Chapitre 25- Discours
Une heure. Il leur restait une heure avant le discours de l'Empereur. Une heure pour tourner une vidéo et convaincre un employé d'une station de télévision de diffuser leur message.
Les quatre résistants venaient d'arriver dans la ville de Doëlnan où deux fleuves se croisaient. La cité était donc coupée en deux, reliée par plusieurs ponts. De hauts buildings constituaient son centre, entourés par des avenues piétonnes pour les promeneurs. Les adolescents s'étaient garés dans un parking près d'un centre commercial et attendaient le retour d'Hermais, parti dans les magasins acheter une caméra, un simulateur de décor ainsi qu'une clef de stockage. Nicolas lui avait demandé d'où il allait tirer l'argent nécessaire mais le jeune homme avait souri en montrant des pièces et des billets dissimulés dans une alvéole de la voiture. « Ils nous donnent toujours un peu d'argent pour les voyages sur le continent, en cas de problème » avait-il expliqué.
Un silence tendu régnait dans le véhicule. Les deux Terriens contemplaient avec angoisse les défilés de voitures et des personnes venus au centre commercial. Seule Ahelys restait calme, elle savait bien qu'aucun gendarme ne toquerait à la vitre, et même si c'était le cas, une excuse suffirait à l'éloigner. A l'arrière, Nicolas pianotait sur l'accoudoir pour évacuer son stress. Dehors, le soleil était à son zénith et inondait l'habitacle de lumière et de chaleur. La jeune femme sentit son estomac gronder mais l'appréhension de son rôle dans cette mission l'empêcha de prendre un sandwich dans un des tiroirs. Elle ne prit pas la peine d'en proposer à Adrien et son frère, elle les imaginait bien plus angoissés qu'elle.
Une dizaine de minutes plus tard, ils poussèrent tous un soupir de soulagement quand ils virent émerger des portes automatiques leur ami avec un sac de toile. En quelques pas, il avait rejoint le véhicule et s'installa à sa place.
— Vous m'attendiez peut-être ? s'inquiéta le jeune homme avec un grand sourire.
— Oh non, on s'amusait à compter le nombre de voitures jaunes, il y'en a eu dix-huit ! ironisa Nicolas.
— Bien, trouvons un endroit où nous serons tranquilles, déclara Hermais.
Ils commencèrent à arpenter la ville et s'éloignèrent des grandes avenues bondées. Les rues se firent plus étroites et plus sinueuses. Quand ils eurent trouvé un coin désert, Hermais coupa le moteur . Un court instant flotta avant qu'Ahelys ne se décide à ouvrir la portière. En quelques secondes, le natif avait allumé le simulateur de décor et cherchait dans la mémoire de l'appareil le fond de la station qu'ils avaient choisi. Un hologramme s'afficha derrière Ahelys. Hermais s'empressa d'allumer la caméra et la pointa sur la résistante. Il attendait son signal. La jeune femme inspira profondément, elle sentait son cœur battre à tout rompre dans sa poitrine et sa gorge était nouée.
Elle était une guerrière, que pouvait-elle leur dire ? L'adolescente ne savait pas faire ces discours que clamaient ces politiciens. Elle ne possédait pas le charisme et le prestige de l'Empereur ! Ahelys ferma les paupières et régula sa respiration. Une panique jamais ressentie auparavant la cloua sur place, comme ligotée par un énorme serpent. Ce n'était pas l'angoisse des combats, ni la peur de mourir. Pour convaincre, Ahelys était minuscule face à ceux qu'elle combattait, rompus aux mensonges et aux façades. Elle n'avait aucune chance de les convaincre de son retour...
— Frangine, sois-toi-même. Pas besoin d'un beau discours, montre ta détermination, montre que tu existes, souffla Nicolas, debout à côté d'Adrien.
Ahelys ouvrit les paupières et lut dans leurs yeux une confiance absolue. Ils savaient qu'elle allait réussir, qu'elle saurait utiliser les bons mots. Alors elle hocha la tête et Hermais démarra la vidéo. Elle n'aurait pas le droit à plusieurs essais, ils n'en avaient pas le temps.
— Je m'adresse à vous, Naefiliens et Enfants de Noé. Les médias vous mentent, Neferlme vous ment. Je suis bel et bien revenue, commença-t-elle.
La jeune femme marqua une brève pause et matérialisa ses ailes et une épée qu'elle brandit vers le ciel. Elle regarda alors droit devant elle, les yeux fixés dans ceux d'Hermais. Elle y trouva tout le courage dont elle avait besoin pour terminer son message.
— Si vous ne me croyez toujours pas, vous le verrez dans un futur proche ! Naefiliens, craignez la Libération et craignez mon retour ! Chaque jour nous rapproche un peu plus de notre objectif : la fin de ce monde corrompu ! Esclaves, affranchissez-vous de vos maîtres et rejoignez-nous, car nous vaincrons ! clama la résistante.
Ahelys s'arrêta, le souffle court. Hermais éteignit la caméra et lui sourit.
— C'était très bien, la félicita-t-il.
— Personne n'aurait pu faire mieux, à part peut-être moi. C'était bref mais le message est passé ! renchérit Nicolas en passant un bras autour des épaules de sa sœur.
— Il faut rejoindre la station télé, et que l'un de nous arrive à convaincre à un Enfant de Noé d'essayer de diffuser le message, déclara Adrien.
Il n'avait pas dit un mot à son amie, mais elle ne s'en occupa pas, le jeune homme à lunettes n'avait jamais été très expressif, sauf exceptions. Ses compagnons hochèrent la tête et s'observèrent un instant, indécis. Finalement, Hermais s'avança :
— J'ai des contacts, je vais m'en occuper, décida-t-il.
— Je sers à rien moi, se plaignit Nicolas.
Ahelys lui ébouriffa les cheveux et la tension retombée, ils reprirent la voiture et se dirigèrent vers Naeftime, un des studios de télé le plus vus du continent. Il n'était pas le premier, mais au moins son siège se trouvait à Doëlnan. La résistante, à l'avant jeta un œil au conducteur. Un œil négligé le trouverait assuré et calme, mais Ahelys notait bien ses mains crispés sur le volant et ses yeux fuyants. La jeune femme hésita à le rassurer, mais n'était-ce pas à son tour de lui donner du courage ? Alors, elle balança quelques mots maladroits à mi-voix :
— Pas la peine de t'inquiéter, tu es le plus compétent de nous quatre !
Aussitôt ces paroles prononcées, Hermais la fixa quelques instants, désabusé avant de se concentrer sur la route. L'adolescente se sentit idiote, elle n'allait pas effacer son angoisse juste avec quelques mots ! Honteuse, elle se tourna vers la vitre.
— Merci, marmonna le jeune homme.
Les garçons derrière, qui n'avait pas entendu l'échange encouragèrent le résistant quand il se gara sur une place libre aux environs de la station.
— T'as pas intérêt à te foirer, sinon Ahelys sera furax contre toi, et ça je te le conseille pas ! le prévint Nicolas.
— Ce n'est pas vraiment ce que j'appelle un encouragement, répliqua Hermais avec un sourire forcé.
— Bonne chance, lui souhaita Adrien.
Le rebelle hocha la tête et referma la portière. Les adolescents l'observèrent s'éloignèrent, les mains dans les poches, l'air décontracté. Bientôt il passa derrière un immeuble et disparut de leur vue.
Nicolas donna un léger coup dans l'épaule de son ami et reprit sa dernière phrase avec un air morne.
— C'est trop simple, ça ! Tu peux pas développer un peu plus que juste bonne chance ? s'exclama-t-il.
Adrien se frotta l'épaule avec un air outré et répliqua :
— C'est sûr que ton encouragement est bien mieux ! Tu devrais être un peu plus sérieux des fois !
— Et toi un peu moins, s'entêta son ami.
Ahelys éclata de rire face à leurs chamailleries et se retrouva à se tordre dans tous les sens pour échapper aux chatouilles de son frère. Une atmosphère bon enfant régna dans la voiture pendant quelques minutes mais le stress les gagna bien vite et ils guettèrent bientôt leur ami avec anxiété.
Hermais ne tarda pas à apparaître au détour d'une rue et il rejoignit à pas rapide la voiture. Un silence respectueux entoura son arrivée.
— J'ai fait tout ce que j'ai pu, j'espère que ça va marcher, lâcha-t-il enfin.
Il fixa les chiffres sur l'écran du GPS et déclara :
— Nous le saurons dans trente minutes.
Hermais démarra alors la voiture et le temps de quitter la ville, il ne restait que cinq minutes d'attente. Les adolescents regardaient régulièrement l'heure et désespéraient du temps beaucoup trop lent.
Quand l'heure sonna, Ahelys rejoignit le moteur de recherche Exceldy@ et mit dans un autre onglet de l'écran la chaîne de Naeftime.
L'Empereur était assis sur son trône, dans la salle de demandes du palais. Vêtu d'habits d'apparats, une couronne ceignait son front. Ahelys ressentit une bouffée de rage l'envahir quand elle vit son ennemi. Cette image avait ravivé une vieille haine. Des boucles pourpres entouraient son visage terriblement beau. Ses yeux dorés fixèrent la caméra et la jeune femme ne put s'empêcher de se perdre dans ce regard si assuré. Il commença son discours et quelques secondes plus tard, la vidéo des résistants démarra.
Les adolescents poussèrent un cri de victoire et ne prêtèrent aucune attention aux paroles de l'Empereur, à part Ahelys qui ne pouvait détacher ses yeux de l'écran. Avec un calme flagrant, il annonçait que la résistante d'Arlomar n'était pas l'Expérience et rappelait à ses sujets l'importance de leur patrie et la dangerosité de ces terroristes. L'assemblée de journalistes qui lui faisaient face, montrés par les caméras avaient tous jeté un œil sur leur téléphone avant d'écarquiller les yeux et un membre du gouvernement vint parler à voix basse à l'Empereur au milieu de son discours.
Le message des résistants avait duré à peine trente secondes, mais il avait pris bien plus d'ampleur que ce qu'ils imaginaient.
— Il y'a déjà plus de cent commentaires, murmura Hermais qui mettait à jour la page du studio télé, mais soudain elle afficha une erreur.
Le jeune homme passa sur Exeldy@ et tapa quelques mots clés. Il hoqueta quand il vit les résultats. Les adolescents se penchèrent sur l'écran et poussèrent des exclamations de surprise. La vidéo était déjà repostée et accumulait des vues et des commentaires à une vitesse effarante. Ils revinrent sur le discours de Neferlme et purent juste à temps saisir ses mots.
— Je vois. Ahelys est bel et bien revenue, nous en avons tous la preuve.
Il se pencha alors sur son siège et fixa d'un air intense la caméra.
— Ahelys, si me regardes en ce moment-même, sache que je t'attends de pied ferme ! Viens prendre mon trône si tu l'oses ! déclara le jeune homme.
La vidéo s'arrêta et Ahelys éteignit l'écran d'un geste sec. Qu'allait leur coûter leur affront ? Les résistants dans la voiture se le demandaient. Pensive, la jeune femme s'appuya contre la vitre, face au paysage qui défilait. Elle l'aurait bien mort un jour, Neferlme, même si elle devait en crever elle-même.
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