Chapitre 41- Arène
Le lendemain matin aux aurores, les portes de la ville s'ouvrirent sur un résistant qui sous le couvert de la bannière de paix tendue, traversa la plaine vide devant le camp de l'armée. D'une tour de guet, Ahelys observa avec appréhension le passage du messager jusqu'à ce qu'il s'arrête devant des soldats en poste. Elle ne put qu'apercevoir de vagues gestes avant que l'un des deux gardes se dirige vers une gigantesque tente aux couleurs de l'Empereur, suivi du rebelle. Ils disparurent tout deux de son champ de vision et la jeune femme poussa un soupir soulagé, désormais, elle ne pouvait que patienter.
Elle dévala les marches du chemin de garde puis ses pas la menèrent au jardin intérieur aux colonnes de pierre. Ils n'avaient pas besoin d'elle en réunion, ils réceptionnaient le passage constant des messagers et ordonnaient des manœuvres dans les autres villes qui croulaient sous la guerre civile. Ahelys leur faisait confiance pour assurer ce travail et elle ne supportait plus de rester enfermée. A chaque fois qu'elle recevait les demandes de renfort des Vengeurs, elle mourrait d'envie de claquer la porte et de les rejoindre pour combattre. Son sang battait toujours à ses veines dans ces moments là et l'adrénaline attendue par son corps la déconnectait des discussions.
Sa main effleura la pierre lisse d'une des colonnes puis l'herbe violette couverte de la perlée de l'aube. La jeune femme s'assit contre le tronc d'un arbre, les mains derrière la nuque et apprécia le contact rugueux de l'écorce contre sa peau. Elle ferma les yeux et laissa ses pensées voguer au son du chant des oiseaux et du glougloutement discret de la fontaine. Une douce quiétude l'avait envahie dans ce petit coin de nature au milieu du bâtiment. Ahelys avait la sensation de se trouver dans une bulle coupée du monde dans laquelle elle aurait pu rester des heures, assise contre ce tronc. Elle n'avait pas oublié tous les problèmes auxquels elle devait faire face, elle les avait juste déposés pour un temps. Un pan de son esprit était toujours mort d'inquiétude pour Adrien et Nicolas, elle ne pouvait s'empêcher de les voir agonisants, à croupir dans une prison obscure. Mais Ahelys les imaginait surtout l'attendre, attendre qu'elle arrive enfin les sauver. Ils avaient tant de fois placé une totale confiance en elle, la jeune femme ne les abandonnerait pas maintenant.
Des bruits de pas la tirèrent de sa somnolence et curieuse, elle souleva une paupière. La lumière de Sylla projetait un halo de lumière autour d'Hermais, les mains enfoncées dans les poches, la mine énigmatique.
— Tu vas rester à te morfondre là au lieu de t'entraîner ? Tu baisses dans mon estime, se moqua-t-il.
— Mais je ne sais même pas si Neferlme va accepter, protesta l'intéressée.
Mais touchée par les paroles de son ami, elle se leva et lui donna un coup d'épaule.
— Tu vas me servir d'adversaire, pour la peine, rétorqua-t-elle.
— Je n'attendais que ça !
Comme pour répondre à cet enthousiasme, un nuage serpenta dans le ciel et cacha pendant plusieurs secondes Sylla. Le visage d'Hermais était désormais bien plus grave : ils saisissaient tous les deux les enjeux du combat qui allait se jouer. Le jeune homme tendit la main à Ahelys et elle saisit son avant bras pour se relever.
Après quelques demandes dans les couloirs, ils n'eurent aucun mal à trouver une salle d'entraînement, située dans une aile particulière du palais. Le combat avait toujours occupé une part importante de la culture de la ville et tous les lieux d'exercice étaient décorés de gravures de scènes de lutte.
Celle-ci n'échappait pas à la règle: deux adversaires se faisaient face sur une fresque énorme sur le front d'un bâtiment aux allures de temple romain aux imposantes colonnes. L'édifice n'était pas si grand mais il dégageait la puissance dont se vantaient tant les Naefiliens. Ahelys détourna le regard des gravures et suivit son ami dans la salle unique entièrement recouverte de tatami.
Ils passèrent plusieurs minutes à s'échauffer puis passèrent au combat. La jeune femme tendit une épée de bois à Hermais et en téléporta une autre pour elle. Le résistante testa la maniabilité de l'armé et haussa un sourcil face aux deux épées d'Ahelys.
— Tu es sûre de ton choix ? je ne t'ai jamais vu te battre avec deux épées.
Elle baissa les yeux mais répliqua :
— J'utilisais cette technique dans mes combats en arène, mais j'ai arrêté jusqu'à aujourd'hui. Je ne la réserve qu'à une personne en particulier.
— Mais comment veux-tu t'en sortir si tu n'as pas pratiqué depuis des années ? objecta-t-il.
— Tais-toi et combats ! lança-t-elle d'un ton vif.
Hermais bloqua de justesse et le claquement du bois contre bois résonna violemment dans la pièce. Il se recula, une expression de surprise sur le visage mais il reprit contenance et se mit sur ses gardes, les yeux rivés sur son adversaire.
Leur entraînement dura deux petites heures entrecoupées de pauses au bout desquelles Hermais s'écroula de fatigue sur le tatami. La chaleur de cette fin de matinée lui revenait en pleine figure et il n'osait pas imaginer l'odeur qu'il devait dégager.
L'atmosphère s'était alourdie, nuages de pluie s'amoncelaient au dessus de la ville. Des gouttes s'écrasèrent contre les larges baies vitrées et l'averse prit soudain de l'intensité.
Le jeune homme soupira, il devait bien avouer qu'elle était bien plus féroce avec ses deux épées, autant utilisées en défense qu'en attaque. Mais il avait déjà remarqué le don remarquable d'Ahelys pour le combat, presque anormal.
Il reçut avec adresse la bouteille d'eau lancée par la résistante et but la moitié du contenu pour se renverser le reste sur les cheveux. Un éclat de rire lui fit tourner la tête et les mèches dégoulinantes d'eau l'aveuglèrent. Il rejeta avec agacement ses cheveux en arrière et toisa la jeune femme adossée au mur, sa bouteille à peine entamée en main.
— Il faudra un démon devant toi pour que tu puisses perdre, s'exclama-t-il presque de mauvaise foi.
— Il ne faut rien exagérer, s'amusa-t-elle.
Pensive, elle se frotta la nuque et Hermais devinait qu'elle pensait à son frère et à son ami. Il se releva et l'attira à lui pour l'éloigner de ces réflexions néfastes. Sa main se perdit un instant dans la chevelure courte de la jeune femme et sa bouche fondit sur la sienne.
Ils se séparèrent à regret quand ils entendirent un claquement de porte. Quelques secondes plus tard, une jeune fille s'immobilisa devant eux, dégoulinante d'eau et déballa son message à toute allure :
— Neferlme a accepté la proposition, la rencontre se déroulera dans deux jours, avec le champions qu'il voudra, dans l'arène comme il a été convenu.
Aussitôt dit, elle tourna les talons vers la salle de réunion, du moins Ahelys le supposait. La résistante topa la main ouverte de son ami et lui sourit. Un sujet de moins dans ma liste d'inquiétude, pensa-t-elle avec amertume.
— Je vais t'envoyer les meilleurs combattants de corps à corps dès cet après midi. Attends-toi à un marathon, je te jure que ton combat dans l'arène ne sera rien comparé à ce qui t'attends ! lança son ami.
Il avait saisi dans le même temps la bouteille d'eau de son amie et lui fit un clin d'œil pour seule réponse à ses protestations.
— Mais on vient à peine de terminer cet entraînement ! s'exclama-t-elle.
— Tu n'as pas l'air si fatiguée, répliqua-t-il avec un sourire vengeur.
La jeune femme leva les mains en signe d'abandon mais profita d'un instant d'inattention pour reprendre sa gourde et jeter son contenu sur le visage d'Hermais. Elle éclata de rire face à la mine déconfite de son ami et le repoussa quand il tenta de la mettre à terre. Ces moments de détente avaient été rares au cours de ces derniers mois où ils s'étaient tués à la tache pour acquérir plus de pouvoir et d'influence sur le continent.
Ils s'affalèrent finalement sur le tatami, à bout de souffle mais Hermais se releva bien vite pour prévenir ses fameux guerriers. Ahelys resta allongée sur le dos, les bras et les jambes écartés, le regard rivé sur le plafond en forme de dôme. Elle sentait qu'elle était au bout de son chemin, que son combat dans l'arène allait être le point final de son destin. Cette bataille signerait sa victoire, ou sa mort.
Elle ne pourrait pas assister au sauvetage de Nicolas et d'Adrien et cette idée l'agaçait. La jeune femme aurait voulu être aux deux endroits à la fois, secourir ses amis et accomplir sa vengeance. Car elle savait que le goût de sa victoire serait insipide sans son frère et son ami d'enfance à ses côtés. Ses pensées dérivèrent vers Sealvey, elle ne savait pas ce qu'il était devenu mais elle imaginait qu'il avait du avoir un traitement de faveur du à son rang. Ils ne le trouveraient pas dans les prisons, elle en était certaine mais son sort l'intéressait malgré elle. Il avait été un temps son ami, puis son ennemi et elle ne savait plus comment elle le considérait. Ahelys se promit de s'intéresser à son cas quand elle aurait tué Neferlme, peut-être ferait-elle preuve de miséricorde. Non, au fond, elle ne pourrait jamais faire exécuter Sealvey, elle le savait. Son cœur était encore trop tendre pour tuer ce Naefilien aux intentions louables qui avait toujours aspiré à l'égalité des deux peuples. Il a juste pris le mauvais chemin, songea-t-elle avec nostalgie.
Avec un soupir, elle se releva et profita de la pluie pour se rafraichir. La résistante n'aurait pas d'autres instants de solitude durant les prochains jours et semaines si elle réussissait, elle le savait bien.
Comme elle l'avait prévu, l'après midi et le lendemain furent éreintants. Ses adversaires, tous puissants mais Hermais l'avait prévenue. Elle avait affronté des experts d'armes de toutes sortes : elle ne savait pas à quoi s'attendre de la part de l'Empereur. Elle connaissait bien quelques noms de combattants dans l'armée, proche de Neferlme mais son esprit était si retors qu'un illustre inconnu pouvait bien se présenter dans l'arène le moment venu.
La jeune femme put profiter d'une nuit de sommeil avant l'affrontement. Elle resta là quelques minutes au réveil, à fixer le vide, les grains de poussière illuminés par le soleil. Nous ne sommes au final que des grains de poussière dans l'Univers, pensa-t-elle avec amertume.
Mais Ahelys continuait de laisser ses yeux conquis par le mouvement de ces mêmes grains de poussière devant elle. Son esprit était envahi par cette idée que sa vie n'avait aucune espèce d'importance et que le fleuve du destin ne se troublerait par à son passage.
Elle secoua la tête et se redressa. Sa main effleura les cheveux d'Hermais endormi à ses côtés qui ne partirait que dans plusieurs heures et elle s'habilla sans bruit. Ahelys hésita un instant avant de téléporter la vieille épée de Djiy dans ses mains. La lame rouillée et froide sur sa peau, elle n'en tenait pas compte.
— J'y suis. Aujourd'hui, je pourrai tenir cette promesse, prononça-t-elle dans un murmure.
Aussitôt, un regain de détermination l'envahit et elle fit disparaître le souvenir d'un geste. Après son combat, elle pourrait enfin jeter cet encombrant objet de sa conscience, le laisser là où il aurait dû reposer depuis le début.
Quelques minutes plus tard, elle traversait les couloirs pour rejoindre la piste d'atterrissage où l'attendait son équipe. Les marches de l'aéronef sautées, elle offrit un sourire confiant aux rebelles victimes d'une agitation fébrile depuis qu'ils avaient été choisis pour cette mission si importante.
Le vaisseau ne tarda pas à décoller et Ahelys se cala dans son fauteuil, l'inquiétude terrée au fond de son être, bien à l'abri des regards récurrents de son équipe. Seule une petite heure de vol était nécessaire à l'appareil de pointe pour accéder à la capitale, à son grand soulagement. Mais la jeune femme ne pouvait s'empêcher de jeter des coups d'œil rapides à travers les hublots, à craindre l'apparition soudaine d'avions de chasse.
Pourtant le voyage se déroula sans encombres jusqu'aux portes de la capitale, sur un versant de la faille des Dragons. Draconian, agencée par étage se démarquait par le palais de l'Empereur à son sommet et l'arène, située au sommet d'une longue tour en verre au plafond constituée de quatre énormes pétales rétractables. Aujourd'hui, elles étaient repliées sur les flancs mais Ahelys songeaient qu'elles se refermeraient bientôt sur elle au vu des énormes nuages de pluie qui s'amoncelaient.
Observer cette plaie béante du ciel était bien plus impressionnant que du sol, Ahelys avait la sensation que le néant habitait le gouffre noir et insondable de la fissure. Elle détourna son visage quand l'aéronef baissa d'altitude pour atterrir, elle ne supportait pas cette vision de ce trou qui traversait la plaine, elle lui provoquait un intense sentiment de malaise comme si les dragons des temps anciens pouvaient sortir de l'ombre à tout moment et l'engloutir en une poignée de seconde.
Une délégation de soldats attendait leur venue à la porte Est de Draconian, accompagnée de plusieurs voitures. Leur nombre n'était pas une menace en soi, car ils avaient les mêmes effectifs des deux côtés. Mais ils savaient que si une rixe éclatait, la plaine se transformerait en boucherie, alors une ambiance tendue planait. Les soldats, les traits tendus leur indiquèrent d'un geste de monter, tandis que leur main se posait par reflexe sur leur arme de service. Les résistants, dans la même posture défensive s'exécutèrent et Ahelys s'installa à regret dans une voiture, les yeux avides rivés sur les nuques nues des soldats.
Une dizaine de minutes suffit à les emmener au cœur de la ville désert, éloigné des bas-fonds où les rues foisonnaient d'esclaves. Tous les citoyens avaient été conviés au spectacle, les Enfants de Noé relégués dans leurs quartiers où des écrans géants retransmettraient en direct le combat.
La voiture s'arrêta. Ahelys ouvrit la portière d'un geste et posa un pied sur le sol de marbre. Elle se leva avec le visage fermé et la posture de la combattante. Ils rejoignirent l'ascenseur où la structure de verre offrait une vue imprenable sur la capitale tandis que la cage montait.
Alors la dernière attente commença. La jeune femme ferma les yeux. Dixième étage. Elle ignora les corps crispés à ses côtés et les effluves de la peur et de l'anxiété. Trentième étage. Elle sentit son corps s'élever tandis que la paix s'installait dans son bras auparavant si impatient. Soixante dixième étages. Ahelys inspira et toutes ses cellules se remplirent d'air, comme si elle avait ses épées dans les mains, qu'elle était là dans le sable de l'arène, son adversaire en face d'elle, les cris des spectateurs comme un fond sonore.
Centième étage.
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