Chapitre 4
Ahelys, les yeux dans ceux de la bête, attentive à chacun des mouvements de ses appendices, demanda à Hermais s'il avait une stratégie. Il réfléchit à voix haute :
— Il faudrait que l'un de nous s'occupe de ces trois queues pendant que l'autre peut attaquer la bête en elle-même.
— Je vais m'occuper de la distraire, je suis plus mobile avec mes ailes, décida-t-elle. Mais est-ce que cela sera assez ?
Ils n'avaient pas assez de temps pour des idées plus poussées, sans doute Adrien aurait-il trouvé une solution miracle mais il valait mieux qu'il ne soit pas ici. Au moins, il ne se trouvait pas sous la coupe de l'empereur. Sans doute auraient-ils pu utiliser un bâtiment intérieur intact pour en tirer avantage mais ils ne pouvaient pas laisser avancer plus loin l'Ofrelki. Sans doute était-ce une mission suicide de foncer sans véritable plan. Mais ils n'avaient pas le choix.
Alors le jeune homme haussa les épaules face à la question et sortit de son étui un pistolet. Mais Ahelys la prévint des effets des balles et lui téléporta une lance. Alors qu'elle regardait le manège des tentacules qui se croisaient, décroisaient dans les airs dans un ballet incessant, elle songea à des lacets. Des lacets de chaussures. L'idée pourrait paraître incongrue et Ahelys ne savait même pas si cela était possible. Mais autant essayer, se convainquit-t-elle.
Après un coup d'œil jeté vers Hermais, son signal la fit bondir dans les airs, en direction de la gueule de la créature. Comme elle s'y attendait, une queue se lança à sa poursuite et la jeune femme remonta en piqué pour y échapper. A quelques mètres du sol, elle aperçut Hermais s'approcher de la bête et la titiller avec sa lance.
Elle pensait que les tentacules la laisseraient tranquilles quand l'attention de l'Ofrelki se fixa sur le jeune homme mais deux d'entre elles se tendirent vers elles, comme agissant sans contrôle conscient de l'animal. Si elle voulait qu'Hermais réussisse à la blesser, elle devait contraindre les trois queues à s'intéresser à elle. Ahelys lança plusieurs poignards en direction de la bête et comme elle s'y attendait, les appendices vinrent écarter les lames comme on éloignerait des moustiques. A ce rythme, je ne vais jamais la blesser, jura la jeune femme en continuant ses attaques avec les mêmes armes. Impossible d'emmêler ses queues, elles dansaient avec une harmonie et une précision incomparable. Trois ballerines synchronisées et conscientes des mouvements des autres. Ahelys n'était même pas certaine que le matériau des armes soit vraiment efficace, mais que faire d'autre ? Hermais se trouvait tout aussi en difficulté, il changeait d'angle, roulait pour éviter les griffes et les crocs mais ne parvenait jamais à atteindre la bête qui esquivait. Le manège dura plusieurs minutes et l'animal, loin de s'épuiser redoublait de rage contre eux.
Mais cette fois ci, l'Ofrelki changea de tactique. Ahelys lança ses poignards. Ils se plantèrent dans son flanc. Où étaient les queues ? Elle se sentit jetée au sol et rebondit dans les airs, sous l'emprise d'un tentacule qui s'était enroulé autour de sa jambe. Le ciel, la terre. Le ciel, une fourrure rouge. Pendant un instant, les montagnes russes se stoppèrent et Ahelys vit Hermais, étendu au sol, le torse en sang.
Dans un sursaut de lucidité, elle brandit son épée qui ricocha contre la queue. La lame coupée en deux virevolta dans les airs mais le choc lui avait libéré sa jambe criante de douleur. L'animal se penchait vers Hermais, elle allait le déchiqueter. Ahelys hésita pendant un instant. Ne voulait-elle pas le voir mort à peine quatre heures plus tôt ? Mais son cœur avait réagi avant son esprit et cette question ne vient qu'après son cri de rage. Cri de rage ? D'appel à l'aide, de frustration, de peur. Qu'importe. En même temps que ce cri, Ahelys cherchait dans son for intérieur, dans cette galerie d'arme où elle piochait toujours. Rien ne pourrait la sauver, pourtant, elle tendait la main vers cet espace, lui destinait cet hurlement de détresse.
Sans savoir ce qu'elle tenait entre ses mains, elle abattit son bras vers un tentacule qui jaillissait vers elle. Coupé net. Un flot de sang s'échappa du membre et la bête bondit aussitôt vers la jeune femme, aussi étonnée qu'elle par ce retournement de situation. L'Ofrelki sembla hésiter à l'attaquer et recula d'un pas vers la forêt. Ahelys avança et eut le temps de lui asséner une entaille dans le flanc avant que la bête ne s'enfuit dans une trainée de sang, disparaissant derrière les feuilles des arbres éclaboussés de rouge.
Elle tomba à genoux. Epuisée par ce combat, épuisée par ce sauvetage. Son regard tomba sur le bout de l'appendice tranché. Comment avait-elle pu l'entailler alors que les autres semblaient être des jouets ? Ahelys baissa alors les yeux vers une hache qu'elle n'avait jamais vu avant. Un matériau inconnu, une manière de sculpter étrangère et surtout des inscriptions étrangement familières. Elle voulut la tourner entre ses mais l'arme se volatilisa sans son accord. La jeune femme ne se posa pas plus de question : un problème urgent la taraudait. Incapable de marcher, elle se traîna vers Hermais pour inspecter ses blessures. Quatre entailles s'enfonçaient dans son torse, avaient déchiré en profondeur la chair. La jeune femme tenta de compresser les blessures avec ses mains, mais un flot de sang s'échappait. Depuis combien de temps saigne-t-il à cette vitesse ? angoissa Ahelys qui retira son haut qu'elle pressa contre les plaies.
Des voix s'élevèrent près de leur position et elle leur cria de venir l'aider. Une unité de secours qui avait dû atterrir durant leur combat s'approchait. Mais alors qu'Hermais était pris en charge, la jeune femme resta à quelques pas, à observer les gestes minutieux et rapides des infirmiers et des médecins. Mais elle voyait bien la mine soucieuse des soignants qui le montèrent sur un brancard en direction des vaisseaux de soin.
Un Naëfilien s'était approché d'elle et elle s'intéressa enfin à son propre état. Elle grimaça à la vue de sa jambe nue et où une marque rouge enserrait tout le mollet et une partie de la cuisse. Elle espérait juste que rien ne s'était cassé, sinon elle serait sans doute transférée dans l'hôpital le plus proche pour ressouder les os. Elle lâcha un soupir de soulagement quand le médecin lui assura qu'elle pourrait être soigné à bord et qu'elle pourrait marcher normalement d'ici le lendemain matin. Ahelys se laissa alors tomber sur un brancard mais se redressa pour observer les soldats et les soignants qui s'affairaient les uns dans les ruines, les autres dans les rassemblements. Elle aperçut aussi du coin de l'œil un appareil se diriger vers les immeubles qu'elle avait commencé à vider. Car une crainte occupait le derrière de la scène durant le combat : l'écroulement d'un bâtiment qu'elle n'avait pas encore pu vider. Un peu rassurée, elle se coucha enfin sur la civière et entra dans l'unité de soin.
Le lendemain matin, complètement rétablie, elle rejoignit l'équipe de recherches. Les victimes de la catastrophe étaient acheminées au fur et à mesure vers d'autres villes tandis que l'espoir de retrouver des vivants sous les décombres s'amenuisait. Ahelys aidait surtout les soldats à repousser les bêtes sauvages de la ville et empêcher les Larmoyantes de fonder leurs nids dans les pièces vides. A la fin de la journée ils avaient pu rétablir le bouclier magnétique qui empêchait les animaux de la jungle de fuir la fissure béante. Mais la jeune femme pensait toujours à l'Ofrelki qui avait fui. Quand elle y réfléchissait, il lui semblait que le félin durant leur confrontation cherchait plus à rester sur sa position plutôt que de ravager la ville. Comme s'il voulait protéger quelque chose... Ahelys ne savait pas pourquoi mais elle se sentait attirée vers cette créature et elle craignait qu'elle meure blessée dans la forêt. Peut-être même était-ce le dernier représentant de son espèce ?
Puis, une chose à laquelle elle ne voulait pas songer taraudait son esprit. Quand elle avait su Hermais hors de danger, son corps s'était détendu d'un coup, contre sa volonté. Pourquoi t'inquiéter pour lui après tout ce qu'il t'a fait ? se reprochait la jeune femme à elle-même. Elle ne l'avait pas pardonné mais pourtant une partie de son cœur s'affaiblissait toujours quand elle pensait à lui. Puis la colère reprenait le dessus et elle se haïssait, bien plus que le jeune homme.
Et elle ne savait toujours pas d'où était apparue la hache qui lui avait sauvé la vie à Hermais et à elle. Elle avait en vain tenté de la faire réapparaitre plusieurs fois mais cette fameuse hache ne semblait en fait n'avoir jamais existé dans son armurerie. Le mystère restait entier
Alors que le soleil se levait sur la deuxième journée à Neiky, Ahelys réquisitionna une unité spécialisée dans la capture d'animaux sauvages et ils s'engouffrèrent dans une forêt qui avait perdu toute son authenticité en quelques heures. Les feuilles paraissaient plus ternes sans les oiseaux multicolores qui s'y posaient et seul le bruissement des pas craquants sur le parterre de branches rompait le silence de ce cimetière. Sans doute les animaux reviendraient-ils au bout de quelques jours, du moins c'est ce qu'espéraient les chercheurs à voix haute durant leur marche. En tête, la jeune femme tentait tant bien que mal de suivre les traces de sang asséchées qu'elle avait repérée à l'orée de la jungle. Les marques épaisses au début s'affaiblissaient de plus en plus et Ahelys craignait de ne jamais le retrouver. Pourquoi je suis obsédée par cet animal ? s'agaça la jeune femme. Mais, au fond elle croyait le savoir. Se sentait-elle proche de lui, seul au monde, peut-être le dernier de son espèce ? Elle cherchait sans doute trop loin dans son inconscient mais elle tout cas, elle voulait revoir cette bête. Ahelys jeta un œil vers l'astre dans le ciel puis regarda sa montre. 10h34. Trois heures qu'ils marchaient et vu l'état des arbres parfois déracinés, qui pendaient à moitié dans le vide ou des troncs étalés au sol, ils se rapprochaient de la faille. L'épicentre de ce tremblement de terre dévastateur.
Mais soudain, elle entendit avant d'apercevoir. Un grondement sourd un peu après des fougères piétinées. Elle s'arrêta net et puis au détour d'une large feuille, elle le découvrit. L'Ofrelki, le corps bandé comme s'il allait les attaquer les fixaient. Ahelys aperçut derrière la créature un petit corps rouge et un autre blanc qui tournaient des têtes inquiètes vers leurs agresseurs. Elle se figea. Alors, depuis le début, il les protégeait. Pourquoi être allé jusqu'à la ville ? Avait-il senti l'agitation qui en émanait et prévenir tout danger ?
Elle se pencha vers un chercheur qui tenait un pistolet chargé d'une dose de tranquillisant pour lui murmurer :
— Est-ce que cela va vraiment marcher ? Les armes normales ne traversent pas sa peau.
Celui-ci ricana et répliqua :
— C'est un matériau qu'on nous a envoyé d'une autre planète, il pourrait traverser plusieurs couches de la roche la plus résistante au monde.
Quelques secondes plus tard, la balle se nicha effectivement dans la peau de l'animal qui n'avait plus peur de ces armes et il s'écroula à peine une minute plus tard. On aurait bien eu besoin de ça pour ne pas le blesser, ou se retrouver blessés...A moins que la hache que j'ai trouvé dans mon armurerie soit pareille, mais je ne sais toujours pas quand je l'ai acquise, songea la jeune femme. Surtout, elle était certaine de ne jamais l'avoir vue avant. Mais elle chassa ses pensées de son esprit et s'accroupit pour fixer les petites choses qui se pressaient contre le corps de leur parent. Ils avaient la taille de chiots mais leurs queues déjà atteignaient deux mètres environ et filaient derrière eux. Derrière la jeune femme, une Naefilienne de l'équipe s'occupait de guider un vaisseau vers leur position. Avec le tremblement de terre et les arbres déracinés, un petit espace presque plat s'était dégagé pour transporter la créature dans un endroit plus sûr. Car Ahelys ne doutait pas qu'une foule de gens allaient se pencher vers cette faille d'origine inconnue qui avait causé tant de dommages.
Une trentaine de minutes plus tard, le vaisseau se posait et ils réussirent à déplacer l'animal via un brancard qui ignorait les lois de la gravité. La jeune femme abandonna presque à regrets les boules de poil et s'assura que les Ofrelkis se trouveraient dans la réserve naturelle au centre du continent où un grand nombre d'espèces protégées se trouvaient transférées. Le pilote les déposa en chemin dans la ville et Ahelys se trouva interpellée dès qu'elle eut posé un pied à terre par Hermais. Rétabli, les cernes sous ses yeux fatigués montraient cependant une nuit agitée et impossible de ne pas remarquer les bandages sous son haut d'uniforme.
— Où étais-tu passée ? Tu ne m'as rien indiqué, j'étais fou d'inquiétude ! s'exclama-t-il.
La jeune femme haussa un sourcil devant l'insinuation. Elle, fuir ? Jamais et plus encore quand elle savait sa vie menacée par cette fuite. Elle tenait trop à ses engagements pour perdre sa vie aussi bêtement empoisonnée.
— Tu ne contrôles pas mes faits et mes gestes à ce que je sache, le cingla-t-elle.
— Non, mais nous avons reçu l'ordre de revenir à la capitale ce matin, et là on est au milieu de l'après-midi. Je te rappelle que nous devions coopérer pour cette mission, répliqua le jeune homme, excédé.
— Non, tu m'amenais juste sur les lieux. Pourquoi nous rappeler aussi tôt, il reste encore beaucoup de travail ici ? l'interrogea-t-elle.
— S'il reste beaucoup de choses à faire pourquoi ne te trouvais-tu pas dans la ville, alors ?
Ahelys soupira et hésita à répondre. Mais elle ne voulait pas que cet air insolent de victoire traîne encore sur son visage alors qu'ils s'étaient mis à marcher vers l'avion qui les avait amenés dans la ville.
— J'étais à la recherche de l'Ofrelki. Il protégeait ses petits près de la faille et je les ai fait transférer dans la réserve.
Hermais se tendit à l'entente de ce nom mais se tranquillisa quand il sut la bête loin d'ici et donc de lui. Bientôt, ils arrivèrent dans le vaisseau et montèrent sans perdre de temps. Quelques minutes plus tard, Ahelys observait depuis le ciel le manège de ces fourmis dans les ruines entre les médecins, les victimes ou les soldats qui se pressaient autour des vaisseaux.
— Tu sais, je ne suis pas dupe. J'ai remarqué ton petit jeu avec Thélia, avoua-t-il soudain.
La jeune femme braqua son regard sur lui et il sut qu'elle avait mordu à l'hameçon. Elle se maudit de sa réaction et se tourna de nouveau vers la fenêtre. Faussement nonchalante, elle répondit :
— Ah oui ?
— Et j'en serais heureux si je ne te connaissais pas, tu fais ça pour te venger de moi ? enchaîna-t-il.
— Eh bien tu ne me connais pas. Et non je ne te copie pas ! répliqua Ahelys pour clore la conversation.
— Tu l'aimes vraiment ? Tu sais très bien ce que tu risques si Neferlme l'apprend, pourtant, s'exclama-t-il.
Risquait-il de le dévoiler à l'Empereur ? Son ventre se tordit soudain et elle pensa au futur. Cela lui compliquerait la tâche en plus de s'attirer sa colère. Son stratagème deviendrait presque impossible à mener, à moins qu'elle ne la manipule assez pour que la jeune fille se brouille avec son frère. Oui, elle pouvait faire ça. Cette solution calma les battements de son cœur qui s'était excité face aux conséquences de cet aveu mais elle pourrait s'en servir. Thélia lui appartenait corps et âme.
Thélia, la sœur cadette de Neferlme le Malicieux. Restée à l'écart des médias et du peuple, elle vivait dans le cocon du château de la capitale qu'elle n'avait presque jamais quittée. Ahelys connaissait à peine son existence ces dernières années et n'y avait pas accordé d'importance mais quand elles s'étaient rencontrées lors d'un dîner de convenance, elle avait monté un plan. Cette fille douce d'à peine 18 ans, qui ne connaissait les atrocités réalisées par son frère, ni vu les conditions des esclaves dont elle avait à peine conscience allait devenir sa marionnette. Alors durant ces mois après le banquet, elle avait apprivoisé peu à peu la princesse en secret, l'avait doucement amené là où elle avait envie de la faire venir : dans ses bras. Etonnée elle-même de l'habileté dont elle avait su faire preuve, personne à part une servante proche de la jeune fille ne connaissait leur relation. Du moins, elle le croyait.
— Oui je l'aime ! Tu refuses que je passe à autre chose c'est ça ? Tu m'interdis de ne plus t'aimer après ce que tu m'as fait ? attaqua Ahelys.
Hermais baissa la tête sans un mot, soudain concentré sur la conduite. L'ambiance, électrique tendait les deux passagers mais aucun ne voulait l'admettre alors ils s'ignoraient juste. Ahelys observait les plaines défiler, et les villages alors qu'elle réfléchissait. Elle savait qu'il l'aimait toujours, qu'il essayait coûte que coûte de se rattraper. Elle le savait, que ses sentiments n'avaient pas été faux. La jeune femme avait refusé de l'admettre au début mais elle l'avait senti : ses regards fuyants, ses tentatives désespérées de se faire pardonner. Il avait même subi des coups sans broncher alors qu'il aurait pu riposter ou éviter. Mais ce geste l'avait rendue folle de rage, encore plus que le reste. Elle avait décidé alors de l'ignorer après le combat et cette situation lui convenait très bien, jusqu'à leur combat contre l'Ofrelki. Ahelys avait eu peur qu'il meure. Peur de le perdre. Pourquoi ? La jeune femme serra les poings, contente que la discussion se soit arrêtée là, peut-être n'aurait-elle pas pu empêcher les trémolos dans sa voix, et peut-être aurait-il compris que oui, tout n'était pas perdu pour lui.
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