. Je veux être mis au courant de tout ce qui se réfère à lui. C'est bien compris Jimmy ? Pas question d'être mis à l'écart. Qu'il essaye de toucher un cheveu de ta tête, de celle de ton père ou de notre société et c'est un homme mort, parole de moi !!!

Jimmy laissa son grand-père sur la terrasse et partit voir son père. Les paroles et l'inquiétude soudaine du vieil homme ne lui inspiraient rien qui vaille. En temps normal, Georges n'était pas du genre à s'en faire. Son côté "m'enfoutiste" avait le don d'exaspérer son père. Mais là, il prenait très au sérieux les explications de Jimmy.

Quand il retrouva son père, celui-ci laissa tomber sans ménagement un dossier qui s'écrasa lourdement sur le bureau.

— Pourri, pourri, pourri et pourri ! Ce Lewis est une pourriture de première. Il trempe dans toutes les magouilles. On pouvait pas avoir à faire à pire comme ordure.

— C'est si grave que ça ? s'enquit Jimmy sidéré par ce qu'il entendait.

— Oui c'est grave, parce qu'il va nous mettre dans la mouïse si on va pas dans son sens.

Arthur se laissa choir dans le fauteuil en soufflant.

— Et comme il n'est pas envisageable d'aller dans son sens, question de principe, on va droit dans le mur !

— Qu'est-ce qu'on va faire ?

— À part essayer d'anticiper, je sais pas. Mais crois-moi lorsqu'il lancera les hostilités, il y aura du répondant derrière.

— Pépé voudra sûrement faire partie de la réponse, dit Jimmy.

— Et il en sera, je le brieferai tout à l'heure. Laroche contre Lewis, ça comprend TOUS les Laroche !

— Tous les Laroche, tu veux dire TOUS les Laroche ???

— Oui, je vais prévenir ton frère et ta sœur, on sera pas de trop avec eux en plus.

— Tu sors l'artillerie lourde là. Tu penses vraiment que ça va aller si loin que ça ? insista Jimmy sceptique.

— Extorsions de fonds ; chantages ; enlèvements ; trafics en tout genre et meurtres ! Voilà ce que j'ai réussi à trouver sur son compte, et là où c'est très fort, c'est qu'il n'a jamais été inquiété !!! Rien, naaada !!! Comment t'expliques ça à part qu'il s'en soit sorti parce qu'il a les bonnes personnes dans sa poche ?

— Meurtres ? releva Jimmy. Mais c'est quoi ce mec ?

— Un nuisible à exterminer, et on va s'y employer. Je ne le laisserais pas toucher à notre société ! À partir de maintenant, tu n'as plus à le rencontrer, c'est moi qui me charge de lui !

Arthur sortit de son bureau, décidé comme jamais il ne l'avait été auparavant à faire valoir le nom des Laroche. Jimmy, quant à lui, d'aussi loin que remontait sa mémoire, ne se souvenait pas d'avoir vu son père sur le pied de guerre. Il était impressionné et en éprouvait une certaine fierté.

— Il ferait presque peur le père, se dit-il à lui-même.

...

Quittant la maison familiale, Jimmy se dirigea vers le fond de la résidence où habitaient Rosa et son mari. Une petite visite dominicale pour prendre des nouvelles de son "ex" employée s'imposait, surtout que cette dernière lui avait fait part des petits soucis que son "actuelle employée" avait rencontré lors de sa première journée. N'ayant pas eut le temps de lui expliquer dans le détail, Rosa lui avait proposé de passer prendre un café dans l'après-midi pour en discuter.

Installés dans la cuisine, Jimmy s'intéressa dans un premier temps à sa santé. Cette dernière lui avoua que de moins travailler la soulageait. La chimio la fatiguait beaucoup et les effets secondaires du traitement étaient assez contraignants. Jimmy était peiné de voir sa chère Rosa avoir ainsi les traits tirés. Lui qui l'avait connue solide comme un roc, elle semblait devenue fragile et avait une petite mine. Mais sa bonne humeur, pour l'instant, répondait toujours présente.

Lassée par la discussion, elle l'orienta vers la nouvelle venue prénommée Myrtille, et lui demanda :

— Comment as-tu trouvé ton appart ?

— Satisfaisant. Mais je me disais, vu qu'elle n'a pas fait tout ce que j'avais mis sur la liste, peut-être que je devrais l'alléger un peu ?

— C'est son premier jour, elle n'a pas encore trouvé son rythme. Laisse-lui un bon mois et tu verras que la liste tu n'auras pas à l'alléger. Ceci dit, elle a fait ta chambre qui elle, n'était PAS sur la liste...

— Autant pour moi, dit-il avec un sourire en coin.

Puis, se sentant obligé de se justifier, il ajouta :

— Elle n'est pas toi, c'est gênant...

— Gênant en quoi ? reprit-elle en lui mettant une petite tape sur l'épaule. Ça fait partie de son boulot, tu dois la laisser faire.

Sans se départir de son sourire en coin, il capitula.

— Je la vois demain, tu veux que je lui passe un message ?

Il lui fallut un court instant de réflexion avant de répondre :

— J'appréciais assez quand tu me laissais un petit compte rendu de ton travail. Ça me permettait de visualiser ce que tu avais accompli, car comme je ne vérifiais jamais...

Rosa tiqua.

— Vu qu'elle ne t'as pas laissé de mot disant ce qu'elle avait fait ou pas et que tu n'as pas vérifié son travail, comment sais-tu qu'elle n'a pas tout fait dans ce cas ?

— Euh, j'ai vérifié, avoua-t-il en baissant la tête comme le ferait un enfant prit en flagrant délit de mauvaise foi.

Rosa éclata de rire. L'imaginer en inspecteur de travaux finis, dans son propre appartement était comique.

— Je ne pense pas que tu aies à t'en méfier, Jimmy, le rassura-t-elle. Elle veut vraiment bien faire, alors je te le redis, laisse lui le temps, le reste viendra tout seul.

— C'est toi la chef ! répondit-il en lui faisant un clin d'œil amical.

— Et je te conseille de ne pas l'oublier, gamin ! s'esclaffa-t-elle spontanément.

Ils continuèrent un peu leur discussion puis Jimmy prit congé de Rosa.

— Prends soin de toi ma Rosa, lui dit-il en l'entourant affectueusement de ses bras.

— Toi aussi mon p'tit Jimmy. Je t'appelle dans la semaine.

En fin d'après-midi, quant au volant de sa voiture, il reprit le chemin de son appartement, ce fut amer qu'il réalisa qu'il n'avait parcouru qu'à peine plus de la moitié du temps depuis la dernière fois qu'il l'avait vu dans la salle secrète. Comment allait-il s'y prendre pour accélérer les minutes, les heures, afin que la journée du lundi, puis celle du mardi, puissent enfin laisser place au mardi soir ? Allait-elle accepter de venir ? Et si non, la reverrait-il un jour ? Que de questions sans réponse. La phrase "l'espoir fait vivre" prenait tout son sens et dans l'immédiat, il était toujours en vie car il espérait follement sa venue. Qui vivra verra, pensa-t-il optimiste. Il sera toujours temps, le moment venu, de réfléchir à d'autres solutions si d'aventure, elle ne venait pas...

...

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top