Chapitre 42- Combat

D'abord, les cris assourdissants d'une foule en liesse. Ce fut la première chose qu'Ahelys remarqua quand les portes de l'ascenseur s'ouvrirent. Rien n'avait changé de ses souvenirs : le même public assoiffé de sang et de mort, le même sable fin qui se gorgeait si vite de la vie de ses victimes. Au bout de l'arène se trouvait la loge de l'Empereur où elle entraperçut l'allure de Neferlme XVI.

La jeune femme accompagna du regard la marche des résistants vers des sièges placés dans les gradins puis dériva sur les visages innombrables de la foule. Il lui semblait que milles corps étaient animés par le même esprit. Tous ces masques blancs aux visages grimaçants lui procuraient des frissons qu'elle réprima avec peine. Une pulsion meurtrière difficile à contenir quand elle songeait que ces mêmes visages avaient contemplé tant de combats entre gladiateurs, comme on regarderait un vulgaire spectacle. Alors comment contenir sa haine quand ils les envoyaient sur scène sans connaître leur texte ni la fin de la pièce ? Mais cela n'aurai servi à rien, car ils n'auraient jamais vu la fin de la représentation.

Ahelys posa un pied dans le sable, observa avec nostalgie les grains glisser au rythme de sa marche lente.  Elle s'avança jusqu'au milieu de l'enceinte et contempla l'Empereur descendre de sa loge et la rejoindre, seul. La jeune femme avait tant rêvé de ce moment. Le voir fouler le même sol qu'elle, pouvoir admirer les défauts d'un homme sans cesse montré comme un dieu. Tandis que les traits de Neferlme se précisaient, la jeune femme remarqua ses vêtements bien moins sophistiqués que lors de ses précédentes apparitions. Ce détail l'intriguait tant qu'elle en oublia pendant un instant sa rage grandissante. Quand il se stoppa devant elle, les lèvres de la résistante s'étirèrent en un rictus. Une tenue de combat. Il allait la combattre lui-même, l'Empereur contre la cheffe des Vengeurs, il ne pouvait lui offrir un plus beau cadeau. Elle n'avait jamais osé penser à cette éventualité, mais elle aurait dû s'en douter, Neferlme était un parieur invétéré, capable de miser sa vie à un jeu d'argent sans en être inquiété

—   Je suis ravi de voir que tu n'as pas eu de problèmes durant le voyage, Ahelys, susurra le trentenaire.

Elle avait oublié à quel point son charisme était écrasant, comme si soudain une brume dense l'enveloppait, parcourait son corps avec délice et devenait tout à coup compacte. Paralysée.

Une caméra volante vint soudain s'interposer entre les deux adversaires et l'objectif se resserra sur le visage d'Ahelys qui se détacha des yeux améthyste si troublants pour se concentrer sur la caméra. Le regard déterminé de la jeune femme se répercuta sur l'immense écran visible par tous et elle inclina enfin la tête à la salutation de l'Empereur. Des huées accompagnèrent son salut révoltant, elle osait parler d'égal à égal à leur monarque !

—   C'est un plaisir pour moi de voir que vous n'avez pas changé durant ces quatre années, ni cette exquise arène, rétorqua-t-elle.

—   Toujours aussi insolente. La menace de mort qui plane sur tes amis devrait te rendre plus docile, pourtant, rajouta-t-il avec un rire moqueur.

La jeune femme se raidit mais répliqua :

—   Le jeu en serait moins amusant, n'est-ce pas, Votre Majesté ? Puisque vous m'accordez l'honneur de me combattre. Mais je ne crains ne pas pouvoir retenir mes coups.

Neferlme éclata d'un rire franc sans que la résistante ne bronche. Elle connaissait depuis longtemps les humeurs changeantes du Malicieux. Sa réputation de capricieux n'était plus à faire, on ne comptait plus les nobles dorlotés par le dirigeant puis jetés sans raison.

—   Je ne m'occupe pas de mon sort, les dieux décideront l'issue de ce combat. Mais ne t'en fais pas, ta victoire assurera cette-fois ci la survie de ton frère et de ton ami, et non pas leur mort.

Ahelys dut crisper ses poings pour ne pas réagir à la pique de l'Empereur. Il lui avait ordonné la mort de Djiy, il avait tourné son pouce vers le bas, il était le seul responsable ! Cette remarque à peine voilée réveillait une vieille colère et lui donnait l'impression d'être redevenue une gamine incapable de contrôler ses émotions. Car ses yeux peinaient à soutenir ceux glacials de Neferlme.

Les acclamations du public enflèrent soudain, pris d'impatience par ce dialogue qui les ennuyait. Où était le combat qu'on leur avait annoncé, la gloire et le sang ?

—   Je crois que le peuple veut ce que tu lui as promis. Mais avant de commencer, nous devons effectuer le pacte du Sang , annonça Neferlme, les bras levés en signe de paix envers le peuple.

Sur ces paroles, il se saisit d'un poignard dans une poche sur sa cuisse et s'entailla l'avant bras. De mauvaise grâce, la résistante l'imita avec un de ses couteaux et s'approcha de son ennemi.  Cette tradition datait de temps immémoriaux mais elle ne s'était pas perdue dans les méandres de la technologie. L'honneur était une notion qu'ils tenaient des dieux, ils ne pouvaient s'en départir. Cette coutume scellait les promesses des combattants lors de combats singuliers et il n'était pas rare que des nobles piqués par une moquerie n'invoquent le pacte de sang. Ahelys, comme tout son peuple respectait cette rare coutume instaurée avant leur esclavage, mais la pratique que les Naefiliens en faisait la révoltait. Aujourd'hui, Neferlme voulait contenter les milliers de regards avides rivés sur le spectacle.

Les quelques mètres qui les séparaient se réduisirent à des centimètres et ils se saluèrent selon l'usage, avant bras contre avant bras. La sensation de la peau de son ennemi sur la sienne fit cracher de colère le dragon tapi au fond de l'esprit d'Ahelys qui sentit une vive douleur lui traverser le corps. Mais la jeune femme se força à terminer le salut puis recula, les mains tremblantes cachées derrière son dos.

La percussion du gong la surprit alors qu'elle entamait son dernier pas. Elle plongea sur le côté pour éviter de justesse une langue de flamme. La résistante se releva aussitôt, ses deux épées dans les mains qu'elle croisa sous l'assaut violent de son adversaire. Le sabre unique de Neferlme, tenu des deux mains, forçait la barrière de fer. Déjà, le genou de la jeune femme fléchissait sous l'effort tandis qu'elle bloquait la lame qui glissait pouce par pouce vers son cou. Les visages crispés des deux adversaires montraient toute l'ampleur du jeu de force qui se déroulait sous les acclamations des spectateurs. Les combattants se mesuraient aussi du regard, désinvolte de la part de Neferlme tandis que la résistante, affolée, peinait à contenir l'attaque. Son ennemi était bien plus puissant que ce qu'elle avait imaginé, bien plus supérieur en force et technique que tous ceux qu'elle avait affronté jusque là.

Maintenant, à cet instant précis un détail lui revint. Le Malicieux n'était pas le seul qualificatif dont on avait affublé le dirigeant. Il en existait un autre, perdu dans son passé tumultueux, on l'avait nommé le Sabreur. Les années n'avaient pas semblé ni entacher sa réputation ni rouiller son talent.

Une goutte de pluie écrasée dans le sable détourna l'attention de l'Empereur pendant un instant et Ahelys se propulsa en arrière, sauvée pour un temps  des offensives puissantes de son ennemi. La jeune femme profita de cette accalmie pour reprendre son souffle, bloqué par réflexe lors de la première altercation et téléporta ses ailes. Cette apparition déclencha une vague d'émoi dans le public dont les cris de joie résonnèrent dans l'arène face à ce bijou de la technologie, face à ce rouge sublime. La résistante grimaça face à cette nuisance sonore qui lui vrillait les tympans sans arrêt mais impossible de s'en passer. Une pluie fine s'abattit sur l'arène, vite interrompue par le déploiement des pétales de verre mais la combattante bénit ce don du ciel. S'il ne supprimait pas la faculté de feu de son adversaire,  il lui permettait au moins de perdre de son efficacité.

Pourtant Neferlme n'hésita pas : une immense boule de feu du diamètre d'une table fonça vers elle. Elle n'eut pas le temps de songer quel aurait été le résultat si l'humidité ambiante n'avait pas atténué l'effet, elle bondit dans les airs. La jeune femme se servit alors de ses ailes pour se  projeter d'un battement vers son adversaire et ses épées chantèrent une nouvelle fois contre le sabre.

La sueur mêlée à la pluie coulait le long de sa gorge mais elle ne s'en préoccupait pas. La force qu'elle déployait dans tout son corps ne la troublait pas, elle ne sentait pas la pression de ses muscles ni le rythme toujours plus soutenu de sa respiration.

C'était un véritable combat de géants, où la danse ne concernait plus le sifflement de la lame et le bruit des pas mais la violence des assauts et la puissance des parades. Les deux combattants virevoltaient dans l'arène avec une telle vitesse que leurs pieds propulsaient à chaque pas un nuage de sable. La petite caméra volante qui transmettait leurs actions sur un écran géant ne parvenait pas à saisir tous leurs mouvements, gêné par la poussière soulevée. Les lames s'entrechoquaient presque avec régularité et le public, fasciné aurait pu croire que le spectacle durait depuis des heures. Mais non, à peine cinq minutes s'étaient écoulées depuis le début du combat.

Sa détermination et sa rage de vaincre empêchait Ahelys de s'effondrer. Sans elle, elle n'aurait pas pu tenir contre cette force de la nature, sans le souvenir de tout le chemin parcouru, elle aurait lâché ses épées depuis longtemps, dévastée par la grandeur de son adversaire. Mais ce qui la poussait la plus en avant était un simple souvenir anodin d'une vie passée.

Un après midi, juste à parler sur banc dans un parc avec son frère et Adrien. Une cicatrice ne barrait pas encore le visage de Nicolas, elle revoyait encore la candeur perdue de son ami.

La jeune femme redoubla d'ardeur et un couteau de jet siffla à quelques centimètres de la joue de l'Empereur. Il observa alors son ennemie avec un intérêt renouvelé et il semblait à la résistante qu'une lueur de peur avait traversé son regard pendant un instant.

Personne n'aurait pu déterminer l'issue du combat tant les guerriers redoublaient d'adresse pour piéger leur adversaire sans qu'une issue ne se dessine. Le début de la lutte montrait pourtant un net avantage du côté de Neferlme mais Ahelys avec rattrapé son retard, bien trop vite d'ailleurs. Car ses mouvements avaient gagné en puissance et en finesse. Comme si en quelques minutes, sa technique s'était affirmée, élevée à celle de l'Empereur.

Le front fier du dirigeant se couvrait maintenant d'un mince filet de sueur, mince mais réel. Un œil attentif remarquait déjà les signes de fatigue du jeune homme tandis que la résistante semblait rayonner, comme un astre de plus en plus brillant.

Ahelys avait senti la faiblesse croissante de son ennemi, et elle s'en délectait. Elle pouvait même clore ce combat, là, à cet instant. La jeune femme s'éloigna à quelques mètres de l'Empereur et baissa ses épées tandis que son regard se fixait sur un point dans le vague, derrière son adversaire.  Des murmures étonnés parcoururent l'assistance, voulait-elle déclarer forfait ? Était-elle trop faible pour continuer ?

L'Empereur n'était pas dupe. Pris d'une prémonition subite, il frissonna et se jeta sur le côté. Il se redressa avec une grimace et tous les spectateurs poussèrent un cri de surprise : une lame était fichée dans l'épaule du monarque, comme apparue par magie. Le couteau aurait dû atteindre son cœur. Il jeta un regard acéré vers Ahelys puis retira le poignard d'un geste et le jeta dans le sable. Déjà, le sang gouttait de sa blessure et rejoignait le sable.

Ploc.Ploc.Ploc.

L'assistance s'était figée, tous les yeux rivés sur le sourire cruel d'Ahelys immense sur l'écran. Elle jeta un œil sur le public, apprécia les traits tétanisés de peur des plus proches des spectateurs. La jeune femme avança d'un pas et tous eurent un mouvement de recul, sauf Neferlme.

L'Empereur plaquait une main sur sa blessure et fixa les mains de son adversaire avec une lueur de curiosité.

—   Tu m'expliqueras ce petit tour quand j'aurai gagné. Mais ce combat n'est pas terminé il me semble, s'écria le monarque.

Il ne prêta alors plus attention à sa plaie, changea son arme de main et partit à l'attaque. Ahelys sous-estima la vitesse de l'adversaire et se courba en arrière avec précipitation pour éviter la pointe. Elle se redressa et répliqua.

Son ennemi ne lui laissait plus aucun répit, il l'assaillait de part en part et cette situation commençait à agacer la jeune femme. Elle ne pourrait pas réitérer son exploit sans un minimum de concentration ! Mais Ahelys ne savait même pas si elle aurait fait mouche : l'Empereur semblait doté d'un sixième sens qui lui avait fait éviter la lame. Puis la résistante ne voulait pas se l'avouer, mais cette attaque avait puisé dans son énergie vitale et elle en était ressortie plus faible.

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