Chapitre 40- Appel
Les heures passaient à une vitesse effrayante dans la pièce de réunion et pourtant Ahelys avait la sensation que la stratégie n'était encore qu'une ébauche. La jeune femme était tellement concentrée sur les hologrammes des plans de la prison qu'elle n'avait pas remarqué le messager juste à côté d'elle. Un raclement de gorge lui fit tourner le regard vers le garçon, le même qui l'avait prévenue de la capture de son frère et de son ami. Elle lui offrit un sourire pour l'inviter à parler et il se pencha pour lui murmurer à l'oreille :
— Le centre de communication vous demande, une liaison depuis le pays de l'Etoile.
Le sourire se transforma en rictus et elle congédia le messager d'un geste tandis qu'elle se levait de son siège. Le monde tourna autour d'elle et la jeune femme appuya sa main sur la table, étourdie : le résultat de nombreuses heures passées assise sans avoir rien mangé depuis la veille.
Ahelys quitta la pièce et la chaleur étouffante du milieu de l'après midi l'étreignit aussitôt. La jeune femme n'écouta pas les grognements de son ventre et fila dans les couloirs externes vers le centre des communications dans l'aile droite du palais, à l'autre bout de sa position, accompagnée de crissements d'insectes. La liaison ne pouvait venir que de Zaera, elle en était sûre. Pourquoi l'appeler après tout ce temps ? Elle souhaitait peut-être une alliance. La cheffe ricana à cette pensée, si c'était le cas, elle se délecterait bien de la frustration de la commandante avant de refuser : elle avait des comptes à régler avec elle.
Sur le chemin, elle croisa le jardin intérieur découvert le matin même et elle songea un instant à s'y abandonner quelques minutes, tout pour rester encore quelques minutes dehors, loin de la lumière artificielle et des hologrammes.
Mais la jeune femme détourna le regard et traversa le deuxième étage. Elle monta ensuite une volée de marches dans la tour et les fenêtres de l'escalier en colimaçon attirèrent son regard vers les hautes murailles derrière lesquels se trouvait l'armée de Neferlme. Les dernières marches avalées, elle se retrouva dans une petite pièce où le toit en verre transparent dévoilait un ciel couvert et elle se planta devant une femme à un bureau, un casque vissé sur les oreilles qui griffonnaient des informations. Quand elle l'aperçut, elle s'empressa de retirer son casque et lui balbutia la bienvenue tandis que son doigt pointait une autre pièce dont la porte était entrouverte. Ahelys s'y engagea, referma la porte avec soin pour se tourner vers un téléphone à hologramme qu'elle activa sans attendre. Elle s'installa sans hâte dans le fauteuil disposé devant l'appareil et croisa les jambes.
Aussitôt, l'image grandeur nature de Zaera s'afficha et la cheffe des Vengeurs eut un sourire suffisant quand elle aperçut le tourment sur le visage de sa rivale qui se tordait les mains d'angoisse.
— Parle, je n'ai pas de temps à perdre avec une Naefilienne, ordonna Ahelys.
La commandante reprit contenance, comme si les secondes précédentes n'avaient jamais eu lieu.
— Je n'ai pas de temps à perdre, moi aussi. J'entreprends un sauvetage des membres de la Libération et je...
— Tu veux mes hommes ? Je ne crois pas que tu sois en position de négocier, et puis je n'ai aucun intérêt à t'aider, la coupa la résistante avec une moue méprisante.
La bouche de la Naefilienne laissa échapper un rictus nerveux tandis que sa rivale savourait ce retournement de situation, dont elle avait rêvé depuis son passage au Pays de l'Etoile. Elle voyait bien son désespoir et comptait bien en tirer profit avec ce bluff dont Zaera ne soupçonnait même pas l'existence, aveuglée par sa faiblesse.
— Mais, tu as ton frère adoptif et ton ami dans les membres capturés, tu les laisserais mourir ? la questionna la commandante d'un ton presque hésitant.
La jeune femme haussa les épaules d'un geste désinvolte et répliqua :
— Je ne vais pas gâcher mes effectifs pour une libération inutile. Si c'est tout ce que tu as à me dire, je vais clore cette conversation...
Ahelys avança sa main vers le bouton, certaine que la commandante la supplierait de l'écouter. Le cri de sa rivale lui donna raison et elle recula le bras, attentive aux paroles coincées dans la gorge de la Naefilienne.
— Je t'en supplie, le pays de l'Etoile m'a retiré tous mes soldats quand ils ont appris la nouvelle. Je ne peux compter que sur toi pour les sauver.
Ses yeux se baissèrent quand elle prononça ces paroles, la cheffe des Vengeurs devinait la rage brûler dans ses yeux et la honte de la défaite. Cette émotion, elle l'avait connue quand elle se trouvait juste devant elle, un an plus tôt. La jeune femme se pencha en avant et susurra :
— Pourquoi veux-tu les sauver ? Sois franche ou je raccroche de suite.
— J'aime Fryd, la Générale de l'espionnage. Je ne peux pas la laisser entre leurs mains, lâcha-t-elle.
Les sourcils de la résistante se froncèrent de surprise mais elle ne décelait aucun mensonge dans ses yeux. Pourtant il était si rare de croiser des Naefiliens qui avouaient aimer un Enfant de Noé, même affranchi. Le mariage entre les deux peuples était interdit et leurs enfants considérés comme des monstres, elle ne le savait que trop bien. Elle choisit de la croire malgré son étonnement et continua :
— Que me donnes-tu en échange si je la délivre ?
La commandante n'hésita pas avant de répondre.
— Tu auras le contrôle de la Libération et je t'offre mes services.
Cette détermination ébranla la jeune femme. Sa rivale échangeait sa liberté contre une vulgaire esclave ? Elle ne pouvait plus douter de son amour pour la générale quand elle voyait cette décision. Et après tout, ce n'était que rendre justice après qu'elle l'ait menacée de mort si elle ne se soumettait pas. Mais elle se pencha en avant et rétorqua :
— Comme puis-je m'assurer que tu tiendras parole ?
— Tu ne peux pas, mais je sais que ta fierté ne peut pas refuser cette proposition.
Les lèvres de Zaera s'étirèrent dans un sourire triste, presque sarcastique. Les deux femmes se ressemblaient dans leur manière de penser, bien plus qu'elles n'auraient pu l'admettre. Elle connaissait la soif de vengeance de la résistante, cet orgueil à peine voilé. Dans d'autres situations, elles auraient pu évoluer autrement mais aujourd'hui, elles n'avaient pas d'autre choix que suivre cette voie remplie d'ennemis et de sang.
— C'est vrai, concéda Ahelys. J'accepte, je les sauverai. Mes stratèges sont déjà en train de concevoir un plan.
La jeune femme apprécia le visage de sa rivale se décomposer sous la révélation de s'être fait manipuler. Mais elle n'eut pas le temps de réagir, la résistante avait clos la conversation d'un geste de la main. Elle resta une dizaine de secondes affalée sur le fauteuil dans la pièce sans lumière, perdue dans ses pensées.
Ahelys sauta finalement sur ses pieds et revint dans la salle de réunion. Elle s'amusa à lancer de main en main une pomme récupérée sur le chemin du retour. Mais elle n'avait plus d'appétit, le regard vague, elle effectuait le geste sans y penser. La confession de Zaera s'était imprimée dans son esprit et avait fait remonter de vieux souvenirs d'enfance. Une bile acide remonta dans sa gorge à la pensée de la maison de campagne aux hautes herbes et au visage maternel aux contours floutés tandis que seules les lèvres étaient précises : elle prononçait son nom. Son père l'avait décrite tant de fois mais elle n'avait jamais pu se remémorer son physique, elle se rappelait juste de sa voix, douce et chaude. Sa mère avait payé pour son amour, son père en avait réchappé par quelque miracle. Elle l'avait toujours condamné de s'en être sorti et de l'avoir ignorée toutes ces années, pendant un temps même elle l'avait accusé de la mort de sa femme.
Mais Ahelys lui avait pardonné, depuis. A moins qu'il ne soit toujours vivant, dans un coin reculé de la planète ou alors dans un autre système, à attendre son moment de gloire. Mais pour la jeune femme, il était mort et enterré, elle n'avait jamais mis en doute la parole d'Haylmer ;
Avec un soupir, la résistante arrêta son manège avec le fruit et le croqua à pleine dents tandis qu'elle rentrait dans la pièce, sous le regard attentif d'Hermais qui avait remarqué son absence.
Elle rattrapa sans peine son retard dans le débat. Ils allaient accélérer la guerre civile dans la capitale jusque-là étouffée pour faire diversion tandis qu'un petit groupe se porterait au secours des résistants capturés dans la prison située en ville. Mais Ahelys s'interrogeait, elle se demandait si elle n'avait pas là une occasion d'atteindre l'Empereur. La guerre civile allait décroître rapidement après leur départ et il serait difficile de relancer une autre offensive avant plusieurs semaines tandis que les soldats de Neferlme campaient devant leurs portes. Bientôt, ils n'auraient plus aucune ressource et seraient obligés de se soumettre ou de s'attaquer à l'armée bien mieux armée. Leur contrôle n'était pas assez affermi sur les autres villes pour envoyer suffisamment de résistants à revers et ainsi battre les Naefiliens. Non, Ahelys le savait, sa chance se trouvait dans cette offensive et ce sauvetage mêlés.
— Le problème c'est que si tout dégénère, l'Empereur s'enfuira vers un autre endroit plus sûr, pointa Hermais.
— Pas si je lui lance un défi, répliqua la cheffe.
Ses stratèges lui jetèrent une œillade étonnée et elle leur expliqua :
— Si je défie l'Empereur dans l'arène de Draconian avec le champion qu'il veut, il ne refusera pas de jouer. Je propose ma soumission si je perds et si je gagne la libération des rebelles. Et au moment propice, je le tue.
Hermais soupira et réfléchit à voix haute :
— Tu as toujours des idées dangereuses ! Mais tu n'as pas tord, il pourrait accepter le défi. Mais seule tu es trop vulnérable, il faut que des résistants soient dans les gradins pour t'assister au « moment propice » comme tu le dis. Tous les Naefiliens de la capitale seront réunis dans l'arène, ce qui nous permettra de lancer la diversion.
— Mais c'est trop évident, s'étonna un lieutenant. Il s'apercevra que ce n'est qu'un prétexte pour libérer les rebelles capturés ! Et puis il pourrait bien accepter pour finalement ne pas respecter sa parole !
La jeune femme haussa les épaules et rétorqua :
— Il s'en fiche, il veut juste s'amuser. Je suis sûre qu'il prendra ce risque et qu'il me laissera atteindre saine et sauve l'arène. Je lui fais confiance sur ce point là.
D'abord sceptiques, ils se laissèrent convaincre par l'idée construite sur des hypothèses et se lancèrent sur les effectifs de chaque groupe. Ahelys étouffa un bâillement et lança un regard ennuyé vers Hermais qui lui répondit par un discret sourire. Il commençait à en avoir marre lui aussi à rester enfermé dans une salle à parler stratégie. Ils étaient des gens d'action, faits pour combattre, pas pour rester à se morfondre dans des fauteuils.
Mais malgré son lassitude, Ahelys se força à rester immobile et à écouter les conseils ou les demandes. Derrière les rideaux de la pièce, l'après midi touchait presque à sa fin et un vent léger repoussait les nuages vers le sud. Sylla ne se coucherait que de nombreuses heures plus tard, bien avant qu'ils ne quittent la salle, épuisés mais satisfaits. Leur plan était constitué, ne restait qu'à l'accomplir et la résistante se voyait déjà au centre de l'arène, les pieds dans le sable rouge tandis que ses yeux se fermaient et que son esprit s'envolait vers les rêves.
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