Chapitre 1 ♠

Le souffle puissant projette de fines particules de sable sur la cape du conteur qui lutte contre les bourraques. Pas à pas, entre les dunes, il avance vers le camp au loin dont les grandes tentes apparaissent comme une illusion à travers les grains. Pas à pas, ses pieds traversent des gouffres tant l'effort semble grand. Depuis combien d'heures marche-t-il sur cette planète coupée de tout, dans les confins d'une galaxie campagnarde, loin des grandes mégapoles formées autour des nations mères du Conseil Galactique ? Trop longtemps à son goût, il a abandonné sa carrière d'aventurier voilà un bon moment. Perdue l'habitude des conditions extrêmes et des menaces de mort des populations locales. Il jette un œil un peu plus en avant, de nouveau vers le village. Ce n'est pas la première fois que ses pieds foulent ce sable, foulent ce chemin tracé par des grosses pierres qui se rejoignent sur le bord de la route. Il est l'aventurier qui avait découvert cette planète, enfin selon les annales officielles du Conseil Galactique. Edume avait été en contact avec des étrangers bien longtemps auparavant, comme le conteur s'en était rendu compte lors de sa première visite. La tempête s'arrête soudain alors que le jeune homme n'est plus qu'à une trentaine de pas des premières maisons et des enfants qui jouent sur le bord de la route se stoppent pour l'observer avec de grands yeux interloqués. Il avait toujours été fasciné par ce peuple. Une peau d'un violet profond, des canines et des griffes pour certains aiguisées et ces pupilles de chats, qui le fixent en cet instant même. Peut-être avait-il connu leurs grands-parents lors de sa première visite, mais ce n'est pas ce qui lui occupe l'esprit. Tout ce qu'il espère est que l'un d'eux se trouve ici. Son capuchon glisse de ses cheveux et dans un réflexe, il tente de le replacer mais sourit. Personne ne le connait ici, pas besoin de cacher son visage.

Dans la langue natale des gamins, il demande alors où se trouvait le sage du village. Ils répondent, surpris par l'apparence de l'étranger et surtout d'entendre leur langue chantante dans sa bouche. Satisfait de leur réponse, il se dirige dans la direction du doigt pointé d'une petite fille vers une dune, une tente d'un rouge sang planté à son sommet.

Epuisé par ses heures de marche, le jeune homme monte à pas lents la dune et à bout de souffle, pousse la lourde tenture.

— Je vous attendais, surgit une voix dans l'ombre.

— Ca ne m'étonne pas, marmonna le conteur avant de s'asseoir sur un coussin brodé.

— Mes ancêtres me le chuchotent depuis la saison des fleurs, j'avais une grande curiosité pour vous. Je sais ce qui vous amène ici. Un des miens a prédit les lignes du destin de deux de vos amis, il y'a longtemps de cela, et aujourd'hui, vous êtes venus remplir le destin qui vous a été assigné, susurra la femme aux yeux brillants dans la nuit.

— Votre prédécesseur m'a annoncé un danger qui menacerait l'ordre de l'univers, mais il a refusé de m'en dire plus et m'a demandé de revenir sur cette planète quand le moment serait venu. Et il est venu n'est-ce pas ? Je le sens, et je l'entends. La menace n'a jamais été aussi proche qu'aujourd'hui et la guerre est proche, avoua le conteur.

— Nous le savons et nous allons vous le révéler. Nous vous sommes aussi reconnaissants de ne pas avoir dévoilé notre nature à votre autorité, lors de votre première venue. Nos membres traversent l'univers pour aider ses habitants mais nous ne voulons ni reconnaissance ni demandes de ceux qui connaissent notre pouvoir. A part vous évidemment.

Le terme « nous » dans sa bouche revêt tout une allure symbolique : il désigne cet esprit connecté aux autres détenteurs de cette magie, de ce savoir. Cette connexion traverse les morts, les vivants et nouait même des liens avec les sages futurs. Un pan du monde que le conteur n'a jamais essayé de briser ou de saisir. Certains choses entrent dans la marche du temps, elles ne sont pas à comprendre.

La devineresse s'empare de la main du conteur et aussitôt, une brume s'élève dans la tente, apparue depuis les profondeurs du sable. Elle apporte avec elles des senteurs d'une autre saison, des senteurs d'humus, de vies qui viennent à peine d'éclore dans une forêt qui accueille la pluie. Le jeune homme ferme les yeux pour se plonger dans ce monde différent. Quelques secondes plus tard, la native lâche soudain sa main, comme effrayée par sa vision. Ses yeux brillants se lèvent sur le jeune homme, presque inquiets mais elle confie d'une voix égale :

— La voie qui mène à notre salut est de loin la plus floue et la plus ténue dans toute la multitude de destins destructifs. Les indications que je vais pouvoir vous donner seront minces...Je vois trois Héros, que vous devez chercher, pour les confronter à la menace.

— Mais qui, et où ?

La jeune femme fronce les sourcils, fouille dans sa mémoire. Quelle ironie que la voie qui les sauve soit celle où elle ne perçoit rien. Comme perdue dans un brouillard total, elle tente du bout des doigts de saisir une indication. Là, un nom, une intuition.

— Je crois qu'ils ne font pas partie de notre univers, comme s'ils évoluaient dans un monde différent du nôtre...murmure-t-elle.

— Des mondes parallèles ? s'étonne le jeune homme.

— Et je devine un nom...Unutulmus...Le connaissez-vous ? demanda la devineresse.

Le conteur secoue la tête. Peut-être a-t-il vu ce nom quelque part mais depuis tout ce temps, sa mémoire lui fait souvent défaut. Mais au moins il possède une petite piste. Mince pourtant alors qu'il ne sait pas combien de temps le sépare de la fin. Comment aurait-t-elle lieu d'ailleurs ? Quand il pose sa question à la jeune femme, elle répond à la négative : le grand noir. Comment même savoir si ces prédictions étaient réelles, si elles n'allaient pas l'amener dans la folie, après toutes ces années passées seul ? Pourtant au fond de lui, cette certitude lui retourne l'estomac. C'est elle, il le sait, dès que ses yeux avaient effleuré une image d'elle, alors qu'elle se trouvait à des milliers d'années lumières, dans cet empire qui menace le Conseil Galactique. Ces cheveux virevoltants d'un roux flamboyant, ce regard acéré et dur. Oui sans aucun doute, l'Impératrice est Ahelys.

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