Chapitre 24- Censure
Au cours des heures suivantes, les rebelles partirent au fur et à mesure du lieu de rendez-vous. Ahelys et ses amis furent les premiers à quitter l'entrepôt. Ils gagnèrent la voiture prise à l'aller et regagnèrent la base pour rejoindre Sealvey et donner leur rapport. Les autres résistants, eux, rejoignaient leur repaire respectif.
Tandis que la voiture roulait sur les grandes routes continentales en pilotage automatique, les quatre compagnons se reposaient, épuisés par leur nuit blanche. A l'horizon, le soleil se levait et embrasait le ciel. Les yeux entrouverts, à moitié endormie, Ahelys songeait qu'elle préférait le crépuscule à l'aurore. Aussitôt cette impression faite, elle plongea dans un sommeil où elle rêvait d'un coucher de soleil continuel, l'astre toujours à la limite entre le ciel et la terre.
L'adolescente se réveilla durant la journée. Elle mit sa main en visière pour s'adapter à la lumière éclatante et jeta un œil à ses amis ; ils étaient tous encore endormis. La jeune fille vérifia leur position sur le GPS et jeta un œil dehors. Ils étaient sur une route très fréquentée, près de Doëlnan, une ville à la frontière de la région navale. La jeune fille observa quelques minutes la faille qui s'élargissait au fil des kilomètres vers l'Est et traversait une bonne partie de la région Draco. Certains racontaient que les dragons vivaient dans les profondeurs de ces gorges. D'où son nom : Le Nid des Dragons. Du moins, selon les légendes, les précédents dragons provenaient de ces entrailles de la terre. Personne ne savait jusqu'où elles plongeaient, le caractère sacré de ce lieu interdisait des fouilles sérieuses. Pourtant, cette fissure serait d'une grande aide scientifique pour comprendre le passé de la planète. Mais le Cercle des Prêtresses était trop respecté, trop influent et étouffait beaucoup de recherches. Ahelys se demandait parfois si sans cette Eglise, les Enfants de Noé seraient libres.
La jeune femme rejeta la tête en arrière. Cette faille faisait ressurgir de vieux souvenirs et une haine maintenant familière. Juste aux portes de cette gigantesque fissure traversée par un pont se trouvait la capitale de Naefilia : Draconian. Le siège de Neferlme XVI.
Elle serra le poing à la pensée de ce nom et ses ongles s'enfoncèrent dans sa paume lui causant une vive douleur. Mais Ahelys ne pouvait s'en empêcher. Elle regrettait tellement de ne pas avoir eu l'occasion de tuer ce démon, quand elle habitait au palais, quand sa colère n'était pas encore ardente.
Elle soupira et détourna la tête de la vitre, en même temps que ses pensées. Sur le siège conducteur à côté d'elle, Hermais étouffa un bâillement sonore. Il jeta un œil derrière lui et attira l'attention d'Ahelys sur les deux Terriens à l'arrière qui offraient un magnifique tableau : Nicolas avait posé sa tête sur l'épaule d'Adrien qui s'était affalé sur lui. On aurait dit des frères La jeune femme sourit, elle regrettait de ne pas posséder un téléphone pour immortaliser la scène. Si les appareils photos existaient, les téléphones portables n'avaient pas une aussi grande influence que sur Terre : les coûts des voyages étaient très bas, les membres d'une même famille n'hésitaient pas à se rendre souvent visite. Les téléphones ne servaient qu'à se contacter sur de longues distances et étaient principalement utilisés par l'armée et le gouvernement.
Ahelys se renfonça dans son siège et dans un geste d'ennui alluma la radio, pas trop fort pour réveiller les garçons.
Le sujet du jour lui rappela vivement son action de la nuit dernière. A vrai dire, ils ne parlaient que d'elle. Elle partagea un sourire complice avec Hermais qui lui offrit un clin d'œil. Mais son enchantement ne dura pas : les journalistes avaient interrogé des membres du gouvernement et des policiers : tous niaient son retour. Ils expliquaient avec flegme que la jeune femme qui avait tué le comte était une pâle copie d'Ahelys, un moyen des « terroristes de plonger la population dans un état de terreur. »
— Nous rappelons que l'Empereur va prononcer un discours dans deux heures et sera retransmis sur la plateforme Exeldy@ et vous pourrez... s'exclama le présentateur.
Dans un geste rageur, Ahelys éteignit la radio. Elle frappa du poing la vitre et ne sentit même pas la main d'Hermais sur son épaule.
— Ces...bouffons osent prétendre que je ne suis pas revenue ! Le gouvernement contrôle tout, même les médias ! et Neferlme n'ira certainement pas démentir leurs propos ! siffla l'adolescente.
— Ils ne veulent pas que les esclaves reprennent espoir... Mais je t'assure qu'avec les missions où des personnes te verront, ils ne pourront pas contenir autant de paroles, ils ne pourront pas censurer, la calma le jeune homme.
Ahelys eut un instant les yeux brillants.
— Je ne veux pas attendre !
La jeune femme reconfigura les options de GPS à toute vitesse tandis qu'Hermais la regardait, médusé.
— Mais que fais-tu ?
— Nous pouvons atteindre Doëlnan avant que l'Empereur ne fasse son discours, et là... je me mettrais au milieu du centre-ville pour que tous puissent me voir et ils verront que je suis bien revenue !
— Mais tu es folle, c'est du suicide s'écria le jeune homme en tentant de s'interposer.
— Il y'a un autre moyen, clama une voix à l'arrière.
Les deux résistants se retournèrent, Adrien venait de parler, le visage grave. A ses côtés, Nicolas papillonna des yeux, encore à moitié endormi.
— Je vous ai entendus... Eh bien, pour contrer cette désinformation j'ai un plan. Est-ce que les stations de télévision ou de radios sont très protégées ?
— Relativement peu, mais je ne suis pas sûr que l'on soit assez pour les envahir et surtout les tenir, répliqua Hermais.
— On t'écoute, le coupa la résistante.
— Eh bien, on pourrait s'introduire dans la station et diffuser un message en montrant Ahelys. Nous ne pourrons pas pirater le message de l'Empereur et même si nous sommes rapidement coupés, cela le discréditera.
— Impossible, en quelques minutes on serait encerclés, contra Hermais.
Adrien plia son index et le posa en dessous de son nez. Ses yeux se voilèrent pendant qu'il réfléchissait à une autre stratégie.
— J'ai une autre proposition mais je ne suis pas sûr que cela marche. Nous pourrions tourner une vidéo et la passer dans une station de télé. Il y'a bien des sympathisants à votre cause parmi les Enfants de Noé non ? Le problème, ce serait le fond, il faudrait reproduire le décor sinon c'est grillé. S'ils remarquent de suite que c'est enregistré ils n'y croiront pas.
— Nous pouvons acheter un gadget qui fera le décor ainsi qu'une caméra et une clé mémoire. Pour le reste, il faudra convaincre un esclave à l'accueil de nous aider... Nous pouvons atteindre Doëlnan en trente minutes si nous accélérons, reprit Hermais.
En quelques manipulations il reprit le contrôle du véhicule et appuya sur l'accélérateur. Il grommela pour lui-même « je vais me faire allumer par Sealvey c'est sûr »
— J'ai raté quelque chose ? bafouilla Nicolas.
Son ami lui résuma la situation et le jeune homme le regarda, admiratif. Il n'aurait jamais pensé à un plan pareil et ils auraient eu bien du mal à empêcher Ahelys de commettre cet acte de folie, à moins de l'assommer, et encore. Il n'était pas sûr que son aura meurtrière n'aurait pas transcendé son était d'inconscience. Même si il y'avait des chances que sa stratégie ne fonctionne pas, il évitait au maximum les risques.
— Dites...Pour que ce soit plus crédible, il te faudrait un otage non Ahelys ? prononça lentement le jeune homme.
Sa sœur se retourna et lui jeta un regard méfiant.
— A quoi penses-tu ?
— Je pourrai faire l'otage, déclara-t-il, rayonnant. Mes deux ans de théâtre vont enfin servir ! Passer sur toutes les chaînes, mon rêve !
— Ce n'est pas un jeu ! s'exclama Ahelys. Et puis, il faudrait un Naefilien, un esclave ne provoquera aucun réaction, ce serait même pire !
— Et il n'existe pas un truc qui modifierait le visage ? tenta le jeune homme.
— Si c'était aussi simple, de nombreux esclaves se feraient passer pour des Naefiliens. Ou en tout cas, ces produits ne sont pas vendus en grande surface, répliqua Hermais.
— Vous êtes pas marrants, souffla Nicolas.
— Bien-sûr, le railla sa sœur.
Avec ce revirement de situation, l'ambiance était devenue fébrile dans le petit habitacle. Les minutes semblaient des heures face à le temps qui leur était imparti. Si leur plan fonctionnait, ils seraient déjà sur les routes quand le message passerait. Mais il était aussi possible qu'il ne passe jamais. Cette alternative était insupportable pour Ahelys, qui reconnaissait malgré tout que le plan d'Adrien était meilleur que le sien. A vrai dire, elle ne songeait jamais à de vrais plans, tout ce qu'elle savait faire c'était foncer avec comme alliée, la rage du moment. La jeune femme posa son front sur la vitre et une fraîcheur bienvenue lui parcourut le visage.
— Tu sais, si tu avais fait ton plan idiot, je t'aurai quand même accompagné.
Hermais avait murmuré ces mots pour elle seule. La résistante ne répondit pas, toujours tournée vers le paysage urbain qui approchait à chaque instant, mais elle sourit.
Elle en avait de la chance, de les avoir comme amis.
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