Chapitre 39- Conquête

            Des draps fins glissèrent sur son épaule nue et firent frissonner Ahelys qui enfouit son visage dans l'oreiller avant de se relever avec un soupir. La jeune femme observa quelques secondes les rayons de Sylla qui traversaient le rideau et illuminaient les grains de poussière en suspension dans l'air. Elle n'avait pu dormir que quelques heures durant les dernières semaines et ce repos était bienvenu, pourtant la jeune femme devait rejoindre ses stratèges et Hermais qui s'était éclipsé de la chambre sans la réveiller. Les questions urgentes telles que la nourriture et les tours de gardes avaient été réglés dès qu'ils avaient pris le contrôle de la ville forte mais ils devaient désormais revoir leur plan de défense avec l'armée de Neferlme qui patientait derrière leurs murs. Ils n'avaient pas tenté de pénétrer la ville mais la jeune femme se méfiait de l'Empereur et de son esprit retors. Elle regrettait de ne pas profiter de l'intelligence d'Adrien, qui était elle ne savait où, avec quel camp. Elle n'avait pas essayé de le joindre, la cheffe aurait ameuté tous les espions de Zaera. La résistante ignorait même s'il avait suivi la Commandante ou rejoint le continent mais le premier cas l'aurait étonné alors elle s'était persuadée que son ami et son frère étaient toujours dans la base, à œuvrer pour l'organisation qu'ils croyaient juste.

La jeune femme boutonna sa chemise et enfila ses bottes avant de se nouer une sommaire queue de cheval. Ses cheveux lui arrivaient aux seins et jusqu'à présent elle ne s'était pas souciée de la longueur, investie dans sa tache. Mais elle n'avait jamais aimé les cheveux longs, ils lui bloquaient la vue quand elle se battait. Ahelys fit alors apparaître un poignard et les trancha au niveau de la nuque, sans même regarder le résultat dans un miroir et les ébouriffa d'une main pour retirer les mèches collées. Elle enjamba la masse rousse au sol et quitta la chambre qu'elle avait investie à peine cinq jours, après la prise de Neiky. Ses lieutenants avaient voulu qu'elle occupe l'immense suite du noble qui logeait auparavant dans le palais de la ville mais elle avait refusé et choisie la première chambre croisée: une pièce sobre mis à part les rideaux pourpres qui cachaient la baie vitrée.

Quand elle rencontrait des rebelles dans les couloirs, elle les saluait d'un signe de tête et passait son chemin, pressée de rejoindre la pièce de réunion. La jeune femme monta une volée de marches et retrouva d'un coup d'œil la lourde porte de bois noir sculpté du système Syllaire. Elle admira un instant les détails de l'astre et des planètes puis poussa le battant et se retrouva dans une salle aux murs et au plafond étoilé. Ses lieutenants la saluèrent d'une œillade surprise vers sa nouvelle coupe tandis que la main d'Hermais s'attarda sur la nuque de la jeune femme pour l'attirer à lui et l'embrasser. Ahelys retira ses lèvres des siennes puis se joignit à la discussion. Elle observa l'hologramme en trois dimensions de Neiky ainsi que ses environs, un point de vue qui changeait bien de la dernière vision de la ville qu'elle avait eu lors de son retour sur Urissa. La jeune femme eut une pensée à la cicatrice de Nicolas et espéra que les soldats de Neferlme avaient subi les mêmes dégâts même si elle ne se faisait pas trop d'illusions dessus.

— Vous avez sécurisé les souterrains qui traversent la ville ? demanda-t-elle, les yeux rivés sur les fondations de la cité.

— Oui, j'ai déjà chargé une unité de sa surveillance, répondit son ami.

La jeune femme lui sourit et reporta son attention sur l'hologramme, qu'elle fit tourner d'un geste de la main sans déranger les stratèges qui débattaient sur le nombre d'espions à envoyer dans les lignes ennemies. La résistante fronça alors les sourcils, un détail inconnu avait attiré son regard, et elle écarta ses doigts pour agrandir l'image. Le fleuve Natily se séparait en deux bras juste avant la ville et si l'un d'eux le contournait, l'autre traversait la cité entière et était relié à l'actuel système d'égouts, du côté de la forêt Nerelfort. D'une parole, la jeune femme attira l'attention de ses lieutenants sur l'hologramme et la mine ébahie d'Alma lui inspira de mauvais pressentiments. Ahelys poussa un juron et aboya des ordres pour ratisser les égouts et le fleuve tandis qu'elle ordonna de traquer d'éventuels espions dans la ville conquise et de renforcer la sécurité.

Elle était inquiète, surtout du côté des prisons qui contenaient beaucoup de pensionnaires, un véritable enfer si les locataires venaient à être délivrés. Le spectacle de têtes tranchées de nobliaux et de soldats sur la place de la ville avait contenté la soif de sang et de vengeance des citoyens hantés par la vision de la fillette innocente assassinée. Mais elle n'avait pas eu le loisir de tuer tous les Naefiliens et les survivants moisissaient en prison en attendant de trouver une meilleure alternative : elle aurait tout le temps de songer au sort de ces monstres après la mort de l'Empereur.

Les coudes appuyés contre la table, la cheffe poussa un soupir et reprit le cours de la conversation : elle devait faire confiance à Alma qui lui ferait son rapport dès que possible. Ce n'était plus à elle d'exécuter les missions même si son corps privé de combat le lui réclamait souvent, la jeune femme devait diriger ses troupes. Elle se souvint avec nostalgie de l'époque où elle avait encore le temps de faire des entraînements avec Hermais, sur le tatami. Ahelys secoua la tête et apprécia du même coup la sensation de ses cheveux courts sur sa nuque tandis qu'elle acquiesçait sur une proposition d'un de ses stratèges.

Les heures dans la grande salle aux arches et aux poutres de bois se succédèrent, des messagers passaient souvent en rafale dans la pièce pour les tenir au courant des avancées : la ville d'Oslandia était presque anéantie par la guerre civile, la famille noble s'était calfeutrée dans ses appartements et abattait tous ceux qui tentaient de pénétrer dans leur enceinte végétale. S'ils ne réagissaient pas vite, ces satanés membres de la Maison Sylvestre allaient reconquérir la ville verte avec leurs pouvoirs, mais la prise de Neiky leur avait coûté beaucoup d'hommes en dépit du soulèvement des civils. La résistante se résolut d'y envoyer des troupes même si elle affaiblissait leur défense. L'humeur déjà maussade par cette nouvelle, elle devint massacrante quand Alma réapparut dans la salle de réunion, le visage sombre pour annoncer que des traces d'infiltration avaient été repérées à l'entrée des égouts : des espions se baladaient en liberté dans sa ville.

Mais les jours suivants furent riches en bonne nouvelles : d'une part les renforts envoyés à Oslandia avaient pesé dans la balance, la zone était désormais sous leur contrôle avec la ville de Lois, moins importante qu'Oslandia mais plus proche de la capitale. Ils avaient aussi réussir à éradiquer les derniers bastions de soldats à Elyorum, une cité balnéaire. Mais dans l'enceinte de Neiky, les infiltrés n'avaient toujours pas été retrouvés malgré les recherches intensives et les celliers remplis de nourriture avaient été retrouvés empoisonnés. Ils avaient instauré des rations pourtant il fallait se rendre à l'évidence : ils allaient devoir sortir de leur forteresse et combattre l'armée de Neferlme bien supérieure en nombre et en armement. Ahelys ne comprenait pas pourquoi il les avait placés là, sous son nez tandis que ses villes se faisaient prendre les unes après les autres.

Il veut me narguer songea-t-elle avec agacement tandis qu'elle se retournait dans son lit, Hermais endormi à ses côtés. Elle n'arrivait pas à se rendormir, avec toutes ses pensées qui tournoyaient dans sa tête. La jeune femme se leva et enfila quelques habits dans l'intention de sortir du palais se rafraichir un peu et se changer les idées. La dernière fois qu'elle avait mis le nez dehors, c'était lors la prise de Neiky, elle avait passé le reste de son temps dans des réunions sans pouvoir bouger.

Elle referma la porte avec douceur et se promena dans les couloirs vides : le jour venait à peine de se lever et quelques messagers trottaient dans le palais, toquaient à une porte et disparaissaient. La veille, la jeune femme avait ordonné à ses lieutenants de prendre une nuit complète de repos quand elle avait surpris l'un d'eux à s'endormir lors des réunions malgré les doses élevées d'énergisants. Ils avaient protesté mais Ahelys avait répliqué que l'armée attendait là depuis longtemps, ils patienteraient bien une nuit de plus avant d'attaquer. Puis ils ne serviraient à rien dans cet état.

Toujours dans les corridors du rez-de-chaussée, le bruit d'une fontaine la guida jusqu'à un jardin intérieur au milieu du bâtiment, entourés d'un passage et de colonnes de pierre. Elle s'assit dans l'herbe et apprécia la fraîcheur d'un début de journée d'été, apaisée par l'écoulement de l'eau.

Une dizaine de minutes plus tard, le bruit d'une course et d'une respiration saccadée lui fit ouvrir les yeux et elle se tourna vers le jeune garçon qui s'était stoppé devant elle, penché en avant pour récupérer son souffle.

— J'ai une nouvelle urgente, Hermais est déjà au courant et m'a demandé de vous chercher. L'empereur a capturé des membres de la Libération, leur base a été complètement anéantie, un message vient de passer à la radio ! Il menace de tuer des dénommés Nicolas et Adrien ainsi que des Généraux dans trois jours si ne nous soumettons pas.

Ahelys insulta Neferlme et se leva avec précipitation.

— Préviens tous les lieutenants et dis leur de me rejoindre dans la salle de réunion !

Le messager hocha la tête et repartit tout aussi vite qu'il était arrivé tandis que la jeune femme se dirigeait d'un pas vif vers l'étage. Elle regrettait maintenant ce qu'elle avait ordonné au garçon : elle ne pouvait pas demander à ses troupes de foncer à l'attaque sous prétexte que des personnes capturées étaient ses amis. L'empereur jouait sur ses émotions pour la faire flancher. Mais que pouvait-elle faire d'autre, elle ne pouvait pas les abandonner à leur sort ! La résistante imaginait déjà les regards lourds de reproche de ses lieutenants face à sa demande : libérer des membres de la Libération ne présentait aucun avantage pour eux !

Avec un rictus, elle poussa la porte de la pièce étoilée et aperçut Hermais, déjà assis sur un siège, le visage grave. Quand il l'aperçut, il sauta sur ses pieds et lui prit les mains avec un sourire rassurant.

— On va trouver une solution, fais-moi confiance d'accord ? On va les aider, il faut juste les convaincre du bien fondé de cette stratégie.

Pensive, elle hocha la tête et se posa dans un fauteuil. L'angoisse première de les perdre avait reflué même si elle était toujours inquiète. Elle rêvait de se pointer à la capitale et de délivrer seule ses amis, mais impossible, elle avait des responsabilités et cela aurait été une folie d'y aller en solitaire. La jeune femme chassa ses pensées parasites et se concentra sur des arguments qui lui vinrent en peu de temps : ne pas voler au secours de la Libération allait leur attirer le courroux des Enfants de Noé sans compter les avantages stratégiques des membres récupérés pour les Vengeurs. Elle se doutait que Zaera ne réagirait pas pour sauver l'organisation qu'elle dirigeait, sans intérêt pour elle avec ses nouveaux soldats.

La main passée sur le visage, Ahelys soupira. Il n'y aurait aucun souci à convaincre ses lieutenants, elle s'était inquiétée pour rien, mieux valait réfléchir à une stratégie avant qu'ils n'arrivent.

Quelques secondes plus tard, les battants de la porte claquèrent et Alma débarqua en trombe dans la salle suivie d'onze autres résistants et ils prirent une place, silencieux. A sa grande surprise, elle ne vit aucun regard de reproche ou de pitié, elle n'y voyait que de la confiance. Elle balaya du regard l'assemblée, ils étaient tous présents.

— Comme vous le savez déjà, des membres de la Libération ont été capturés. Il est capital de les délivrer sans quoi le soutien de nos siens est perdu, nous ne pouvons laisser nos frères aux mains de l'Empereur, quoi qu'il en coûte. J'espère que vous avez profité de cette nuit de sommeil car je veux que l'on mette un plan au point dans deux jours.

Des sourires fleurirent sur les lèvres des stratèges et ils acquiescèrent. Ils étaient heureux de voir qu'ils étaient du même avis que leur cheffe malgré le risque qu'ils prenaient.

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