Chapitre 35- Elections




Une heure. Il restait seulement une heure avant le dépouillement. Depuis les repaires du continent entier, des centaines et des centaines de résistants avaient voté pour les Généraux qu'ils voulaient à leur tête. Ahelys n'en pouvait plus de cette attente, installée dans la salle commune des missions ou d'autres patientaient. A ses côtés, Hermais discutait avec des sympathisants dans des canapés et un éclat de rire lui fit tourner la tête. La jeune femme l'observa un instant : elle ne pouvait croire que son ami était aussi anxieux qu'elle. Sa voix, ses gestes, son sourire : tout respirait l'assurance, comme si leur victoire avait déjà été annoncée.  A cette pensée, le cœur d'Ahelys s'emballa et elle pianota du bout des doigts le cuir du fauteuil, dans un effort de concentration. Elle aurait voulu filer dans la salle d'entraînement pour se détendre mais Hermais le lui avait interdit. «  Question d'image » disait-il. La résistante le concevait bien, mais rester inactive dans ce vulgaire fauteuil à égrener les minutes restantes la rendait folle. Adrien et Nicolas n'étaient même pas là pour l'occasion, elle n'avait eu que de vagues réponses de leur part, et à vrai dire rien du tout de son frère. Son absence lui pesait, ses blagues lui manquaient. Le sourire qu'il arborait en toutes circonstances, cette allure de diablotin, elle aurait tant voulu qu'il soit là.

Mais il avait finalement trouvé sa voie, comme Adrien. Elle ne pouvait pas leur en vouloir, leurs routes s'éloignaient par leurs choix. La jeune femme soupira et se détacha avec peine de ses pensées  pour se concentrer sur la discussion que menait Hermais avec les autres résistants. Elle ne les connaissait pas, ils étaient des amis au résistant, des gens de confiance selon lui, qui pourraient les aider en toutes circonstances. D'ailleurs, leur nombre d'amis avait explosé à l'intérieur de la base, et celui de ses ennemis aussi.  Désormais, il n'existait que deux camps : le sien ou celui de l'actuel général de la stratégie. Dès son retour à la grande base, elle avait tout de suite ressenti cette ambiance électrique, ces échanges de regards, tantôt haineux ou alors emplis de respect. Autrefois une famille unie, la Libération était devenue une fratrie aux intérêts contraires : la paix ou la guerre. D'anciens amis devenus ennemis jurés qui se crachaient à la figure dans les couloirs était coutume courante maintenant. Ahelys détestait cette ambiance, comment pouvaient-ils espérer combattre le mal s'il s'était lui-même introduit dans leurs rangs ? Mais son désir de gagner ces élections était trop forte, tout le reste  relégué au fond de son esprit.

Non, vraiment elle n'arrivait pas à se concentrer sur la discussion à côté d'elle. Les mots lui paraissaient brouillés, incapables de franchir la barrière du compréhensible. Elle suivait des yeux le mouvement des lèvres des résistants, presque hypnotisée. La main d'Hermais sur son bras la ramena brusquement dans la réalité tandis que les rebelles la fixaient, anxieux.

—    Ahelys, tu vas bien ? tu es pâle, s'enquit son ami.

La jeune femme hocha la tête et tenta de se lever, les jambes soudain flageolantes. Elle se rattrapa au fauteuil et encaissa les regards troublés des rebelles.

—    Je passe aux toilettes, je reviens tout de suite,  précisa-t-elle dans un souffle.

Ses forces revenues, elle se dirigea à grands pas vers la porte, mais dès qu'elle se retrouva dans le couloir, elle s'appuya malgré elle contre le mur. Par chance, personne n'errait dans les couloirs à cette heure fatidique et elle put rejoindre les toilettes, la vision troublée. Les mains tremblantes, elle put à peine se passer de l'eau sur son visage avant de s'écrouler contre le mur. Bon sang, que lui arrivait-il ? La jeune femme sentait une panique s'accentuer à chaque seconde. Si elle avait pour origine son stress par rapport aux élections, sa peur partait maintenant dans tous les recoins de son cerveau, sans raison.

La respiration sifflante, Ahelys mit plusieurs minutes avant de pouvoir se calmer. Cette situation ne lui était jamais arrivée auparavant et cette émotion la laissait dans la consternation la plus totale. La résistante se leva et se passa une deuxième fois de l'eau sur son visage et en profita pour s'observer dans le petit miroir. Elle avait triste mine : ses cheveux autrefois flamboyants étaient ternes et des lourdes cernes ceignaient ses yeux. A vrai dire, elle ne dormait plus beaucoup, l'appréhension lui retournait tous les organes.

Avec un soupir, elle s'échappa des toilettes mais aussitôt la porte claquée, elle aurait souhaité y rester une minute de plus. Car juste devant elle se trouvait le Général de la Stratégie, tout aussi surpris qu'elle de la rencontrer dans le couloir. Le regard soudain orageux, l'homme s'aperçut de la faiblesse apparente de la jeune femme et son expression devint orgueilleuse.

D'une lenteur exagérée, il pointa deux doigts formés comme un pistolet  sur la tête d'Ahelys et d'un claquement de langue mima le coup de feu.

—    Tu es déjà morte, l'Expérience, fais-toi à l'idée.

Puis dans un éclat de rire noir, il passa son chemin. La résistante, immobile pendant quelques secondes eut un rictus et tourna elle aussi les talons vers la salle commune des Missions. Elle retrouva la pièce plus remplie : dans un coin de la pièce s'étalaient Sealvey et ses alliés qui semblaient chuchoter comme pour fomenter un complot dans leur dos. Sans les saluer, Ahelys rejoignit les siens et s'assit dans son fauteuil, pour reprendre l'attente.

Et tandis que les minutes s'égrenaient, la tension montait dans la grande salle devenue trop étouffante et trop petite, et bientôt tous les résistants se réunirent dans la salle de rassemblement. Pour l'occasion, un grand nombre de rebelles s'étaient déplacés vers cette base, mais des actions étaient toujours menées dans tout le continent, pour ne pas attirer l'attention des autorités. La branche chargée de la sécurité était bien occupée en ce moment, à traquer les éventuels espions et à assurer la sureté dans la base presque pleine.

Les informations allaient être retransmises sur un immense écran blanc monté pour l'évènement.

Oui, dans cinq minutes, elle aurait d'immenses pourcentages et des graphiques affichés. Obligée de les croire sur parole, évidemment, mais Ahelys ne pouvait pas faire grand-chose de plus pour l'instant. Elle guettait d'ailleurs du coin de l'œil les résistants dans la salle : si l'Empereur était bien informé par ses espions, il ne raterait pas cette occasion de capturer autant de membres importants. Non, à vrai dire, elle n'en savait rien. Ses mouvements étaient toujours imprévisibles, il était un véritable joueur d'échec, un virtuose du plateau.

Plus que deux minutes. Les murmures dans la salle s'intensifiaient, les rebelles bougeaient de chaises en chaises, l'agitation se transmettait comme un virus : tout le monde était contaminé par cette fièvre. Ahelys pianotait sur ses cuisses, fébrile, et à ses côtés, Hermais, toujours avec cette apparence si détendue. Pourtant la jeune femme voyait bien le pli de sa bouche et son léger froncement de sourcils. Il était inquiet, non sans raison. Aujourd'hui allait être la révélation de toutes leurs actions depuis ces derniers mois. L'Ascension ou la Chute.

L'attente se comptait maintenant en secondes. Et soudain, les voilà : Ces immenses barres de pourcentage et de graphique représentant les votes.

Ses yeux parcoururent  les lignes. Son cœur rata un battement.

Presque la moitié. 48,8%, Son regard resta bloqué sur ce chiffre. Elle ne sentit pas la main d'Hermais lui serrer l'épaule, ni ses propres ongles se crisper sur ses paumes presque au point d'en saigner. Non, elle restait fixée sur ce chiffre, ses yeux ne clignaient pas, les contours devenaient blanc et le chiffre noir n'en ressortait que plus moqueur.

Ahelys baissa finalement les yeux, les joues cuisantes de honte. Elle avait perdu. La jeune femme redressa vite la tête pour voir qui étaient les vainqueurs.

Sealvey était le nouveau Général des missions tandis que le Général de la stratégie restait sur son trône et les autres secteurs elle s'en fichait bien. La défaite était totale, inutile de se voiler la face. Mais elle le savait depuis le départ, que tout se jouerait entre son ancien ami et elle. Pourtant, il lui restait encore l'espoir que les Enfants de Noé ne plaçaient pas une entière confiance dans le neveu de l'Empereur Naefilien, mais non, ils se voilaient tous la face, Sealvey ne les mènerait nulle part autre qu'en Enfer malgré ses bonnes intentions.

Autour d'elle, les résistants éclataient en liesse ou manifestaient leur mécontentement, une émeute n'allait pas tarder à exploser si Ahelys n'intervenait pas. Alors, elle ravala sa fierté et entreprit de monter les marches qui menaient à l'estrade pour saluer la victoire de son nouveau Général. A chaque marche franchie, sa frustration montait d'un cran. C'était elle qui devait célébrer cette victoire en haut de la scène ! Quand elle arriva devant le Naefilien, son visage inexpressif ne laissait rien dévoiler de ses véritables émotions, même si le jeune homme les connaissait déjà et elle tendit la main. Sealvey se rapprocha d'elle et la salua selon la coutume des guerriers, quand ils se saluaient à chaque fin de combat. Pas un mot ne fut échangé mais leurs regards en disaient long sur leurs sentiments respectifs.

Aussitôt cette action faite, le bruit de la foule diminua et Ahelys tourna les talons vers sa chambre, suivie d'Hermais. La porte refermée, la jeune femme laissa exploser sa rage et jeta son poing contre son matelas sous l'œil réprobateur de son ami. S'il n'avait pas été là, elle aurait balancé son poing dans le mur pour que la douleur physique puisse éloigner un peu la frustration.

—    Nous avions prévu cette éventualité, pointa Haylmer.

Les bras croisés, il s'était assis en tailleur sur le lit à côté de la résistante qui grommela une réponse à peine audible :

—    Je le sais bien, mais ça me déçoit.

Le jeune homme éclata de rire face à ce mot qu'il savait très éloigné de la colère que ressentait Ahelys. Il l'attira dans ses bras et lui caressa avec délicatesse les cheveux tandis qu'elle se laissait faire. Bientôt, son ressentiment reflua et elle se nicha avec délice contre le torse d'Haylmer.

Elle ne savait pas vraiment comment qualifier leur relation. Oui, elle lui faisait entièrement confiance et il était son meilleur allié. Mais pourtant, elle ne savait pas si elle l'aimait. Malgré les années, la mort de Djiy était encore vive dans sa mémoire et elle n'arrivait pas encore à accorder tout son amour au résistant. Haylmer le savait et ne la pressait pas, en cela elle lui était reconnaissante.

—    La prochaine réunion est dans trois jours, alors là, nous frapperons, comme on l'a convenu, souffla la jeune femme dans la nuque de son ami.

Il ne répondit pas mais la légère pression de ses doigts sur son dos la renseigna sur son assentiment. Cette fois-ci, personne ne leur barrerait le chemin, ils étaient nombreux derrière elle à la suivre, prêts à mourir pour elle. Ahelys ne connaissait même pas leur nom mais cette sensation de pouvoir absolu la galvanisa un instant et un sourire s'étira sur ses lèvres.

            Les trois jours passèrent, avec pour seule annonce les nominations des capitaines et lieutenants choisis par leurs Généraux. La réunion eut lieu comme prévu le troisième jour, dans la soirée avec comme sujet principal les cachettes démantelées les unes après les autres. Alors que le débat battait son plein, les couloirs étaient déserts, pas même un membre de la sécurité qui rôdait là. Non, les rares rebelles étaient dans leur chambre à cette heure presque tardive et les membres de la sécurité tous à la solde d'Ahelys, à part les deux gardes qui bloquaient l'entrée de la salle de réunion.

Mais Ahelys entra sans mal dans la pièce, suivie d'Hermais et d'une dizaine de résistants armés. La jeune femme savoura un instant l'incrédulité sur le visage de Sealvey qui avec tous les Généraux et les Capitaines se faisaient encercler. La résistante jeta un regard curieux vers l'hologramme du Commandant, inexpressif.

—    Que signifie tout cela ? lâcha finalement la voix robotique.

Ahelys serra les dents, elle sentait le ton moqueur de leur prétendu chef malgré le filtre et elle pouvait presque deviner les pommettes sous le masque se soulever en un sourire.

—    Je pense que tous ceux présents dans cette salle devinent mes intentions, mais je vais quand même vous les clarifier : je prends le contrôle de la Libération.

La tablée garda le silence mais l'hologramme éclata d'un rire sarcastique puis renchérit :

—    Tu veux devenir le nouveau Commandant avec ta poignée d'hommes ? J'ai le soutien du pays de l'Etoile et une véritable armée derrière moi, tu n'as rien !

—    J'ai bien plus que tu ne le crois ! Beaucoup en ont marre de voir leur chef dissimulé derrière un masque, de voir que rien ne change vraiment ! J'apporte le renouveau, alors reste caché comme un enfant dans un pays étranger et observe bien ce qu'il se passera, car j'accomplirai bien plus toi.

Ahelys avait presque crié ces mots, envahie par cette colère qui la caractérisait. Mais elle avait réussi à contrôler ses émotions et son discours n'en avait été plus que menaçant.

—    J'en ai fini de cette mascarade, soupira le Commandant.

L'hologramme exécuta un bref mouvement de la main, comme ennuyé par un insecte. Alors que la jeune femme allait ordonner de menotter les Généraux, le mur devant elle coulissa. Elle écarquilla les yeux mais reprit de suite ses esprits : ils avaient été piégés. La résistante voulut téléporter une de ses armes mais rien n'apparut dans ses mains et quand elle se tourna vers la porte, des rebelles l'occupaient déjà. Ils étaient faits comme des vulgaires rats.

Ahelys sentit le sang battre à sa tempe tandis qu'elle comptait le nombre d'hommes. Trop nombreux pour les battre et ses soldats étaient déjà neutralisés. Elle jeta un regard éperdu vers Hermais qui s'était rapproché, aussi démuni qu'elle. Des rebelles les encerclaient, les siens agenouillés au sol, les mains menottés derrière le dos. Mais elle ne voulait pas laisser tomber, il n'en était pas question. La jeune femme tendit ses muscles pour sauter sur le garde le plus proche mais un mouvement de Sealvey interrompit son action.

—    Ca suffit, Ahelys ! Abandonne. Ne les oblige pas à te faire du mal, ordonna le Naefilien d'un ton impérieux.

La résistante hésita un instant mais quand elle croisa le regard orgueilleux du Général Nerelfort, elle bondit vers lui comme un lion. Elle ne pouvait supporter ce visage victorieux, cette honte qui la consumait !

Elle bouscula un garde et effleura du bout du doigt sa chemise avant d'être plaquée au sol. Le choc violent fit jaillir du sang de son nez et son poignet craqua sous l'impact. Ahelys se débattit de toutes ses forces, ses poings et ses pieds fusaient dans tous les sens malgré les deux gardes qui tentaient de la contrôler. Il fallut deux rebelles de plus pour l'immobiliser et la dernière chose que l'adolescente ressentit fut un coup sur la nuque qui la fit sombrer dans l'inconscience.

            Une douleur sourde dans son crâne la réveilla plusieurs heures plus tard et quand la jeune femme voulut porter une main sur sa tête, une souffrance plus grande encore s'échappa de son poignet, lié à l'autre par des menottes. Les yeux à demi-clos, elle aperçut des barreaux et des murs gris. Une étincelle passa dans son cerveau : jusqu'ici elle ne connaissait pas l'existence de prison dans la base, elle l'apprenait de la pire des manières. Le matelas était dur et les draps rêches mais ce n'était rien comparé à la douleur qui jaillissait de tous ses membres. Ahelys ne s'en étonnait pas, elle s'était déchaînée contre les rebelles, sans d'autre résultat que de finir assommée. Elle se rallongea péniblement, les yeux fermés sans aucune envie de réfléchir. Mais trop de questions fusaient dans son esprit embrumé : qu'était devenu Hermais et les autres, puis surtout, comment avaient-ils découvert leur projet ? Ahelys laissa échapper un rire amer plus proche du râle et se maudit d'être aussi stupide. Le général de la stratégie, bien sûr. Ce salaud avait toujours réponse à tout, il prévoyait toujours tout. Si seulement j'avait pu le tuer avant, songea-t-elle.

Mais après tout, les propos du Commandant avaient jeté le doute sur son esprit malgré sa propre réplique. Ils n'avaient pas bien préparé leur prise de pouvoir, ils ne savaient même pas que des panneaux secrets se trouvaient derrière la salle de réunion ! Ils avaient été ridicules de penser pouvoir prendre le contrôle avec seulement quelques paroles et quelques hommes. Tu n'as rien, ressassa la jeune femme. C'était vrai et elle ne pouvait le regretter que maintenant.

Qu'allait-il lui arriver ? Allait-être exilée ? A vrai dire, elle en doutait. Ne pas punir ce genre d'action allait soulever des centaines de rebelles partisans à Ahelys et ils allaient quitter la Libération pour la rejoindre. Non, ils ne pouvaient la relâcher dans la nature comme ça.

Elle ne voyait pas d'autre alternative que l'exécution. Cette pensée lui serra le cœur et il lui semblait qu'elle revenait plusieurs mois en arrière. Elle avait redouté la mort, dans la suite de ce vaisseau dans l'espace, mais à cette époque elle ne se rappelait plus qui elle était et elle n'avait pas les soutiens qu'elle disposait désormais.

Puis surtout, aujourd'hui, Ahelys était un symbole, connue sur le continent entier. Ils ne pouvaient la mettre à mort, s'ôter cet atout précieux et rendre ce service à l'Empereur. Des milliers se soulèveraient contre cette exécution injuste. La jeune femme sourit, d'un côté ou de l'autre, la Libération en souffrirait. Elle les imagina discourir sur son sort, dans cette même salle de réunion qu'elle avait pénétrée, elle les imagina se disputer, s'insulter de tous les noms, de soupirer car aucune bonne solution ne se présentait. Un rire éclata depuis sa gorge et lui provoqua une vive douleur.

—    Alors tu es réveillée ? Tant mieux, Nicolas attend.

La jeune femme se redressa avec surprise, elle ne savait pas depuis combien Sealvey était là, devant sa cellule, les bras croisés et le visage fermé. Aucune once d'inquiétude ne transparaissait dans son regard, pour lui Ahelys était devenue une renégate. Comme il l'avait été pour elle il y'a longtemps. Elle s'était trompée quand elle avait lu de l'incrédulité sur son visage, c'était de la déception. Il ne l'avait pas cru capable à ce genre d'extrémité, l'amie d'enfance qu'il chérissait, lui aussi s'était trompé.

Le corps douloureux, la résistante s'adossa contre le mur, les jambes étendues sur son lit pendant que Sealvey partait du couloir, elle supposait. Les ressorts grincèrent sous son poids quand elle tenta de mieux se positionner. Maintenant qu'elle était tout à fait consciente et avait les yeux grands ouverts, elle observa sa petite prison. Les murs qu'elle avait crus gris étaient en réalité blancs mais si crasseux qu'ils avaient pris cette teinte. A quelques mètres de là, des barreaux presque rouillés s'alignaient et si Ahelys avait pu se lever, elle aurait fait le tour de la salle vide à quelques pas.

Son regard avait à peine exploré toute la pièce que Nicolas débarqua dans le couloir, précédé d'un autre homme, un trousseau de clef qui tintèrent dans sa main. Aussitôt la porte déverrouillée, Nicolas s'avança à pas lent dans la cellule et s'assit au bout du lit, le visage grave.

—    Ben ma vieille, tu t'es mise dans de beaux draps à ce qu'on m'a dit, avec Hermais. Sans moi vous faites n'importe quoi, je dois toujours vous surveiller !

Ses paroles joyeuses sonnaient faux mais la résistante ne s'en formalisa pas.

—    Comment ça se passe là-haut, et Hermais ? demanda-t-elle.

Son frère haussa les épaules et répliqua d'un ton neutre :

—    Hermais a pas été aussi brute que toi, il s'est rendu sans faire d'histoires déjà. Il va être puni mais comme t'étais à la tête, c'est toi qui va morfler le plus.

Puis la voix de jeune homme baissa et il continua :

—    Tu vas être emmené au Quartier Général, pour une promotion j'imagine. Et...j'ai entendu dire qu'ils allaient t'exécuter.

Sa voix flancha au dernier mot et son visage se décomposa soudain.

—    Qu'est ce que je suis censé faire, moi hein ? Adi et moi, on est resté ici pour t'aider, pour te protéger et puis comme un con, je me suis éloigné et toi aussi t'as pas aidé en foutant la merde. Qu'est ce que je suis censé faire, dis moi ! Je vais accepter qu'on tue ma sœur sans rien faire parce qu'elle a essayé de prendre le pouvoir ? Ou alors j'aide une rebelle complètement timbrée et je m'enfuie avec elle parce que je risque de me faire tuer aussi par complicité ? Je fais quoi, moi ? murmura-t-il.

Ahelys garda le silence mais prit la main de son frère et la serra. Il avait trouvé sa voie, il avait trouvé un but, il ne pouvait pas flancher maintenant. Ses sentiments à elle aussi étaient contradictoires. Une partie d'elle lui hurlait de l'aider tandis que l'autre lui criait de ne rien faire, de rester en sécurité. Elle luttait de toutes ses forces contre le monstre en elle qui enjoignait le jeune homme à se sacrifier pour elle. Il n'est pas important, pas aussi important que ta promesse, soufflait la voix. Non, il était son frère, le seul membre de sa famille en vie et au diable les liens du sang. Ahelys avait perdu sa mère, puis son père, elle ne pouvait pas le perdre lui.

—    Je ne suis pas timbrée, je suis têtue, rétorqua-t-elle.

Il eut un sourire fatigué et secoua la tête d'un air las, mais pour une fois il ne répondit pas. Ils restèrent quelques minutes à se serrer la main, là, adossés contre le mur, les pieds ballants. Mais Nicolas se leva avec un soupir.

—    Adieu.

Sans se retourner, il sortit de la cellule et s'enfuit. Elle n'avait pas pu voir les larmes couler sur ses joues, mais elle le savait. Ahelys murmura elle aussi : Au revoir. Mais il était parti et quand elle prononça ces mots du bout des lèvres, un grand désespoir l'envahit, mêlé de soulagement.

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