Chapitre 8- Vaisseau partie 2
La traditionnelle percussion déclencha la joie du public. Le combat pouvait débuter. Affolée, Ahelys contemplait son adversaire.
Son meilleur ami. Djiy.
Le garçon empoigna son épée, mais son regard prouvait qu'il n'était pas heureux de se trouver dans cette arène, contre elle.
La jeune fille leva les yeux vers les tribunes. Malgré la distance, elle croisa le regard de Neferlme XVI, aussi dit le Capricieux. Elle crut discerner une lueur de malveillance flamber dans les yeux clairs de l'Empereur. Elle serra les dents.
Il avait décidé de tester sa nouvelle arme dans l'arène de la capitale. Les longues expériences menées sur Ahelys par ses scientifiques s'étaient révélées concluantes.
Désormais, d'imposantes ailes mécaniques se fixaient à son dos. Le métal écarlate utilisé pour sa conception était réputé pour une résistance et une légèreté jamais égalées.
Neferlme désirait montrer au peuple sa puissance avec cette merveille de la technologie. Aujourd'hui sa meilleure combattante ne se dévoilait que pour le plaisir de la foule. Mais un prochain jour, elle décimerait des vies sur un champ de bataille.
Tous les esclaves avaient pu se présenter comme gladiateurs pour combattre Ahelys. Neferlme avait aussi décrété que les candidats qui sortiraient victorieux de cet échange seraient affranchis.
Les aspirants avaient été nombreux. Mais Djiy était le dernier à la défier. Les autres, défaits les uns après les autres, au cours des deux derniers jours. Tous bien en dessous du niveau de l'adversaire et déconcertés par sa singularité.
Elle se souvenait de sa rencontre avec Djiy. Le maître d'armes assigné à la jeune fille, ébahi par le talent inné de l'esclave, l'avait poussé à combattre ses meilleurs apprentis gladiateurs. Leur amitié s'était forgée dans le sang, les coups et la sueur.
Ahelys crispa ses mains sur la garde de son épée. Le combat serait serré, le garçon était le plus prometteur des disciples. Cependant les ailes de la jeune fille lui conféraient une supériorité que son adversaire peinerait à combler.
- Je gagnerai ma liberté et je te libérerai ! Toi ainsi que tous les autres ! promit-il.
- Idiot ! tu n'as aucune chance. Le monde restera le même. Nous sommes trop faibles.
Son ami secoua la tête. Il se mit alors en garde, le regard soudain sérieux, focalisé sur la stratégie à adopter.
La combattante prit une profonde inspiration. Son rituel avant chaque combat. Elle ressentait chaque cellule de son corps, les membres tendus par le stress, les ailes mécaniques reliées à ses nerfs, le poids de son épée entre ses mains moites. Ahelys était prête.
Le duel pouvait enfin commencer.
Le sable vola. Ils s'étaient jetés l'un sur l'autre, lame contre lame. Le public acclama l'attaque. Les deux adversaires reculèrent, et s'évaluèrent du regard. Djiy leva un œil espiègle vers la foule.
- Ils en veulent plus ? On va leur en donner du spectacle ! Un vrai ! Un véritable combat de gladiateurs !
Aussitôt, les assauts s'enchainèrent. Le talent déployé par les deux combattants ajoutait au grandiose et à l'héroïsme d'une scène presque irréelle.
Les lames s'entrechoquaient, glissaient et se déjouaient dans un ballet parfait. Les visages perlés de sueur des gladiateurs se trouvaient parfois à quelques centimètres l'un de l'autre. Un éclair passait alors dans leur regard, comme pour se souvenir de tous ces coups échangés des mois plus tôt, tous ces rires, toutes ces confidences. Chaque attaque leur rappelait le passé, leur rappelait cette amitié qui s'était peu à peu transformée.
Mais Ahelys n'avait jamais eu l'endurance de Djiy. Elle perdait toujours. Encore aujourd'hui, il serait vainqueur. Encore aujourd'hui il lui tendrait la main, avec cette pointe d'orgueil.
Cette pensée la rendait folle de rage. La vitesse de la jeune fille faiblissait, mais elle arrivait à combler l'écart grâce à ses ailes. Elle s'élevait parfois dans les airs et le sable soulevé aveuglait son ennemi.
Le combat durait. Les mains moites de sueur tremblaient sur la garde des épées. Le fracas des lames, le seul son que percevaient les deux adversaires, les oreilles bourdonnantes. Chaque mouvement leur arrachait un cri mental et chaque attaque les épuisait. La foule fiévreuse applaudissait à tout rompre. Remplis de férocité et de combativité, les coups se succédaient.
Comme Djiy l'avait désiré, cette lutte était une vraie bataille, un vrai spectacle.
Mais il arrivait bientôt à son terme. Exténuée, la combattante évitait des attaques de justesse et des estafilades serpentaient sur ses bras et ses jambes. Acculée contre le mur de l'arène, ils croyaient tous la confrontation achevée.
Mais Ahelys ne s'avoua pas vaincue. Il ne gagnerait pas cette fois. Dans un élan parfait, elle se projeta dans les airs, et atterrit derrière son adversaire. La pointe de sa lame se figea sur la nuque de Djiy.
Vaincu, il lâcha son arme pour lui faire face. Les yeux brillants d'admiration, il haletait de fatigue.
Après un instant de silence, le public explosa en cris et en sifflements. Epuisée, la jeune fille leva les yeux vers Le Capricieux. La coutume voulait que le sort du vaincu repose entre les mains de l'empereur. Neferlme avait laissé la vie sauve aux précédents concurrents. Mais cette-fois-ci, un sourire de mauvais augure flottait sur ses lèvres.
Il tendit son pouce au dessus de la tribune, pour que tous puissent voir son geste. Son doigt resta un instant suspendu vers le milieu, mais avec une lenteur calculée, il l'abaissa.
Une atmosphère d'effervescence régnait dans les tribunes. Ils se réjouissaient de la mort cruelle du prisonnier, du sang sur le sable, sans jamais avoir tué autrui. Sans remords, ils songeaient au prochain dîner, à la fin de la représentation, à rentrer chez eux.
Des êtres sans conscience, dominé par leurs caprices. Tous les mêmes.
Tétanisée, Ahelys fixait Djiy. Son air résigné se teinta de nostalgie. Il s'approcha d'elle et retira une mèche collée sur son visage.
- T'as de beaux yeux tu sais, murmura-t-il.
Le jeune homme déposa un doux baiser sur ses lèvres. Son premier baiser, mais son baiser d'adieu.
Il se recula et s'agenouilla dans le sable. Il tendit sa nuque, il offrait sa vie.
La combattante tremblait et sa lame vibrait. Les émotions se disputaient dans son corps qui ne supportait pas la pression. Alors que Djiy venait de lui déclarer son amour, il lui disait aussi adieu.
- Je ne peux pas te tuer, hoqueta-t-elle.
Il releva la tête.
- Jure-moi. Jure-moi que tu libéreras tous les opprimés, tous les nôtres.
Dans ses yeux régnait une douceur infinie, en parfait contraste avec le désespoir de ses mots.
Ahelys reprit de l'assurance, et les larmes se tarirent.
- Je te le jure.
Elle brandit son épée. La jeune fille inspira. Tous ses muscles se détendirent et ses bras s'abaissèrent. Les derniers mots qu'il entendit avant de plonger dans le sommeil éternel lui apaisèrent le cœur.
La tête du vaincu roula dans le sable devenu écarlate. Son corps tomba au sol. Les applaudissements explosèrent des tribunes, les cris de joie jaillissaient de chaque gorge. Un sentiment de fête dominait la foule.
Ahelys était morte avec Djiy. Elle n'entendait pas la clameur extérieure, et un étrange silence régissait son cœur. Un silence angoissant, annonciateur d'une terrible tempête.
La rage déferla alors, ses muscles se crispèrent en attente d'une vengeance et ses pensées convergèrent vers une seule personne. Neferlme XVI.
Se délecter de sa souffrance, autant qu'il s'était délecté de la sienne, tuer ses proches, lui arracher la peau, elle en rêvait à cet instant. Lui trancher la tête, comme la jeune fille avait dû le faire pour son ami.
La première fois, ils avaient massacré ses parents car ils s'aimaient. Maintenant, ils lui ordonnaient de tuer son amour. Jusqu'où irait la folie de ces monstres ?
La guerrière inspira. La colère la déserta. Une froide détermination et une haine impitoyable dont les racines plongeaient dans son passé l'envahirent.
Elle tiendrait sa promesse. Devenir une déesse vengeresse. Oh, oui ! User de tous les artifices pour ne laisser aucune échappatoire à la bête. Toutes les stratégies possibles pour déraciner cette pourriture du pouvoir.
Non ce n'était pas assez. La voracité de sa vengeance ne s'arrêterait pas là. Le châtiment tomberait sur tous les Naefiliens : elle en ferait ses esclaves, ses choses, comme eux l'avaient été.
Tous pareils ! Tous coupables ! Tous paieraient !
Ces êtres sans âme, sans utilité, juste bons à obéir. Quelle importance s'ils crevaient dans la misère et la crasse. C'était tout ce qu'ils méritaient !
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