Chapitre 43- Révoltes
A l'autre bout de la ville, dans le quartier des esclaves, les résistants avaient investi les rues. Une véritable cacophonie montait des voies étroites : les cris de guerre se mêlaient au martèlement des pas sur les pavés battus par la pluie. Les portes s'ouvraient sur le passage de du cortège, parfois se refermaient aussitôt. Mais elles laissaient souvent sortir des esclaves, des armes de fortune dans leurs mains serrées. Alors, ils rejoignaient la manifestation et le martèlement des pas devenait encore plus puissant dans le quartier des esclaves. Une mélopée s'échappa des lèvres d'une femme et tous ses pairs reconnurent la mélodie du poème des Vengeurs. Le chant des esclaves fut repris par toute la troupe, scandé, chanté, hurlé.
Une dizaine de soldats aux portes de la ville ne les empêchèrent pas de pénétrer de force dans la partie moyenne de la ville et les Naefiliens encore chez eux claquaient leur porte fermée à double tour, les volets des magasins s'abattirent brutalement. Personne ne pouvait détourner la manifestation de son objectif : monter dans les rues et de rejoindre l'entrée de la ville haute. De ce point de la cité, ils apercevaient les flèches du palais, la tour de verre ainsi que le dôme de marbre blanc du Temple. De nombreux soldats armés s'étaient postés devant leur dernier obstacle, les lances déjà dressées vers les résistants.
Les esclaves stoppèrent leur marche et le silence enveloppa la scène irréelle. Les Enfants de Noé défièrent les policiers du regard, ils étaient en surnombre, que pouvaient bien leur faire quelques petites piques faces aux centaines de visages levés vers l'arène ? Car c'était une véritable marée humaine qui se dirigeait vers la tour de verre. Car tout le monde, sans exception sur le continent entier suivait, le cœur au bord des lèvres, le combat qui se déroulait en ce moment même. Car cette bataille allait peut-être bien sonner le glas ultime de l'esclavage des Naefiliens sur les Enfants de Noé. La victoire d'Ahelys était priée par tous ceux qui avaient cru en ce symbole, en cette jeune femme qui s'était battue de tout son être pour sa promesse.
Les chants de révolte avaient parcouru la capitale entière, même les recoins les plus profonds. Du fond de la prison royale, Nicolas releva la tête. Il entendait un murmure lointain, comme une supplique lancée par un fantôme. Il ne pouvait se douter que c'était là le cri de détermination d'hommes prêts à tout pour reconquérir leur liberté. Pourtant, le jeune homme pressentait au fond de lui qu'une chose très importante se déroulait, mais coupé du monde, il n'en savait rien. Il espérait voir la porte de sa cellule s'ouvrir, les cheveux roux de sa sœur, le sourire d'Hermais. Non, il était même sûr de les voir, il avait une confiance absolue en Ahelys malgré l'année précédente vécue sans un seul signe. Il avait éclaté de rire en découvrant les poèmes distribués par aéroplanes, sifflé d'admiration quand il avait appris la prise de Neiky. Nicolas se souvenait de sa dernière discussion avec Adrien et ils évoquaient le fait que l'Empereur allait tenter de faire pression sur leur amie, peut-être par leur biais. Le jeune homme ricana : quelle ironie de recommander la prudence puis de se réveiller quelques heures plus tard avec un couteau sous la jugulaire ! Il avait encore en mémoire les paroles de son ami et il ne doutait pas de leur véracité future : Ahelys ne se laissera pas faire, tu la connais aussi bien que moi. Si nous sommes capturés, elle cherchera à nous délivrer mais aussi à profiter de la situation. C'est un coup de chance si une guerre civile ne se déclenche pas, provoquée par les Vengeurs, ou bien pire...
Ces pensées en tête, Nicolas reconsidéra les chuchotements entendus et sourit. C'était peut-être bien la guerre civile dont lui avait parlé ce satané stratège et il se doutait que du fond du trou où Adrien avait été jeté, il percevait lui aussi les cris de rage à peine audibles.
Ahelys bloqua l'attaque de son ennemi mais n'eut pas la force de répliquer, bien trop épuisée par toutes les esquives imposées. L'état de son adversaire la rassurait, il était tout aussi affaibli qu'elle et même bien plus avec sa blessure à l'épaule.
Pourtant, les deux guerriers continuaient à se battre, car s'arrêter signerait leur défaite assurée. Ils en viendraient aux poings s'il le fallait mais un duel scellé par le pacte de sang ne se reportait pas, ne supportait pas de pause. Son honneur ou sa vie, le combattant n'avait pas le choix.
La jeune femme n'eut pas la présence d'esprit de reculer et le choc soudain du sabre sur ses épées lui firent perdre pied. Ahelys tomba sur ses fesses et avant d'avoir eu le temps de réaliser, l'éclat du sabre de son ennemi brillait au-dessus de sa tête. Dans un réflexe fulgurant, elle fit une roulade et se releva aussitôt tandis que la lame se plantait dans le sable. La résistante avait perçu le mouvement d'arrêt de son ennemi, le léger décalage vers la droite du sabre. Neferlme l'avait épargné. Elle plissa les yeux, quel était son objectif ?
— Ce combat n'a aucun sens, soumets-toi ! ordonna alors l'Empereur.
Un instant surprise par cette requête inutile, elle redressa la tête et s'écria avec hargne :
— Hors de question, je gagnerai ce combat !
— Pourtant, si tu avais eu le courage de perdre, il serait toujours vivant, susurra le monarque.
La combattante se raidit face à ses paroles, voilà où ce fourbe voulait en venir ! Elle balaya l'air de son épée dans un mouvement d'agacement et répliqua :
— Non, tu mens ! Tu as ordonné son exécution !
— C'est de ta faute, c'est ton orgueil qui l'a tué, pas moi. Tu connaissais les risques quant à son sort et tu savais très bien que je ne pouvais pas te tuer toi, ton talent m'était trop précieux.
— Non tu mens, répéta-t-elle.
Ses épées se baissèrent un instant, comme vaincue et Neferlme esquissa un sourire de victoire. Mais une grimace déforma le visage de la résistante et elle se rua sur son ennemi avec un cri de rage. Les deux épées se fracassèrent avec une force si inouïe sur le sabre que l'Empereur ploya le genou à contre cœur.
— Tu mens !
La jeune femme réitéra son action et la puissance s'accrut encore dans son coup. Elle releva encore ses épées et en même temps que la colère gâtait ses traits, elle puisa toute son énergie dans ce troisième choc. Le sabre et une des épées vola en éclats et le monarque se trouva les genoux dans le sable, désarmé face à un monstre incapable de retrouver ses esprits. Des cris de terreur jaillirent des gradins et des soldats voulurent sauter dans l'arène mais un ordre de leur Empereur les stoppa.
Neferlme attrapa le poignard utilisé au début du combat et para de justesse, à quelques centimètres de son visage. Dans sa folie, Ahelys n'avait pas téléporté une autre lame et ce geste avait sans doute sauvé le dirigeant d'une mort certaine.
Mais cette explosion meurtrière avait drainé toute la volonté de la résistante et elle tomba à genoux. En même temps que cet épuisement soudain, la douleur que ressentait la jeune femme dans tout son corps depuis le début de la journée relégué en arrière-plan se manifesta. Comme milles lames brûlées à vif dans ses entrailles. Ahelys se plia en deux de douleur sans qu'un cri ne s'échappe de sa bouche. A la place, un flot de sang se déversa sur le sable.
La cheffe des Vengeurs s'écroula, ses yeux hagards fixés sur Neferlme, les mains recroquevillées sur son ventre. Sa vision se brouilla et le sel de ses larmes rejoignit le sol de l'arène. Car le pire restait dans sa tête.
Ahelys s'était refusée à y penser depuis toutes ces années. Elle avait enfermé ce doute dans un recoin de son esprit, jeté la clef aux tréfonds de son être. Mais l'Empereur venait d'ouvrir ce coffre maudit. Oui c'était de sa faute. Elle était responsable de la mort de Djiy. La jeune fille avait préféré sa fierté à la vie de son plus proche ami. Elle savait qu'il risquait de mourir dans ce combat, que ce n'était pas son cas car elle était l'expérience. Ahelys avait préféré ignorer son amour contre son envie de gagner contre lui, pour la première fois. C'était de sa faute. Tout était de sa faute. Et maintenant, que valait sa promesse quand elle se rendait compte qu'elle était basée sur un tissu de mensonge, sur sa propre trahison ? Ce n'était pas elle qui aurait dû se trouver face à Neferlme aujourd'hui, à le combattre et à le vaincre. Cela aurait dû être Djiy, depuis le début.
Un sanglot douloureux monta dans sa gorge et elle essaya de tendre la main pour faire apparaître une lame, un poignard, quelque chose pour tuer cette souffrance qui la dévorait toute entière. Pour se tuer, car c'était elle-même ce poison qui la détruisait
Ses doigts s'agitèrent en vain. Elle n'en avait même la force. Ses dernières parcelles de conscience s'évanouirent tandis que des applaudissements et des cris de joie éclataient tout autour d'Ahelys.
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