Chapitre 3- Prisonniers
- Eh bien, je suis content d'être passé sur cette route !
Le conducteur s'était retourné un instant, pour offrir un sourire encourageant aux adolescents. Ses mots, lancés à la va-vite trahissaient un léger accent russe. Il redémarra et la vitesse les plaqua sur la banquette. Les lampadaires éclairaient le chemin bordé de bâtisses, aux contours indéfinissables.
Apolline se renfonça dans son siège, et ferma les yeux. Elle écouta sa respiration sifflante, sentit son cœur s'apaiser. Omniprésente, l'odeur entêtante d'un désodorisant acheva de remettre ses idées en place. Cette soirée resterait, à son humble avis, la plus dingue de toute son existence.
Elle rouvrit les paupières et remercia l'homme au volant.
- Merci, sans vous...
- On aurait été dans tous les journaux de demain: « trois jeunes assassinés dans la nuit du 17 juillet dans la ville de Nottingham » acheva Nicolas, les yeux brillants. Oh ça ne m'aurait pas dérangé d'être à la une, mais vivant s'il vous plaît !
Un léger rire nerveux secoua Adrien et il passa une main tremblante sur son visage blême. Il ajouta :
- On a vraiment eu de la chance.
De la chance...se répéta-t-elle. Un pli soucieux barra son front. La chance est bien souvent un hasard qui se provoque.
Cette phrase lui revint en mémoire, d'où, elle n'en savait rien, mais elle ressentit son importance.
Elle frotta son pouce dans la paume de sa main, un filet de sueur coula dans son dos. L'adolescente n'avait pas confiance en cet homme, son arrivée chevaleresque lui semblait trop fortuite. En tout cas, pas question de lui délivrer son adresse et celle d'Adrien.
- Vous connaissez l'adresse du poste de police ? Il faudrait les avertir, déclara Apolline.
Le conducteur acquiesça. Les rues défilèrent, inconnues. Mais il n'y avait pas raison de s'inquiéter, juste le coup du stress, se rassura-t-elle.
La voiture s'immobilisa. Apolline jeta un œil à l'extérieur. Les maisons et l'allée lui étaient étrangères. Cette vision la terrifia. Sans réfléchir, elle tira la poignée. Bloquée.
- Je suis désolé.
Le conducteur se retourna, un masque à gaz sur le visage. Il tenait un objet étrange dans ses mains. Apolline se pencha en avant et tendit le bras pour l'attraper. Trop tard. Une fumée blanchâtre sortit de l'appareil, et brouilla sa vision.
Elle tenta de se raccrocher au siège avant. Ses membres soudain lourds l'empêchèrent de bouger. Et si elle dormait ? Juste quelques secondes, juste fermer les yeux, un instant ?
La jeune fille se tenait face à un homme. Ils possédaient tous deux une chevelure rousse flamboyante, presque rouge. Elle évita de sombrer dans la tristesse au fond son regard. Mais l'adolescente leva la tête, elle hurlait d'effroyables cris de détresse, inaudibles. Les bois autour d'eux leur offraient une atmosphère réconfortante. Les rayons de soleil traversaient le feuillage, parfois dense et d'un vert profond. La vie s'éveillait, les oiseaux jouaient des mélodies connus d'eux seuls, accompagnés par les insectes, et le vent qui taquinait les feuilles. Un bel endroit pour des adieux.
Apolline ouvrit les paupières avec difficulté, une migraine terrible lui broyait le crâne. Son lit lui était étranger. Les souvenirs de la nuit dernière ressurgirent dans sa mémoire. Elle se redressa malgré son mal de tête, la main en visière, pour se protéger de la lumière éclatante du jour.
- Alors bien dormi ? lança une forme indistincte à quelques pas d'elle
L'adolescente cligna des yeux et reconnut son frère, assis sur un matelas, l'oreiller coincé entre le mur et son dos.
- Adrien est là, il dort toujours, expliqua Nicolas.
- Tu as tenté de sortir ? questionna-t-elle.
Elle porta la main à sa bouche pour étouffer un bâillement.
- Porte et fenêtre verrouillées. On est à l'étage, la vitre donne sur le jardin, aucun moyen de faire des signes.
Elle hocha la tête. La tranquillité de son frère l'empêchait de paniquer. Apolline scruta un instant la pièce. Des murs blancs, aveuglants. Trois matelas, seuls meubles de la pièce.
La prisonnière regarda son poignet dans un réflexe. Plus de montre.
Aucun moyen de savoir l'heure exacte. Elle prit son oreiller, se leva en dépit de son mal de crâne persistant et vint s'installer contre son frère. Elle lui ébouriffa les cheveux dans un geste affectueux.
- On va s'en sortir, je te le promets.
Il la détailla, le visage grave.
- Ouai, j'en suis sûr.
Tous deux mentaient avec conviction et choisissaient de croire en cette fable. Pas de panique, juste de l'incertitude face aux secondes, aux minutes et aux heures prochaines.
- Tu sais depuis combien de temps tu es réveillé ? demanda Apolline.
Il réfléchit un instant.
- Je dirais une bonne heure, deux maximum.
Un silence réconfortant les enveloppait, mais soudain, un cri traversa la pièce. Adrien s'entortilla dans ses draps, paniqué. Haletant, il réussit à revenir à l'air libre, ses deux amis à ses côtés, inquiets. Il gémit.
- Où on est ?
Frère et sœur se fixèrent un instant. S'ils avaient gardé leur calme dès le début, ce n'était pas le cas de leur compagnon. Ils se doutaient bien que leur ravisseur viendrait d'une seconde à une autre, alerté par le hurlement d'Adrien.
Au bord des larmes, les mains tremblantes, son regard parcourut la pièce. Dans un réflexe maternel, Apolline l'enlaça, et le laissa sangloter sur son épaule. Elle frictionna son dos et il se calma peu à peu.
- Eh tout doux, on est là, t'inquiète pas...
Penaud, Nicolas tentait de le rassurer comme il le pouvait.
Soudain, la porte s'ouvrit à la volée et un homme grand, aux traits durs les apostropha avec un accent russe prononcé.
- Je ne veux plus vous entendre ! La prochaine fois, vous serez privés de repas !
La porte se referma aussitôt, et Adrien, terrifié enfouit son visage dans le creux de l'épaule d'Apolline. Il se cramponna aux vêtements de l'adolescente, qui échangea un regard éloquent avec son frère.
- Je crois l'avoir reconnu, c'est notre agresseur, ou plutôt notre « pseudo » agresseur, annonça-t-elle. Les deux sont de mèche.
Nicolas ricana.
- Tu crois ?
- Je suis désolé de réagir comme ça, hoqueta Adrien qui passa le bas de son tee-shirt sur son nez et s'éloigna d'Apolline.
Compréhensifs, ils hochèrent la tête.
- C'est parce que... leur ami hésita et eut un rire nerveux. Je vous ai dit que ma mère vivait dans un autre pays ? Eh bien en fait...
Il s'apprêtait à en dire plus, mais la porte s'ouvrit de nouveau. Cette fois-ci, c'est un visage jeune, aux yeux bleus et aux cheveux blonds, presque avenant qui leur sourit. Le conducteur de la nuit dernière tenait trois plateaux dans ses mains, le dernier en équilibre sur son bras. Il les posa sur le sol. L'homme remarqua les yeux rouges d'Adrien, et esquissa un infime mouvement pour aller vers lui, avant de se frotter les mains contre son pantalon.
- Désolé pour mon frère, il est assez dur, s'excusa-t-il avec un léger accent slave.
Il soupira.
- Pour la salle de bains, on vous y amènera de temps en temps. Un de nous sera posté devant la porte, et les fenêtres sont fermées, impossible de les ouvrir. Des questions ?
Le menton haut, Apolline se leva. Elle défia du regard le jeune homme. Les yeux baissés, il évita de croiser son regard.
- Pourquoi sommes-nous ici ?
La demande, impérieuse le mit mal à l'aise et il secoua la tête. Il se frotta une nouvelle fois les mains sur son jean, soupira et les laissa seuls.
Apolline se rassit, le cœur lourd. Elle capta la détresse des deux garçons, mais leur affirma :
- On va s'en sortir, je vous le promets. Et puis, l'un deux n'a pas l'air si méchant.
Et son ton était si assuré, qu'elle crut pendant un instant à son propre mensonge.
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