Chapitre 45- Fin de soirée ♠
La voix du conteur se tait sous les yeux émerveillés des spectateurs. Il a achevé son récit dans ce bar et l'horizon de son public vient de s'élargir au terme de ces dernières heures. Une remise en cause profonde sur le passé connu s'est opérée dans leur esprit sans qu'ils n'en prennent conscience. Mais ils ressentent tous, confusément dans l'ambiance intime de cette taverne, coupés du reste du monde qui s'éveille, que cette histoire n'a rien d'anodine. Des relents vifs de vérité s'échappent des paroles de ce mystérieux orateur, aussi odorantes et réelles que les effluves du verre de kantac posé par le barman sur la table de la scène. L'homme le remercie d'un mot et avale d'une gorgée l'alcool tandis que la lourde carcasse du monstre retourne derrière son comptoir.
Un silence songeur s'est installé dans la pièce sombre mais aucune question ne se pose à voix haute. Les interrogations les plus fortes restent dans le secret de l'esprit, ruminées sans arrêt sans que l'on veuille y apporter de réponse. Le mystère qui entoure la véracité de ce conte est tout aussi nécessaire que la cape qui masque les traits de l'inconnu. Sans cette réflexion, le récit ne resterait jamais dans les mémoires et aurait les allures d'un vieux récit fantastique et oublié. Mais l'homme sait qu'ainsi la légende d'Ailes Ecarlates allait les suivre toute leur vie, au coin du feu, au milieu d'un dîner ou à leurs derniers instants. Certains garderaient secrets cette porte sur un passé révolu, mais les plus nombreux les transmettraient à leurs proches, comme la fiction qu'ils avaient entendue.
C'est comme cela que le conteur veut que l'on retienne cette œuvre, comme une bonne et réaliste petite histoire qu'on espérait secrètement réelle sans trop oser y croire.
Il se lève, et bascule le fauteuil de l'autre côté de la scène. Il n'en aurait plus besoin. L'orateur se dirige alors à pas lents vers la porte et avant de pousser les doubles battants, se retourne. Il ôte le morceau de cape qui lui couvrait le visage et alors ceux de ses spectateurs se figent.
Des murmures éclatent dans les sièges, des hoquets d'admiration et des reculs de crainte. Il avait représenté tout à la fois, et le représentait encore aujourd'hui. Symbole vivant, Divinité descendue sur l'univers pour répandre le bien et le mal, injurié puis glorifié tour à tour. Un sourire éclaira son visage et il salua une dernière fois son assistance :
— Hasta la vista !
Les portes claquent, il est parti. Le jeune homme remet en place son capuchon et adopte une marche rapide dans les rues encore vides dans la ville. Il ne voudrait pas se faire rattraper. Le conteur traverse la cité, monte les marches vers le bâtiment qui abritent les portails instantanés et s'interroge. Quelle sera sa prochaine destination ? Mais la réflexion est inutile, son cœur balance déjà vers la Terre, toute jeune nation associée de la République Galactique. Il s'était écarté depuis bien trop d'années de cette planète, par lassitude et par choix. Mais il était grand temps de revenir sur sa terre natale.
Un choc et il tomba dans ce trou noir sans fond. Ses bras tentèrent de se rattraper à quelque chose mais ses mains n'agrippaient que de l'air. Un cri irrépressible lui vint tandis que le vent de sa chute fouetta ses habits et l'obligea à fermer les yeux. Il ne pouvait que prévoir la fin, prévoir que le sol arriverait tôt ou tard. Il n'avait même pas pu dire au revoir à sa sœur, lui dire qu'il ne regrettait rien.
Alors qu'il pensait plonger vers son destin tragique, une vive lumière transparut à travers ses paupières fermées. Il ne tombait plus. Ses mains venaient de frôler une touffe d'herbe et sans se l'expliquer, il savait qu'il ne se trouvait plus dans le gouffre mais autre part.
FIN TOME 1 AILES ECARLATES
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top