Chapitre 5- Chassée


Furieux, Alexeï sauta les dernières marches et se planta face à son frère.

-          Tu aurais pu la tuer !

Nicolaï haussa les épaules et rangea son arme.

-          C'était à toi de les empêcher de descendre. Mon boulot c'est de ne pas les laisser ouvrir cette porte. Et puis je sais viser.

L'aîné fixa l'adolescente.

-          La prochaine fois, je ne te préviendrai pas avant de tirer.

-          Aucune chance, je serai déjà loin d'ici quand tu remarqueras mon absence, siffla-elle.

L'homme esquissa un léger sourire, mais se renfrogna vite. Il s'approcha de la prisonnière et lui prit le bras sans ménagement. Apolline manqua de hurler quand elle s'appuya sur sa mauvaise jambe, mais elle serra les dents.  Il se retourna un instant pour s'adresser à Alexeï.

-          Amène-moi la trousse de secours, on a une balle à enlever.

Le cadet s'éclipsa, tandis que son partenaire amenait la blessée qui boitait à la cuisine. Inquiète, elle se hissa sur la table et observa les deux frères, qui sortaient différents outils de la pochette rouge.

Alexeï  découpa le tissu et dévoila la plaie. Il maintint la jambe stable tandis que l'aîné barbouilla la blessure d'alcool.

Apolline gémit et détourna les yeux. La pince pénétra sa chair et fouilla les tissus, à la recherche de la balle. Les doigts de l'adolescente agrippèrent le bord de la table et ses jointures blanchirent tant elle serrait fort. Nicolaï ressortit l'instrument et lâcha le petit projectile ensanglanté sur un plateau en acier. Armé d'un fil et d'une aiguille il recousit  la plaie.

Son travail terminé, il entoura la blessure de bandages. Les mains pleines de sang, il apostropha son frère.

-          Amène-là dans la chambre du rez-de-chaussée. Ah et puis, plus de livres.

Le plus jeune des ravisseurs acquiesça, le visage fermé et aida l'adolescente à descendre. Il la mena dans le salon qui donnait sur une pièce où reposait un lit. Les rideaux de la fenêtre étaient rabattus, mais elle savait déjà que cette sortie était condamnée. Avec un soupir, elle s'assit sur la surface moelleuse. Le jeune homme s'apprêtait à partir mais dans un brusque sursaut de volonté, elle lui agrippa le bras.

-          Dis-moi pourquoi nous sommes ici.

Alexeï se dégagea sans mal mais répondit :

-          Ma famille chasse depuis plusieurs générations. Des créatures dont tu ne peux même pas imaginer l'existence. La plupart des mythes sont vrais, mais personne ne veut vraiment remarquer que l'homme n'est pas le seul habitant dangereux de la Terre.

-          Qu'est ce que tu racontes ?

-          Il y a quelques mois, un homme nous a demandé de chercher une adolescente. Il connaissait l'orphelinat où tu te trouvais. Nous sommes partis de là. Il nous a dit que tu étais bien pire que ce que tu paraissais être. Il a insisté pour que nous enlevions aussi un ou deux de tes proches, car sinon tu serais impossible à contrôler. Cet homme arrive demain.

Apolline garda le silence un instant. Les yeux plantés dans ceux du russe, elle réfléchissait. D'une voix tranchante, elle pointa l'incohérence :

-          Vous êtes juste fous. Et même si de telles créatures existaient, et selon votre théorie que j'en fasse partie, pourquoi l'avoir cru, sans aucune preuve ?

-          Il venait de nous sauver la vie, à mon frère et moi. C'était une dette d'honneur.

Alexeï prit une pause, toutefois indécis.

-          Mais j'en viens à douter de sa sincérité. J'imagine que tout sera révélé demain, ou au moins une partie. Désolé de la brutalité de Nicolaï, mais nous avons été trop souvent piégés et trahis.

-          Ce n'est pas moi qui vous ai piégé, c'est lui, assena-t-elle.

Le jeune homme se figea, secoua la tête et sortit de la chambre. L'adolescente entendit le cliquetis de porte qui se fermait, et certaine de ne pas être dérangée, se cala contre l'oreiller. D'une curiosité malsaine, elle palpa son mollet entouré de bandages. La douleur pulsa, et l'adolescente maudit l'homme russe.

Apolline avait été si près du but, si près de la liberté ! Ses poings se serrèrent, ses ongles s'enfoncèrent dans la chair tendre de ses paumes. Maintenant, elle devait traverser le salon sous la vigilance constante du frère aîné, et sa jambe blessée n'allait guère l'aider à s'échapper. Une vraie jungle.

Se faire arrêter et soigner par ses ennemis, quelle honte ! Si la jeune fille n'avait écouté que sa fureur et sa frustration, elle lui aurait mis son poing en pleine figure.

L'adolescente avait besoin d'une semaine au minimum pour que l'état de sa blessure s'améliore et lui permette une nouvelle tentative de fuite. Il ne lui restait que la nuit et une partie du jour. Une course contre la montre perdue d'avance. Des frissons la parcoururent à la pensée du lendemain. Celui qui avait orchestré sa capture allait venir la chercher. A ce moment-là, elle en saurait plus.

            La prisonnière poussa un soupir las, il n'avait qu'à venir, elle mourrait d'envie d'en finir avec cette histoire. Mais cette rencontre, elle le pressentait, n'allait être que le début d'un dangereux périple.

           
La porte de la maison claqua. Apolline se réveilla en sursaut, les sens en alerte. Le soleil filtrait à peine entre les rideaux. La lumière du plafonnier envahit la pièce lorsqu'elle appuya sur l'interrupteur, à côté du lit. Des voix s'élevèrent dans le salon. Des pas résonnèrent sur le plancher. La tension montait. L'adolescente se releva, mais grimaça face à la douleur aigue dans sa jambe.

Quand la clef tourna dans la serrure, elle tenait difficilement debout. Les pulsations de son cœur accélérèrent, en proie à une curiosité panique. La porte s'ouvrit.

Le premier visiteur était Alexeï. Le visage fermé, il s'effaça pour laisser entrer l'homme derrière lui.

De haute stature, les cheveux gris-blonds, il portait un étrange costume.

Il lissa du plat de la main sa chemise brodée avec des enchevêtrements de végétaux dorés. De l'autre, il tenait négligemment une canne d'un blanc nacré. Le regard calculateur, il observa la prisonnière.

-          Ahelys, quelle joie de te retrouver, ou plutôt devrais-je dire Apolline !

L'adolescente plissa les yeux, en proie à un grand désarroi.

-          Je vous connais, murmura-t-elle. Et puis ce nom me dit quelque chose...

Une grimace barra son visage, elle porta la main à son front. Une lueur de méfiance passa dans son regard.

-          Haylmer ! vous ne devriez pas être là...

Soudain, elle s'effondra, gémissante, les mains plaquées sur ses tempes. Elle se sentit soulevée, et ouvrit les yeux. Alexeï la portait, et quelques secondes plus tard elle fut allongée dans le canapé du salon. Il lui demanda, les mots à peine prononcés :

-          Tu vas bien ?

Faible, elle hocha pourtant la tête. Des milliers de marteaux résonnaient sous son crâne. Ils essayaient de contenir la révolte, des milliers de visages hurlants, brûlants de revenir à la surface. Quelques uns s'échappaient de cette prison. Ils se marquaient dans ses souvenirs au fer rouge, comme s'ils n'avaient jamais disparus. Mais elle n'était pas encore prête.

-          Ton père avait raison. Voir quelqu'un appartenant au passé allait réactiver ta mémoire. Tu devrais bientôt te rappeler de tout.

Haylmer venait de jeter un regard intéressé sur l'adolescente. Tel un scientifique qui regardait une souris de laboratoire se tordre de douleur, sous l'effet d'un produit que l'homme avait lui-même concocté. Il se délectait de cette vision.

Malgré sa souffrance, Apolline se redressa.

-          Mon père ? balbutia-t-elle.

La migraine redoubla d'intensité et ses paupières se fermèrent malgré elle.

-          Il vaudrait mieux l'assommer, père.

Dans son délire, l'adolescente reconnut la voix et usa de toute sa concentration pour rouvrir les yeux. Un jeune homme s'était posté à côté d'Haylmer. Il était vêtu d'une chemise aux arabesques élégantes, et son pantalon noir était rentré dans des bottes qui lui arrivaient aux genoux.

-          Pas besoin, je peux très bien résister à un mal de tête, Leyo.

Il eut un mouvement de surprise, mais inclina la tête, une mèche blonde s'échappa de sa coiffure.

-          Content de te revoir, Ahelys.

-          Mon prénom c'est Apolline, marmonna-t-elle.

Malgré ses mains tremblantes et sa vue trouble, elle reprit de l'assurance. Elle pointa du doigt deux hommes, vêtus d'une combinaison noire renforcée, qui dardaient un regard inquisiteur sur les deux russes.

-          Je n'en doute pas. C'est pourquoi vous êtes en si bonne compagnie.

-          C'est quoi cette mascarade, Haylmer ? éclata Nikolaï, les mâchoires serrées.

Il scrutait les deux gardes d'un œil suspicieux. Il avait dégainé son pistolet, qu'il gardait néanmoins le long du corps, comme son frère. Sa remarque, portait plus sur l'apparence des deux soldats, que la conversation entre l'adolescente et Leyo.

Les deux hommes possédaient des cheveux colorés. Des oreilles effilées encadraient des visages pâles. Un sourire cruel s'étira sur les lèvres de l'un d'eux, aux cheveux bleus.

-          Vous ne savez pas à quel point vous vous êtes trompés...

-          C'est assez ! tonna Haylmer.

Le sourire de l'étrange garde disparut.

-          Je vous remercie infiniment de l'avoir retrouvée. Elle est très importante, et unique en son genre. Ne faites pas attention à eux, ils sont de mon côté.

Apolline eut un rire dédaigneux et se releva. Sa vision se brouilla un instant mais elle resta concentrée.

-          C'est plutôt toi qui es de leur côté. Je ne me souviens peut-être pas de tout, mais l'uniforme de l'armée est ancré dans ma mémoire.

L'étranger ricana.

-          Sache que j'ai pris mes précautions. Alexeï, amenez-moi les deux garçons dont vous m'avez parlé, ordonna Haylmer d'un air dédaigneux.

Le cadet des deux frères hésita. Cette confrontation le désarçonnait. La réaction insolite de la prisonnière le poussait à la méfiance et il ne savait pas qui croire. Ses yeux allèrent de l'adolescente à l'homme au costume. Il échangea un regard entendu avec son frère et ils pointèrent leurs pistolets sur les soldats. Ces derniers réagirent aussitôt et sortirent leurs armes, rangées derrière leur dos, une épée courte d'un matériau blanc à chaque main.

-          Je ne sais pas pour toi Nikolaï, mais je crois bien qu'on nous cache quelque chose, annonça Alexeï.

-          Ca mérite même une explication, répliqua l'aîné.

Apolline leur adressa un sourire reconnaissant.

-          Cela va finir en bain de sang si vous ne baissez pas vos armes, prévint Haylmer.

-          Que sont ces créatures ? Pourquoi nous avoir demandé de capturer cette fille ? riposta Alexeï.

L'étranger s'apprêtait à répondre, mais l'adolescente avait poussé un cri déchirant et s'était effondrée sur le canapé. Le cadet des frères tourna la tête vers la jeune fille et aussitôt son pistolet vola au fond de la pièce. Il jeta un regard assassin au garde aux cheveux bleus dont l'épée était pointée à quelques centimètres de sa jugulaire. De mauvaise grâce, l'aîné posa son arme au sol. La situation s'était de nouveau inversée.

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