Chapitre 32- L'Apprenti Haylmer

La mécanicienne avait posé un coude sur la table, son visage dans le creux de sa main. Elle écoutait avec attention les stratèges lui donner les renseignements sur son rôle à jouer dans le plan. Si au début ils tenaient à s'assurer de ses capacités, ils n'avaient pas supporté longtemps la mimique méprisante de la jeune femme et sa rengaine : « Evidemment que je sais le faire, un enfant de deux ans saurait ! ».

Une heure avait passée depuis leur atterrissage forcé dans cette sorte de caverne plongée dans la pénombre et Nicolas songeait à des avions de chasse survoler toutes les îles de l'archipel à leur recherche. Il frissonna. Pas un frisson de peur, mais d'excitation quand il songeait à cette mission de secours. L'anxiété se transformait en adrénaline dans ses veines et la peur se noyait dans son sang en ébullition. Il sentait toute cette énergie refoulée remonter à la surface. Peut-être était-ce l'état de sa sœur avant un combat, elle qui ne semblait jamais anxieuse avant ses missions...

Leur plan avait bien avancé, il était même presque fini. Nicolas ne prenait pas vraiment part aux discussions, mais il suivait les voix des différents stratèges qui tissaient cette immense toile de raisonnements, de conjectures et d'hypothèses. Le résistant n'avait jamais joué aux échecs, une perte de temps à son avis, mais aujourd'hui il avait la sensation d'être sur un échiquier géant avec Adrien comme son maître de jeu et Neferlme de l'autre côté, silhouette imprécise et obscure. Nicolas l'avait pourtant vu sur un écran lors de son discours, mais étrangement, il n'arrivait pas à associer ce visage au Grand Méchant qu'ils devaient combattre.

Un claquement de mains le sortit de ses pensées, Adrien venait d'effectuer ce geste avec un brin de satisfaction sur la commissure des lèvres.

— On ne peut pas perdre plus de temps, commençons le plan sans plus tarder.

Puis le stratège se tourna vers un aviateur pour lui ordonner de lui passer le micro pour expliquer les détails aux rebelles encore ignorants installés dans la deuxième salle. Aucune plainte de la part des perturbateurs que Nicolas avait refoulés, ils comprenaient qu'ils tenaient là leur unique chance de quitter l'île.

Un aviateur quitta son siège avec un soupir et rejoignit la grande salle sous les regards interloqués des combattants. Ils avaient bien entendu « sous le vaisseau » ? Des murmures de surprise fusèrent de toute part quand le pilote dévoila une trappe invisible qui menait à la soute de l'appareil, tout juste assez grande pour contenir tous les résistants. Les rebelles investirent la cale en maugréant : être serrés comme des fruits dans un bocal ne les enchantaient guère.

Quand tout le monde fut entré dans la cale, Adrien échangea une poignée de main avec son ami et l'encouragea dans une tentative d'humour.

— On va réussir, après tout, c'est mon plan, n'est-ce pas ?

— Travaille tes blagues, mon vieux. Puis tu seras là en cas de besoin, souffla Nicolas avec un sourire.

Le stratège acquiesça et jeta un œil sur la mécanicienne qui achevait de configurer le petit appareil et de l'accrocher à son poignet. Elle testa la machine et aussitôt, un hologramme nimba Adrien et elle d'une tenue de soldat tandis qu'un élégant costume tel que portait Haylmer se matérialisa sur les habits de Nicolas.

Les deux costumés enchaînèrent alors quelques mouvements et ils découvrirent que les habits de lumière devenaient flous quand ils couraient. Un pli barra le front de la jeune femme mais elle n'aurait pas le temps nécessaire pour modifier plus cette petite merveille. Elle éteignit l'outil avec un soupir, ce n'était pas la peine de l'épuiser.

Le revêtement extérieur du vaisseau aussi avait changé, une allure plus commune et moins résistante. Le problème était qu'elle ne savait pas combien de temps ce subterfuge allait fonctionner : l'avion possédait bien un créateur d'hologrammes mais l'engin ne datait pas d'hier. L'appareil allait tenir tout au plus une trentaine de minute, plus s'ils étaient chanceux.

Comme en réponse à ses pensées, le pilote parti ouvrir observer le vaisseau de se rassit dans son siège et confirma que l'hologramme marchait bien. Il effectua alors un enchainement de mouvements sur le tableau de bord avec son compagnon. Le cliquetis des boutons attira l'attention de la mécanicienne qui sourit quand elle vit l'énorme trou dans les commandes. Dans la poche de sa veste, l'appareil qui y siégeait auparavant était devenu un brouilleur amélioré et elle en était assez fière.

Dans un soubresaut, le vaisseau quitta l'abri précaire pour se diriger au cœur des Iles minières, atteindre le bâtiment qu'on nommait « le Centre ». Adrien avait lu un ouvrage à ce sujet. Deux étages qui pouvaient servir de bunker en cas de révolte. Le rez de chaussée contenait tous les bureaux du personnel Naefilien qui travaillait dans le Centre, le deuxième sous sol leurs appartements et le troisième était une immense prison. Ces seules informations ponctuées de renseignements sur les matériaux utilisés avait terrifié le jeune homme. Il n'en savait pas plus sur le bâtiment, l'Etat n'allait pas dévoiler tous les secrets de ce petit bijou architectural, sans compter le réseau ferroviaire ultra-perfectionné autour des mines.

A ses côtés, Nicolas lui donna un coup de coude. Il voyait bien la mine préoccupée de son ami même s'il ne partageait pas son sentiment. Qu'il réussisse ou échoue, cela lui était bien égal. Il aura fait de son mieux et voilà tout.

Dès la sortie de la caverne, les aviateurs avaient annoncé leur venue de la part d'Haylmer sur un canal ouvert. Pendant un court instant, le silence. Ces secondes leur parurent des heures et Adrien surprit ses mains à devenir moites. La réponse fut positive et laconique, » Vous pouvez atterrir sur la piste trois ».

Le stratège poussa un soupir de soulagement. La première étape était passée, mais peut-être la plus facile de la mission. L'avion se chargea d'une tension silencieuse, seulement rompue par le cliquetis des boutons et le bruit des moteurs. Bientôt, l'imposant bâtiment se présenta à leurs yeux. Du ciel, ils pouvaient déjà apercevoir les soldats qui effectuaient des tours de garde autour de l'édifice tandis que plusieurs personnes patientaient tout près de la piste sur laquelle ils devaient atterrir.

La mécanicienne s'empressa d'allumer le créateur d'hologrammes à son poignet alors que les pilotes éteignaient les moteurs.

— Bonne chance, leur souhaita les aviateurs.

Eux, ils restaient dans l'appareil pour faire sortir les rebelles en temps voulu. Nicolas Adrien et la mécanicienne allaient quant à eux affronter le Centre.

— Avant qu'on ne plonge dans la gueule du loup, c'est quoi ton nom ? demanda Nicolas à la jeune femme.

Il avait dardé un regard curieux vers le groupe de faux soldats, incapable de la reconnaitre, le jeune homme aimait bien connaître les prénoms de ceux qui se coltinaient la même mission.

Une réponse fusa d'un des militaires :

— Vivyan.

Les trois résistants marchaient maintenant dans la grande salle, juste au dessus des guerriers entassés les uns sur les autres. Ils n'eurent qu'à patienter que quelques secondes avant que la rampe ne se dévoile. L'intense lumière de l'extérieur les éblouit et ils descendirent du vaisseau presque à l'aveuglette, Nicolas en tête. Le garçon s'arrêta devant un homme d'une quarantaine d'années au visage sévère et au gros nez, surmonté de cheveux verts rasés. Un seul coup d'œil sur l'habit militaire et les nombreux insignes le renseigna sur le rang de leur hôte, et au vu de son blason, un nobliau de la région.

Nicolas ne fit pas attention aux cinq soldats qui étaient postés au garde vous derrière le chef et s'inclina avec un sourire mielleux, comme celui plaqué sur le visage de son supposé mentor.

— Henris, pour vous servir.

Le Naefilien battit l'air de sa main d'un geste agacé. Il darda un regard suspicieux sur le jeune homme et rétorqua sans même prendre la peine de se présenter :

— Vous aviez annoncé Haylmer, où est-il ?

— Je suis navré de vous informer que mon supérieur n'a pas pu se présenter aussi vite après votre appel et il m'a alors délégué la mission car plus près des Iles Minières. Il tient à vous présenter ses excuses et vous assure que je suis entièrement capable de ramener la traîtresse à la capitale, précisa Nicolas d'un ton exquis.

La méfiance du noble décrut à peine, le jeune homme sentait ses prunelles de glace fixés sur lui, dans la recherche d'un indice qui conduirait à sa perte. Les esclaves affranchis ne couraient pas les rues, et encore moins dans l'armée, la défiance du Naefilien était légitime. Mais le résistant affichait une tranquillité absolue et dégageait le charisme particulier d'Haylmer par la droiture de ses épaules et cette prestance des hommes non pas nés puissants, mais qui le sont devenus. Le Terrien contrôlait à la perfection son corps.

Les yeux du Naefilien se détachèrent de lui et il tourna vers les talons vers une des entrées du Centre, précédés de ses soldats. Nicolas et les faux militaires le suivirent et passèrent d'un pas rapide les immenses portes blanches. Si elles n'étaient pas sculptées, elles inspiraient néanmoins un certain sentiment de respect, comme si elles marquaient la limite d'un temple.

Au premier pas des rebelles dans le bâtiment, le noble darda sur eux un regard avide, comme s'il allait se jeter sur eux. Mais rien ne se produisit et il se retourna, pensif.

Mais les trois résistants avaient bien entendu un léger bruissement à l'intérieur. Si Nicolas et Adrien en ignoraient la cause, Vivyan se félicita silencieusement de la précaution qu'elle avait prise malgré la perte d'énergie que cela représentait. Ils n'étaient pas recouverts d'un hologramme, mais de deux : la mécanicienne s'était doutée que le bâtiment possédait un brouilleur pour dévoiler les petits malins qui essayaient de rentrer incognito.

Ils tournèrent dans un couloir où ils croisèrent une employée qui se dépêcha de passer son chemin et ne tardèrent pas à s'arrêter devant un ascenseur. Les murs gris brillaient de propreté et quelques œuvres d'art et arbustes ponctuaient les allées. Les dalles du sol semblaient se poursuivre dans les pièces de tout le rez-de chaussée d'après l'aperçu de plusieurs portes ouvertes qui donnaient sur des bureaux.

L'attente jusqu'au troisième sous-sol n'était en rien silencieuse, mais presque saturée par les commentaires flatteurs de Nicolas sur la décoration du Centre qui dériva subtilement sur la protection du bâtiment.

— Je n'ai pas vu beaucoup de soldats, ni de caméras, pourtant le Centre est si réputé pour sa défense ! pointa le supposé Henris.

Le noble lui jeta un regard dédaigneux avant de passer les portes qui s'étaient ouvertes avec un discret son et de lui répondre :

— Evidemment, nos défenses sont cachées des yeux malhabiles. Les communications sont très rapides grâce au centre de contrôle à cet étage qui contrôle toutes les portes

Nicolas suivit le Naefilien dans le couloir et haussa un sourcil intéressé :

— Je plains les pauvres ennemis qui voudraient s'infiltrer dans cette véritable forteresse ! répliqua-t-il.

Adrien sourit, en plus de récolter ces informations qui confirmaient leurs suppositions et leurs propres renseignements, son ami avait presque éteint les soupçons du Naefilien qui s'était peu à peu détendu.

Ils parvinrent vite au bout du corridor où la porte se déverrouilla après qu'un appareil ait scanné la main du Naefilien.

A peine entré dans la pièce, le stratège faillit se figer. Des dizaines et des dizaines de cellules alignées à vitres teintées de chaque côté de la voie. Les résistants s'entassaient dans ces boîtes vides trop petites. Les néons du plafond diffusaient une lumière blafarde sur les visages creusés de rebelles. Des visages de condamnés, déjà morts dans leur esprit et qui n'attendaient que la déchéance de leur corps. Aucun n'osait espérer qu'on vienne à leur rescousse.

Les bottes des soldats résonnaient de manière lugubre sur le sol métallique, mais les prisonniers ne leur jetaient même pas un œil : ils ne pouvaient ni les voir, ni les entendre.

Le noble s'immobilisa devant une cellule qui ne contenait que deux occupants aux menottes violettes: Sealvey et Ahelys. Si le jeune homme s'était assis sur la couchette et paraissait calme, la résistante au bras presque entièrement bandé faisait les cent pas dans la pièce.

Quand un cliquetis annonça l'ouverture du compartiment, les captifs levèrent la tête. Le noble entra dans la cellule, précédé d'un de ses soldats et de Nicolas tandis que les autres patientaient dans l'allée.

«Henris » s'inclina et se présenta d'une voix doucereuse devant la mine stupéfaite d'Ahelys. Sealvey avait réussi à cacher sa surprise et toujours assis, se tint prêt à bondir de la cellule dès que son ami le lui ordonnerait.

La jeune femme, remise de son étonnement, capta d'un regard la personnalité qu'incarnait son frère. Consciente de l'attention du Naefilien sur elle, la résistante rattrapa son erreur d'un ton plein de mépris :

— Tu n'es pas venu avec ce cher Haylmer ? Oh, après tout, il ne supporterait pas la honte d'échouer à me ramener une nouvelle fois à la capitale.

— Henris, vous la connaissiez auparavant ? le questionna le militaire, les sourcils froncés.

— Oui, j'ai accompagné Haylmer sur Terre pour la capturer mais des rebelles ont réussi à nous la ravir. Je ne ferai pas la même erreur, répliqua Nicolas, presque amer.

Puis le jeune homme tendit la main vers le noble et demanda les clés des menottes que le Naefilien lui remit non sans hésitation.

— J'imagine que vous ne verrez pas d'inconvénients à ce que quelques un de mes hommes vous accompagnent jusqu'à la capitale, pour plus sécurité, proposa le militaire.

— Oh non, bien sûr que non je n'y vois pas d'inconvénients, voyons, s'exclama le résistant.

Vivyan et Adrien étaient entrés dans la cellule sous l'ordre de Nicolas et se postèrent derrière les prisonniers. Ils avaient au passage récupéré les clefs, discrètement passée de main en main.

Les faux soldats poussèrent les résistants dans le couloir et quand ils posèrent un pied dans l'allée, ils étaient libres.

Comme prévu, la mécanicienne activa le brouilleur dès que les menottes tombèrent au sol.

Depuis le centre de contrôle, les écrans reliés à la caméra de l'immense pièce du troisième sous-sol affichèrent une image noire, qui les épargna d'un couteau plongé dans la gorge du noble et de la défaite des soldats assommés ou bien morts selon leur adversaire.

Vivyan s'empressa de désactiver le créateur d'hologrammes et de sortir un petit appareil plié qu'elle déroula, une sorte d'ordinateur.

Une minute plus tard, elle accédait à la salle de contrôle et brisait les défenses : ils ne s'attendaient pas à une attaque de l'intérieur. Lorsqu'elle obtint la maîtrise du Centre entier, elle en bloqua aussitôt toutes les issues.

A partir de cet instant, la conquête des Iles Minières allait être un jeu d'enfant.

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